CONTES DU SOLEIL ET DE LA PLUIE

LE BEAU DÉCOR

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Au déjeuner qui réunit, chez le comte de Laptot, Jean d’Estrevel et Urbain Lauzier, il sembla à tous les convives que Diane, la fille aînée du comte, se décidait enfin pour Jean d’Estrevel.

Depuis un mois la lutte était circonscrite entre ces deux prétendants, l’un de bonne noblesse, élégant, passionnément épris, sentimental et rêveur, mais pauvre ; l’autre un peu vulgaire, fils de parvenus, pas du tout romanesque, mais riche, puissamment riche.

Avec l’un, c’était l’amour, les joies douces dans l’intimité du petit manoir provincial, et deux mois l’hiver à Paris ; avec l’autre, c’était… c’était la fortune et tout ce qu’elle représente de plaisirs, de satisfactions orgueilleuses et de sécurité.

Et Diane hésitait. Elle avait certes un cœur, et dont le choix secret ne lui était pas inconnu ; certes, elle se laissait troubler, comme toutes les femmes, par les tendres paroles et par les visions harmonieuses du bonheur à deux. Mais elle avait aussi, comme toutes les femmes, des goûts de luxe, des besoins de confort, et une peur confuse de tout ce qui est privation, gêne et médiocrité. Et Diane hésitait, tour à tour portée vers l’un et vers l’autre, selon la couleur de ses rêves ou le conseil de ses réflexions changeantes.

Mais, ce jour-là, la domination ardente de Jean d’Estrevel la séduisit. Elle s’émut au son de cette voix grave et persuasive, elle rougit sous le regard à la fois timide et volontaire, et il y eut entre eux, derrière les palmiers et les lauriers de la serre, un échange de mots que d’Estrevel aurait presque pu considérer comme un accord.

À la flamme de ses yeux, à la fièvre de ses gestes, on connut son triomphe.

Urbain Lauzier en souffrit, dans sa vanité d’homme que le destin n’avait pas accoutumé aux défaites. Et puis, il aimait Diane à sa façon, comme un bel objet inutile dont l’acquisition était nécessaire à ses ambitions mondaines.

Cependant l’heure avançait. Les invités s’apprêtaient à partir. Diane proposa aux deux jeunes gens de les retrouver au Salon de l’Automobile. Ils acceptèrent. Et, une heure plus tard, un coupé de remise amenait le comte et sa fille devant la porte du Grand Palais.

Lauzier les attendait. On eut dit que ce milieu de luxe et de richesse lui donnait plus d’allure, lui convenait davantage. Il s’y sentait à l’aise, comme chez lui, et, prenant le bras du comte, il le dirigea, parmi les stands avec la désinvolture d’un habitué que tout le monde salue et d’un acheteur que l’on prend au sérieux.

D’Estrevel les avait rejoints, empressé, rayonnant d’espoir et de certitude, et tout de suite il avait accaparé la jeune file et lui disait de ces phrases quelconques, auxquelles l’amour sait donner une telle signification de tendresse et de dévouement. Mais, chose bizarre, Diane lui répondait à peine, distraite, attirée par les expositions, intéressée par les mille voitures diverses, par les formes nouvelles, les carrosseries inattendues, les inventions commodes, l’ingéniosité des perfectionnements.

Et peu à peu ce fut aux paroles de Lauzier qu’elle prêta attention, et ce fut à elle, plutôt qu’à son père, qu’il prodigua, lui, les explications techniques. Ils s’en allèrent par les avenues encombrées, suivis du comte et de d’Estrevel. Ils s’arrêtaient, marchaient et s’arrêtaient encore, et Lauzier se gonflait d’importance, fier de son rôle de cicerone.

Jean d’Estrevel cependant souffrait infiniment.

Mais un stand les retînt, celui des Gauloises ; Lauzier semblait en extase, médusé d’admiration. Quelles lignes ! quel fini ! quelle précision ! quelle rigueur ! Les Gauloises étaient bien les reines du Salon.

— Les reines ! répéta Diane. Ainsi cette limousine…

Elle n’avait cessé de la regarder. Le spectacle de la large et puissante voiture l’absorbait. Elle se voyait étendue sur ces confortables Coussins, tandis qu’autour d’elle, par les vitres claires, se déroulaient les visions de la rue. Et elle pensait aux femmes qui ont de ces voitures…

Lauzier dit :

— Elle vous plaît beaucoup ? C’est leur nouveau modèle de soixante chevaux.

— Elle est merveilleuse.

Il appela le directeur :

— Quand pouvez-vous livrer la même voiture ?

— Avec cette carrosserie ?

— Oui.

— Demain. Nous avons pris nos précautions.

— Demain donc, entendu. Voici mon adresse.

Il tendit sa carte. Diana fit un geste. Le procédé choquait, comme si Lauzier lui avait offert brutalement une parure de diamants. Il la prévînt :

— Vous me permettrez bien, je l’espère, d’avoir dans mes remises une voiture qui vous plaît ?

Et il ajouta entre ses dents, de manière à n’être entendu que de la jeune fille :

— Elle ne sortira que le jour où vous consentirez à vous en servir.

Au stand suivant, il acheta le mail automobile que lançait la maison Varange.

— Indispensable pour la vie de château, dit-il à Diane avec un gros rire.

— Mais vous n’avez pas de château, que je sache ?

— J’attends vos ordres.

Elle se tut. La promenade s’acheva sans incidents. Le comte et Lauzier continuaient à parler. D’Estrevel épiait anxieusement la jeune fille. Diane demeurait silencieuse.

Elle avançait lentement, les yeux vagues. La féerie des lumières l’éblouissait. L’orchestre se mit à jouer, et la musique lui parut un hommage qui s’adressait à elle. Et tout cela, musique et lumières, et la foule, et les voitures somptueuses, où reluisent l’or des cuivres et l’argent des aciers, elle eut l’impression que tout cela lui était nécessaire. Elle était faite pour cela, comme d’autres le sont pour la vie intime et discrète.

On arrivait auprès de la sortie. D’Estrevel lui offrit la main. Elle y mit la sienne, mollement, et me vit point la pâleur effrayante du jeune homme.

Lauzier s’inclina devant elle. Elle lui sourit. C’était la défaite de l’Amour…

Maurice LEBLANC.