Correspondance 1812-1876, 4/1860/CDLX



CDLX

À M. JULES BOUCOIRAN, RÉDACTEUR EN CHEF
DU COURRIER DU GARD, À NÎMES


Nohant, 31 juillet 1860.


Cher vieux,

C’est une joie toujours, ici, de recevoir de vos nouvelles. Tout le monde va bien. Je me porte infiniment mieux depuis que je suis vieille et je réponds vite à votre demande.

Non, les ouvrages des vivants ne tombent jamais dans le domaine public, et les héritiers en ont la propriété vingt ou trente ans encore après eux. Mais tous mes ouvrages sont vendus aussitôt que faits, pour un temps donné ; car on ne gagne pas ses frais à éditer soi-même. La Société des gens de lettres, dont je fais toujours partie, n’a le droit de traiter que pour de très courts écrits. Au delà de cent mille lettres, elle est liée et même je crois que ce chiffre a été réduit.

Vous voyez que ni elle ni moi ne pouvons vous autoriser. Je vais écrire aux éditeurs dont les ouvrages que vous désirez reproduire sont la propriété temporaire, afin de savoir s’ils autoriseraient la reproduction. Je doute qu’ils soient gentils à ce point. Mais peut-être, s’ils demandaient un prix minime pour vous accorder ce droit, verriez-vous de l’avantage à en passer par là. Il est évident que, si ces reproductions donnent une valeur au journal, c’est parce qu’elles ne sont pas autorisées par leur non-valeur commerciale.

Maurice vous embrasse de tout son cœur et vous aime toujours. Il compte bien vous envoyer son livre de Masques et Bouffons aussitôt qu’il pourra en avoir quelques exemplaires. C’est un ouvrage cher, à cause des images, et son éditeur, pressé de vendre, le sert le dernier. Je n’espère pas que vous réussissiez à le marier (Maurice, pas son éditeur), si vous lui cherchez femme parmi les dévots et les légitimistes. Je préfèrerais de beaucoup une famille protestante. Voyez pourtant ce qu’on vous dira et faites-m’en part. Je désire bien qu’il se décide et qu’il devienne père de famille. Si vous lui trouviez une charmante personne, ayant des goûts sérieux, une figure agréable, de l’intelligence, une famille honnête, qui ne prétendrait pas enchaîner le jeune couple à ses idées et à ses habitudes autrement que par l’affection, nous rabattrions bien des prétentions d’argent.

Bonsoir, mon vieux enfant. Je vous écrirai dès que j’aurai une réponse des éditeurs.

À vous de cœur.

GEORGE SAND.

Quand vous verra-t-on ?