Correspondance 1812-1876, 5/1867/DCXXX



DCXXX

À GUSTAVE FLAUBERT, À PARIS


Nohant, 16 février 1867.


Non, je ne suis pas catholique, mais je proscris les monstruosités. Je dis que le vieux laid qui se paye des tendrons ne fait pas l’amour et qu’il n’y a là ni cyprès, ni ogive, ni infini, ni mâle, ni femelle. Il y a une chose contre nature ; car ce n’est pas le désir qui pousse le tendron dans les bras du vieux laid, et, là où il n’y a pas liberté et réciprocité, c’est un attentat à la sainte nature.

Il faut croire que nous nous aimons tout de bon, cher camarade, car nous avons eu tous les deux en même temps la même pensée. Tu m’offres mille francs pour aller à Cannes, toi qui es gueux comme moi, et, quand tu m’as écrit que tu étais embêté de ces choses d’argent, j’ai rouvert ma lettre pour t’offrir la moitié de mon avoir, qui se monte toujours à deux mille ; c’est ma réserve. Et puis je n’ai pas osé. Pourquoi ? C’est bien bête ; tu as été meilleur que moi, tu as été tout bonnement au fait. Donc je t’embrasse pour cette bonne pensée et je n’accepte pas. Mais j’accepterais, sois-en sûr, si je n’avais pas d’autre ressource. Seulement, je dis que, si quelqu’un doit me prêter, c’est le seigneur Buloz, qui a acheté des châteaux et des terres avec mes romans. Il ne me refuserait pas, je le sais. Il m’offre même. Je prendrai donc chez lui, s’il le faut. Mais je ne suis pas en état de partir, je suis retombée ces jours-ci. J’ai dormi trente-six heures de suite, accablée. À présent, je suis sur pied, mais faible. Je t’avoue que je n’ai pas l’énergie de vouloir vivre. Je n’y tiens pas ; me déranger d’où je suis bien, chercher de nouvelles fatigues, me donner un mal de chien pour renouveler une vie de chien, c’est un peu bête, je trouve, quand il serait si doux de s’en aller comme ça, encore aimant, encore aimé, en guerre avec personne, pas mécontent de soi et rêvant des merveilles dans les autres mondes ; ce qui suppose l’imagination encore assez fraîche.

Mais je ne sais pourquoi je te parle de choses réputées tristes, j’ai trop l’habitude de les envisager doucement. J’oublie qu’elles paraissent affligeantes à ceux qui semblent dans la plénitude de la vie. N’en parlons plus et laissons faire le printemps, qui va peut-être me souffler l’envie de reprendre ma tâche. Je serai aussi docile à la voix intérieure qui me dira de marcher qu’à celle qui me dira de m’asseoir.

Ce n’est pas moi qui t’ai promis un roman sur la sainte Vierge. Je ne crois pas du moins. Mon article sur la faïence, je ne le retrouve pas. Regarde donc s’il n’a pas été imprimé à la fin d’un de mes volumes pour compléter la dernière feuille. Ça s’appelait Giovanni Freppa, ou les Maïoliques.

Oh ! mais quelle chance ! En t’écrivant, il me revient dans la tête un coin ou je n’ai pas cherché. J’y cours, je trouve ! Je trouve bien mieux que mon article, et je t’envoie trois ouvrages qui te rendront aussi savant que moi. Celui de Passeri est charmant.

Barbès est une intelligence, certes, mais en pain de sucre. Cerveau tout en hauteur, un crâne indien aux instincts doux, presque introuvables ; tout pour la pensée métaphysique, devenant instinct et passion qui dominent tout. De là un caractère que l’on ne peut comparer qu’à celui de Garibaldi. Un être invraisemblable à force d’être saint et parfait. Valeur immense, sans application immédiate en France. Le milieu a manqué à ce héros d’un autre âge ou d’un autre pays.

Sur ce, bonsoir. — Dieu, que je, suis veau ! Je te laisse le titre de vache, que tu t’attribues dans tes jours de lassitude. C’est égal, dis-moi quand tu seras à Paris. Il est probable qu’il me faudra y aller quelques jours pour une chose ou l’autre. Nous nous embrasserons, et puis vous viendrez à Nohant cet été. C’est convenu, il le faut !

Mes tendresses à la maman et à la belle nièce.