Correspondance 1812-1876, 1/1829/XXXIV


XXXIV

À MADAME MAURICE DUPIN, À PARIS


Nohant, 29 décembre 1829.


Ma chère petite maman,

Je viens vous souhaiter une bonne santé et tout ce qu’on peut souhaiter de meilleur pour tout le courant de l’année où nous entrons et pour toutes celles de votre vie ; faites qu’il y en ait beaucoup. Pour cela, soignez-vous bien et menez joyeuse vie…

Que faites-vous de mon mari ? vous mène-t-il au spectacle ? est-il gai ? est-il bon enfant ? Il nous a mandé qu’il serait de retour cette semaine ; mais je doute que ses affaires lui permettent de tenir cet engagement. Profitez de son bras pendant que vous l’avez, faites-le rire ; car il est toujours triste comme un bonnet de nuit quand il est à Paris. Faites-vous promener, si le temps le permet toutefois. Ici, nous sommes sous la neige comme des marmottes. Nous passons notre vie à nous chauffer et à dire des folies. Nous ne faisons rien, et pourtant les journées sont encore trop courtes. Hippolyte est d’une gaieté intarissable ; sa femme se porte assez bien ici, et nos enfants nous occupent beaucoup. Ils lisent parfaitement. Hippolyte est maître d’écriture ; moi, je suis maîtresse de musique.

Ma fille n’est pas tout à fait aussi avancée ; mais elle commence à parler anglais et à marcher. Elle a une bonne qui lui parle espagnol et anglais. Si cela pouvait continuer, elle apprendrait plusieurs langues sans s’en apercevoir. Mais je ne suis pas très contente de mademoiselle Pepita (c’est ainsi que se nomme l’héroïne), et je ne sais si je la garderai longtemps. Elle est sale et paresseuse comme une véritable Castillane. Ma petite Solange est pourtant bien fraîche et bien portante. Elle sera, je crois, très jolie ; elle ressemble, dit-on, à Maurice ; elle a de plus que lui une peau blanche comme la neige. On ne peut pas trouver, par le temps qui court, une comparaison plus palpable.

Adieu, chère petite maman ; j’ai les doigts tout gelés. Je vous embrasse tendrement et laisse la place à Hippolyte.