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§ 18. — CROYANCES FONDAMENTALES

Au-dessus des pratiques du culte, au-dessus des formes extérieures, et même des croyances secondaires qui forment le système mythologique, se place le sentiment religieux, le sentiment du divin dans ce qu’il a de plus intime et de plus élevé. Recherchons dans nos contes la trace de cet élément.

La première que nous rencontrons ou qui nous semble mériter l’attention est la sanction morale ou plutôt l’existence d’un état futur heureux ou malheureux, en rapport avec les actions bonnes ou mauvaises des hommes. Pâtâla et Naraka sont les noms des lieux où le mal est puni (Intr., 1, 20, 25), Svarga celui du lieu où le bien reçoit sa récompense (Intr., 1, 20, 25). Ces noms sont bien connus ; il est tout naturel de les retrouver dans ces contes qui sont ici tout à fait dans le courant de la pensée indienne. Mais le sort fait aux habitants du Pâtâla et du Naraka et à ceux du Svarga est-il définitif ? La réponse à cette question est douteuse d’après la dogmatique indienne qui flotte entre le oui et le non. On conçoit donc que nos récits ne soient pas propres à nous donner sur ce point une solution précise. Nous voyons, dans l’introduction, Vikramâditya et sa rânî, qui le suit de près, aller droit dans le Svarga tout de suite après leur décès ; nous ne savons pas s’ils y sont pour toujours. On nous dit ailleurs que les méchants endurent des souffrances pendant plus de mille naissances : mais qu’arrive-t-il après ces mille naissances, ou ce nombre indéfini de naissances ? Nous ne le savons pas ; et rien ne nous le fait préjuger. Ce qui est certain, c’est que cette donnée se rapporte à la transmigration des âmes, à la théorie des existences successives.

La transmigration des âmes est, en effet, le dogme fondamental des Hindous, et il est l’écueil de leur dogmatique parce qu’on ne sait par quel moyen mettre un terme à ce renouvellement constant de l’existence. Le grand problème religieux de l’Inde consiste précisément à trouver et déterminer ce terme. Ce n’est pas de nos contes que nous devons en attendre la solution. Tout ce que nous pouvons dire, c’est que, sans parler aussi fréquemment de la transmigration des âmes qu’on eût pu l’attendre, ils la professent hautement et la supposent constamment. L’histoire des trois Yaxas qui témoignent leur reconnaissance à l’homme qui les avait sauvés de la mort pendant une sécheresse quand ils étaient poissons (13), nous montre des animaux et des animaux d’une espèce inférieure passant, dans une existence ultérieure, à la condition humaine. L’éloge de la science (8, 20) où il est dit que l’ignorant est assimilé à la brute et renaîtra comme une brute, nous montre, sans figure, l’homme destiné à renaître dans l’animalité. Enfin, le cadre même de nos récits nous offre un cas de transmigration étrange et rare, mais non sans exemple, celui d’êtres animés passés à l’état de matière brute, sans que leur individualité soit détruite. Les 32 figures du trône qui racontent les histoires de notre recueil sont des personnes réelles condamnées à l’immobilité et réduites à prendre la forme de statuettes pour expier une faute non expliquée et peut-être bien légère.

La succession des naissances et des conditions diverses appartient à l’ordre changeant de ce que les Hindous appellent le samsâra et qui est l’instabilité même ; il n’est pas sûr que le lieu des châtiments et celui des récompenses le Naraka (ou le Pâtâla) et le Svarga ne fassent pas partie de cette existence mobile. Il est même fort probable qu’ils ne s’en distinguent pas et que tout, le monde des vivants et le monde des morts, est emporté par le mouvement incessant du changement perpétuel. Est-ce à dire que toute existence soit vouée sans remède à la mobilité, qu’il n’y ait rien, absolument rien d’immuable ? Nos récits et une partie de la philosophie indienne avec eux, semblent admettre un principe de ce caractère. Ils l’appellent « l’âme suprême » ; la perfection, selon eux, consiste dans la « méditation de l’âme suprême » (6) dans une « morale conforme à la science de l’âme suprême » (17).