Contes en vers (Voltaire)/Thélème et Macare

Œuvres complètes de VoltaireGarniertome 10 (p. 41-44).


THÉLEME ET MACARE[1]


Thélème est vive, elle est brillante ;
Mais elle est bien impatiente ;
Son œil est toujours ébloui,
Et son cœur toujours la tourmente.
Elle aimait un gros réjoui
D’une humeur toute différente.
Sur son visage épanoui
Est la sérénité touchante ;
Il écarte à la fois l’ennui,
Et la vivacité bruyante.
Rien n’est plus doux que son sommeil,
Rien n’est plus beau que son réveil ;
Le long du jour il vous enchante.
Macare est le nom qu’il portait.
Sa maîtresse inconsidérée
Par trop de soins le tourmentait :
Elle voulait être adorée.
En reproches elle éclata :
Macare en riant la quitta,
Et la laissa désespérée.
Elle courut étourdiment
Chercher de contrée en contrée
Son infidèle et cher amant,
N’en pouvant vivre séparée.
Elle va d’abord à la cour.
« Auriez-vous vu mon cher amour,
N’avez-vous point chez vous Macare ? »
Tous les railleurs de ce séjour

Sourirent à ce nom bizarre.
« Comment ce Macare est-il fait ?
Où l’avez-vous perdu, ma bonne ?
Faites-nous un peu son portrait.
— Ce Macare qui m’abandonne,
Dit-elle, est un homme parfait,
Qui n’a jamais haï personne,
Qui de personne n’est haï,
Qui de bon sens toujours raisonne,
Et qui n’eut jamais de souci.
À tout le monde il a su plaire. »
On lui dit : « Ce n’est pas ici
Que vous trouverez votre affaire,
Et les gens de ce caractère
Ne vont pas dans ce pays-ci. »
Thélème marcha vers la ville.
D’abord elle trouve un couvent,
Et pense dans ce lieu tranquille
Rencontrer son tranquille amant.
Le sous-prieur lui dit : « Madame,
Nous avons longtemps attendu
Ce bel objet de votre flamme,
Et nous ne l’avons jamais vu.
Mais nous avons en récompense
Des vigiles, du temps perdu,
Et la discorde, et l’abstinence. »
Lors un petit moine tondu
Dit à la dame vagabonde :
« Cessez de courir à la ronde
Après votre amant échappé ;
Car, si l’on ne m’a pas trompé,
Ce bonhomme est dans l’autre monde. »
À ce discours impertinent
Thélème se mit en colère :
« Apprenez, dit-elle, mon frère,
Que celui qui fait mon tourment
Est né pour moi, quoi qu’on en dise :
Il habite certainement
Le monde où le destin m’a mise,
Et je suis son seul élément :
Si l’on vous fait dire autrement,
On vous fait dire une sottise. »

La belle courut de ce pas
Chercher au milieu du fracas
Celui qu’elle croyait volage.
« Il sera peut-être à Paris,
Dit-elle, avec les beaux esprits
Qui l’ont peint si doux et si sage. »
L’un d’eux lui dit : « Sur mon avis.
Vous pourriez vous tromper peut-être :
Macare n’est qu’en nos écrits ;
Nous l’avons peint sans le connaître. »
Elle aborda près du Palais,
Ferma les yeux, et passa vite :
Mon amant ne sera jamais
Dans cet abominable gîte ;
Au moins la cour a des attraits,
Macare aurait pu s’y méprendre ;
Mais les noirs suivants de Thémis
Sont les éternels ennemis
De l’objet qui me rend si tendre. »
Thélème au temple de Rameau,
Chez Melpomène, chez Thalie,
Au premier spectacle nouveau,
Croit trouver l’amant qui l’oublie.
Elle est priée à ces repas
Où président les délicats,
Nommés la bonne compagnie.
Des gens d’un agréable accueil
Y semblent, au premier coup d’œil,
De Macare être la copie.
Mais plus ils étaient occupés
Du soin flatteur de le paraître,
Et plus à ses yeux détrompés
Ils étaient éloignés de l’être.
Enfin Thélème au désespoir,
Lasse de chercher sans rien voir,
Dans sa retraite alla se rendre.
Le premier objet qu’elle y vit
Fut Macare auprès de son lit,
Qui l’attendait pour la surprendre.
« Vivez avec moi désormais,
Dit-il, dans une douce paix,
Sans trop chercher, sans trop prétendre ;

Et si vous voulez posséder
Ma tendresse avec ma personne,
Gardez de jamais demander
Au delà de ce que je donne. »
Les gens de grec enfarinés
Connaîtront Macare et Thélème,
Et vous diront, sous cet emblème,
À quoi nous sommes destinés.
Macare[2], c’est toi qu’on désire ;
On t’aime, on te perd ; et je croi
Que je t’ai rencontré chez moi ;
Mais je me garde de le dire :
Quand on se vante de t’avoir,
On en est privé par l’envie :
Pour te garder il faut savoir
Te cacher, et cacher sa vie.

  1. L’édition originale de ce conte est intitulée Macare et Thélème, et contient la lettre au duc de La Vallière, du 6 février 1764. (B.)

    Voyez l’opinion de d’Alembert sur le mérite de ce conte, lettre du 22 février 1764.

  2. Feu M. Vadé a fait aux lecteurs la justice de croire qu’ils savent que Macare est le Bonheur, et Thélème, le Désir ou la Volonté. (Note de Voltaire.)