Contes des landes et des grèves/Préface

Contes des landes et des grèvesHyacinthe Caillière Editeur (p. V-XI).




PRÉFACE



Les contes de cette collection proviennent — à l’exception d’un seul qui est de la Bretagne bretonnante — de la partie des Côtes-du-Nord qui parle français, ou de l’Ille-et-Vilaine. Presque tous ont été recueillis postérieurement à 1882, époque à laquelle j’en avais déjà publié plus de 300, soit dans les trois volumes des Contes populaires de la Haute-Bretagne, de la Bibliothèque Charpentier, soit dans la Collection des Littératures populaires de toutes les nations, de l’éditeur Maisonneuve. Depuis, j’en ai fait paraître un plus grand nombre dans divers recueils français ou étrangers, et je crois qu’en les comptant, on arriverait à peu près à un millier, ce qui montre que la Haute-Bretagne est aussi riche au point de vue légendaire que sa sœur de langue bretonne.

Les quarante morceaux de ce volume ont été choisis parmi ceux qui étaient dispersés dans une vingtaine de revues, et j’y ai ajouté quelques récits inédits. À moins qu’il ne s’agisse de variantes particulièrement intéressantes, j’ai donné surtout des contes dont les parallèles ne figurent pas dans mes précédentes publications.

C’est pour cela que l’Ille-et-Vilaine n’est représentée ici que par une dizaine de numéros, bien que j’y aie recueilli plus de 200 contes, dont une soixantaine, choisis parmi les plus caractéristiques et les mieux venus, ont paru dans mes autres volumes. Ce pays a, du reste, moins d’originalité que les Côtes-du-Nord ; on y trouve surtout des versions que l’on rencontre dans les recueils des autres provinces de France. Tout le centre du département, correspondant à peu près à l’ancien diocèse de Rennes, a, en effet, depuis plus de mille ans, comme la Normandie, le Maine et l’Anjou, qui le bordent à l’est, une culture française ; dès le neuvième siècle, alors que presque tout l’ancien diocèse de Dol et celui de Saint-Malo, colonisés par les émigrants venus de la Grande-Bretagne, se servaient encore d’un idiome celtique, la limite linguistique passait à l’ouest de Rennes, vers les confins de l’arrondissement actuel de Montfort, alors du diocèse de Saint-Malo, et au sud-ouest, dans l’arrondissement de Redon, elle laissait en pays roman le canton de Bain[1]. Cette région centrale de l’Ille-et-Vilaine, qui a une grande ville, et est depuis longtemps mieux cultivée, plus commerçante et mieux sillonnée de routes que le reste de la Bretagne, est précisément à peu près la seule où l’on se soit occupé sérieusement de contes populaires.

L’exploration du littoral qui fut autrefois de langue bretonne, n’a malheureusement été qu’effleurée ; mais par le peu qui y a été recueilli[2], il est aisé de se convaincre que l’on y retrouve des éléments plus intéressants, et parmi eux les légendes des houles ou cavernes du bord de la mer, qui sont communes à la baie de Saint-Malo et à celle de Saint-Brieuc.

Bien que depuis vingt ans l’affluence des baigneurs sur cette côte y ait introduit des habitudes et des idées nouvelles, peut-être n’est-il pas trop tard pour y tenter une enquête ; dans les villages habités exclusivement par des pêcheurs, surtout lorsqu’ils forment, comme à Cancale, un groupe important, les contes des marins, assez nombreux à Saint-Cast vers 1880, ne sont probablement pas encore complètement oubliés.

La partie française des Côtes-du-Nord conserve plus d’originalité que l’Ille-et-Vilaine : elle a plus longtemps parlé la langue bretonne, elle a peu de villes, peu de commerce ; ce n’est qu’à une époque assez moderne quelle a été pourvue de bonnes routes, et jusqu’à ces trente dernières années, la population, en grande majorité rurale, y est restée très fixe. Les versions des contes qui lui sont communs avec l’Ille-et-Vilaine sont en général plus complètes et d’une meilleure forme, parce que l’on y conte davantage, et avec moins de scepticisme, la population y étant bien plus illettrée ; on trouve même dans les Côtes-du-Nord deux groupes légendaires particuliers qui, il y a une vingtaine d’années, étaient encore bien conservés ; toutes les grottes du littoral étaient la demeure de fées qui n’avaient disparu qu’à une époque récente, et encore on n’était pas bien sûr qu’il n’en fût pas resté quelques-unes[3], et les gros blocs erratiques qui parsèment les collines vers la limite des arrondissements de St-Brieuc et Loudéac, avaient été ou étaient encore la résidence de fées indigènes qui portaient le nom de Margot-la-Fée[4].

J’ai terminé ce livre par un choix de contes comiques ; ils sont très nombreux en Haute-Bretagne, et à ce point de vue elle l’emporte de beaucoup sur la Bretagne bretonnante, plus rêveuse et plus grave ; il y en a relativement plus aussi dans l’Ille-et-Vilaine que dans les Côtes-du-Nord ; dans le premier de ces départements, ils appartiennent souvent au genre scatologique ou même graveleux : ils y sont racontés, avec une candeur qui désarme, parfois par des personnes âgées ou par des jeunes filles. Il va sans dire qu’aucun de ceux qui rentrent dans cet ordre d’idées ne figure ici. Je n’y ai mis que des récits qui peuvent honnêtement s’écrire. Il en est assez parmi eux qui sont assez comiques, et parfois assez spirituels dans leur naïveté apparente, pour être goûtés même par les esprits les plus raffinés.


20 octobre 1900.




  1. Voir les Prolégomènes du Cartulaire de Redon, par Aurélien de Courson, p. XI, et ma carte linguistique de la Bretagne, dans la Langue bretonne, limites et statistiques, Paris, Leroux, 1886, in-8o  (tirage à part de la Revue d’Ethnographie.)
  2. Elvire de cerny, Saint-Suliac et ses traditions. Dinan 1860, in-8o  (La fée du Bec-du-Puy, les fées de la Rance,) Lagneau. Guide du Casino de Dinard, 1880, in-18 (La Goule ès fées) ; Paul Sébillot. Littérature orale de la Haute-Bretagne, in-12 elzévir. 1881 (la Goule ès fées, version différente) ; Contes des paysans et des pêcheurs, 1881, in-18 (la houle de Saint-Briac). La Vague, journal de Saint-Malo, août 1891 (les Jetins de Saint-Suliac, art. non signé)
  3. Contes de la Haute-Bretagne, n. 4, 10, 22 ; Littérature orale de la Haute-Bretagne, n, 1-3, Contes des paysans et des pêcheurs (n. 1 à 20), Contes des marins (n. 1, 8, 10, 11), Société archéologique du Finistère, t. XIII, p. 206-228 ; 331-338 (n. 1-11) ; c’est à ce recueil que j’ai emprunté la Houle de la Corbière et Petits-yeux voient clair, qui figurent dans le présent volume). Acta comparationis litterarum universarum. Klausenbourg, n. XC ; (la fée du Port-Pérou). Almanach du Phare de la Loire 1892, p. 96, Traditions et superstitions de la Haute-Bretagne, t. I, p. 76 et suiv. J’ai résumé les divers épisodes de ce groupe dans le t. 1er  des Légendes locales de la Haute-Bretagne, p. 38-52.
  4. Paul Sébillot. Contes pop. de la Haute-Bretagne (n. 17, 24), Contes des paysans et des pêcheurs (n. 32 et 33), Traditions et superstitions de la Haute-Bretagne, t. I, p. 105-120 ; Les Margot la Fée. Maisonneuve, 1880 in-8o  (Ext. des Mém. de la Soc. d’Emulation des Côtes-du-Nord 14 légendes) ; voir aussi Légendes locales, t. I, p. 106, 119. Les contes no 11, 17 et 19 de ce volume appartiennent à cette série.