Contes et légendes annamites/Légendes/008 Histoire d’une princesse de la dynastie Le


VIII

HISTOIRE D’UNE PRINCESSE
DE LA DYNASTIE LÉ.



Le roi Thânh tông[1], de la dynastie Lé[2], qui régna sous le titre de Hong duc, avait une fille nommée Mai châu. Comme elle atteignait l’âge de treize ans, les Moïs des cinq Quâng[3] se révoltèrent, et Ngô bat Ngao[4], qui prétendait descendre des Minh[5], s’unit à eux. Aucun général ne pouvait parvenir à le vaincre. La princesse demanda alors à son père de lui donner le commandement d’une armée pour aller le combattre. Le roi fit armer dix galères montées par cinquante mille hommes. Cette flotte mouilla près de l’îlot de An, sur la côte du Quàng binh. Vers le milieu de la nuit, il s’éleva une tempête épouvantable, et l’on comprit que quelque génie des eaux[6] voulait posséder la princesse et allait perdre la flotte pour s’emparer d’elle. La princesse pensa que si elle ne se jetait dans la mer, la flotte et l’armée périraient ; elle annonça donc sa résolution et ordonna aux généraux de revenir instruire son père de son sort. Le roi, irrité, se rendit en cet endroit et, prenant le miroir magique qui permet de voir au fond des eaux[7], il reconnut le point où se trouvait le palais du génie et ordonna de tirer le canon. Au bout de trois jours et de trois nuits, le palais était renversé, et le génie ramena le corps de la princesse à la surface dans une lagune nommée Ao bach.

Depuis, cette princesse manifesta sa puissance par plusieurs prodiges. Sous Minh mang[8] eut lieu la révolte de Ba vành[9] dont aucun général ne pouvait venir à bout. Elle apparut en rêve au roi et lui dit que, le 18 du troisième mois, à la deuxième veille de la nuit, il se précipitât à l’assaut du camp ennemi quand il y verrait une flamme bleue. Le roi obéit à ses instructions et détruisit les rebelles. Il lui conféra le titre de Puissant et vénérable génie du degré suprême.



  1. 1460-1498.
  2. Cinquième dynastie annamite, de 1428 à 1789, année où Lé chien thong se réfugia à Pékin. Depuis les premières années du XVIIIe siècle, le pouvoir effectif était aux mains des Chûa (c’était le titre que portait au Tonquin la famille Trinh, et, dans la Cochinchine, la famille Nguyen dont l’ancêtre avait été le premier Chua).
  3. Les cinq Quâng sont : Quàng binh, Quàng tri, Quàng duc, Quâng nam, Quâng ngâi ; ce sont les cinq provinces voisines de Huê, qui est dans le Quâng du’c.
  4. Ngô bât Ngiao, rebelle d’origine chinoise qui gouvernait le huyèn de Binh chânh, dans le Quâng binh. Voir VI.
  5. La dynastie des Minh régnait alors en Chine. Le règne de Thânh tông correspond en grande partie à celui du dixième empereur de cette dynastie, Hièn tông, 1465-1488.
  6. Les génies des eaux passent pour être très friands des mortelles. On verra plusieurs historiettes qui roulent sur ce thème. Les femmes qui sont visitées par eux dépérissent lentement. Pour conjurer cette possession, qui porte le nom de mac dang dwoi, on emploie l’exorcisme suivant : le thây phâp, après les cérémonies d’usage pour faire passer l’esprit possesseur dans le corps d’un médium, se fait apporter une tasse d’eau, une sapèque et une baguette (à manger) ; on jette la sapèque dans la tasse d’eau et on fait avaler l’eau au médium, qui rejette la sapèque. On la brise ensuite, ainsi que la baguette ; on en jette une partie dans le fleuve, et la femme exorcisée conserve l’autre moitié. C’est, parait-il, un vieux rite du divorce, symbolisant le partage des biens entre les époux qui se séparent.
  7. Ces miroirs magiques sont d’un emploi très fréquent. Ou y voit tout ce qui se passe dans le ciel, sur la terre et dans les abîmes. Dans le poème de Bach vièn, le héros reconnaît, à l’aide d’un miroir de cette espèce, la nature extra-humaine de son épouse.
  8. 1820-1841.
  9. Ba vành. Rebelle tonquinois qui, sous le règne de Minh mang, occupa Cao bang pendant plusieurs années et attaqua Hà nôi, où il fut vaincu par l’eunuque. D’après d’autres, ce serait l’eunuque et non le roi qui aurait eu cette vision.