Continuation des Amours (1555)

TEXTE INCOMPLET
Vincent Certenas (p. 3-44).

CONTINUATION
des amours de P. de Ronsard Vandomois.


Sonnets en vers heroiques.



Thiard, chacun disoit à mon commencement
Que j’estoi trop obscur au simple populaire :
Aujourd’hui, chacun dit que je suis au contraire,
Et que je me dements parlant trop bassement.
Toi, qui as enduré presqu’un pareil torment,
Di moi, je te suppli, di moi que doi-je faire ?
Di moi, si tu le sçais, comme doi-je complaire
A ce monstre testu, divers en jugement ?
Quand j’escri haultement, il ne veult pas me lire,
Quand j’escri bassement, il ne fait qu’en médire :
De quel estroit lien tiendrai-je, ou de quels clous,
Ce monstrueux Prothé, qui se change à tous cous ?
Paix, paix, je t’enten bien : il le faut laisser dire,
Et nous rire de lui, comme il se rit de nous.


Jodelle, l’autre jour, l’enfant de Cytherée
Au combat m’apela, courbant son arc Turquois,

Et lors comme hardi, je vesti le harnois,
Pour avoir contre luy ma peau mieus asseurée.
Il me tira premier une fleche asserée
Droict au cœur, puis une autre, & puis tout à la fois
Il decocha sur moi les traicts de son carquois :
Sans qu’il eust d’un seul coup ma poictrine enferrée.
Mais quand il vit son arc de fleches desarmé,
Tout dépit s’est lui-mesme en fleche transformé,
Puis se rua dans moi d’une puissance extreme :
Quand je me vi vaincu, je me desarmé lors :
Car, las ! que m’eust servi de m’armer par dehors,
Ayant mon ennemi caché dedans moimesme ?


Ce pendant que tu vois le superbe rivage
De la riviere Tusque, & le mont Palatin,
Et que l’air des Latins, te fait parler latin,
Changeant à l’étranger ton naturel langage,
Une fille d’Anjou me detient en servage,
A laquelle baisant maintenant le tetin,
Et maintenant les yeux endormis au matin,
Je vy (comme lon dit) trop plus heureus que sage.
Tu diras à Maigni, lisant ces vers ici,
Et, quoi ! Ronsard est donq encores amoureus ?
Mon Bellay, je le suis, & le veus estre aussi,
Et ne veus confesser qu’Amour soit malheureus,
Ou si c’est un malheur, baste, je delibere

De vivre malheureus en si belle misere.


Peletier mon ami, le tems leger s’enfuit,
Je change nuit & jour de poil & de jeunesse :
Mais je ne change pas l’amour d’une maistresse
Qui, dans mon cueur colée, eternelle me suit.
Toi qui es des anfance en tout savoir instruit,
(Si de nottre amitié l’antique neud te presse)
Comme sage & plus vieil, donne moi quelque adresse,
Pour eviter ce mal qui ma raison détruit.
Aide-moi, Peletier, si par philosophie,
Ou par le cours des cieus tu as jamais apris
Un remede d’amour, di-le moi je te prie,
Car, bien qu’ores au ciel ton cueur soit elevé,
Si as-tu quelquefois d’une dame esté pris.
Et pour dieu ! conte-moi comme tu t’es sauvé.


Aurat, apres ta mort, la terre n’est pas digne,
Pourrir si docte cors, comme est vraiment le tien.
Les Dieux le changeront en quelque vois : ou bien,
Si Echon ne sufist, le changeront en Cigne,
Ou, en ce corps qui vit de rosée divine,
Ou, en mouche qui fait le miel hymettien,
Ou, en l’oiseau qui chante & le crime ancien
De Terée au printemps redit sus une épine.
Ou, si tu n’es changé tout entier en quelqu’un,
Tu vétiras un cors qui te sera commun

Avecques tous ceus-cy, participant ensemble
De tous (car un pour toi sufisant ne me semble)
Et d’homme seras fait un beau monstre nouveau
De voix, Cigne, cigalle, & de mouche, et d’oyseau.


E, n’esse, mon Paquier, é n’esse pas grand cas !
Bien que le corps party de tant de membres j’aye,
De muscles, nerfs, tendons, de pommons, & de faye,
De mains, de pieds, de flancs, de jambes & de bras,
Qu’Amour les laisse en paix, et ne les navre pas,
Et que luy pour son but, opiniatre, essaye
De faire dans mon cœur toujours toujours la playe,
Sans que jamais il vise ou plus hault, ou plus bas !
S’il estoit un enfant (comme on dit) aveuglé,
Son coup ne seroit point si seur ne si reiglé :
Vrayment il ne l’est pas, car ses traits à tout-heure
Ne se viendroient ficher au cœur en mesme lieu.
Armerai-je le mien ? non, car des traits d’un Dieu
Il me plaist bien mourir, puis qu’il fault que je meure.


Marie, qui voudroit vostre beau nom tourner,
Il trouveroit Aimer : aimez-moi donq, Marie,
Faites cela vers moi dont vostre nom vous prie,
Vostre amour ne se peut en meilleur lieu donner :
S’il vous plaist pour jamais un plaisir demener,
Aimez-moi, nous prendrons les plaisirs de la vie,
Penduz l’un l’autre au col, & jamais nulle envie

D’aimer en autre lieu ne nous pourra mener.
Si faut il bien aimer au monde quelque chose :
Cellui qui n’aime point, cellui-là se propose
Une vie d’un Scyte ; & ses jours veut passer
Sans gouster la douceur des douceurs la meilleure.
E, qu’est-il rien de doux sans Venus ? las ! à l’heure
Que je n’aimeray point puissai-je trépasser !


Marie, vous passez en taille, & en visage,
En grace, en ris, en yeus, en sein, & en teton,
Votre moienne seur, d’autant que le bouton
D’un rosier franc surpasse une rose sauvage.
Je ne dy pas pourtant qu’un rosier de bocage
Ne soit plaisant à l’œil, & qu’il ne sente bon :
Aussi je ne dy pas que vostre seur Thoinon
Ne soit belle, mais quoy ? vous l’estes davantage.
Je scay bien qu’apres vous elle â le premier pris
De ce bourg, en beauté, & qu’on seroit espris
D’elle facilement, si vous estiez absente :
Mais quand vous aprochez, lors sa beauté s’enfuit,
Ou morne elle devient par la vostre presente,
Comme les astres font quand la Lune reluit.


Marie, à tous les coups vous me venez reprendre
Que je suis trop leger, & me dites tousjours.
Quand je vous veus baiser que j’aille à ma Cassandre,
Et tousjours m’apellez inconstant en amours.

Je le veus estre aussi, les hommes sont bien lours
Qui n’osent en cent lieux neuve amour entreprendre.
Cétui-là qui ne veut qu’à une seule entendre,
N’est pas digne qu’Amour lui face de bons tours.
Celui qui n’ose faire une amitié nouvelle,
A faute de courage, ou faute de cervelle,
Se defiant de soi, qui ne peut avoir mieus.
Les hommes maladis, ou mattés de vieillesse,
Doivent estre constans : mais sotte est la jeunesse
Qui n’est point eveillée, & qui n’aime en cent lieus.


Marie, vous avés la joue aussi vermeille
Qu’une rose de Mai, vous avés les cheveus
De couleur de chastaigne, entrefrisés de neus,
Gentement tortillés tout-au-tour de l’oreille.
Quand vous estiés petite, une mignarde abeille
Dans vos levres forma son dous miel savoureus,
Amour laissa ses traits dans vos yeus rigoreus,
Pithon vous feit la vois à nulle autre pareille.
Vous avés les tetins comme deus mons de lait,
Caillé bien blanchement sus du jonc nouvelet
Qu’une jeune pucelle au mois de Juin façonne :
De Junon sont vos bras, des Graces vostre sein,
Vous avés de l’Aurore & le front, & la main,
Mais vous avés le cœur d’une fiere lionne.


Je ne suis seulement amoureus de Marie,

Janne me tient aussy dans les liens d’Amour,
Ore l’une me plaist, ore l’autre à son tour :
Ainsi Tibulle aimoit Nemesis, & Delie.
On me dira tantost que c’est une folie
D’en aimer, inconstant, deux ou trois en un jour,
Voire, & qu’il faudroit bien un homme de sejour,
Pour, gaillard, satisfaire à une seule amie.
Je repons à cela, que je suis amoureus,
Et non pas jouissant de ce bien doucereus,
Que tout amant souhaite avoir à sa commande.
Quant à moi, seulement je leur baise la main,
Je devise, je ry, je leur taste le sein,
Et rien que ces biens là d’elles je ne demande.


Amour estant marri qu’il avoit ses saigettes
Tiré contre Marie, & ne l’avoit blessée,
Par depit dans un bois sa trousse avoit laissée,
Tant que plene elle fust d’un bel essain[1] d’avettes.
Ja de leurs piquerons ces captives mouchettes
Pour avoir liberté la trousse avoient persée :
Et s’enfuyoient alors qu’Amour l’a renversée
Sur la face à Marie, & sus ses mammelettes.
Soudain, apres qu’il eut son carquois dechargé,
Tout riant sautela, pensant estre vangé
De celle, à qui son arc n’avoit sçeu faire outrage,
Mais il rioit en vain : car ces filles du ciel

En lieu de la piquer, baisans son beau visage,
En amassoyent les fleurs, & en faisoyent du miel.


Je veuls me souvenant de ma gentille amie
Boire ce soir d’autant, & pource, Corydon
Fay remplir mes flacons, & verse à l’abandon
Du vin, pour resjouir toute la compagnie.
Soit que m’amie ait nom, ou Cassandre, ou Marie,
Je m’en vois boire autant que de lettre a son nom,
Et toi, si de ta belle & jeune Madelon,
Belleau, l’amour te point, je te pry ne l’oublie.
Qu’on m’ombrage le chef de vigne, & de l’hierre,
Les bras, & tout le col, qu’on enfleure la terre
De roses, & de lis, & que dessus le jonc
On me caille du lait rougi de mainte fraise :
E n’esse pas bien fait ? or sus, commençon donq,
Et chasson loin de nous tout soing & tout malaise.


Que me servent mes vers, & les sons de ma lyre,
Quand nuit et jour je change et de meurs et de peau,
Pour en aimer trop une ? hé, que l’homme est bien veau
Qui aux dames se fie, & pour elles souspire !
Je pleure, je me deux, je cry, je me martire,
Je fais mile sonnetz, je me romps le cerveau,
Et si je suy haï : un amoureus nouveau
Gaigne tousjours ma place, & je ne l’ose dire.
Ah ? que ma Dame est fine : el’me tient à mépris,

Pour ce qu’elle voit bien que d’elle suis espris,
Et que je l’aime trop : avant que je l’aimasse,
Elle n’aimoit que moi : mais or que j’ai empris
De l’aimer, el’me laisse, & s’en court à la chasse
Pour en reprendre un autre ainsi qu’elle m’a pris.


Ma plume sinon vous ne scait autre suget,
Mon pié sinon vers vous ne scait autre voiage,
Ma langue sinon vous ne scait autre langaige,
Et mon œil sinon vous ne connoît autre objet.
Si je souhaite rien, vous estes mon souhait,
Vous estes le doux gaing de mon plaisant dommage,
Vous estes le seul but ou vise mon courage,
Et seulement en vous tout mon rond se parfait.
Je ne suis point de ceus qui changent de fortune,
Comme un tas d’amoureus, aimans aujourd’huy l’une,
Et le lendemain l’autre : helas ! j’ayme trop mieus
Cent fois que je ne dy, & plustost que de faire
Chose qui peut en rien nostre amytié defaire :
J’aimerois mieux mourir, tant j’aime vos beaux yeus.


Vous ne le voulez pas ? & bien, j’en suis contant,
Contre vostre rigueur Dieu me doint patience,
Devant qu’il soit vingt ans j’en auray la vengence,
Voiant ternir vos yeus qui me travaillent tant.
On ne voit amoureus au monde si constant
Qui ne perdist le cœur, perdant sa recompense,

Quant à moi, si ne fust la longue experience,
Que j’ay, de soufrir mal, je mourrois à l’instant.
Toutesfois quand je pense un peu dans mon courage
Que je ne suis tout seul des femmes abusé,
Et que de plus rusés en ont reçeu dommage,
Je pardonne à moimesme, & m’ay pour excusé :
Car vous qui me trompés en estes coustumiere,
Et qui pis est, sur toute en beauté la premiere.


Le vintiéme d’Avril couché sur l’herbelette,
Je vy, ce me sembloit, en dormant un Chevreuil,
Qui çà, puis là, marchoit où le menoit son vueil :
Foulant les belles fleurs de mainte gambelette.
Une corne & une autre encore nouvelette
Enfloit son petit front, petit, mais plein d’orgueil :
Comme un Soleil luisoit par les prets son bel œil,
Et un carquan pendoit sus sa gorge douillette.
Si tost que je le vy, je voulu courre aprés,
Et lui qui m’avisa print sa course es forés,
Où, se moquant de moi, ne me voulut attendre.
Mais en suivant son trac, je ne m’avisay pas
D’un piege entre les fleurs, qui me lia mes pas,
Et voulant prendre autrui moimesme me fis prendre.


Bien que vous surpassiés en grace & en richesse
Celles de ce païs, & de toute autre part,
Vous ne devés pourtant, & fussiés vous princesse,

Jamais vous repentir d’avoir aimé Ronsard.
C’est lui, Dame, qui peut avecque son bel art
Vous afranchir des ans, et vous faire Deesse :
Prométre il peut cela, car rien de lui ne part
Qu’il ne soit immortel, et le ciel le confesse.
Vous me responderés qu’il est un peu sourdaut,
Et que c’est deplaisir en amour parler haut :
Vous dites verité, mais vous celés aprés,
Que luy, pour vous ouir, s’aproche à vôtre oreille,
Et qu’il baise à tous coups vôtre bouche vermeille
Au milieu des propos, d’autant qu’il en est prés.


Mais respons, meschant Loir, me rens-tu ce loier,
Pour avoir tant chanté ta gloire et ta louange ?
As-tu osé, barbare, au milieu de ta fange
Renversant mon bateau, sous tes eaus m’envoier ?
Si ma plume eut daigné seulement emploier
Six vers, à celebrer quelque autre fleuve estrange,
Quiconque soit celui, fusse le Nil, ou Gange,
Comme toi n’eust voulu dans ses eaus me noier :
D’autant que je t’aimoi, je me fiois en toi,
Mais tu m’as bien montré que l’eau n’a point de foi :
N’es-tu pas bien meschant ? pour rendre plus famé
Ton cours, à tout jamais du los qui de moi part,
Tu m’as voulu noier, afin d’estre nommé,
En lieu du Loir, le fleuve où se noya Ronsard.

Amour, tu me fis voir, pour trois grandes merveilles,
Trois seurs, allant au soer, se pourmener sur l’eau,
Qui croissoient à l’envy, ainsi qu’au renouveau
Croissent dans un pommier trois pommettes pareilles.
Toutes les trois estoient en beauté nompareilles,
Mais la plus jeune avoit le visage plus beau,
Et sembloit une fleur voisine d’un ruysseau,
Qui remire dans l’eau ses richesses vermeilles.
Ores je souhaitois la plus vieille en mes vœus,
Et ores la moienne, & ores toutes deux,
Mais tousjours la petite estoit en ma pensée,
Et priois le Soleil de n’enmener le jour :
Car ma veüe en trois ans n’eust pas esté lassée
De voir ces trois Soleilz qui m’enflamoient d’amour.


Mon ami puisse aimer une femme de ville,
Belle, courtoise, honeste, & de doux entretien :
Mon haineux puisse aimer au village une fille,
Qui soit badine, sote, & qui ne sache rien.
Tout ainsi qu’en amour le plus excellent bien
Est d’aimer une femme, & savante, & gentille,
Aussi le plus grand mal à ceuls qui aiment bien
C’est d’aimer une femme indocte, & mal-habille.
Une gentille Dame entendra de nature
Quel plaisir c’est d’aimer, l’autre n’en aura cure
Se peignant un honneur dedans son esprit sot,

Vous l’aurez beau prescher, et dire qu’elle est belle,
Sans s’esmouvoir de rien, vous entendra pres d’elle
Parler un jour entier, & ne respondra mot.


Je crois que je mouroi’ si ce n’estoit la Muse
Qui deçà & delà fidelle m’acompaigne
Sans se lasser, par chams, par bois, & par montaigne,
Et de ses beaus presens tous mes soucis abuse :
Si je suis ennuyé je n’ay point d’autre ruse
Pour me desennuyer que Clion ma Compaigne ;
Si tost que je l’apelle, elle ne me dedaigne,
Et de me venir voir jamais el’ ne s’excuse :
Des presens des neuf Seurs soit en toute saison
Pleine toute ma chambre, & plaine ma maison,
Car la rouille jamais à leurs beaus dons ne touche.
Le Tin ne fleurît pas aus Abeilles si dous
Comme leurs beaus presens me sont doux à la bouche,
Desquels les bons esprits ne furent jamais saouls.


Mignongne, levés-vous, vous estes paresseuse,
Ja la gaie Alouette au ciel à fredonné,
Et ja, le Rossignol frisquement jargonné,
Dessus l’espine assis, sa complainte amoureuse.
Debout donq, allon voir l’herbelette perleuse,
Et vostre beau Rosier de boutons couronné,
Et voz oeillets aimés, ausquels aves donné
Hyer au soir de l’eau, d’une main si songneuse.

Hyer en vous couchant, vous me fistes promesse
D’estre plus-tost que moi ce matin eveillée,
Mais le someil vous tient encor toute sillée :
Jan, je vous punirai du peché de paresse,
Je vois baiser cent fois vostre oeil, vostre tetin,
Afin de vous aprendre à vous lever matin.


Bayf, il semble à voir tes rymes langoreuses,
Que tu sois seul amant, en France, langoreus,
Et que tes compaignons ne sont point amoureus,
Mais font languir leurs vers desous feintes pleureuses ;
Tu te trompes, Bayf ; les peines doloreuses
D’amour autant que toi nous rendent doloreus,
Sans nous feindre un tourment : mais tu es plus heureus
Que nous, à raconter tes peines amoureuses.
Quant à moi, si j’estois ta Francine chantée,
Je ne serois jamais de ton vers enchantée,
Qui se faignant un dueil se fait palir lui-mesme.
Non, celui n’aime point, ou bien il aime peu,
Qui peut donner par signe à cognoistre son feu,
Et qui peut raconter le quart de ce qu’il aime.


Je ne suis variable, & si ne veus apprendre
(Desja grison) à l’estre, aussi ce nest qu’émoi :
Je ne dy pas si Jane estoit prise de moi ;
Que tost je n’oubliasse & Marie & Cassandre.

Je ne suis pas celui qui veus Paris reprendre
D’avoir manqué si tost à Pegasis de foy :
Plutost que d’accuser ce jeune enfant de Roy
D’estre en amour leger, je voudrois le defendre.
Il fist bien, il fist bien, de ravir cette Helene,
Cette Helene qui fut de beauté si tres-plene,
Que du grand Jupiter on la disoit anfant :
L’amant est bien guidé d’une heure malheureuse,
Quand il trouve son mieus, si son mieus il ne prent,
Sans languir tant es bras d’une vieille amoureuse.


C’est grand cas que d’aimer ! Si je suis une année
Avecque ma maitresse à deviser toujours,
Et à lui raconter quelles sont mes amours,
L’an me semble plus court qu’une seule journée.
S’une autre parle à moi, j’en ay l’ame gennée :
Ou je ne luy di mot, ou mes propos sont lours,
Au milieu du devis s’egarent mes discours,
Et tout ainsi que moi ma langue est estonnée.
Mais quand je suis aupres de celle qui me tient
Le cœur dedans ses yeus, sans me forcer me vient
Un propos dessus l’autre, & jamais je ne cesse
De baiser, de taster, de rire, & de parler :
Car pour estre cent ans aupres de ma maitresse
Cent ans me sont trop cours, & ne m’en puis aller.


E, que me sert, Paschal, ceste belle verdure

Qui rit parmi les prés, et d'ouir les oiseaus,
D'ouir par le pendant des colines les eaus,
Et des vents du printems le gracieus murmure,
   Quand celle qui me blesse, et de mon mal n'a cure
Est absente de moi, et pour croistre mes maus
Me cache la clarté de ses astres jumeaus,
De ses yeus, dont mon coeur prenoit sa nourriture?
   J'aimeroi beaucoup mieus qu'il fust hyver tousjours,
Car l'hyver n'est si propre à nourir les amours
Comme est le renouveau, qui d'aimer me convie,
   Ainçois de me hayr, puis que je n'ay pouvoir
En ce beau mois d'Avril entre mes bras d'avoir
Celle qui dans ses yeus tient ma mort et ma vie.

Sonetz en vers de dix à onze syllabes

Je ne saurois aimer autre que vous,
Non, Dame, non, je ne saurois le faire:
Autre que vous ne me sauroit complaire,
Et fust Venus descendue entre nous.
   Vos yeus me sont si gracieus et dous,
Que d'un seul clin ils me peuvent defaire,
D'un autre clin tout soudain me refaire,
Me faisans vivre ou mourir en deux cous.
   Quand je serois cinq cens mille ans en vie,
Autre que vous, ma mignonne m'amie,

Ne me feroit amoureus devenir.
   Il me faudroit refaire d'autres venes,
Les miennes sont de vostre amour si plenes,
Qu'un autre amour n'y sauroit plus tenir.



Pour aimer trop une fiere beauté,
Je suis en peine, et si ne saurois dire
D'où ni comment, me survint ce martyre,
Ni à quel jeu je perdi liberté.
   Si sçai-je bien que je suis arresté
Au lacs d'amour: et si ne m'en retire,
Ni ne voudrois, car plus mon mal empire
Et plus je veus y estre mal traicté.
   Je ne di pas, s'elle vouloit un jour
Entre ses bras me garir de l'amour,
Que son present bien à gré je ne prinse.
   E, Dieu du ciel, é qui ne le prendroit,
Quand seulement de son baiser un Prince,
Voire un grand Roy, bien heureus se tiendroit.



E, que je porte et de hayne et d'envie
Au medecin qui vient soir et matin
Sans nul propos tatonner le tetin,
Le sein, le ventre et les flans de m'amie.
   Las! il n'est pas si songneus de sa vie
Comme elle pense: il est mechant et fin,

Cent fois le jour ne la vient voir, qu'à fin
De voir son sein qui d'aimer le convie.
   Vous qui avés de sa fievre le soin,
Je vous supli de me chasser bien loin
Ce medecin, amoureus de m'amie,
   Qui fait semblant de la venir penser:
Que pleust à Dieu, pour l'en recompenser,
Qu'il eust ma peine, et qu'elle fust guarie.


Dites maitresse, é que vous ai-je fait?
E, pourquoy las! m'estes vous si cruelle?
Ai-je failly de vous estre fidelle?
Ai-je envers vous commis quelque forfait?
   Dites maitresse, é que vous ai-je fait?
E, pourquoy las! m'estes vous si cruelle?
Ai-je failli de vous estre fidelle?
Ai-je envers vous commis quelque forfait?
   Certes nenny: car plutost que de faire
Chose qui deust, tant soit peu, vous déplaire,
J'aimerois mieus mille mors encourir.
   Mais je voi bien que vous avez envie
De me tuer: faites-moy donq mourir,
Puis qu'il vous plaît, car à vous est ma vie.


Chacun qui voit ma couleur triste et noire
Me dit, Ronsard, vous estes amoureus.

Mais cette-là qui me fait langoreus
Le sçait, le voit, et si ne le veut croire.
   E, que me sert que mon mal soit notoire
A un chacun, quand son coeur rigoreus,
Par ne sçai quel desastre malheureus,
Me fait la playe, et si la prend à gloire?
   C'est un grand cas, que pour cent fois jurer,
Cent fois promettre, et cent fois asseurer
Qu'autre jamais n'aura sus moi puissance,
   Qu'elle s'esbat de me voir en langueur:
Et plus de moi je lui donne asseurance,
Moins me veut croire, et m'appelle un moqueur.


Plus que jamais je veus aimer, maitresse,
Vôtre oeil divin, qui me detient ravy
Mon coeur chez lui, du jour que je le vi,
Tel, qu'il sembloit celui d'une déesse?
   C'est ce bel oeil qui me paist de liesse,
Liesse, non, mais d'un mal dont je vi,
Mal, mais un bien, qui m'a toujours suivy,
Me nourrissant de joye et de tristesse.
   Desja neuf ans evanouiz se sont
Que vos beaus yeus en me riant me font
La playe au coeur, et si ne me soucye
   Quand je mourois d'un mal si gracieus:
Car rien ne peut venir de voz beaus yeus

Qui ne me soit trop plus cher que la vie.


Quand ma maitresse au monde print naissance,
Honneur, Vertu, Grace, Savoir, Beauté
Eurent debat avec la Chasteté
Qui plus auroit sus elle de puissance.
   L'une vouloit en avoir joüyssance,
L'autre vouloit l'avoir de son costé,
Et le debat immortel eust esté
Sans Jupiter, qui leur posa silence.
   Filles, dit-il, ce n'est pas la raison
Que l'une seule ait si belle maison,
Pour-ce je veus qu'apointement on face:
   L'accord fut fait: et plus soudainement
Qu'il ne l'eut dit, toutes également
En son beau cors pour jamais prindrent place.


Je vous envoye un bouquet de ma main
Que j'ai ourdy de ces fleurs epanies:
Qui ne les eust à ce vespre cuillies,
Flaques à terre elles cherroient demain.
   Cela vous soit un exemple certain
Que voz beautés, bien qu'elles soient fleuries,
En peu de tems cherront toutes flétries,
Et periront, comme ces fleurs, soudain.
   Le tems s'en va, le tems s'en va, ma Dame:

Las! le tems non, mais nous nous en allons,
Et tost serons estendus sous la lame:
   Et des amours desquelles nous parlons,
Quand serons morts n'en sera plus nouvelle:
Pour-ce aimés moi, ce pendant qu'estes belle.


Gentil barbier, enfant de Podalyre,
Je te supply, seigne bien ma maitresse,
Et qu'en ce mois, en seignant, elle laisse
Le sang gelé dont elle me martyre.
   Encore un peu dans la palette tire
De son sang froid, ains de sa glace épesse,
A celle fin qu'en sa place renaisse
Un sang plus chaut qui de m'aimer l'inspire.
   Ha! velelà, c'estoit ce sang si noir
Que je n'ay peu de mon chaud émouvoir
En soupirant pour elle mainte année.
   Ha c'est assez, cesse gentil barbier,
Ha je me pâme! et mon ame estonnée
S'evanouist en voiant son meurtrier.


J'aurai tousjours en une hayne extréme
Le soir, la chaire, et le lit odieus,
Où je fus pris, sans y penser, des yeus
Qui pour aimer me font hayr moi-mesme.
   J'aurai tousjours le front pensif et bléme

Quand je voirray ce bocage ennuieus,
Et ce jardin de mon aise envieus,
Où j'avisay cette beauté supréme.
   J'aurai toujours en haine plus que mort
Le mois de Mai, le lyerre, et le sort
Qu'elle écrivit sus une verte feille:
   J'auray tousjours cette lettre en horreur,
Dont pour adieu sa main tendre et vermeille
Me feit present pour me l'empreindre au coeur.


   E, Dieu du ciel, je n'eusse pas pensé
Qu'un seul depart eust causé tant de pene!
Je n'ai sur moi nerf, ni tendon, ni vene,
Faie, ni coeur qui n'en soit offensé,
   Helas! je suis à-demi trespassé,
Ains du tout mort, las! ma douce inhumaine
Avecques elle, en s'en allant, enmaine
Mon coeur captif de ses beaus yeus blessé.
   Que pleust à Dieu ne l'avoir jamais veue!
Son oeil gentil ne m'eust la flamme esmeue,
Par qui me faut un tourment recevoir,
   Tel, que ma main m'occiroit à cette heure,
Sans un penser que j'ai de la revoir,
Et ce penser garde que je ne meure.


   Ha, petit chien, que tu serois heureus

Si ton bon heur tu sçavois bien entendre,
D'ainsi coucher au giron de Cassandre,
Et de dormir en ses bras amoureus.
   Mais, las! je vy chetif et langoreus,
Pour sçavoir trop mes miseres comprendre:
Las! pour vouloir en ma jeunesse aprendre
Trop de sçavoir, je me fis malheureus.
   Mon Dieu, que n'ai-je au chef l’entendement
Aussi plombé qu'un qui journelement
Béche en la vigne ou fagotte au bocage!
   Je ne serois chetif comme je suis,
Le trop d'esprit ne me seroit domage,
Et ne pourrois comprendre mes ennuis.

Sonetz en vers heroiques


   D'une belle Marie en une autre Marie,
Belleau, je suis tombé, et si dire ne puis
De laquelle des deux plus l'amour je poursuis,
Car j'en aime bien l'une, et l'autre est bien m’amie.
   On dit qu'une amitié qui se depart demie
Ne dure pas long tems, et n'aporte qu’ennuis,
Mais ce n'est qu'un abus: car tant ferme je suis
Que, pour en aimer une, une autre je n’oublie.
   Tousjours une amitié plus est enracinée,
Plus long tems elle dure, et plus est ostinée

A soufrir de l'amour l'orage vehement:
   E, ne sçais-tu, Belleau, que deux ancres getées
Dans la mer, quand plus fort les eaus sont agitées,
Tiennent mieus une nef qu'une ancre seulement?

   Quand je serois un Turc, un Arabe, ou un Scythe,
Pauvre, captif, malade, et d'honneur devestu,
Laid, vieillard, impotent, encor' ne devrois tu
Estre, comme tu es, envers moi si dépite:
   Je suis bien asseuré que mon coeur ne merite
D'aimer en si bon lieu, mais ta seule vertu
Me force de ce faire, et plus je suis batu
De ta fiere rigueur, plus ta beauté m'incite.
   Si tu penses trouver un serviteur qui soit
Digne de ta beauté, ton penser te deçoit,
Car un Dieu (tant s'en faut un homme) n'en est digne.
   Si tu veus donq aimer, il faut baisser ton coeur:
Ne sçais-tu que Venus (bien qu'elle fust divine)
Jadis pour son ami choisit bien un pasteur?

   Dame, je ne vous puis ofrir à mon depart
Sinon mon pauvre coeur, prenés-le je vous prie:
Si vous ne le prenés, jamais une autre amie
(J'en jure par voz yeus) jamais n'y aura part.
   Je le sen déjà bien, comme joyeus il part
Hors de mon estomac, peu songneus de ma vie,

Pour s'en aller chés vous, et rien ne le convie
D'y aller (ce dit-il) que vôtre dous regard.
   Or si vous le chassés, je ne veus plus qu'il vienne
Vers moi, pour y r'avoir sa demeure ancienne,
Hayssant à la mort ce qui vous deplaira:
   Il m'aura beau conter sa peine et son malaise,
Comme il fut paravant plus mien il ne sera,
Car je ne veus rien voir chés moi, qui vous deplaise.

   Rossignol mon mignon, qui dans cette saulaye
Vas seul de branche en branche à ton gré voletant,
Degoisant à l'envy de moi, qui vois chantant
Celle qui faut tousjours que dans la bouche j’aie,
   Nous soupirons tous deux, ta douce vois s’essaie
De flechir celle-là, qui te va tourmentant,
Et moi, je suis aussi cette-là regrettant,
Qui m'a fait dans le coeur une si aigre plaie.
   Toutesfois, Rossignol, nous differons d'un point.
C'est que tu es aimé, et je ne le suis point,
Bien que tous deux aions les musiques pareilles,
   Car tu flechis t'amie au dous bruit de tes sons,
Mais la mienne, qui prent à dépit mes chansons,
Pour ne les escouter se bouche les oreilles.

   Si vous pensés que Mai, et sa belle verdure
De vôtre fievre quarte effacent la langueur,

Vous vous trompés beaucoup, il faut premier mon coeur
Garir du mal qu'il sent, et si n'en avés cure.
   Il faut donque premier me garir la pointure
Que voz yeus dans mon coeur me font par leur rigueur,
Et tout soudain apres vous reprendrés vigueur,
Quand vous l'aurés gary du tourment qu'il endure.
   Le mal que vous avés ne vient d'autre raison,
Sinon de moi, qui fis aus Dieus une oraison
Pour me venger de vous, de vous faire malade.
   E, vraiment c'est bien dit; é, vous voulez garir,
Et si ne voulez pas vôtre amant secourir,
Que vous gaririez bien seulement d'une oeillade.

   J'ay cent fois desiré et cent encores d’estre
Un invisible esprit, afin de me cacher
Au fond de vôtre coeur, pour l'humeur rechercher
Qui vous fait contre moi si cruelle aparoistre.
   Si, j'estois dedans vous, aumoins je serois maistre,
Maugré vous, de l'humeur qui ne fait qu’empescher
Amour, et si n'auriez nerf, ne poux sous la chair
Que je ne recherchasse afin de vous cognoistre.
   Je sçaurois une à une et voz complexions,
Toutes voz voluntés, et voz conditions,
Et chasserois si bien la froideur de vos venes,
   Que les flammes d'Amour vous y allumeriez:
Puis quand je les voirrois de son feu toutes plenes,

Je redeviendrois homme, et lors vous m'aimeriez.

   Pour-ce que tu sçais bien que je t'aime trop mieus,
Trop mieus dix mille fois que je ne fais ma vie,
Que je ne fais mon coeur, ma bouche, ni mes yeus,
Plus que le nom de mort tu fuis le nom d'amie.
   Si je faisois semblant de n'avoir point envie
D'estre ton serviteur, tu m'aimerois trop mieus,
Trop mieus dix mille fois que tu ne fais ta vie,
Que tu ne fais ton coeur, ta bouche, ni tes yeus.
   C'est d'amour la coustume, alors que plus on aime
D'estre tousjours hay: je le sçai par moi-mesme
Qui suis hay de toi, seulement quand tu m'ois
   Jurer que je suis tien: helas! que doi-je faire?
Tout ainsi qu'on garist un mal par son contraire,
Si je te haïssois, soudain tu m'aimerois.

   Quand je vous dis adieu, Dame, mon seul apuy,
Je laissé dans voz yeus mon coeur pour sa demeure
En gaige de ma foi: et si ay, depuis l'heure
Que je le vous laissay, tousjours vescu d'ennuy
   Mais pour Dieu je vous pri, me le rendre aujourd'huy
Que je suis retourné, de peur que je ne meure:
Car je mourois sans coeur, ou, que vôtre oeil m'asseure
Que vous me donnerez le vôtre en lieu de lui.
   Las! donez-le moi donq, et de l'oeil faittes signe

Que vôtre coeur est mien, et que vous n'avés rien
Qui ne soit fort joieus, vous laissant, de me suivre:
   Ou bien si vous voyés que je ne sois pas digne
D'avoir chés moi le vôtre, aumoins rendés le mien,
Car sans avoir un coeur je ne saurois plus vivre.

   Tu as beau, Jupiter, l'air de flammes dissouldre,
Et faire galloper tes haux-tonnans chevaus,
Ronflans deçà delà dans le creux des nuaus,
Et en cent mille esclats tout d'un coup les descoudre,
   Ce n'est pas moi qui crains tes esclairs, ni ta foudre
Comme les coeurs poureus des autres animaus:
Il y a trop lon tems que les foudres jumeaus
Des yeus de ma maitresse ont mis le mien en poudre.
   Je n'ai plus ni tendons, ni arteres, ni nerfs,
Venes, muscles, ni poux: les feux que j'ai soufferts
Au coeur pour trop aimer me les ont mis en cendre.
   Et je ne suis plus rien (ô estrange meschef)
Qu'un Terme qui ne peut voir, n'oüyr, ni entendre,
Tant la foudre d'amour est cheute sus mon chef.

   Donques pour trop aimer il fault que je trépasse,
La mort, de mon amour sera donq le loyer:
L'homme est bien malheureus qui se veut emploier
Par travail meriter d'une ingrate la grace:
   Mais je te pri, di moi, que veus tu que je face?

Quelle preuve veus-tu afin de te ployer
A pitié, las! veus-tu que je m'aille noyer,
Ou que de ma main propre à mort je me deface?
   Es tu quelque Busire, ou Cacus inhumain,
Pour te souler ainsi du pauvre sang humain?
E, di, ne crains-tu point Nemesis la Déesse,
   Qui redemandera mon sang versé à tort?
E, di, ne crains-tu point la troupe vengeresse
Des Soeurs, qui puniront ton crime apres la mort?

   Veus-tu sçavoir, Brués, en quel estat je suis?
Je te le conterai: d'un pauvre miserable
Il n'i a nul estat, tant soit il pitoiable
Que je n'aille passant d'un seul de mes ennuis.
   Je tien tout, je n'ay rien, je veus, et si ne puis,
Je revy, je remeurs, ma plaie est incurable.
Qui veut servir Amour, ce tyran execrable,
Pour toute recompense il reçoit de tels fruis.
   Pleurs, larmes, et souspirs acompagnent ma vie,
Langueur, douleur, regrets, soupçon, et jalousie,
Avecques un penser qui ne me laisse avoir
   Un moment de repos: et plus je ne sens vivre
L'esperance en mon coeur, mais le seul desespoir
Qui me guide à la mort, et je le veus bien suivre.

   Ne me di plus, Imbert, que je chante d'Amour,

Ce traistre, ce mechant; comment pouroi-je faire
Que mon esprit voulust loüer son adversaire,
Qui ne donne à sa peine un moment de sejour!
   Si m'avoit fait aumoins quelque petit bon tour,
Je l'en remercirois, mais il ne veut se plaire
Qu'à rengreger mon mal, et pour mieus me défaire
Me met devant les yeux ma Dame nuit et jour.
   Bien que Tantale soit miserable là-bas,
Je le passe en malheur; car si ne mange pas
Le fruit qui pend sur lui, toutesfois il le touche,
   Et le baise, et s'en joue: et moi, bien que je sois
Aupres de mon plaisir, seulement de la bouche
Ni des mains, tant soit peu, toucher ne l'oserois.

   Quiconque voudra suivre Amour ainsi que moi,
Celui se delibere en penible tristesse
Mourir ainsi que moi: il pleust à la Déesse
Qui tient Cypre en ses mains de faire telle loi.
   Apres mainte misere et maint fascheus émoi
Il lui faudra mourir, et sa fiere maitresse,
Le voiant au tombeau, sautera de liesse
Sus le corps de l'amant, mort pour garder sa foy.
   Allez-donq maintenant faire service aus Dames,
Offrez-leur pour present et voz corps et voz ames,
Vous en receverés un salaire bien dous.
   Je croi que Dieu les feit afin de nuire à l'homme:

"Il les feit, Pardaillan, pour nostre malheur, comme
Les tygres, les lyons, les serpens, et les lous.

   J'avois cent fois juré de jamais ne revoir
(O serment d'amoureus) l'angelique visage
Qui depuis quinze mois en penible servage
Emprisonne mon coeur, et ne le puis ravoir.
   J'en avois fait serment: mais je n'ai le pouvoir
M'engarder d'y aller, car mon forcé courage,
Bien que soit maugré moi surmonté de l'usage
D'amour, tousjours m'y mene, abusé d'un espoir.
   Le destin, Pardaillan, est une forte chose!
L'homme dedans son coeur ses affaires dispose
Et le ciel fait tourner ses dessains au rebours.
   Je sçai bien que je fais ce que je ne doy faire,
Je sçay bien que je sui de trop folles amours:
Mais quoy, puis que le ciel delibere au contraire.

   Ne me sui point, Belleau, allant à la maison
De celle qui me tient en douleur nompareille:
E ne sçais-tu pas bien ce que dit la corneille
A Mopse, qui suivoit la trace de Jason?
   Profete, dit l'oiseau, tu n'as point de raison
De suivre cet amant qui de voir s'apareille
Sa Dame: en autre part va, suy le et le conseille,
Mais ore de le suivre il n'est pas la saison.

   Pour ton profit, Belleau, je ne vueil que tu voye'
Celle qui par les yeus la plaie au coeur m'envoye,
De peur que tu ne prenne' un mal au mien pareil.
   Il suffist que sans toi je sois seul miserable:
Reste sain, je te pri, pour estre secourable
A ma douleur extréme, et m'y donner conseil.

   Si j'avois un hayneus qui me voulust la mort
Pour me venger de luy je ne voudrois lui faire
Que regarder les yeus de ma douce contraire,
Qui si fiers contre moi me font si dur effort.
   Ceste punition, tant son regard est fort,
Luy seroit peine extréme, et se voudroit deffaire:
Ne lit, ne pain, ne vin ne luy sauroient complaire,
Et sans plus au trespas seroit son reconfort.
   Tout cela que lon dit d'une Meduse antique
Au prix d'elle n'est rien que fable poëtique:
Meduse seulement tournoit l'homme en rocher,
   Mais cette-cy en-roche, englace, en-eaue, en-foue
Ceus qui ozent sans peur de ses yeus approcher:
Et si en les tuant vous diriez qu'el' se joue.

   Amour se vint cacher dans les yeus de Cassandre,
Comme un tan, qui les boeufs fait mouscher par les bois,
Puis il choisit un trait sur tous ceus du carquois,
Qui piquant sçait le mieus dedans les coeurs descendre.

Il élongna ses mains, et feit son arc estendre
En croissant, qui se courbe aus premiers jours du mois,
Puis me lascha le trait, contre qui le harnois
D'Achille, ni d'Hector ne se pourroit defendre.
   Apres qu'il m'eut blessé, en riant s'en volla,
Et par l'air mon esprit avec lui s'en alla:
Mais toutefois au coeur me demoura la playe,
   Laquelle pour neant cent fois le jour j'essaye
De la vouloir garir, mais tel est son efort
Que je voy bien qu'il faut que maugré moi je l'aye,
Et que pour la garir le remede est la mort.

   Dame, je meurs pour vous, je meurs pour vous, ma dame,
Dame, je meurs pour vous, et si ne vous en chaut:
Je sens pour vous au coeur un brasier si treschaut,
Que pour ne le sentir je veus bien rendre l'ame.
   Ce vous sera pour-tant un scandaleus diffame,
Si vous me meurdrissés sans vous faire un defaut:
E, que voulés vous dire? Esse ainsi comme il faut
Par pitié refroidir de vôtre amant la flamme?
   Non, vous ne me povés reprocher que je sois
Un effronté menteur, car mon teint, et ma voix,
Et mon chef ja grison vous servent d'asseurance,
   Et mes yeus trop cavés, et mon coeur plein d'esmoi:
E, que feroi-je plus, puis que nulle creance
Il ne vous plait donner aus tesmoins de ma foy?


Il ne sera jamais, soit que je vive en terre,
Soit qu'aus enfers je sois, ou là-haut dans les cieus,
Il ne sera jamais que je n'aime trop mieus
Que myrthe ou que laurier la feuille de lierre.
   Sus elle cette main qui tout le coeur me serre
Trassa premierement de ses doigts gracieus
Les lettres de l'amour que me portoient ses yeus,
Et son coeur qui me fait une si douce guerre.
   Jamais si belle fueille à la rive Cumée
Ne fut par la Sibylle en lettres imprimée
Pour bailler par écrit aus hommes leur destin,
   Comme ma Dame a paint d'une espingle poignante
Mon sort sus le lierre: é Dieu, qu'amour est fin!
Est-il rien qu'en aimant une Dame n'invente.

   J'aurai toujours au coeur attachés les rameaus
Du lierre, où ma Dame oza premier écrire
(Douce ruze d'amour) l'amour qu'el'n'osoit dire,
L'amour d'elle et de moy, la cause de noz maus:
   Sus toi jamais, sus toi orfrayes ny corbeaus
Ne se viennent brancher, jamais ne puisse nuire
Le fer à tes rameaus, et à toi soit l'empire
Pour jamais, dans les bois, de tous les arbrisseaus.
   Non pour autre raison (ce croi-je) que la mienne,
Bacchus orna de toi sa perruque Indienne,
Que pour recompenser le bien que tu lui fis,

Quand sus les bords de Die Ariadne laissée
Luy feit sçavoir par toi ses amoureus ennuys,
Ecrivant dessus toi s'amour et sa pensée.

   Je mourois de plaisir voyant par ces bocages
Les arbres enlassés de lierres épars,
Et la lambruche errante en mille et mille pars
Es aubepins fleuris prés des roses sauvages.
   Je mourois de plaisir oyant les dous langages
Des hupes, et coqus, et des ramiers rouhars
Sur le haut d'un fouteau bec en bec fretillars,
Et des tourtres aussi voyant les mariages.
   Je mourois de plaisir voyant en ces beaus mois
Sortir de bon matin les chevreuilz hors des bois,
Et de voir fretiller dans le ciel l'alouëtte.
   Je mourois de plaisir, où je meurs de soucy,
Ne voyant point les yeus d'une que je souhette
Seule, une heure en mes bras en ce bocage icy.

   A pas mornes et lents seulet je me promene,
Non-challant de moi-mesme: et quelque part que j'aille
Un importun penser me livre la bataille,
Et ma fiere ennemie au devant me ramene:
   Penser, un peu de treve, et permets que ma pene
Se soulage un petit, et tousjours ne me baille
Argument de pleurer pour une qui travaille

Sans relasche mon coeur, tant elle est inhumaine.
   Ou si tu ne le fais, je te tromperay bien:
Je t'assure ma foy que tu perdras ta place
Bien-tost, car je mouray pour ruïner ton fort.
   Puis, quand je seray mort, plus ne sentiray rien
(Tu m'auras beau pincer) que ta rigueur me face,
Ma dame, ni amour: car rien ne sent un mort.

   Pourtant si ta maitresse est un petit putain,
Tu ne dois pour cela te courrousser contre elle
Voudrois-tu bien hayr ton ami plus fidelle
Pour estre un peu jureur, ou trop haut à la main?
   Il ne faut prendre ainsi tous pechés à dedain,
Quand la faute en pechant n'est pas continuelle:
Puis il faut endurer d'une maitresse belle
Qui confesse sa faute, et s'en repent soudain.
   Tu me diras qu'honneste et gentille est t'amie,
Et je te respondrai qu'honneste fut Cynthie,
L'amie de Properce en vers ingenieus,
   Et si ne laissa pas de faire amour diverse.
Endure donc, Ami, car tu ne vaus pas mieus
Que Catulle valut, que Tibulle et Properce.

   Amour, voiant du ciel un pescheur sur la mer,
Calla son aisle bas sur le bord du navire,
Puis il dit au pescheur: je te pri que je tire

Ton ret, qu'au fond de l'eau le plomb fait abymer.
   Un daulphin, qui savoit le feu qui vient d'aimer,
Voiant Amour sur l'eau, à Tethis le va dire:
Tethys, si quelque soing vous tient de vôtre empire,
Secourés-le, ou bien tost il est prest d'enflammer.
   Tethys laissa de peur sa caverne profonde,
Haussa le chef sur l'eau, et vit Amour sur l'onde
Qui peschoit à l'escart: las, dit el', mon nepveu,
   Oustés-vous, ne bruslés mes ondes, je vous prie:
N'aiés peur, dit Amour, car je n'ay plus de feu,
Tout le feu que j'avois est aus yeus de Marie.

   Calliste mon amy, je croi que je me meurs,
Je sens de trop aimer la fievre continue,
Qui de chaud, qui de froid jamais ne diminue,
Ainçois de pis en pis rengrege mes douleurs:
   Plus je vueil refroidir mes bouillantes chaleurs,
Plus Amour les ralume: et plus je m'esvertue
De rechaufer mon froid, plus la froideur me tue,
Pour languir au meilleu de deux divers malheurs.
   Un ardent apetit de joüir de l'aimée
Tient tellement mon ame en pensers alumée,
Et ces pensers douteus me font réver si fort,
   Que diette, ne just, ni section de vene
Ne me sauroient garir, car de la seule mort
Depend, et non d'ailleurs, le secours de ma pene.


Je veus lire en trois jours l'Iliade d'Homere,
Et pour-ce; Corydon, ferme bien l'huis sur moi:
Si rien me vient troubler, je t'asseure ma foi,
Tu sentiras combien pesante est ma colere.
   Je ne veus seulement que nôtre chambriere
Vienne faire mon lit, ou m'apreste de quoi
Je menge, car je veus demeurer à requoi
Trois jours, pour faire apres un an de bonne chere.
   Mais si quelcun venoit de la part de Cassandre,
Ouvre lui tost la porte, et ne le fais attendre:
Soudain entre en ma chambre, et me vien acoustrer,
   Je veus tanseulement à lui seul me monstrer:
Au reste, si un Dieu vouloit pour moi descendre
Du ciel, ferme la porte, et ne le laisse entrer.

   J'ai l'ame pour un lit de regrets si touchée,
Que nul, et fusse un Roy, ne fera que j'aprouche
Jamais de la maison, encor moins de la couche
Où je vy ma maitresse, au mois de May couchée.
   Un somme languissant la tenoit mi-panchée.
Dessus le coude droit, fermant sa belle bouche,
Et ses yeus, dans lesquels l'archer Amour se couche,
Ayant tousjours la fleche en la corde encochée.
   Sa teste en ce beau mois, sans plus, estoit couverte
D'un riche escofion ouvré de soie verte,
Où les Graces venoient à l'envy se nicher,

Et dedans ses cheveus choysissoient leur demeure.

J’en ai tel souvenir que je voudrois qu’à l’heure
(Pour jamais n’y penser) son œil m’eust fait rocher.


Douce, belle, gentille, & bien fleurente Rose,

Que tu es à bon droit à Venus consacrée,
Ta delicate odeur hommes & dieux recrée,
Et bref, Rose, tu es belle sur toute chose.
La Grace pour son chef un chapellet compose
De ta feuille, & tousjours sa gorge en est parée,
Et mille fois le jour la gaye Cytherée
De ton eau, pour son fard, sa belle joue arose.
He Dieu, que je suis aise alors que je te voi
Esclorre au point du jour sur l’espine à requoy,
Dedans quelque jardin pres d’un bois solitere !
De toi les Nymphes ont les coudes & le sein :
De toi l’Aurore emprunte & sa joüe, & sa main,
Et son teint celle-là qui d’Amour est la mere.


Sonet en dialogue.

r. Que dis-tu, que fais-tu, pensive tourterelle
Desus cest arbre sec ? t. Helas je me lamente.
r. Et pourquoi, di-le moi ? t. De ma compagne absente,
Plus chere que ma vie. r. En quelle part est-elle ?
r. Un cruel oyselleur par glueuse cautelle
La prise, & l’a tuée : & nuit & jour je chante
Son trespas dans ces bois, nommant la mort méchante

Qu’elle ne m’a tuée aveques ma fidelle.
r. Voudrois-tu bien mourir aveques ta compaigne ?
t. Oui, car aussi bien je languis de douleur,
Et toujours le regret de sa mort m’acompaigne.
r. O gentils oysellets, que vous estes heureus
D’aimer si constamment, qu’heureus est vôtre cœur,
Qui, sans point varier, est tousjours amoureus !


Le sang fut bien maudit de ceste horrible face

Qui premier engendra les serpens venimeus :
Helene, tu devois quand tu marchas sus eus,
Non sans plus les arner, mais en perdre la race.
Nous estions l’autre jour dans une verte place,
Cuillants, m’amie, & moi, les fraiziers savoureux,
Un pot de cresme estoit au meillieu de nous deux,
Et sur le jonc du laict treluisant comme glace.
Quand un villain serpent, de venin tout couvert,
Par ne sçai quel malheur sortit d’un buisson vert
Contre le pied de celle à qui je fais service,
Pour la blesser à mort de son venin infect ;
Et lors je m’écriay, pensant qu’il nous eut faict
Moi, un second Orphée, & elle, une Eurydice.

Traduction du Sonnet precedent par Jan d’Aurat. Choriambici Alcaïci



Marie, tout ainsi que vous m’avés tourné
Mon sens, & ma raison, par vôtre voix subtile,
Ainsi m’avés tourné mon grave premier stile,
Qui pour chanter si bas n’estoit point destiné :
Aumoins si vous m’aviés, pour ma perte, donné
Congé de manier vôtre cuisse gentile,
Ou si à mes baisers vous n’estiés dificile,
Je n’eusse regretté mon stile abandonné.

Las, ce qui plus me deut, c’est que vous n’êtes pas
Contente de me voir ainsi parler si bas
Qui soulois m’élever d’une muse hautaine :
Mais, me rendant à vous, vous me manquez de foy,
Et si me traités mal, & sans m’outer de peine
Tousjours vous me liés, & triomphés de moi.

  1. Essain est ce que les Latins apellent examen.