Correspondance 1812-1876, 4/1857/CDXIV



CDXIV

À SA MAJESTÉ L’IMPÉRATRICE EUGÉNIE


Nohant, 6 octobre 1857.


Madame,

La féconde et gracieuse protection que Votre Majesté accorde aux artistes me donne la confiance de m’adresser à Elle, en cette qualité, pour appeler les effets de sa généreuse bonté sur une famille qui en est digne.

Le grand nom dramatique de Marie Dorval protège cette famille et prie pour elle. M. Luguet a épousé la fille de cette célèbre artiste ; il est lui-même artiste de talent, et honnête homme. Sa Majesté l’empereur a daigné l’encourager dernièrement à Plombières. M. Luguet a cinq enfants, et nulle autre ressource que son travail quotidien.

Mais ce qui touchera surtout le bon cœur de Votre Majesté, c’est un aperçu des nombreuses charités de Marie Dorval, morte pauvre, après une vie de gloire et de fatigue.

Outre que ses grands succès au théâtre ont versé plus de cent mille francs aux hospices, madame Dorval (dame de charité de Toulouse) a fondé plusieurs lits dans les hôpitaux de Lyon, Bordeaux, Montpellier, et une des crèches du faubourg Saint-Antoine. Il y a là plusieurs lits sous le patronage de saint Georges, en mémoire d’un petit-fils adoré auquel la pauvre femme ne put survivre.

Si Votre Majesté daigne dire un mot, le second petit-fils de madame Dorval, Jacques Luguet, recevra, dans un lycée, le développement d’une belle intelligence et d’un heureux naturel. Ce sera un bienfait de plus dans la précieuse vie de Votre Majesté, et, j’ose en répondre, un de ceux qui inspireront la plus profonde reconnaissance et produiront les meilleurs fruits.

C’est à la mère que les mères osent s’adresser. Ce titre sacré, que le Ciel a béni dans Votre Majesté, ajoute l’espoir et la foi au profond respect avec lequel on l’invoque et avec lequel j’ai l’honneur d’être, de Votre Majesté, la très humble et très obéissante servante.

GEORGE SAND.