Contes des landes et des grèves/Le lion, le renard et l’homme


XXVI

LE LION, LE RENARD
ET L’HOMME


Il y avait une fois un lion qui était malade, et les autres animaux venaient voir leur roi. La Biche, qui revenait de lui rendre visite, rencontra compère le Renard, qui lui dit :

— Commère la Biche, le Lion est-il guéri ?

— Non, répondit-elle, il est encore malade ; tous les animaux sont venus le voir ; il n’y a que toi qu’il n’ait pas vu, et il s’en souviendra.

Compère le Renard se décida alors à aller pousser une visite au Lion, qui était toujours en mauvaise santé. Sur sa route il trouva des marais et des chemins creux, mais au lieu de les éviter, il se roulait dans la boue, et il n’y avait pas sur lui un seul endroit qui ne fût sale à faire répugnance.

Il finit par arriver chez le Lion, près duquel était compère le Loup. Le Lion lui demanda d’une voix rude pourquoi il n’était pas venu plus tôt lui rendre visite. Compère le Renard s’excusa, en disant qu’il avait parcouru tout le pays pour consulter des médecins et connaître quel remède il fallait pour guérir le roi, et que c’était pour cela qu’il était si « bouillonneux » ; mais il assura qu’il avait fini par savoir comment il fallait s’y prendre.

Voilà le Lion bien content ; il adoucit sa voix, et demanda à compère le Renard ce qu’il fallait faire. Compère le Renard répondit :

— Voici : il faut tuer Glaume le Loup, l’écorcher tout chaud, puis vous envelopper dans sa peau comme dans une couverture ; en peu de temps vous serez guéri.

— Comment ! s’écria Glaume, que voulez-vous faire de moi, qui suis vieux comme les rues, et n’ai que la peau et les os ?

— Plus l’animal sera vieux et maigre, mieux cela vaudra, répartit compère le Renard.

Le pauvre Glaume resta penaud comme la lune et ne sut que répondre. Le Lion rassembla les forces qui lui restaient et tua le pauvre vieux loup. Compère le Renard aida à l’écorcher, puis le Lion s’enveloppa dans sa peau toute chaude, et se coucha. En peu de temps il fut rétabli, et compère le Renard devint son favori.




Il prit envie au Lion de quitter la forêt, et de visiter la campagne. Chemin faisant, il demanda au Renard s’il connaissait l’homme.

— Oui, certes, répondit-il.

— Je voudrais bien savoir, dit le Lion, comment il est, et s’il est fort.

— Bien, répondit le Renard ; nous en verrons sans doute un bientôt, et je vous le montrerai.

Un jour ils rencontrèrent un vieillard qui gardait ses brebis.

— Qu’est-ce que cet animal que je ne connais pas ? demanda le Lion ; est-ce un homme ?

— Non ; il l’a été, mais il ne l’est plus.

Plus loin, ils virent un enfant.

— Est-ce un homme ? demanda le Lion.

— Non, mais il est du bois dont on les fait.

Ils continuèrent leur route, et aperçurent un chasseur sur une colline.

— Est-ce un homme ? demanda le Lion.

— Oui, répondit compère le Renard ; pour ce coup-ci, en voilà un.

Le Lion s’approcha de l’homme et lui dit :

— Je veux me battre avec toi, et savoir si tu es fort.

— Volontiers, répondit l’homme ; mais avant de se battre, il faut avoir chicane, et se faire des menaces à distance.

Le Lion se recula, et quand il fut un peu loin, l’homme épaula son fusil et lui envoya une balle dans le front.

— Diable ! s’écria le Lion, vos menaces sont dures.

— Ce n’est que la première, répondit le chasseur ; il y en a une seconde qui est bien plus dure.

— En ce cas, dit le Lion, allez de votre côté et moi du mien.

C’est depuis ce temps-là qu’on dit que les hommes sont plus forts que les lions.


(Conté en 1884 par Jean Rouxel, du Gouray, âgé de 60 ans environ.)