Correspondance - Lettre du 19 novembre 1918 (Asselin)

Pâturages, près Mons, en Bel _
gique, 19 novbre 1918 -
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Ma chère Alice ,

Nous reprenons la ⁁marche route demain au matin à 6h.30. Les Allemands encombrent les routes, nous n’irons pas vite : à peine dix milles par jour _ Ma santé a jusqu’ici été très bonne, mais un peu de froid aux pieds , puis dans une maison chauffée à certaines heures seulement , m’a un peu [?] dérangé l’intestin ces jours-ci , ce qui m’a quelque peu abattu - ⁁[en marge gauche] En outre Ononm'oub [?] m’avait oublié dans la distribution des billets de logement , et, couché par terre terre, j’ai manqué de sommeil - Enfin , j’ai dû faire, par la faute de tu devines qui, une véritable besogne de commis- Ne crains pas que je fasse quoi que ce soit qui puisse porter préjudice à nos intérêts, mais je me demande quelle mauvaise fortune a vu a fait que je sois placé sous ce gros négligent, qui se prodigue ⁁au besoin en éclats de voix, mais par [?] de qui je ne puis jamais obtenir un acte d’autorité effectif. Je me suis rarement fait plus de mauvais sang.

Petit à petit nos impressions de la Belgique libérée se précisent et se complètent. Les [illisible] Le peuple Certains font Dans le peuple, certains éléments ont moins souffert qu’on ne le croit à l’étranger = ce sont les gens — ⁁[en marge gauche] buvetiers, restaurateurs, etc., qui vivaient ⁁à la fois du soldat allemand et du ravitaillement américain, espagnol, hollandais, scandinave ; la hausse des prix, ceux-là, ne les affectait guère. Certains autres ont plus souffert qu’on ne serait tenté de le croire en voyant la mine générale des habitants : ce sont ceux dont qui, par fierté ou autrement, ne pouvaient s’accommoder de la domination étrangère. La paire de bas qui se vendait 95 centimes avant la guerre se vend aujourd’hui 15 francs. La farine s’est vendue dernièrement jusqu’à 15 francs (près de $300) le kilo (deux livres). Mais il y avait avec l’autorité militaire des accommodements, et bon nombre qui ont pu supporter les nouvelles conditions économiques [avec ?] grâce en achetant, littéralement, les officiers et sous-officiers préposés au contrôle des approvisionnements ⁁et des réquisitions. Il y a même une classe très nombreuse qui, s’étant habituée à compter sur l’assistance des neutres, semble, au dire des patrons, ne pas vouloir reprendre le travail, ou vouloir établir ici le bolchevisme comme il existait en Russie. Chose certaineCette région Cette par_ tie de la Belgique est libérée depuis plus de dix jours, ⁁[en marge gauche] les mines sont restées ouvertes, # mais il n’y a encore virtuellement personne qui travaille. Pour des gens [illisible] un peuple qui a tant à faire, c’ ce n’est pas se presser. Je ne sais où l’on a pris le grain pour fabriquer la bière, mais dans tous les cafés (fort nombreux) il y a de la bière, et les gens pour la boire, même en dehors des troupes, ne manquent pas. Dans unPar contre, dans un bazar magasin de[en marge gauche] Par contre, dans un grand bazar [mots illisibles] ^qui avant la guerre devait avoir fort belle clientèle, on me racontait hier soir ceci = Les Allemands avaient réquisitionné toutes les cotonnades, toute la laine, tout le coton, toute la toile ; parce que ce bazar ⁁[en marge gauche] manqua à n’avait pas déclaréer quelques faux-cols, pour[en marge gauche] en toile hommes, le magasin fut vidé, et vingt mille francs de marchandises confisqués ; et le plus outrageant, c’est que l’ordre de déclaration n’avait pas même été affiché publié ! Les actes de[en marge gauche] faits de ce genre ne se comptent pas; inutile de dire les ruines particulières qu’ils ont causées, sans parler de la perturbation générale créée par la réqui le caractère spoliateur des réquisitions.

Un des traits les plus curieux de la situation, c’est la haine que les gens du pays – les Wallons – ont pour les Flamands. J’avais lu que la guerre avait uni dans un même sentiment patriotique Wall les deux branches de la famille belge : il faut en rabattre ; je me demande même si les Flamands, qui avant la guerre n’ étaient aux yeux des Wallons des frères encombrants, mais rien de plus, ne seront pas désormais pour eux des traîtres. C’est le nom qu’on leur donne partout ici. En 1914 et en 1915, ils refusaient de loger les soldats anglais et canadiens venus pour sauver leur pays. Il paraît Dmaintenant qu’ils ne se sont pas conduits autrement envers leurs propres compatriotes. De la Wallonie, où l’on manquait de pommes [(?) de (?) ...i (?)] pommes de terre, on allait les pauvres, et parfois même les riches , allèrent en chercher en Flandre, à trente, quarante et cinquante kilomètres | ⁁et^ la plupart du temps à pied, car, dans les charbonnages, tr très peu de gens ont des le peu de chevaux qu’on avait servait alors aux Allemands. Le bon Flamand commençait par vendre ses pommes de terre 4 ou 5 francs le kilo (deux livres !), puis il [illisible] s’arrangeait pour que, l’instant d’après, elles lui revînssent par le gendarme boche, de mèche avec lui. L’acheteur en était quitte pour revenir chez lui la bourse et les mains vides. Ces faits sont attestés par tout le monde, à Pâturages et aux environs.

La popularité de nos soldats n’a fait parmi les civils n’a fait que croître depuis notre arrivée. Ils logent dans les familles, mais ils mangent à la Field kitchen, [?] généralement installée dans une cour au fond de une cour. Or, ce soir, dans tout presque toutes les maisons, les soldats ayant avec la viande [?] et le le pain et les pommes de terre fournies par le soldat et les menus légumes divers fournis par le civil, on fait le repas en commun le repas des adieux. Les Canadiens-Français sont surtout sont au mieux avec les Pâturageois, qui parlent juste assez mal le français pour respecter la langue canay-enne canayenne. Après le soleil couché, on les rencontre avec le sexe dans tous les coins. Ils ont été payés hier : pour faire les généreux, ils supplémentent de leur propre poche l’indemnité de logement. Les maudits ! Je voudrais bien qu’ils fussent aussi [?] attentifs ⁁[en marge gauche] à se raccommoder, ^ à se laver, à se décrotter. Je n’ai jamais vu, durant mes trois ans de service, des de pareilles moules pour tout ce qui touche à la tenue et à la propreté ; ils passeront trois jours dans une famille sans songer à faire coudre une déchirure, à se faire poser un bouton ; quant à faire [illisible] eux-mêmes ces petits travaux, ouvrages, va-t-en voir ! ils ne semblent même pas comprendre que ce soit possible qu’on le leur demande. ⁁Ils Mon Dieu ! mon Dieu ! Que cette race est, par certains côtés, abrutie ! Ils ne nettoient pas laissent v gardentlaissent rouiller leurs fusils « parce qu’ils n’ont pas d’étoffe pour les nettoyer » ; et dans chaque maison il y a des nippes qui traînent un peu partout. Ils ne font rien pour assouplir leurs chaussures neuves, parce que « parce qu’ils n’ont pas de [?] graisse ni de cirage » ; et la moitié d’entre eux, à chaque repos, répandent sur leurs habits assez de graisse pour en [?] imbiber tout un harnais de de cheval. Et ainsi de suite Ils gardent leurs poux d’un bain à l’autre, et il leur suffirait, pour s’en débarrasser, de repasser leurs [?] au fer chaud, le soir avant de se coucher, l’envers de leurs vêtements. Barré lui-même, s’en n’en revient pas de cette imbécillité — que, dans la plupart des cas, une punition bien appliquée ne manquerait pas de guérir ; — mais ils l’ont déjà jugé, car [?] ses marmon[?] marmonnn [?] ronchonnages - marmonnages ne les font pas ⁁agir. marcher_ [?] La différenceLeur supériorité sur le volontaire, c’est qu’ils ne désertent pas et, dans la marche, ne tirent pas au flanc. Mais cela tient à ce qu’ils ont lu de [?] et entendu dire des ⁁rigueurs de la guerre : le jour où ils constateraient que la discipline de Barré est la même pour la désertion que pour la crasse, ils marcheraient à leur fantaisie.

L’allocation supplémentaire de £20000 #100 que nous attendions est accordée : je pourrai t’envoyer ces jours-ci # 200, qui représentent cette ⁁allocation somme plus toutes mes économies de ces derniers mois. J’espère qu Je n’attends que mon état de compte de la Banque de Montréal. Si tu le peux, fais quelque chose pour Marchand.

Si tu as l’occasion le peux sans trop te déranger, vois Laporte, et deux des dis-lui que je ne rentrerai dans le journalisme qu’à mon corps défendant, et demande-lui s’il ne peut pas m’aider à me [illisible] trouver une situation qui me donne quelque chose comme #3000 par année. Le PacCanadien-Pacifique étendra probablement ses opérations en Europe après la guerre : un homme qui entend un peu les affaires, a quelque culture, et aura [?] a servi servi dans la guerre actuelle comme engagé volontaire, serait tout désigné pour représenter en France cette grande entreprise canadienne, ne fût-ce qu’en qualité d’agent de publicité. Il y a aussi que Laporte et DeSerres sont grands amis, et que Laporte pourrait suggérer à DeSerres de me faire nommer agent de la P. de Q. à Paris, pour y pousser après la guerre les affaires du Canada français. (Laporte lui-même, d’ailleurs, est en excellents termes avec Gouin.) En d’autres circonstances je ne rechercherais pas cette situation ; mais premièrement je n’ai pas à me reprocher de n’avoir pas fait mon possible pour éclairer le mes compatriotes sur les conséquences de la politique gouiniste, et ensuite, ma mission à Paris m’a permis de constater combien quelquelle vigilance le besoin le Canada français a besoin d’un représentant de ce côté '/aura désormais aura be-désormais besoin d’exercer/ devra désormais exercer de ce côté. Ce qui me conviendrait aussi, quoique un peu moins, c’est la direction de la bibliothèque d’Ottawa ; mais ce poste, on le réservera à un Sévigny quelconque, en tout cas à un partisan.

À propos de Paris : Savais-tu que Roy avait congédié Arthur de Martigny ? Le colonel ⁁De M. m’avait parlé d’une démission volontaire, tout en manifestant à l’endroit du Roy rien moins que de l’amitié. D’Astous m’écrit que c’est bel et bien un congé. J’ai rencontré Roy l’autre jour à Valenciennes ; il avait l’air très embarrassé - D’Astous donne à entendre que Royqu’il (Roy) était devenu jaloux de son secrétaire.

Je termine, car il est déjà tard, et je veux écrire un mot à Pierre pour le faire rire -

Ton mari qui t’aime /
Olivar /