Contes et récits du XIXe siècle/Préface

Contes et récits du XIXe siècle (2e édition), Texte établi par Armand Weil et Émile MosellyLarousse (p. 5-7).


PRÉFACE


Il nous paraît bon d’exposer brièvement la méthode, la matière et l’esprit de cet ouvrage.

Avant tout, ce sont des histoires. Pas de morceaux choisis, mais des récits qui enferment une action complète. Une assez longue expérience des enfants nous a fait voir que là était la condition nécessaire de l’intérêt. L’enfant veut des histoires ; il aime les péripéties ; il réclame surtout le dénouement. Il n’a pas encore de la beauté littéraire un sens assez net pour qu’elle puisse suppléer au manque d’action. C’est pourquoi nous avons éliminé résolument de ce recueil destiné à l’enfance les descriptions, les portraits, les dissertations morales qui encombrent les ouvrages de ce genre. Quelle que soit la beauté de leur forme ou l’excellence de leurs enseignements, le défaut de ces morceaux est de passer par-dessus la tête de l’enfant, de le laisser indifférent, parce qu’ils n’amusent pas son imagination et n’émeuvent pas son cœur.

Au reste, si quelqu’un de nos récits paraissait encore au maître dépasser l’intelligence des enfants, qu’il veuille bien réfléchir que non seulement nous nous sommes mis à deux pour les examiner, les discuter et les choisir, mais que, bien plus, nous ne les avons admis dans notre recueil qu’après les avoir expérimentés dans le premier cycle, devant des élèves de dix à quinze ans. Cette seule épreuve est une garantie suffisante du soin que nous avons apporté au choix de ces Contes et Récits.

Ce sont des histoires d’enfants. Les enfants ne cherchent-ils pas, et avec raison, les amis de leur âge ? Ces amis, ils peuvent les trouver parmi les maîtres de la littérature moderne. Notre xixe siècle, avec sa complexité si vivante, nous permet de choisir dans une matière assez vaste. Les souvenirs d’enfance des grands écrivains, Chateaubriand, George Sand ou Michelet, en racontant des histoires simples, dérouleront sous les yeux des petits l’image de leur propre existence. Les petits les comprendront, ces récits, parce que c’est leur vie à la maison et à l’école, leurs jeux, leurs travaux, leurs joies et leurs tristesses, toute leur âme qui palpite là…

Ce sont aussi des histoires de bêtes. Là encore l’enfant se trouve en pays de connaissance. Il aimera les chiens et les chats, les oiseaux, les chevaux, les bœufs, tous ces animaux qui sont ses camarades. Il reconnaîtra en eux les acteurs les plus vivants de la comédie enfantine. Anatole France ne dit-il pas, dans le Livre de mon Ami « Il faut apprendre à un enfant de l’âge de notre Pierre, les mœurs des animaux, auxquels il ressemble par les appétits et par l’intelligence. Pierre est capable de comprendre la fidélité d’un chien, le dévouement d’un éléphant, les malices d’un singe. C’est cela qu’il faut lui conter » ?

Ce sont enfin des histoires qui mettent en scène les hommes. Aux jeux des enfants et aux ébats des bêtes succèdent des récits où se montrent la diversité des métiers, les formes innombrables de l’activité humaine, et tous les aspects de la vie sociale. L’enfant y trouvera des notions plus larges et plus hautes, qui enrichiront son expérience, et le rendront plus apte à observer la vie.

Le classement des récits nous a préoccupés plus encore que leur choix. Nous avons suivi un ordre qui nous semble répondre à la fois aux goûts des enfants et aux besoins de l’enseignement, et nous avons adopté la classification par sujets. Les enfants, les bêtes, les hommes, nous fourniront autant de cadres où viendront se placer tout naturellement nos contes et nos récits. C’est par cette organisation vivante que la lecture peut acquérir, dans nos classes, toute son importance, et devenir un incomparable moyen d’éducation.

Aussi n’avons-nous pas hésité, dans notre ensemble de textes, à mettre à profit l’effort des nations étrangères. À nos lectures françaises nous avons joint quelques pages des littératures européennes, quelques récits anglais ou allemands, italiens, russes, qui, exprimant les idées générales de notre recueil, contribuent à la même œuvre.

On voudra bien reconnaître aussi le soin particulier apporté à l’illustration de ce livre. Nous avons fait choix de gravures qui reproduisent surtout des œuvres de maîtres. En les groupant selon le même principe et dans le même ordre que nos textes, nous avons voulu faire collaborer l’art et la littérature à l’éducation intellectuelle, esthétique et morale de l’enfant.

Par là se détermine nettement l’esprit de notre livre. Nous avons donné la plus large place aux récits d’inspiration moderne, qui expriment le sentiment de la vie sociale. À l’idéal dogmatique hérité du XVIIe siècle, nous avons cru possible et utile de faire succéder le devoir présent de solidarité humaine. Ces idées, nous les découvrons dans la dernière partie de ce recueil ; mais on s’apercevra facilement qu’elles sont partout, invisibles et présentes on y trouvera sans peine le lien qui unit nos récits ; on comprendra que notre livre, parti des faits les plus simples, des représentations les plus familières de la vie, s’achemine insensiblement vers les grandes notions d’humanité et de travail qui forment la conscience, de plus en plus haute, des sociétés modernes[1].

Armand WEIL
Émile CHÉNIN-MOSELLY

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  1. Nous nous faisons un devoir de remercier ici les auteurs, éditeurs et ayants-droit, dont les autorisations, souvent très libérales, nous ont permis de reproduire la plupart des morceaux de ce recueil.