Correspondance - Lettre du 27 mai 1917 (Asselin)

27/5/17


Ma chère Alice ,

Il y a bien une dizaine de jours que je t’ai écrit, et sept ou huit jours que ma dernière lettre est partie. Depuis quelques jours je n’ai guère eu le cœur à écrire. Pris de la fièvre des tranchées après une des tournées les plus fatigantes que nous ayons encore eues – neuf jours, dont cinq sans abri, une partie du temps sous la pluie, et sans pouvoir bouger depuis 4h.30 du matin jusqu’à 9h.30 du soir – je suis depuis un peu souffrant. Je n’ai pas de posture dans mon lit, je veux dire sur ma couche ; ⁁j’ai tous tous [?] les membres endoloris, surtout les jambes, que le seul poids des couvertures fatigue. Je suis toujours de mauvaise humeur. Si je ne t’écris pas chaque [?] d’ici à quelques jours, ne t’en inquiète pas, ma chère femme : ⁁ce sera c’est uniquement que je n’ai rien de nouveau à te dire, et que j’ai besoin de me reposer les nerfs.

Est-ce à Fournier ou aux Huguenin, que j’avais écrit la lettre dont il a paru des passages dans la Patrie ? Celui-là m’a rendu un bien mauvais service. Ne voilà-t-il pas, en effet, que le P. Doyon, que je croyais pourtant intelligent, et qui n’avait qu’à me lire attentivement pour xxxxxxx avoir une autre impression, écrit au colonel Tremblay que je l’ai vilipendé et qu’il va m’en demander raison !!! Est-il possible d’être plus bête ? Malheureusement, il y a près du colonel un servile personnage qui emploie tout son talent – et il en a – à le confirmer dans des erreurs ⁁(qu’il partage) comme celle du P. Doyon, au lieu de s’appliquer à rectifier les choses. Le colonel se fait d’une pénible bagatelle une montagne, et mon xxxxxxxgrand faquin de surenchérir. Biron, qui est du Club de Reform Club, saura, xxxxxxx à la description physique, de quoi je veux parler. Je doute cependant qu’il ait eu l’occasion de voir le personnage sous le jour où je l’ai connu ici.

C’est décidé : je partirai le 8 juin. J’avais à peu près résolu de rester jusqu’au 1er septembre, mais l’état de choses actuel au 22e – jusqu’à 10 pr. c. des hommes valides absents sans permission, c’est-à-dire déserteurs, xxxxxxx – m’a fait changer xxxxxxx de résolution. Tu ne peux pas t’imaginer quel découragement s’empare de l’idéaliste, au front, devant l’indifférence absolue des uns, l’aveuglement des autres, les calculs et les intrigues de ceux-ci, la naïveté de ceux-là. J’ai été J’aurai été trois mois commandant de peloton : tout ce qu’il y a de nullités avant moi se liguerait pour m’empêcher d’aller plus loin. J’en ai assez, je m’en vais. Je t’assure qu’un hommeautre qui en a jusque-là, c’est Plante. Mais lui, le pauvre garçon, il est lié. À l’heure actuelle, ⁁dans ses grandes lignes, le corps des officiers du 22e se compose pour un tiers de ratés et de bons à rien ; pour un tiers d’hommes qui firent, à leur heure, de grandes choses, mais qui sont usés, cassés, finis ; et pour un autre tiers de bons sujets comme Plante, Guay, Lamothe, Payette, Gatien, Lafontaine, De Varennes, que les autres empêcheront tant qu’ils peuvent d’avancer.

À propos de Lafontaine, sais-tu que ses parents lui avaient trouvé – à Londres, je crois, – une place d’état-major, et qu’il l’a refusée pour venir ici. Il est arrivé la semaine dernière avec De N., Payette et Gatien. Nous attendons ces jours-ci Blais, Barry, St. Germain et xxxxxxx Doucet. Saint-Germain fait maintenant un excellent officier, paraît-il. Ne boit plus. A maigri.

J’ai reçu de Mme de V. un cornet de sucre d’érable et une paire de chaussettes.

Il se peut que je passe par Paris et retourne retourne à Londres par Paris, histoire de voir si nous pourrions vivre là après la guerre.

Je t’embrasse tendrement, ma chère femme, et demeure

ton mari fidèle,
Olivar

P.S. – J’ai écrit depuis longtemps à tous ceux que tu me nommes. J’écrirai à Pivert.

A.