Contes, anecdotes et récits canadiens dans le langage du terroir/L’Appendicite

L’APPENDICITE



ANGÉLIQUE Vadeboncœur est une paroissienne comme on n’en rencontre pas souvent dans la vie. Elle vit le jour, je crois, dans une bourgade située en arrière de Joliette. Ne sachant ni lire, ni écrire, notre chère Angélique était pourtant fort ambitieuse, ce qui était tout à fait légitime de sa part. Ne voyant aucun espoir d’avenir dans son trou natal, elle prit la route des États Unis ; elle entra dans un hôpital, monta en grade, devint garde-malade, et ne tarda pas à acquérir l’art de « magner » les cas les plus graves. Toutes ses tendresses et sa sollicitude étaient dévouées à ses patients et elle leur donnait des soins vraiment maternels.

Tout ce dévouement méritait une récompense adéquate, si j’ai foi dans la loi des compensations, et elle l’obtint au moment où elle s’y attendait le moins, ayant fait son service par pur amour de son prochain. Un jour, elle rencontra dans son hôpital un malade qu’elle soigna plus que de raison : elle lui prodigua tous les soins que son état nécessitait ; il revint à la santé, il lui proposa le mariage. Elle accepta, et le couple vint résider à Montréal.

Comme je vous l’ai dit plus haut, Angélique avait beaucoup de qualités solides, mais elle avait aussi un défaut rédhibitoire dont elle ne s’est jamais guérie : elle se fourrait le nez dans toutes les affaires qui ne la regardaient pas. On m’objectera peut-être que ce défaut est à peu près général, mais je répondrai qu’il semble plus caractérisé chez nous que partout ailleurs. Elle voulait à tout prix savoir ce qui bouillait dans la marmite de son voisin, et pour mieux arriver à ce résultat, elle avait deux paires de lunettes, l’une plantée sur le dessus de la tête pour voir ce qui se passait chez les gens qui habitaient au-dessus de son logis, et l’autre juchée sur son nez pour se rendre bien compte des agissements des voisins d’en face. Elle connaissait mieux les affaires de tout ce monde-là que les intéressés.

Un jour, un jeune homme du voisinage ayant subi l’opération de l’appendicite, elle expliquait à ma femme la nature de cette maladie.

— J’vas vous dire, Madame, exactement c’que c’est qu’cette infirmité qu’est ben connue de tout l’monde. Les docteurs ne veulent pas l’dire aux pauvres gens, parc’que ça leurs empêcherait d’faire de l’argent. Aussi, quoi-ce qui z’ont pas faite ? Y ont inventé un nom qui fait peur au monde, et ils vous coupaillent un homme, l’temps de l’dire. Et pourtant, c’est ben simple, allez. Ça prend dans les alentours du nombril pour faire le tour du corps et arriver jusqu’au pommon des reins ; de d’là ça r’monte jusqu’à la virgule drette ; ça travarse ensuite la moelle sapignière jusqu’à la virgule gauche pour descendre au pommon qui s’trouve proche d’la rate ; ça r’part encore pour arriver plus haut, ce qui produit une soulévation du cœur, et rendu là, faut qu’la personne renvoille.

— Et comment appelez-vous cette maladie dans votre pays, dit ma femme imperturbable, une pince-sans-rire, je ne vous dis que cela ?

— J’vas vous dire, Madame, par cheux nous on parle pas dans les tarmes, vous savez ; on est pas ben, ben instruit. Icitte, en ville, comme je vous l’ai déjà dit, les docteurs ont inventé un nom qui fait peur pour faire d’l’argent à bon marché. Y’appellent ça l’appendicité, tandis que l’vrai nom ben connu par tout l’monde, c’est l’dévlourtement des tripes.


Un pauvre ouvrier se fait tuer à son travail vers sept heures et demie du matin. Il s’agissait d’avertir sa femme avec tous les ménagements possibles. On chargea de ce soin l’un de ses camarades qui se fit fort d’annoncer l’accident à la veuve avec toute la délicatesse voulue. Il se rendit incontinent chez elle et la trouva en frais de laver sa vaisselle.

— Ma chère dame, dit-il, j’ai une triste nouvelle à vous annoncer. Votre mari qui travaillait avec nous, est tombé du troisième étage d’une maison en construction. Il s’est fracassé le crâne, il est mort raide. Les camarades vous l’apportent, et ils seront ici dans cinq minutes.

— Vrai ? Eh ben ! attendez ; j’vas finir de laver ma vaisselle et vous allez voir une femme qui braille.