Correspondance 1812-1876, 5/1864/DLXIX



DLXIX

À MAURICE SAND, À CHAMBÉRY


Palaiseau, 6 août 1864.


Mes enfants,

Je suis contente de vous savoir arrêtés quelque part dans un beau pays. Vous avez donc vu ma chère cascade de Coux, celle que Jean-Jacques Rousseau déclarait une des plus belles qu’il eût vues ? C’est là que se passe une scène de Mademoiselle La Quintinie.

Vous aimez la Savoie, n’est-ce pas ? Buloz vous fera voir ses petits ravins mystérieux et ses énormes arbres. C’est un endroit superbe, que sa propriété, et tout alentour il y a des promenades charmantes à faire. Il faut voir mon château de Mademoiselle La Quintinie : il s’appelle en réalité Bourdeaux, et, de là, vous pouvez monter à la Dent-du-Chat.

J’ai vu Calamatta, qui m’a dit que la course de taureaux dans les Arènes de Nîmes était vraiment un beau spectacle, très émouvant, et que cela vous avait distraits et impressionnés tous les trois ; il se porte bien, lui, et compte rester quelque temps à Paris. Avez-vous reçu mes lettres adressées à Nîmes, et une à l’hôtel de France de Chambéry ? Réclamez-la.

Je te parlais, Mauricot, de l’opinion de Buloz, qu’il ne faut pas prendre absolument au pied de la lettre. Qu’il juge de ce qui convient à sa Revue, à la bonne heure ; mais, quand il voit du danger à toute espèce de publication de ce roman, il s’exagère évidemment la chose, et, d’ailleurs, il n’est pas juge en dernier ressort ; et il faut qu’il te rende ton roman ou je lui dirai de me le renvoyer. Je l’ai donné à lire à Noël Parfait, qui saura bien nous dire s’il y a danger réel et complet. Buloz te dit d’attendre. Attendre quoi ? Ce n’est pas une solution, puisqu’il ne change pas d’avis. Au reste, ne t’en tourmente pas pour le moment. Je ne laisserai pas dormir cela ; je suis sûre que Buloz est très gentil pour nous, et son intention, quant au roman, est bonne et sincère.

Je te disais, dans mes autres lettres, que nous ne trouvions rien autour de nous qui pût réaliser ton désir d’un grand jardin avec maison, pour trente mille francs. Il faudra voir toi-même. Marchal explore Brunoy. Mais tout s’arrangera, quand vous serez ici, surtout si vous voyagez un peu pour gagner la fin de la saison. Je me porte bien ; il est à peu près décidé qu’on va jouer le Drac au Vaudeville : la nouvelle version, avec Jane Essler pour le Drac, Febvre pour Bernard, lequel Febvre est en grand progrès et grand succès. Je vous bige mille fois tout deux. Distrayez-vous, ne pensez à rien.

« Quand vous écrirez à Maurice, me dit Dumas fils, faites-lui mes amitiés ; il n’a pas besoin que je lui écrive pour savoir la part que je prends à son chagrin. »