Correspondance - Lettre du 18 décembre 1917 (Asselin)

WITLEY-CAMP, en ANGLE-
TERRE, 18 décembre 1917.


Cette lettre est pour mon Pierrot, pour lui seulement.

Je ne savais pas que tu faisais ta première communion, mon cher Pierre, car je t’aurais envoyé de Paris un joli cadeau. Maman dit que tu as été bien pieux : je suis sûr que ton petit cœur était pur. J’aurais voulu être là. Tu as prié pour moi : je t’en remercie ; je suis sûr que le bon Dieu t’a écouté avec plaisir, car il aime bien les petits enfants.

Ici, c’est très ennuyeux : on ne voit que des soldats ; jamais des mamans, jamais des petits enfants. Les soldats logent dans des baraques en bois, trente ou quarante par baraques. Ces baraques sont bâties comme ceci :



Chaque soldat a une paillasse et des couvertures. La paillasse repose sur trois planches à chevalets , comme c qui sont comme ceci :

Quand les trois planches sont placées comme il faut, c’est-à-dire la tête au mur,

Ça fait un lit comme ceci :

Quand la paillasse et les couvertures sont sur les lit, planches, ça fait un lit comme ceci :

Ensuite le soldat se fait un traversin et un oreiller avec sa capote, ses habits, et alors, de côté, le lit paraît comme ceci :

On dort très bien sur ces lits, mais des fois ce n’est pas très chaud, car le poêle s’éteint la nuit.

Les officiers logent dans des baraques moins longues, et divisées en chambres, comme ceci :

Papa a x une chambre à lui ; x celle qui est marquée d’une croix. Il a un lit en fer, une commode, une tablette, une petite glace, 5 crochets, un poêle, un seau à charbon, un seau à vidanges, un broc, une cuvette, un balai, un tisonnier, un store à cordon, une ampoule électrique, une chaise, une grande table sur chevalets avec une couverture pour tapis.

Papa est toujours à sa chambre, excepté le soir, alors qu’il joue aux cartes pendant une heure ou deux, x et les mercredi et samedi après-midi, alors qu’il va à cheval. Quelquefois aussi il va faire une marche dans les bois – car le camp est dans les bois, à un mille et demi des villages les plus rapprochés, qui sont witley et milford.

Dans ce pays il y a beaucoup de brume. D’abord en Angleterre il y a souvent de la brume, mais il y en a surtout dans les régions marécageuses et, aux environs du camp, il y a toute sorte de petits étangs et de jolis ruisseaux. xx M. DeSerres a a été se XXX dû faire mettre une charrue à sa motocyclette pour pouvoir couper la brume. Moi, quand je vais faire une marche, si la fatigue me gagne, je me fais un beau petit banc avec de la brume. Au retour, j’ai assez de brume dans les cheveux, dans les oreilles, dans les yeux, pour me chauffer toute la journée, car le poêle, qui n’est pas bien fin, croit que c’est de la fumée. Il y a de très gros arbres dans les champs : j’en ai xx vu un l’autre jour qui avait dix pieds de diamètre à la souche, et, malgré avec tous ces pieds, il n’avait pas du tout envie de se sauver. Si c’était un pin, figure-toi x que ça ferait de quoi manger. Il y a beaucoup de gibier partout : des faisans dans les bois, des poules d’eau, des canards, des cygnes et des outardes sur les étangs. Première raison, c’est qu’il ne comprend pas le français. La deuxième raison, c’est qu’il sait que vous n’avez pas de le droit de le tuer. La chasse est réservée aux grands seigneurs. Il y a à 7 milles d’ici un étang rempli de canards et de cygnes qui vous en font (des signes), et où il est permis de chasser. Mais comme x x il n’y a plus ni fusils de chasse, ni munitions de chasse, et qu’au surplus le gibier appartiendrait au propriétaire de l’étang, il n’y a pas grand danger qu’on y aille.

J’aurais beaucoup d’autres choses à te dire, mais j’ai des crampes au d aux doigts, et les pieds gelés durs.

Je te demande pardon des blagues que je t’ai contées sur la brume : j’en avais reniflé hier soir, et ça m’avait tourné la tête.

Une histoire qui n’est pas une blague, c’est qu’un aéroplane qui s’était perdu dans la brume est venu l’autre jour s’abattre à quinze pieds devant la motocyclette de M. DeSerres, sur une route, comme ceci

M. DeSerres x a eu juste le temps d’arrêter.

L’aéroplane est tombé dans une haie touffue qu’il a xxx arrachée sur une longueur de plusieurs pieds. Ni le pilote ni l’observateur n’ont été blessés sérieusement. M. DesRosiers et M. DeSerres t’embrassent. Je t’embrasse. Papa.

Écris-moi.