Contes épiques/Le Baptême

PoésiesBibliothèque-CharpentierTome second (p. 90-94).
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Le Baptême


À Auguste Vacquerie


 
Dans Vérone la rousse où les pampres sont d’or
Sous la brûlure d’un éternel messidor,
Où l’attendrissement épars, que tout reflète,
D’avoir vu Roméo mourir et Juliette,
Donne sur le tombeau guerrier des Scaliger
Une teinte plus rose à la rouille du fer,
Les palais, ce jour-là, de l’Adige aux Arènes,
S’épanouissaient mieux dans les chaleurs sereines,
Marmoréennes fleurs du sol italien.

Sous l’arc double qui fut bâti pour Gallien

Quelqu’un, dans un manteau, passait, vieillard robuste.

D’une maison chétive, au balcon de bois fruste,
Une femme, (elle avait un enfant dans les bras)
Sortit vers le passant, et lui dit, le front bas :
« Salut, Père ! »

                          L’enfant souriait, gras et rose ;
La femme, au corps maigri, défaillait, pâle, à cause
Sans doute de ce fils que, mère au cœur vaillant,
Au bras faible, il fallait nourrir en travaillant.
Mais qu’importaient labeurs, veilles et repas chiches,
Pourvu qu’il mangeât, lui, comme les petits riches,
Et, joufflu comme on peint les chérubins vermeils,
Eût de fins oreillers pour ses légers sommeils !
II riait ; elle était demi-morte, et ravie.

La mort est moins pénible à qui donna la vie,
Et, mère, on a le cœur plus fort qu’auparavant.

Elle reprit : « Daignez baptiser mon enfant. »


Le vieillard s’arrêta, puis d’un ton de surprise :
« J’ai donc sous ce manteau l’air d’un homme d’église,
Ou n’est-il point de prêtre au pays véronais ?

— Baptisez mon enfant, Père ! je vous connais. »
Et, grave, elle tendait le fils de sa misère.

Alors l’homme comprit cette femme sincère
Et leva son visage auguste, aux longs cheveux !
Le front disait : J’espère, et la lèvre : Je veux ;
L’œil que, certe, alluma d’amour ou de colère
Le bien que l’on proscrit ou le mal qu’on tolère,
Doux pourtant, recelait dans son azur serein
Des visions : fumée à l’horizon marin
De vaisseaux éventrés qu’incendia la bombe,
Marches, assauts, combats où la plaine se bombe
De cadavres hardis qui rirent en tombant ;
Et tandis que, d’un bras qui tremble, sur son banc,
Un moine mendiait l’aumône accoutumée,
Lui, d’un geste qui semble évoquer une armée,
Il étendit ses mains puissantes, et parla.


« Je consacre au devoir l’homme enfant que voilà !
Par l’amour d’être libre et l’horreur de l’entrave,
Au nom de l’ignorant, du pauvre, et de l’esclave,
De quiconque, courbé, se lamente d’effroi,
Sous la fourbe du prêtre et la force du roi,
Moi, le vieux champion des nations que couvre
D’ombre le Vatican et de faux-jour le Louvre,
Je t’impose ces mains qui portèrent trente ans
Aux heureux le défi des peuples sanglotants,
Et, pour le fier salut des hommes, je te voue
Aux labeurs, aux combats, aux soufflets sur la joue,
Aux mépris, à l’exil, jeune âme ! à l’échafaud.
Apôtre s’il suffit, mais, soldat s’il le faut,
Partout où retentit le cri d’une torture,
Va ! sois l’aventurier de la grande aventure
Qu’enfin terminera le glaive justicier !
Que notre aube s’allume aux éclairs de l’acier,
Et qu’il te soit donné d’en voir les lueurs sûres,
Fils baptisé du sang de mes vieilles blessures ! »

Ayant dit, il poussa plus loin ses pas errants.

Or, sous l’arc autrefois bâti pour les tyrans,

Le moine, gras et lourd, et traînant la sandale,
S’était dressé.

                        « Maudit qui causa le scandale !
Il est la fourche même attisant le grand feu.
Quoi donc ? cet homme est-il Jésus-Christ, Fils de Dieu ? »

Mais la mère, en baisant son fils sous la dentelle
« Non, c’est Garibaldi, fils du peuple, » dit-elle.