Correspondance - Lettre du 16 novembre 1918 Lettre no 2 (Asselin)

Pâturage, près Mons, en Belgique, 16-11-18.


Mon cher Pierre,

Tu sais que nous sommes en route pour l’Allemagne. Les sales Boches ont tout volé dans les parties de la France qu’ils occupaient. L’autre jour, à Valenciennes, une gentille fillette de six ou sept ans me disait : « Moi, j’ai hâte de voir une vache. » xxxxxxx Elle n’a pas bu de lait de vache depuis quatre ans. Dans tout le nord de la France, il n’y a pas d’école depuis quatre ans, parce que les Boches occupaient les écoles qu’ils n’avaient pas détruites ; les enfants de six à dix ans ne savent pas lire.

Aujourd’hui, pour la première fois depuis mon retour à la guerre, j’ai vu des vaches. Elles étaient attelées, tantôt seules, tantôt deux par deux, à des charrettes, des roulottes, qui portaient les bagages de malheureux évacués rentrant en France. Celles-là, l’Allemand les aurait bien emportées aussi, mais il a dû déposer les armes avant de compléter ses forfaits. Dans certains cas xxxxxxx un chien poussait par en-dessous, comme on leur apprend à faire en ce pays, et le veau suivait derrière, et dans la charrette un vieillard ou une vieille femme disparaissait presque sous des vieux matelas, des paquets, qui s’en revenait mourir en France. Des enfants, pendus à des cordes, aidaient à la vache et au chien.

xxxxxxx J’ai vu aussi une ⁁autre chose très ⁁curieuse xxxxxxx. Les Allemands avaient fait sauter, aux joints xxxxxxx de tous les xxxxxxxdeux rails, un petit chemin de fer xxxxxxx établi sur le côté côté de la route. En face d’une maison, les deux rails avaient été, par xxxxxxx un bout, projetés en l’air en même temps avec toutes leurs traverses, sans cependant se détacher à l’autre bout, et ils étaient retombés sur un toit, de sorte que, à cet endroit la voie ferrée apparaissait comme ceci :



On aurait dit les Montagnes russes du Dominion Park.

Je t’envoie des saluts.
CTOU
Papa qui t’aime.