Correspondance 1812-1876, 4/1856/CDIV



CDIV

À M. CHARLES PONCY, À TOULON


Nohant, 23 juillet 1856.


Cher enfant,

Je suis à Nohant, je me porte bien, tout le monde aussi, excepté ma fille, qui n’est guère vaillante. Elle a été très malade à Paris et elle est venue se guérir ici. J’espère que ce sera bientôt fait : pourtant, si ce n’était pas fini à l’automne, je l’emmènerais voyager. Où ? Je n’ose plus vous dire que ce serait de votre côté, bien que ce soit toujours là que ma pensée se reporte ; mais je vous ai tant manqué de parole, ou, pour mieux dire, j’ai tant manqué à mes espérances, que je ne veux plus fixer de but à mes courses.

Celle que je méditais l’hiver dernier s’est résolue en quelques jours d’avril dans la forêt de Fontainebleau, une des plus belles choses du monde, il est vrai, mais si près de Paris, qu’on n’appelle même pas cela une promenade. J’aspire pourtant toujours à l’absence. L’absence pour moi, c’est le petit coin où je me reposerais de toute affaire, de tout souci, de toute relation ennuyeuse, de tout tracas domestique, de toute responsabilité de ma propre existence. C’est ce que j’avais trouvé, l’autre année, à Frascati pendant trois semaines, et à la Spezzia pendant huit jours. C’est là ce que je demande au bon Dieu de retrouver pendant six mois quelque part, sous un ciel doux et dans une nature pittoresque ; rêve bien modeste, mais qui passe devant moi dix ans de suite sans se laisser attraper.

Cependant, il ne faudra pas venir nous voir ici à l’improviste ; car, si les jours de liberté se présentaient, je les prendrais aux cheveux et il serait fâcheux de nous croiser sur les chemins. Avertissez-moi toujours un peu d’avance. Je suis contente de vous savoir utilement occupé et en possession d’un si beau brin de fille que votre Solangette. Il me tarde de la voir et de l’embrasser, ainsi que sa mère. J’attends tous les travaux que vous m’annoncez, et je vous félicite du bon courage qui vous soutient. Ici, l’on se soutient aussi, chacun dans son travail, même ma pauvre patraque de Solange, qui s’est mis en tête de faire des vers, et qui arrivera peut-être à en faire d’assez jolis.

Je vous envoie, de sa part et de celle de tous, une masse d’amitiés et de poignées de main. J’y joins mes tendres et maternelles bénédictions.