Correspondance 1812-1876, 2/1837/CLXXI


CLXXI

À LA MÊME


Nohant, mai 1837.


Liszt est perdu dans un nuage de gloire, à ce que je vois dans les journaux. Evviva ! Cela ne m’apprend rien de son génie, que j’ai l’orgueil d’avoir compris avant que la presse embouchât toutes ses trompettes. Enfin notre ami lui a mis le mors et la bride. C’est une victoire « plus nécessaire qu’agréable », comme dit M. Harel[1]. Vous devez courir comme un chevreuil (animal rongeur et ruminant qui sert au besoin de femme de chambre aux dames de qualité…[2] ; voyez M. de Buffon, chap…) et faire étinceler vos cheveux blonds dans des milliards de concerts.

Votre santé ne souffre-t-elle pas de cette vie d’émotions et de triomphes ? Moi qui ai la fibre épaisse, je vous envie bien vos joies et les mélodies qui vous inondent (style Prudhomme) ! Mais je n’ai pas le sou et je suis forcée de m’en tenir aux mélodies des crapauds de mon jardin, qui, depuis dix nuits, font entendre, ma foi ! de très jolies petites notes pour des notes de province. Du reste, vous ne trouverez pas une allumette dérangée à votre chambre. Nohant et la famille Piffoël sont ce qu’il y a de plus inamovible dans la société humaine, et de plus immuable, après Dieu et M. Schœlcher, dans le système de l’univers.

Bonsoir, bonne et chère Mirabella. Si vous avez l’occasion de tirer la lourde oreille du ragazzo di… rosa[3], vous me ferez plaisir. J’embrasse le maestro et vous de toute mon âme.

G.
  1. Directeur du théâtre de la Porte Saint-Martin.
  2. La femme de chambre de madame d’Agoult s’appelait mademoiselle Chevreuil.
  3. Hermann, l’élève de Liszt.