Correspondance 1812-1876, 1/1832/LXXXII


LXXXII

À MAURICE DUDEVANT, À NOHANT


Paris, 4 avril 1832.


Nous sommes arrivées en bonne santé, ta sœur et moi, mon cher petit amour. Solange n’a fait qu’un somme depuis Châteauroux jusqu’ici. Elle a pensé à toi et à sa bonne ; elle a pleuré deux fois pour vous avoir ; mais elle s’est consolée bien vite. À son âge, le chagrin ne dure guère. Elle a été douce et gentille tout le temps. Quand tu étais tout petit, tu n’étais pas si patient qu’elle. En arrivant, elle a reconnu tout de suite ton portrait et elle a pleuré ; puis elle n’a pas tardé à s’endormir.

Je l’ai menée au Luxembourg, au Jardin des Plantes. Elle a vu la girafe, et prétend l’avoir déjà bien vue à Nohant dans un pré. Elle a donné à manger dans sa main aux petits chevreaux du Thibet et aux grues. Elle a vu les animaux empaillés et ne veut pas comprendre qu’ils ne sont pas en vie. Du reste, elle n’a pas peur du tout ; pourvu que je lui donne la main, elle ne s’effraye de rien.

Elle rit, elle chante, elle est gentille à croquer. Elle mange comme six, elle s’endort dans les omnibus, elle se réveille quand on descend et se met à marcher sans grogner. Il est impossible d’être meilleure enfant. Je suis bien contente de l’avoir avec moi. Si je t’avais aussi, mon pauvre enfant, je serais bien heureuse.

Et toi, mon petit chat, comment te portes-tu ? t’amuses-tu toujours bien ? Ta grue est-elle toujours en vie ?

Adieu, mon cher petit ange. Je t’embrasse cent mille fois sur tes joues roses et sur ton grand pif, sur tes grands yeux et sur tes beaux cheveux. Écris-moi bien souvent. Ta sœur t’embrasse aussi ; elle veut te porter des fraises et des glaces dans du papier. Ce sera propre en arrivant !