Correspondance 1812-1876, 5/1866/DXCIX



DXCIX

À MAURICE SAND, À NOHANT


Paris, 1er février 1866.

Me voilà recasée aux Feuillantines. J’ai fait un très bon voyage : un lever de soleil fantastique, admirable, sur la vallée Noire : tous les ors pâles, froids, chauds, rouges, verts, soufre, pourpre, violets, bleus, de la palette du grand artisan qui a fait la lumière ; tout le ciel, du zénith à l’horizon, était ruisselant de feu et de couleur ; la campagne charmante, des ajoncs en fleurs autour de flaques d’eau rosée.

Il faisait si doux, même à sept heures du matin, que j’ai voyagé avec les vitres baissées. La route est très dure ; mais on y promène de grands rouleaux de fonte et elle sera bientôt belle ; j’avais un bon postillon et de bons chevaux.

À Châteauroux, surprise agréable : mes vieux Vergne, qui partaient pour Paris et avec qui j’ai eu le plaisir de voyager.

À la gare, ici, j’ai trouvé les Boutet ; j’ai dîné avec les Africains. J’ai vu le soir les Lambert et Marchal ; j’ai bien dormi, je n’ai pas eu la moindre fatigue.

Il vient de m’arriver une dépêche télégraphique. Ça m’a fait une peur atroce : j’ai cru que Lina était retombée malade. Ça arrive tout bonnement de Neuilly : c’est Alexandre qui vient dîner avec moi. Nouveau système de correspondance, que je ne m’explique pas encore : la dépêche est imprimée par l’appareil télégraphique. Ils se z’inventeriont le diable !

Méfie-toi de ce trop joli temps traître. À Paris, il fait doux ; mais on n’aperçoit pas le soleil, je l’ai laissé dans la vallée Noire, et j’ai trouvé ici la boue et la pluie.

Bige ma Cocote pour moi, et mon Aurore, et Calamatta.

Et je te bige mille fois toi-même. Écris souvent.