Contes du Sénégal et du Niger/Chapitre 26

Ernest Leroux (p. 177-182).


LES GÉANTS TOUAREG[1]


Anegoura était l’un des premiers hommes : c’était un géant. Dans l’Adrar Tadelaza, près de la rivière Tiloa se trouve une excavation (ekazem en tamacheq) formée de grands blocs éboulés, qu’on dit avoir été sa maison. Non loin de là se trouve une marmite de géants qui est l’empreinte de son genou, une fois qu’il a lancé sa lance. Il dit alors à ses gens : « Regardez-bien ! là où elle tombe, là sera fondé Agadez ». Cette excavation a un mètre de diamètre.

À Talebdak une dalle horizontale porte des sillons profonds, tracés par les pieds du cheval d’Anegoura, lorsqu’il l’arrêtait en pleine course.

Aux environs se trouvent des grafitis sur roche, tracés par lui et portant son nom.

Anegoura se promenait toujours dans la brousse avec son fils et son neveu. Ils se levaient la nuit quand ce dernier était endormi, allaient à un puits que ce dernier ne connaissait pas et mangeaient de la viande. Le neveu ne pouvait découvrir le puits, alors un soir il frotta de graisse les sandales de son oncle et de son cousin, et les fourmis se mirent à la manger. La nuit venue, Anegoura partit avec son fils, mais à chaque pas les fourmis et la graisse tombaient et restaient collés au sol. Ainsi le neveu put suivre leurs traces et trouver le puits.


Anegoura ouït dire un jour que dans un certain pays il était tombé de l’eau et que l’herbe y était belle. Alors il coupa les pieds de tous ses moutons, en cachette de son fils et de son neveu, et il partit pour ce pays. Quand il y fut arrivé, il fit partout des empreintes avec les pieds de ses moutons, qu’il avait emportés. Puis il revint en disant à son fils et à son neveu que l’herbe était belle, mais qu’il y avait de nombreuses traces de moutons. Ils s’y rendirent et virent les empreintes : le fils crut que c’étaient bien de véritables traces, mais le neveu comprit que c’étaient les pieds des moutons coupés par Anegoura.


Anegoura était entouré d’ennemis qui cherchaient à le tuer. Comme il craignait qu’ils n’arrivassent pendant la nuit, il prit du tabac, en fit une médecine et la fit boire à une captive qu’il avait. Celle-ci ne put dormir, et se lamenta toute la nuit en disant : « Qui m’a donné ce tabac ? » Les ennemis, l’entendant parler, crurent qu’Anegoura veillait et repartirent.


Anegoura partit en guerre avec ses hommes. Dans une bataille, il fut vaincu par des ennemis très nombreux et couvert de blessures. Il arracha son collier d’argent, le donna à ses gens et leur dit :

« Sauvez-vous ; portez cela à ma femme moi je meurs ». Il resta comme mort par terre les ennemis s’en emparèrent, l’emportèrent chez eux, le soignèrent pendant plusieurs années, le guérirent et le renvoyèrent chez lui. Il arriva de nuit dans son campement et alla droit à la tente d’une femme qui lui faisait d’ordinaire de la musique. Il lui demanda de jouer de l’amzad (violon), mais elle lui dit : « Je ne joue plus depuis la mort d’Anegoura, le chef sans pareil ». Après bien des prières, elle joua, et Anegoura se mit à chanter. Il raconta la bataille où il tomba ainsi que l’histoire du collier. Alors la femme prise d’un soupçon écarta son vêtement, vit qu’il n’a pas de collier et s’écria : « Tu es Anegoura ». Elle se mit à sangloter les gens accoururent et reconnurent Anegoura.


Anegoura était marié : il prit une seconde femme. La première devint folle et fut transformée en pierre avec son enfant, sa griote, et sa captive. On les voit près de la maison d’Anegoura. Il y a auprès le tombeau d’une jument.


Jioulaklak était un des premiers hommes. Une nuit, il rêva que les ennemis allaient venir l’attaquer. Il était seul avec sa mère dont il était le fils unique. Il alla la trouver et lui dit : « Nous allons combattre : tue un mouton blanc : je mangerai la chair et avec la graisse, je me frotterai les bras et les jambes ». Il combattit depuis le lever jusqu’au coucher du soleil et repoussa seul l’ennemi.


Anebda était l’ancêtre d’Anegoura. Il était encore plus grand et plus fort que lui. Quand il était fâché, sa femme se cachait sous son lit, les chevaux ne mangeaient plus, les bœufs et les chameaux ne ruminaient plus. Quand il s’approchait d’un campement, les gens trayaient leurs vaches et les lui abandonnaient sans essayer de les défendre.

[Les Touareg ne savent si Anebda était un dieu, un esprit, ou un homme].

  1. Entendu à Talebdak, au N. E. d’Agadez (Aïr).