Contes du Sénégal et du Niger/Chapitre 23

Ernest Leroux (p. 167-170).


LES MAITRES DE L’EAU


Au temps des premiers hommes le pays de Diafounou (région Ouest du cercle de Nioro) a vu arriver du Nord les Touré, qui avaient avec eux des crocodiles et des hippopotames : c’était leur bétail et ils vivaient avec eux. À la même époque la famille des Gannera, de la race des Dogoré, avait le pouvoir sur les mares de la région. Les Touré leur demandèrent la permission de mettre leurs crocodiles et leurs hippopotames dans les mares, mais les Gannera refusèrent, disant qu’ils ne pourraient plus pêcher de poisson. Les nouveaux arrivants les tranquillisèrent, affirmant qu’ils avaient le pouvoir d’empêcher leur animaux de mal faire. La permission une fois octroyée, ils les mirent dans les eaux et depuis cette époque, ils les commandent à leur gré, bien que les Gannera restent maîtres de l’eau. Lorsque les habitants du Diafounou veulent pêcher, ils doivent s’assurer le concours des Gannera et des Touré.


À l’origine des temps les vallées et la plaine du Guidioumé (canton limitrophe du Diafounou, à l’Ouest de Nioro), étaient remplies de feu, en sorte que les habitants étaient confinés sur le haut des montagnes. Mais un homme appelé Moussa Soma réussit à éteindre le feu par ses incantations, et les hommes s’établirent dans la vallée sous la conduite de leurs chefs. Moussa Soma se fixa à Guéréou, Djeri Komé, son frère à Tangadonga, Mamadou Djami à Niogoméra. Le premier de ces patriarches devint le maître du pays et le maître de l’eau, car le même charme qui domptait le feu donnait le pouvoir sur l’eau. Ses descendants, les Tarahoré, ont perdu la puissance temporelle, mais ils ont gardé le pouvoir mystérieux de commander aux esprits de l’eau, aux djidouho, aussi les appelle-t-on Djigoumé. Lorsque les indigènes désirent pêcher dans la mare très poissonneuse de Diompo, ils en demandent l’autorisation aux Tarahoré, qui font les incantations nécessaires. Il en coûte cher de se passer d’eux : une fois, au temps des premiers hommes, cent personnes partirent de Tangadonga, village de Guidioumé, pour pêcher dans la mare de Diompo, sans l’autorisation des maîtres de l’eau. Quatre-vingt-dix-neuf d’entre eux entrèrent dans l’eau pour jeter leurs filets : un seul resta sur le bord. Ce fut son salut, car ses compagnons furent engloutis et il dut se sauver précipitamment. Un poisson armé d’un sabre le poursuivit jusqu’à Tangadonga[1] et ne pouvant l’atteindre, asséna sur le sol un si formidable coup de sabre, que dans l’entaille qu’il fit coule aujourd’hui une grosse rivière.



  1. Soit une dizaine de kilomètres.