Contes des landes et des grèves/Le lion et le voleur

Contes des landes et des grèvesHyacinthe Caillière Editeur (p. 217-221).


XXIV

LE LION ET LE VOLEUR


Un fermier qui allait porter à son maitre l’argent de ses fermages traversait à cheval une forêt. Quand il fut arrivé vers le milieu, il entendit des cris d’hommes qui semblaient implorer son secours ; il se dirigea du côté d’où ils venaient, et il vit qu’ils partaient d’une fosse profonde. Il détacha la corde qui servait à lier un sac qu’il portait en croupe, mit un morceau de bois à chacun des bouts, et se tenant ferme à un arbre, il jeta la corde dans la fosse.

Il sentit bientôt qu’elle se raidissait, et il vit sauter à ses pieds un singe, qui le remercia, et promit de lui rendre service si jamais il avait besoin de lui.

Le fermier lança une seconde fois la corde, et retira de la fosse un loup qui lui dit, en se frottant contre lui en signe de joie :

— Tu m’as rendu aujourd’hui un service que je n’oublierai pas, et que je te paierai à la prochaine occasion ; mais il y a encore d’autres personnes à secourir.

Le paysan descendit sa corde pour la troisième fois, et il vit paraître un ours, qui lui dit de ne rien craindre, qu’il serait son zélé serviteur. « Jette encore ta corde », ajouta-t-il.

Cette fois le fermier retira un lion, et, comme il se reculait épouvanté, le lion lui dit, en adoucissant sa voix :

— N’aie pas peur de moi ; je ne te ferai aucun mal ; mais garde-toi de lancer encore une fois ta corde dans le précipice, car tu t’en repentirais, et c’est alors que tu aurais besoin de mon secours.

En disant cela, il s’éloigna, et le fermier allait remonter à cheval et continuer sa route, quand il entendit une voix humaine qui l’implorait.

— Je ne peux pourtant laisser périr mon semblable, pensa-t-il, après avoir tiré d’affaires des bêtes non baptisées.

Il jeta encore une fois sa corde, et vit paraître un homme, qui, dès qu’il fut hors de la fosse, s’enfuit sans lui adresser un seul mot de remerciement.

— C’est singulier, dit le fermier, en rattachant son sac : ces animaux m’ont tous parlé de leur reconnaissance, et seul l’homme que j’ai sauvé ne m’a pas même dit merci. Enfin, je ne regrette pas tout de même de lui avoir fait du bien.

En continuant sa route, le fermier vit paraître l’homme qui lui demanda à marcher près de lui.

— Volontiers, répondit-il.

Mais au bout de peu de temps, cet homme renversa de cheval son bienfaiteur, qui était sans défiance, et le frappant, il lui demanda son argent et ses habits.

— Au secours ! au secours ! cria le fermier.

— Tu peux t’égosiller à ton aise ! dit le voleur ; il n’y a âme qui vive à plus de deux lieues à la ronde.

Mais à ses cris, le lion accourut, ainsi que les autres animaux et, le voyant à terre dépouillé et maltraité, il lui dit :

— Est-ce vous, qui m’avez sauvé de la fosse ?

— Oui, répondit le fermier d’une voix faible.

— Je vous avais conseillé de ne pas jeter une corde au voleur qui était dans la fosse, et vous n’avez pas voulu m’écouter. Mais je vais tâcher de reconnaître le service que vous m’avez rendu.

Il courut après le voleur, et lui cria d’une voix terrible :

— C’est toi qui as volé ton sauveur : rends-lui son argent et ses habits, ou je te tue !

Le voleur épouvanté tomba par terre : le lion le dévora, et le fermier put reprendre ses habits et son argent.

Et pour le protéger contre de nouvelles aventures, le lion l’accompagna jusqu’en vue de la maison de son maître.


(Conté en 1878, par Jean Bouchery, de Dourdain.)