Contes et légendes annamites/Légendes/006 Histoire de Ngo bat ngao


VI

HISTOIRE DE NGÔ BÂT NGAO.


Ngô bât Ngao était un mandarin d’origine chinoise qui habitait le huyèn de Bînh chânh, dans hi province de Quàng binh. De son vivant, il administrait ce huyèn. Il se révolta contre le roi[1]. Après sa mort, tous les habitants de ce pays n’en restèrent pas moins sous sa dépendance. Si l’on voulait bâtir une maison, il fallait lui en demander la permission par le ministère d’un médium[2] ; il fixait le prix de location annuelle et vous mesurait le terrain. Si l’on voulait acheter, il vendait aussi ; on devait tuer un cochon, acheter du vin et le convier au festin ; il donnait alors un titre qu’il signait. En agissant de cette façon, on pouvait vivre tranquille ; mais si quelque famille le négligeait, il la frappait de maladie, faisait périr ses porcs et ses buffles. Quelquefois il apparaissait dans une famille riche et disait : « J’ai beaucoup perdu au jeu, il vous faut m’acheter ce terrain et chercher de l’argent pour le payer[3] ». Si on ne lui obéissait pas, il faisait d’abord périr le bétail, ensuite, les gens de la maison eux-mêmes dépérissaient. Les habitants de ce huyèn lui sacrifiaient deux fois par an deux ou trois porcs.

Un jour, le Tông doc Giai[4] de Ha nôi, originaire lui-même du huyèn de Binh chành, revint dans le pays pour visiter sa maison. Les habitants du district lui portèrent leurs plaintes contre ce Ngô bât Ngao, qui leur rendait la vie misérable et à qui ils devaient louer ou acheter les terres qu’ils cultivaient. Giai ordonna aux habitants d’aller chercher un devin habile afin d’évoquer Ngô bât Ngao et de l’interroger. Le devin l’évoqua et Giai lui demanda pourquoi il tourmentait ainsi les habitants de ce pays. Ngô bât Ngao lui répondit : « Au temps où Lê thâi lô créa ce royaume, c’est moi qui ai défriché la terre de ce huyèn et y ai fondé des villages. De mon vivant, le roi me donna le gouvernement de ce district ; mort, il m’appartient encore ; c’est en vertu de ce droit que je loue ou que je vends les terres ». Giai lui dit alors : « Je conviens avec vous que chaque année les habitants de ce huyèn vous feront une fois un sacrifice d’un porc e( des offrandes d’or et d’argent, mais vous ne les tourmenterez plus et vous ne ferez plus périr leur bétail. Si vous y consentez, faites un acte pour passer cette convention avec les villages ». Ngô bât Ngao y consentit, et, depuis ce temps, le premier jour de l’année les habitants de ce huyèn font ce sacrifice appelé Cérémonie de la location de la terre.



  1. Le roi Lê, c’est-à-dire un roi appartenant à la dynastie Lê, que le conteur n’a pas jugé à propos de désigner plus clairement, mais la suite nous apprend que notre héros était contemporain du fondateur de la dynastie (1428). Il vécut jusque sous le règne de son troisième successeur, contre lequel il se révolta, ce qui mit sans doute fin à sa carrière. Voir VIII.
  2. Voir, pour le rôle du médium et pour cette possession d’outre-tombe de la terre, MS. Chù ngu. Excursions et Reconnaissances, III, 139.
  3. Cet argent n’est autre que la monnaie de papier que l’on brûle dans les sacrifices. Les achats ne sont donc pas très ruineux par eux-mêmes, mais par les festins, salaires de sorciers, etc.
  4. Il s’agit sans doute de Nguyen dâng Giai ; d’après M. Truong vïnh Ky (Voyage au Tong-king, p. 5), le portrait de ce personnage se trouve à Hà nôi, dans une pagode qu’il a construite.