Contes et légendes annamites/Légendes/024 Histoire de six bergers


XXIV

HISTOIRE DE SIX BERGERS.



Dans la province de Thanh hôa, il y avait une bande de sept gardiens de buffles qui faisaient paître leurs buffles sur la montagne. Là, pendant que les animaux paissaient, ils jouaient ensemble, ils construisirent une ville et des remparts et se choisirent un roi parmi eux ; les six autres occupaient chacun l’un des six ministères.

Un jour qu’ils avaient pris rendez-vous pour se partager les emplois, l’un d’eux fut retenu chez lui pour quelques affaires ; l’on ne put donc pas donner l’un des ministères. Après avoir rendu leurs hommages au roi, les autres délibérèrent et dirent : « C’est là une affaire d’importance, il a manqué à ses engagements, il a mérité la mort. »

Le lendemain ce garçon vint, ils le saisirent, le lièrent et, l’ayant jugé pour crime de lèse-majesté, le tuèrent[1]. L’autre mort, ils prirent peur. Ils l’enterrèrent et, buvant du sang[2], se jurèrent quand ils seraient revenus à leur maison, de dire qu’ils ne l’avaient pas vu. Le soir ils ramenèrent leurs buffles à l’étable.

Ne voyant pas revenir leur fils, les parents du berger qui avait été tué demandèrent aux autres où il était, ceux-ci répondirent qu’ils n’en savaient rien. Les parents dirent : « Il faisait paître ses buffles au même endroit que vous, comment ne savez-vous pas ce qu’il est devenu. Il faut que vous l’ayez tué. Ils allèrent donc porter leur plainte au huyên. Celui-ci interrogea les bergers, les mit à la question, mais ils répondirent toujours qu’ils ne savaient rien de leur camarade. Devant le gouverneur de la province, à qui ils furent envoyés, ils persistèrent à nier, et on les enferma dans la prison.

Or, tandis que ces six bergers dormaient dans la prison, une lueur[3] se montra au-dessus de leurs têtes. Le geôlier fut étonné ; le lendemain il les fit coucher dans un autre endroit et la lueur se montra encore au-dessus d’eux. Le geôlier alla conter ce miracle à un bonze de ses amis ; celui-ci vint le lendemain et vit que les choses étaient bien comme l’autre le lui avait dit. Ils comprirent alors que ces six enfants étaient destinés à faire souche de rois et de ministres et les firent évader.

  1. Ils firent un sabre de bambou et le décapitèrent.
  2. Ce serment est encore en usage ; l’on égorge un buffle ou, plus communément, un bouc, l’on s’engage réciproquement, eu attestant le ciel et la terre.
  3. Cette auréole, hào quang, accompagne les individus réservés aux hautes destinées. On peut la comparer au khi, émanation lumineuse qui révèle la présence des objets précieux ou des trésors enfouis dans la terre. (Voir NDM, note 307.)
    On prétend que les six bergers de notre histoire furent les ancêtres des rois et des ministres de la dynastie Tran.