Confidences (Lefèvre-Deumier)/Préface

Aucune des pièces, qui composent ce Recueil, n’était destinée à la publicité que je leur donne, si c’en est une que de les imprimer. Ecrites presque toutes au courant de la plume dans des accès de joie ou de tristesse, j’en avais obtenu tout ce que je leur demandais, un souvenir de plus, une larme de moins, quelquefois de l’oubli. Un ami, moins sévère que moi, a cru découvrir dans ces essais un caractère de vérité qui pouvait balancer leurs défauts. Il s’est persuadé que j’avais souvent réussi à fixer par la parole quelques-unes de ces émotions soudaines, qui traversent le cœur dans une passion qui les comprend toutes. De là le conseil de réunir ces feuilles éparses, et de leur donner l’air d’un livre. J’ai long-temps combattu cet avis, et j’ai fini par le suivre. Ce serait un véritable sacrifice d’amour-propre, si j’attachais quelque importance sérieuse à ces œuvres. Peu de vers ont du prix, quand on peut les acheter. Mais je n’ai vu dans cette publication qu’un moyen de plus de léguer mon souvenir à ceux qui m’aiment ; car ces vers sont ma vie, et je ne mourrai vraiment pas, tant qu’ils les liront.

N’ayant pas la présomption de compter sur un grand nombre de lecteurs, j’ai dû laisser à cet ouvrage le nom que je lui avais donné dans l’intimité, et pour le distinguer à mes yeux de tous ces riens qu’on fait toujours, quand on n’a jamais rien à faire. Le titre seul indique qu’il s’adresse à peu de monde, et je ne l’adresse en effet qu’à ces âmes chagrines, esseulées et rêveuses, qui souffrent sans vouloir se donner la peine d’écrire ce qu’elles seraient bien aises d’écouter. Que ce livre leur serve de mémento ! qu’on dise en le lisant :

Holy bc the ! ay Which mourning soothes the mourner on his way.

« Bénis soient les chants dont l’affliction console l’affligé sur sa route. » Je n’ai pas d’autre ambition. Il serait trop ridicule de prétendre envahir la curiosité avec des songes d’amour, et des vers d’intimité qui ont besoin, pour avoir quelque prix, d’être lus où ils furent écrits, dans la solitude. on se fait tomber. Cela peut être du luxe de douleur, mais ce n’est pas de la fatuité.

Quel que soit mon désintéressement, comme je suis loin d’avoir autant d’amis qu’il y aura d’exemplaires de ce volume, si peu élevé qu’en soit le chiffre, j’ai revu ces Confidences avec autant de soin que me l’a permis une santé affaiblie, et l’ennui continuel d’exhumer le passé pour le juger. Je ne demande pas grâce pour quelques expressions démonnoyées que j’ai tenté de remettre en circulation, ou de tirer, comme dit un vieux poète, du froid tombeau d oubliance ; je suis tout prêt à convenir, non pas qu’elles sont mauvaises, mais que je les ai mal placées. Je réclamerai plutôt l’indulgence pour quelques allusions, trop fréquentes au malheur du génie, à la malveillance de la gloire. Ce n’est nullement par vanité que j’ai prononcé mes anathèmes ; c’est simplement qu’il y a des heures où, écrasé par le chagrin, on veut ou se relever en s’atlribuant des qualités que l’on n’a pas, ou s’apitoyer soi-même sur sa chute, en exagérant la hauteur dont on se fait tomber. Cela peut etre du luxe de douleur, mais ce n'est pas de la fatuit.

Quelques personnes pourront s’étonner qu’il n’y ait aucune gradation de sentiment entre deux pièces qui se touchent, aucune transition même imperceptible d’un excès de tendresse à un excès d’amertume. Cette imperfection tient uniquement aux nombreuses suppressions que j’ai été obligé de faire, pour épargner au lecteur l’égoïsme de mes détails ; les demiteintes sont restées dans mon portefeuille.

Je ne pense pas qu’on m’accuse d’avoir abusé des épigraphes. Cela se pourrait pourtant, car on les a déjà blâmées sur parole. La seule excuse que je puisse alléguer, c’est que le soin de les choisir est le seul plaisir qui m’ait dédommagé de l’ennui de les imprimer. C’est à la tête de chaque pièce une sorte de préface anthologique, qui vaut mieux que ce qu’elle annonce. Si je me suis cherché des échos dans plusieurs langues, pour me donner la singulière consolation de voir que l’on souffrait partout, il me semble qu’il y aurait de la dureté à m’en faire un reproche. N’y a-t-il pas d’ailleurs quelque modestie à mettre tant de pierres précieuses en regard de sa pauvreté ?

J’ajouterai, pour prévenir l’obscurité dont on pourrait taxer quelques vers du troisième livre (supplique, Invocation, Cosmodicée), qu’à l’époque où je les écrivais, je m’étais condamné à reprendre un long poème, qui devait s’appeler L’univers, que personne sans doute ne m’obligeait de commencer, mais qu’on m’a souvent forcé d’interrompre. Ce peu de mots suffit, je crois, pour expliquer ce qu’on pourrait trouver de nébuleux dans les trois morceaux que j’ai cités. Ces compositions étaient comme le prélude d’un travail plus sérieux, une sorte d’élan, d’encouragement, que je me donnais pour y atteindre ; mais, Dieu merci sans doute, je ne me suis pas encouragé.

Mon intention était de joindre à ces préliminaires quelques réflexions, justes peut-être, au moins spécieuses, sur le langage particulier de la passion, sur le caprice de ses métaphores, ses ruses, ses hardiesses, ses raffinemens de subtilité, sur ce qu’on appelle dans Pétrarque de l’afféterie, de la recherche ou de la manière. La lecture assez habituelle de ce poète m’a fait croire qu’il n’y a souvent rien de plus naturel que ce qui semble bizarre. J’espérais le démontrer, mais ces mémoires élégiaques sont déjà si étendus, que je renonce à en excuser les défauts. Leur vice le plus impardonnable est sans doute la longueur, mais c’est presque un ouvrage posthume, et je n’ai pu l’abréger. Si le public trouve qu’on aurait dû l’enterrer avec ou avant l’auteur, je n’appellerai pas de son arrêt, en disant que le siècle n’est pas poétique. Il est plus poétique, à mes yeux, que bien d’autres qui ont la réputation de l’avoir été. Le tort est à qui ne plaît pas : le public a toujours raison. Quant à moi, je l’absous d’avance et sans réserve d’une insouciance qui me paraît probable. Je me regarde depuis long-temps comme mort, et je ne ressusciterai certainement pas pour l’accuser.

Louvecienne, octobre 1832.