Correspondance 1812-1876, 2/1836/CLVIII


CLVIII

À M. DUDEVANT, À PARIS


Paris, novembre 1836.


L’état de Maurice me tourmente beaucoup. Je ne le lui dis pas, mais je crains qu’il n’ait une maladie de langueur. Il ne dort que d’un sommeil léger et entrecoupé de rêves. Ce n’est pas là le sommeil de son âge. Il ne souffre pas ; mais les deux médecins qui le voient, celui du collège et celui qui vient ici tous les jours, comme ami, lui trouvent les mêmes symptômes d’excitation nerveuse et d’agitation au cœur.

Je ne sais comment faire pour partir. J’ai besoin d’être à Nohant ; mais, dès que je parle de mon départ, il fond en larmes et la fièvre le prend. Je l’ai tant raisonné, qu’il se soumet à tout ce que j’exige. Il ne dit rien ; mais il est malade. Venez à mon secours, je vous en supplie. Parlez-lui avec tendresse et douceur. Cet enfant chérit également ses parents ; mais il est faible de corps et de caractère. La sévérité le brise et le consterne.

Les médecins recommandent de lui épargner la contrariété, cela devient bien embarrassant. Comment élever un enfant sans le contrarier ? Ils disent que c’est une fièvre de croissance, mais qu’une maladie plus grave peut se développer, si l’on irrite cette fièvre. En effet, je lui trouve, la nuit, le cœur plus agité encore que lorsque ces messieurs l’examinent. Je tremble qu’il ne soit attaqué de la maladie dont j’ai souffert toute ma vie et dont je souffre toujours. Si j’étais au moins assurée qu’il eût une aussi bonne constitution que moi ! Mais il n’en est pas ainsi. Le chagrin lui est contraire.

Je vous assure qu’on a fait une grande faute, je dirai même un grand crime, en informant cet enfant de ce qu’il devait ignorer, de ce qu’il pouvait du moins ignorer en partie et ne comprendre que vaguement. Le mal est fait, ce n’est ni vous ni moi qui l’avons voulu. Quant à moi, j’ai la conscience d’avoir toujours travaillé à lui faire partager également son affection entre vous et moi.

Aujourd’hui, il ne s’agit plus de nos dissensions personnelles ; il s’agit d’un intérêt qui passe avant tout : la santé de notre enfant. Ne le jetons pas, au nom du ciel ! dans une rivalité d’affection qui excite sa sensibilité déjà trop vive. De même que je l’encourage dans sa tendresse pour vous, ne le contrariez pas dans sa tendresse pour moi. Venez le voir ici tant que vous voudrez. S’il vous est désagréable de me rencontrer, rien n’est plus facile que de l’éviter. Quant à moi, je n’y ai aucune répugnance. L’état où je vois Maurice fait taire tout autre sentiment que le désir de le calmer, de le guérir au moral et au physique.

Je resterai ici jusqu’à ce qu’il soit rétabli et je ne ferai rien à son égard que vous n’approuviez. Secondez-moi, vous aimez votre fils autant que je l’aime. Épargnez-lui des émotions qu’il n’a pas la force de supporter. Si je lui disais du mal de vous, je lui ferais beaucoup de mal. Que la précaution soit réciproque.

Quel intérêt aurions-nous maintenant à nous combattre dans le cœur d’un pauvre enfant plein de douceur et d’affection ? Ce serait pousser trop loin la guerre, et, quant à moi, je ne la comprends pas à ce point.

A. D.


Maurice ignore absolument mes inquiétudes. Il s’attend toujours à rentrer au collège d’un jour à l’autre. Ne lui parlez pas de son battement de cœur. Le médecin dit toujours devant lui que ce n’est rien du tout.