Contes épiques/La Femme adultère

PoésiesBibliothèque-CharpentierTome second (p. 36-43).


La Femme adultère


 
Un vieillard est assis dans l’ombre sur un banc.
Autour de lui la salle est immense et déserte.
On pourrait voir au loin par la fenêtre ouverte
Jérusalem rougir sous le soleil tombant.

L’œil clos, les bras croisés, et sans qu’un poil ne bouge
De sa barbe touffue ou de ses blancs sourcils.
Cet homme a l’air d’un mort qui se tiendrait assis,
Tant sa forme est rigide en sa tunique rouge.


Mais sous la dureté livide de la chair
Se débat en hurlant l’angoisse intérieure,
Comme un chacal captif qui miaule et qui pleure
Bondit sans l’ébranler dans sa cage de fer.

Il voit en son esprit, Dieu voulant qu’il le voie,
Hommes, femmes, enfants que l’on tient par la main,
Tout un peuple courir sur le même chemin
Avec des cris de haine et des clameurs de joie.

Devant la multitude une femme s’enfuit,
Frissonnante, éperdue, et courbant vers la terre
Le front déshonoré de la femme adultère
Que lapident déjà la menace et le bruit.

Elle fuit, demie nue, et sa pudeur tardive
Sous des lambeaux pressés de ses voiles épars
Voudrait cacher aux yeux braqués de toutes parts
La beauté déplorable où leur fureur s’avive.


Parfois elle s’arrête et tombe à deux genoux,
Tendant les mains, criant, plus morte que vivante,
Les suprêmes appels que la détresse invente ;
Mais le peuple hideux amasse des cailloux.

Le vieillard voit cela sans lever la paupière.
Son chef n’a point tremblé. Son sein ne s’enfle pas.
Seulement, de sa manche il tire un maigre bras,
Comme pour ramasser et lancer une pierre.

Alors la porte s’ouvre, et, debout sur le seuil,
Ayant le flamboiement du couchant derrière elle,
Une femme apparaît, blanche et surnaturelle,
Le sourire à la lèvre et l’extase dans l’œil.

Le vieillard, en sursaut, se dresse vers la porte !
Il regarde et s’étonne, il touche et ne croit pas ;
Puis, les deux bras au ciel, et reculant d’un pas :
« Dieu de Jacob, dit-il, que nous veut cette morte ?


— Morte ? non, prêtez-moi l’oreille, ouvrez les yeux.
J’étais morte en naissant, mais ce jour me délivre,
Et mille nouveaux-nés ont moins d’heures à vivre
Que je ne compterai de siècles dans les cieux !

— Tu vis ! qui l’a permis ? Par quels juges absoute.
Offenses-tu mon seuil de ton pied criminel ?
Ô Seigneur ! n’est-il plus de lois dans Israël ?
Ô peuple ! n’est-il plus de pierres sur la route ?

— Un nouveau laboureur ensemence les champs
Le Fils pardonne à ceux, que le Père châtie,
Et pour que son Église, un jour, en soit bâtie.
Les cailloux du chemin ne seront plus méchants.

Il a dit : « Qu’il lui jette une première pierre,
« Celui-là d’entre vous qui vécut sans péché ! »
Un scribe qui tenait un pavé l’a lâché ;
Et sur les pieds du Christ j’ai béni la poussière.


— Le Christ, dis-tu ! Quel est ce prophète subtil
Qui du péché de l’un l’ait à l’autre un refuge !
C’est la Loi qui condamne, et. parce que le juge
N’était pas innocent, le coupable l’est il !

— Aux yeux du Rédempteur ineffable qui donne
À notre antique nuit l’aube d’un nouveau jour.
Et qui, haï de tous, offre à tous son amour,
Le pardon est meilleur que l’équité n’est bonne.

— Moi seul, à qui justice était due en effet,
J’aurais pu pardonner. Mais lui, d’où vient qu’il l’ose ?
De quel droit se fait-il arbitre dans ma cause,
Puisqu’il n’a pas souffert du mal que tu m’as fait !

Est ce lui qui t’aima, jeune et belle, de sorte
Qu’ayant livré la charge en or de trois chameaux,
Il posséda l’épouse avec qui plus de maux
Qu’il n’avait de deniers entrèrent par sa porte !


A-t-il, pendant quatre ans. savouré le poison
De ta voix qui mentait, et béni le mensonge !
A-t-il, quand vint le jour où le soupçon nous ronge,
Comme on traque un renard, guetté la trahison ?

Non, c’est moi qui, jaloux, furtif, l’œil aux serrures,
T’ai vue enfin livrer aux plaisirs d’un amant
Et ta ceinture d’or, et ton beau vêtement.
Et ton liane découvert plus beau que les parures.

C’est à moi que, féconde en des bras dissolus.
Cependant que, vieillard étonné d’être père,
Je m’enorgueillissais de notre lit prospère,
Tu donnas des enfants que je n’embrasse plus !

Ah ! quand tous mes agneaux bêlent dans mon étable,
Quand il ne manque pas à ma vigne un raisin.
Au larron qui pilla les trésors du voisin
Je puis facilement me montrer charitable !


Mais ils sont moins cléments, ceux à qui l’on fit tort ;
Le voleur subira la prison et l’amende.
Donc, plus dépouillé qu’eux, j’approuve et je demande
Que, pesant le dommage, on m’accorde ta mort.

On me doit, au milieu des femmes indignées,
Sous les pavés tombant drus comme des grêlons.
Ta belle chair qui saigne et tes beaux cheveux longs,
Aux mains de tes bourreaux, dispersés par poignées !

Et ton nom exécrable au souvenir humain.
Et tes os sans sépulcre, aux chairs évanouies,
Écrasés par la roue et blanchis par les pluies,
Devenus des jouets aux enfants du chemin !

— Hélas ! pardonnez-la, comme il l’a pardonnée.
L’injure que j’ai faite à lui bien plus qu’à vous !
Puisqu’il vous a montré l’exemple d’être doux.
Laissez au repentir ma jeune destinée.


— Le péché qu’une femme a commis contre lui.
Il peut le pardonner, si telle est sa pensée.
Mais puisqu’enfin sa loi n’est pas seule offensée,
Qu’il laisse agir en paix la justice d’autrui ! »

À ces mots, assemblant sa force rajeunie,
Vers l’épouse qui fuit blême en ses voiles blancs
Il marche, et ses vieux bras qui ne sont pas tremblants
Emportent d’un effort l’adultère impunie.

La fenêtre est ouverte et le gouffre apparaît.
« Les pierres de la route en des mains infidèles
N’osèrent pas aller jusqu’à toi, va vers elles !
Dit le vieillard, et meurs selon l’antique arrêt. »

Le vide ayant reçu le corps de l’adultère.
Il revient sur ses pas sans paraître attristé.
Et, s’asseyant dans l’ombre avec tranquillité :
« Qu’Il soit clément au ciel ! je fus juste sur terre. »