Correspondance 1812-1876, 4/1862/DXIX



DXIX

À MADEMOISELLE NANCY FLEURY, À PARIS


Nohant, 7 août 1862.


Ma chère mignonne,

Je suis bien contente de l’embarras d’Hetzel[1] puisqu’il me procure une charmante lettre de toi, et de bonnes nouvelles de vous toutes. J’ai vu ton père hier et nous avons causé, comme tu penses, de tout ce qui vous concerne, et de cette pauvre chère grand’mère qui est partie !

Ma Lina, qui est de retour de son voyage et se propose de t’écrire bientôt, a fait aussi mille questions sur vous à ton père. Et nous avons dit beaucoup de mal de toi, comme tu penses ! Nous avons grondé ton père de ce qu’il ne te faisait pas courir un peu avec lui quand il vient chez nous : ce serait si bon pour nous de te tenir ici ! Mais il dit : « Cela ne se peut pas, elle travaille, elle est forcée à des relations continuelles pour ses travaux. »

Un temps viendra peut-être où tu auras un peu de vacances, et Valentine aussi, et alors ta petite maman n’aurait plus de raison d’être à Paris quand le père aurait à venir en Berry. Vous prendriez Nohant pour centre d’opérations, ton père faisant ses courses et promenades ; vous, le peu de visites que vous tenez à faire maintenant au pays, et vous auriez chez nous le home et la famille.

Rien ici de changé essentiellement depuis les bons jours d’intimité que nous y avons passés ensemble, sauf le grand bonheur d’avoir cette adorable et adorée petite, immense compensation aux douleurs qui nous ont tous frappés et aux adieux tant de fois répétés aux vivants et aux morts.

Laisse Lina et moi faire ce bon rêve de vous ravoir quelquefois près de nous, quand de bonnes circonstances le permettront, et parlons de cette géométrie naturelle, qui est une œuvre charmante et bonne. Que les lecteurs sont donc bêtes avec leur répulsion pour les mots ! Enfin cherchons :

Avant nous.
L’œuvre avant l’ouvrier.
Les formes primitives.
La science avant les savants.
L’artiste éternel.
Histoire de la forme.

La loi des formes naturelles.

Tout cela ne vaut rien, et rien ne vaudra jamais le vrai titre, qui était le seul juste. Il faut tâcher de persuader à Hetzel de le conserver, ou il faut qu’il en trouve un bon. S’il refusait l’ouvrage, il me semble que madame Pape-Carpentier trouverait à le placer naturellement dans la Bibliothèque utile de Leneveu, qui est un excellent recueil, très répandu et très goûté.

Bonsoir, chère fille ; je t’embrasse, je vous embrasse tous bien fort.

TA MARRAINE.

  1. Qui cherchait un titre pour l’ouvrage d’abord intitulé Évenor et Leucippe, et qui s’est définitivement appelé les Amours de l’âge d’or.