Correspondance 1812-1876, 4/1858/CDXLIII



CDXLIII

À M. CHARLES PONCY, À TOULON


Nohant, 17 décembre 1858.


Cher enfant, j’ai envoyé tout de suite votre lettre à Patureau. — Vous faites bien de lui dire tout ce qui peut le décider à rester ; mais, moi, je crois faire aussi bien en lui disant tout ce qui peut le décider à partir. Sa sagesse pèsera le tout. Mais je suis aussi sûre que possible qu’il profitera de la concession et des moyens qui lui sont généreusement accordés de remplir ses devoirs de famille. Vous vous faites difficilement une idée des impossibilités de son existence chez nous. Outre les ennemis sans nombre que sa popularité lui a créés à une certaine époque, cette popularité qui existe plus que jamais, et à laquelle il ne peut plus se soustraire, lui crée elle-même des soucis et des dangers toujours renaissants. Il n’est pas d’homme plus prudent que lui, et pourtant il est fatalement condamné à des imprudences, un jour ou l’autre. Et puis cette popularité lui crée des devoirs dont beaucoup sont factices selon moi, sans cesser d’être impérieux. Les services à rendre l’ont ruiné ! Le temps perdu à écouter bien des bavardages, et l’exil deux fois, l’ont forcé à des emprunts considérables. Il peut se libérer en vendant tout ce qu’il a ; mais après, il lui faudra redevenir simple journalier. Or les ennemis lui refusent le travail. Que faire avec femme et enfants ? — Et puis être journalier à son âge, c’est très dur ! Qu’une maladie l’arrête, c’est la famine à la maison. Il fait son devoir en consacrant les dix années de force qu’il a encore devant lui à assurer l’existence des siens et à leur créer un avenir. Il a dû vous répondre. Je ne dois le revoir qu’au jour de l’an.

Bonsoir, mon cher enfant, et toutes nos tendresses à vous et chez vous.