Contes secrets Russes/La femme de l’aveugle
XXVIII
LA FEMME DE L’AVEUGLE
n gentilhomme étant devenu aveugle, son
épouse en profita pour nouer une intrigue avec
un clerc de chancellerie. L’idée vint au mari que peut-être
sa femme le trompait, et dès lors il ne la quitta
plus d’une semelle. Que faire ? Un jour que les
deux époux étaient allés au jardin, le clerc s’y rendit
aussi ; la femme eut envie de faire l’amour et, tandis
que le gentilhomme était assis sous un pommier,
elle s’abandonna à son amant. Un voisin, dont la fenêtre donnait sur le jardin, fut témoin de cette
scène et dit à sa femme : « Regarde un peu, mon
âme, ce qui se passe près du pommier. Eh bien !
supposons qu’en ce moment Dieu ouvre les yeux
à l’aveugle et qu’il voie cela, qu’arrivera-t-il
alors ? Sans doute il la tuera. — Sois tranquille,
mon ami, la gaillarde trouvera bien un moyen de
se tirer d’affaire. — Quel moyen veux-tu qu’elle
trouve ? — Tu le verras, si le cas se produit. »
Le Seigneur permit justement que le gentilhomme
aveugle recouvrât la vue au moment où son
honneur de mari recevait cet accroc. Surprenant
les deux coupables en flagrant délit, il se mit à
crier : « Ah ! coquine que tu es ! Qu’est-ce que tu
fais, maudite putain ! — Ah ! que je suis contente,
mon chéri ! » répondit la dame. « Vois-tu, cette
nuit j’ai entendu une voix qui me disait : Pèche
avec tel clerc de chancellerie, et le Seigneur
ouvrira les yeux à ton mari. Voilà que cette
parole s’est réalisée ! Grâce à moi, Dieu t’a rendu
la vue ! »