Contes de l’Ille-et-Vilaine/La Boursée d’or

Contes de l’Ille-et-Vilaine
Contes de l’Ille-et-VilaineJ. Maisonneuve (p. 59-64).


LA BOURSÉE D’OR

Il y avait une fois un jeune coq qui, en grattant un fumier, découvrit une bourse pleine de beaux louis d’or.

Fier de sa trouvaille, il s’en allait portant sa bourse dans son bec, lorsque, passant devant une ferme, il fut appelé par la ménagère qui lui demanda ce qu’il emportait ainsi :

« Une boursée d’or », répondit-il.

— Veux-tu l’échanger contre une belle poignée de grain jaune ?

— Nenni, dit le coq, je veux la garder.

— J’ajouterai au grain une belle galette de blé-na[1].

— Nenni, nenni, dit le coq, qui était cependant bien gourmand.

— Comme tu voudras. Je t’aurais donné par-dessus le marché un gros morceau de miche[2] chaude, sortant du four.

Le coq ne put résister plus longtemps et accepta.

La fermière lui donna tout ce qu’elle avait promis, et s’empara de la bourse.

De retour au poulailler, le coq raconta à sa famille le copieux diner qu’il venait de faire, grâce à l’or qu’il avait trouvé.

« Imbécile ! lui dit son père, tu t’es dessaisi d’une fortune pour avoir quelques grains de blé. Une oie ne serait pas aussi bête que toi. Va-t’en, tu es indigne d’être un coq ; ne reparais devant mes yeux qu’avec la bourse d’or que tu as si sottement échangée ».

Le petit coq, tout honteux, s’en alla réclamer sa bourse, et il pleurait bien fort supposant qu’on ne la lui rendrait pas.

Chemin faisant, il rencontra un loup auquel il avait eu occasion de rendre service. Il lui raconta son histoire et le pria de lui venir en aide.

— Que faut-il faire ? demanda le loup.

— Fourre-toi dans mon ventre, répondit le coq, qui avait son idée.

— Comment cela ?

— Change-toi en grain de blé et je vais t’avaler.

Le loup prit la forme d’un grain de blé, que le coq engloutit aussitôt dans son ventre.

Plus loin, il fit la rencontre d’un renard qui, apprenant qu’il avait un loup dans le corps, non seulement ne le mangea pas, mais encore demanda à être de la partie.

« Qu’à cela ne tienne, dit le coq, change-toi en millet. »

Le renard se changea en millet, et le coq le mangea.

L’oiseau, continuant son chemin, vint à passer près d’une rivière qui murmurait tout bas :

— Où vas-tu, maître coq ? où vas-tu maître coq ?

— Je vas réclamer une boursée d’or qui m’a été prise par une fermière du voisinage. Si tu veux venir avec moi, je te donnerai un beau louis jaune.

— Que faut-il faire ?

— Te fourrer dans mon ventre, et pour cela, te changer en grain de sable.

La rivière y consentit et ne tarda pas à aller rejoindre le loup et le renard.

Le coq ainsi lesté arriva à la porte de la fermière, monta sur une bille de bois, et se mit à crier de toutes ses forces : « Rendez-moi ma boursée d’or ! Rendez-moi ma boursée d’or ! »

Le fermier qui n’était pas patient, dit à sa femme :

— Voilà un coq qui m’ennuie.

— Renferme-le dans l’écurie, et demain nous le mettrons à la broche.

Le coq se laissa enfermer ; puis, quand la nuit fut venue, lorsque tout le bétail se trouva réuni devant les rateliers, il s’écria :

« Compère le loup, sors de mon ventre et vient te régaler. »

Le loup se rua sur les vaches, les bœufs, les chèvres, les moutons, et en fit un carnage effroyable. Une fois bien repu, en compère prudent, il prit la clef des champs.

Le lendemain matin, quand le fermier entra dans son écurie, il ne trouva pas un seul animal vivant.

Le paisan fut au désespoir, et ses cris et ses plaintes réveillèrent tous les habitants de la ferme. Sa femme arriva la première et accusa le coq de ce malheur.

— Tu crois ? dit le mari. Eh bien ! attends un peu, j’vas le mettre dans le poulailler avec nos vieux coqs, qui vont le rosser d’importance.

Mais aussitôt dans le poulailler, le coq dit : — Compère renard, sors de mon ventre et viens à mon secours.

Le renard sortit et saigna, pluma, mangea toutes les volailles du fermier. Après cela il s’en alla rejoindre le loup.

Qu’on juge de la colère des métayers en s’apercevant du nouveau malheur qui venait de leur arriver.

— La bourse pleine d’or ne suffira pas pour réparer toutes ces pertes, répétait le fermier.

— Il faut en finir au plus vite avec ce maudit coq, répondait la femme, et le mettre sans plus tarder dans le four.

— Oui, mettons-le tout de suite, criait le mari en jetant des fagots enflammés dans le four ; et, si tu m’en crois, femme, pour le punir de toutes ses méchancetés, nous allons l’y mettre tout vivant.

La fermière, encore plus furieuse que son homme, s’empara de l’oiseau et le jeta dans le four.

— Rivière, rivière, s’empressa de dire le coq, à mon secours, car je brûle !

La rivière coula de toutes parts ; elle inonda, submergea non seulement le four, mais encore la ferme et ses environs. Les habitants se sauvèrent à la hâte, fuyant devant le flot toujours croissant qui menaçait de les noyer.

Le coq, qui s’était envolé sur un toit, riait dans sa barbe de toute cette débâcle.

Il pénétra dans la ferme par les fenêtres restées ouvertes, effectua une visite domiciliaire dans toutes les armoires et finit par découvrir sa fameuse bourse. Il ne se possédait pas de joie et cria de toutes ses forces : « Je la tiens ma boursée d’or ! » Puis il s’envola vers le poulailler de son père et de sa mère à qui il remit son trésor, en leur racontant ses aventures.

Les poules riaient à se tordre sur leur fumier, en écoutant cette histoire.

(Conté par Marguerite Courtillon
de Bain, âgée de 69 ans.)
  1. Blé-noir.
  2. Pain de ménage.