Contes secrets Russes/Le bon pope
LXXIV
LE BON POPE
n pope loua un ouvrier, le ramena chez lui et
lui dit : « Allons, travailleur, fais bien ton
service, je ne t’abandonnerai pas. » L’ouvrier
était là depuis huit jours quand arriva le moment
de la fauchaison. « Allons, mon ami », lui dit le
pope, « si Dieu le permet, nous passerons une
bonne nuit et demain matin, nous irons faucher
le foin. — Bien, batouchka ! » Le lendemain ils se
levèrent de bonne heure. Le pope dit à sa femme :
« Donne-nous à déjeuner, matouchka, nous
devons aller faucher le foin dans la campagne. »
L’épouse du pope mit la table. Le prêtre et l’ouvrier
s’assirent et déjeunèrent copieusement. Puis
le premier dit au second : « Par la même occasion,
mon cher, nous allons dîner et nous faucherons
sans interruption jusqu’à midi. — Comme il vous
plaira, batouchka ; soit, dînons. — Sers-nous à
dîner, matouchka », ordonna le pope à sa femme.
Elle obéit et ils se remirent à manger. « Puisque
nous sommes à table », dit ensuite le pope à
l’ouvrier, « si tu veux, mon cher, nous allons goûter
et nous faucherons jusqu’à l’heure du souper.
— Comme vous voudrez, batouchka ; soit, goûtons. » La femme du pope servit le goûter auquel
les deux hommes firent largement honneur. « Au
fait, si du même coup nous soupions ? » observa
ensuite l’ecclésiastique ; « nous passerons la nuit
dans la campagne et demain nous pourrons nous
mettre à l’ouvrage plus tôt. — Volontiers, batouchka. »
La femme du pope leur servit à souper.
Après ce repas, ils se levèrent de table. L’ouvrier
prit son sarrau et se disposa à se retirer. « Où vas-tu,
mon cher ? » lui demanda le pope. — « Comment,
où je vais ! Vous savez vous-même, batouchka,
qu’après le souper il faut aller se coucher. »
Il se rendit à la remise et dormit jusqu’au lendemain
matin. Depuis lors, le pope ne s’avisa plus de
régaler en une seule fois son ouvrier d’un déjeuner,
d’un dîner, d’un goûter et d’un souper.