Contes de Noël (Josette)/Le Jour de l’an au Ciel

John Lovell & Fils (p. 109-126).


LE JOUR DE L’AN AU CIEL


À mes trois petites amies,
Héva, Constance et
Marie-Paule,

Au ciel il ne fait ni jour ni nuit. Dans cet heureux séjour luit constamment une splendide lumière, faite de toutes les aurores que le bon Dieu garde en réserve pour nous les dispenser une à une, de tous les rayons que nous verse journellement sa munificence sans jamais en épuiser le trésor, et de tous les astres éblouissants qui lui restent à semer encore dans les espaces azurés.

À la vérité, tout cela serait bien insuffisant pour éclairer l’immensité du céleste royaume, si la toute-puissance du Créateur lui-même ne l’illuminait d’un divin et suave reflet devant lequel le soleil pâlit.

C’est bien beau le paradis !… C’est si beau, si beau, que les hommes n’osent pas essayer de le décrire !

Pourtant, à certains moments, paraît-il, le ciel retentit d’harmonies inaccoutumées, et semble encore, si c’est possible, rayonner de clartés plus magnifiques. Le jour de Noël, par exemple, c’est grand gala, assure-t-on.

Je vais vous dire ce qui m’est arrivé, à travers les nuages des enivrants échos de ces fêtes.

Les lyres d’or des séraphins vibraient encore des accents du beau concert de Noël.

Déjà les élus les plus anciens — semblables aux bons vieux serviteurs qui ne s’attardent jamais dans l’accomplissement d’un devoir — se relevant de leur longue adoration aux pieds de l’Enfant-Jésus, dont c’était la fête spéciale, songeaient à retourner à leurs postes respectifs.

Saint Pierre regagnait sa loge de concierge d’un pas alerte. (On sait qu’au ciel, le grand âge n’est pas un fardeau.)

Sainte Cécile, qui s’était particulièrement surpassée par des élans d’extatique inspiration, remettait sa harpe dans son riche étui.

Les petits anges folâtres, reprenant leurs jeux, se poursuivaient en agitant leurs ailes blanches, jusqu’auprès de la belle Vierge qui souriait à leurs ébats, et sous la surveillance du grand maître des angéliques légions, saint Michel.

Le vainqueur de Satan conservait l’allure formidable qui convient à un héros guerrier. Il n’effrayait pas cependant, avec son grand glaive — celui précisément qui lui servit dans son fameux combat avec Lucifer — les petits soldats de son armée ; quelques-uns d’entre eux se réfugiaient jusque dans les plis de ses ailes pour échapper aux espiègles assauts de leurs frères.

— Ah ! maintenant, disait à d’autres bienheureux un beau vieillard, il me faut songer à mes enfants de là-bas !

Savez-vous qui il appelait ainsi, ce beau vieillard ? et soupçonnez-vous un peu ce qu’il pouvait être lui-même ?

Ce vénérable personnage n’était autre que le fameux Santa Claus. Et ses enfants ?… C’étaient vous, c’étaient toutes les fillettes sages qui ont mérité des étrennes.

Mes chères amies, je ne voudrais pas être obligée de vous énumérer toutes les choses inouïes, renfermées dans le magasin aux étrennes dont notre vieil ami avait la charge.

Cela me prendrait bien plus de temps qu’il ne lui en fallut pour les verser toutes dans ses énormes sacs.

Vous savez les superbes carosses que les fées d’autrefois faisaient surgir de modestes citrouilles, et les toilettes magiques qu’elles donnaient à leurs filleules !… Vous avez vu dans l’histoire de Cendrillon de quels adorables bijoux ces mystiques dames couvraient leurs protégées ?… Eh bien, tout cela n’était rien à comparer au riche bagage de Santa Claus.

Songez-y ! Il y avait là de quoi réjouir tout un univers de petits enfants !

Quand le messager de la bienfaisance divine traversait le ciel, courbé sous le poids de ses trésors, pour aller prendre congé du souverain Maître et recueillir ses instructions, le bruyant cortège des anges s’arrêtait pour le regarder passer.

Il se trouvait même des élus qui avaient été d’austères pénitents sur la terre, et qui s’amusaient naïvement à examiner ses délicieux bibelots.

Saint Jérôme, par exemple, et d’autres saints qui ont toujours vécu dans le désert, et qui n’avaient jamais vu de joujoux, s’extasiaient littéralement devant tous ces chefs-d’œuvre de la paternelle libéralité du bon Dieu.

— Il y en a pour tout le monde ? demanda le Petit-Jésus. Mes enfants seront tous heureux ?

Santa Claus le croyait bien.

Il partit donc avec une troupe d’anges.

Ces anges sont pour le servir dans sa charitable tournée. Ils se glissent doucement à l’intérieur des maisons, et déposent dans les mignons souliers l’envoi du divin ami de l’enfance.

Cela exempte de la peine au bon vieillard et abrège la besogne. Il a tant de chemin à faire dans une nuit !

La céleste délégation était de retour au paradis avant que fussent tendus dans le firmament les voiles mordorés du matin. Le cortège, en arrivant, alla se prosterner devant la divine Majesté.

Cependant, Santa Claus n’avait pas, comme d’habitude, ce sourire content que donnent la satisfaction du devoir accompli et la certitude d’avoir fait des heureux.

Le Petit-Jésus, que la sainte Vierge berçait dans un lit tout orné de diamants, tandis qu’elle chantait doucement de sa voix qui ravit le ciel, le Petit-Jésus avait remarqué cela tout de suite :

— Les présents ont-ils donc manqué ? Qui n’est pas satisfait ?

Le bon Santa Claus raconta alors ceci :

— Mon travail était achevé sur la terre, dit-il. Je remontais lentement vers ce céleste séjour en jetant sur l’univers un rétrospectif coup d’œil, pour m’assurer que personne n’avait été oublié. Je disais, en me réjouissant, à mes compagnons :

— Là, nul ne pleurera demain ! Les prières enfantines que notre bon Père aime tant monteront vers lui reconnaissantes, chaudes et pleines d’amour !… Mais soudain… j’aperçus, dans un des coins obscurs et déserts d’une grande ville, quelqu’un… une enfant, seule, glacée, perdue dans la nuit noire. Elle tremblait de frayeur, elle se mourait de faim, de misère et de désespoir. La pauvre mignonne répétait tout bas, pendant que ses grands yeux désolés regardaient le ciel et que ses petits membres grelottaient :

— Mon Dieu, qui avez pitié des enfants délaissés !… Ma mère qui êtes là-haut, voyez-moi… j’ai froid, il fait noir, j’ai bien peur !… Elle étouffait ses sanglots de crainte d’attirer les affreux passants de la nuit.

Que faire pour la consoler !…

Je me mis à chercher dans tous mes sacs, espérant y trouver quelqu’objet oublié… mais, hélas !… rien, tout était épuisé.

Et d’ailleurs, qu’auraient pu des jouets devant cette détresse que vous seul, puissant et généreux Jésus, pouvez guérir par un miracle. J’aurais pensé à cela tout de suite, n’eût été l’émotion qui troublait mes idées.

Après un moment de réflexion, j’envoyai près d’elle un de mes anges, lui enjoignant d’en avoir bien soin tandis que je viendrais vous supplier de la secourir.

Le Père éternel, qui de son trône resplendissant avait tout entendu, dit :

— J’ai vu les larmes de cette enfant. J’ai entendu le cri de sa douleur et de sa confiante prière !

Voici ce qui s’était passé tandis que Santa Claus parlait.

Sur un signe du Tout-Puissant, un ange était aussitôt venu se prosterner pour recevoir ses ordres.

Ce prince de la cour céleste était le plus beau des séraphins.

Un rayon de la souveraine bonté de Dieu — celui de sa miséricorde — se reflétait en lui.

À son front brillait un incomparable diadème où était incrusté en lettres formées de l’or des astres, le beau, le grand mot — Délivrance.

— Va ! lui avait dit le Dieu généreux et tendre, va briser les liens qui retiennent sur la terre cette chère âme martyre !

À cette injonction, le messager obéissant se leva et partit.

Il n’objecta pas qu’il faisait bien noir là-bas, et que le lieu où gisait la pauvresse lui était inconnu.

— La Providence pourvoit et veille à tout !

Telle était sa pensée.

Il déploya ses grandes ailes plus lisses et plus blanches que celles des cygnes, et descendit à travers les couches bleu sombre des espaces, effleurant les mondes sans s’y arrêter, et laissant après lui dans les ombres du firmament une longue traînée lumineuse.

Les savants terrestres dirent :

— C’est un admirable météore !

L’ange de Dieu, lui, qui soutenait la petite agonisante, souffla à son oreille :

— Courage ! voici la délivrance !

Quand l’envoyé de l’infinie miséricorde fut arrivé dans la grande ville obscure et silencieuse, un phare, épanchant une douce lueur, semblable aux rayons caressants de la lune, parut au ciel et lui montra sur le sol dur et glacé, la belle enfant à genoux, suppliante, les mains élevées en une muette prière…

Il enleva son âme et remonta avec elle au Paradis.

Là, elle reçut la belle couronne des élus et la glorieuse palme du martyre !

Là, elle oublia toutes ses souffrances aux pieds de Dieu, auprès de la tendre Vierge et de sa mère, qu’elle retrouvait là-haut !

Elle fut tout de suite amie avec les petits anges qui, pour jouir de son naïf ravissement, se plaisaient à lui montrer toutes les splendeurs du ciel.

Quand elle alla baiser les pieds du Petit-Jésus, le divin Enfant lui demanda avec un doux sourire :

— Regrettes-tu ton jour de l’an de la terre, ma petite amie ?

Des larmes de bonheur et de reconnaissance répondirent pour elle.

Le lendemain, les passants trouvèrent sur le pavé un petit cadavre froid et rigide.

— Pauvre, pauvre enfant ! murmuraient-ils dans leur pitié.

Mais elle, au sein de la félicité et de l’extase des cieux, disait aussi :

— Pauvres, pauvres mortels !