Letouzey et Ané (p. 7--).

I

MON ENFANCE



ma famille. — le petit pensionnat du sacré-cœur. — mongré. — une bonne première communion.


Écrire sa propre histoire est certainement ce qu’on peut imaginer de plus fastidieux. Toutefois, lorsqu’une autobiographie, loin de servir à satisfaire la vanité de l’écrivain, a un but moral, le devoir rend la tâche moins lourde.

Tel est, je crois, mon cas.

Ayant combattu l’Église pendant dix-sept ans, avec un acharnement et une rage dont il est peu d’exemples, et tout à coup, par un revirement d’esprit aussi inattendu qu’extraordinaire, étant un jour sorti de cet abîme de haine, j’ai l’obligation de confesser au public mon passé.

Et cette obligation m’est douce ; car le récit de mes égarements, la narration de ces erreurs poussées à l’extrême et finalement ayant abouti à un loyal retour à la vérité, donnera, j’en suis convaincu, quelque confiance à ceux qui pleurent sur l’aveuglement d’un parent ou d’un ami.

J’étais, semblait-il, à jamais perdu dans l’inextricable labyrinthe du mal. Et pourtant, j’en ai été retiré par une main invisible qui s’est imposée à moi, qui m’a arraché malgré moi du gouffre. Puisque la miséricorde de Dieu est telle, c’est qu’elle est vraiment infinie, c’est que tous, nous, chrétiens, nous devons sans cesse mettre en elle notre espoir.

J’appartiens, — je dois le dire tout d’abord, — à une famille méridionale, chez laquelle la piété fut toujours en honneur.

Du côté de mon père, figurent, dans notre arbre généalogique, saint François de Régis, l’admirable apôtre du Languedoc, et le père Claude de La Colombière, le vénéré directeur de la bienheureuse Marguerite-Marie ; du côté de ma mère, Mgr Affre, l’archevêque martyr, qui, au moment où il remplissait, en juin 1848, une mission de paix et de fraternité au milieu des barricades du faubourg Saint-Antoine, à Paris, tomba mortellement frappé par la balle d’un assassin demeuré toujours inconnu.

Mon aïeul paternel, Charles Jogand, eut cinq enfants : Victor, mort au service de Dieu, aumônier de l’hospice de la Charité, à Marseille ; Marius, mon père ; Joséphine, ma marraine, aujourd’hui religieuse à Lyon ; Louis, décédé, laissant une veuve et trois enfants ; et Gabriel, qui périt tout jeune dans des circonstances tragiques, sur la côte occidentale africaine, victime des peuplades sauvages.

Ma mère, née Joséphine Pagès, n’a qu’une sœur du nom de Rose, laquelle, aujourd’hui veuve, a deux enfants.

Les Pagès sont du Languedoc, et les Jogand, de la Provence.

Chez les premiers, on trouve quelques républicains, de la nuance modérée. Tels furent mon aïeul maternel, Léonidas Pagès, et son frère Junius, qui était conseiller municipal à Marseille, quand éclata le 4 septembre. Leur libéralisme, comme celui de leurs parents les Affre, ne les empêchait pas d’être profondément attachés à la foi chrétienne.

Mon père, lui, est catholique avant tout, soumettant absolument la politique, dont il ne se soucie guère, à la religion, qui, à ses yeux, est l’essentiel.

C’est à Marseille que je suis né, le 21 mars 1854.

Mes parents me donnèrent pour prénom principal celui de Gabriel, en souvenir du jeune oncle massacré par les sauvages du Dahomey.

Suivant un usage assez répandu dans le midi, je réunis le nom maternel au nom paternel. C’est pour cela que, devant l’état civil, je m’appelle Gabriel Jogand-Pagès.

Je suis le second enfant de la famille. L’aîné, Maurice, est plus âgé que moi de quatre ans ; sa profession d’homme de lettres nous a souvent fait prendre l’un pour l’autre. Cependant, aucune erreur ne devrait être possible, attendu que, pour des raisons que j’exposerai plus loin, j’ai adopté le pseudonyme littéraire de Léo Taxil et n’ai jamais signé aucun écrit de mon nom de famille ; d’autre part, en matière religieuse, nous sommes loin d’avoir, mon frère et moi, la même manière de voir.

J’avais aussi une sœur, Marguerite ; elle est morte tout récemment.

À quatre ans et demi, je fus placé, à titre d’externe, à une institution marseillaise, le pensionnat du Sacré-Cœur, rue Barthélémy.

Je me rappelle encore cette école comme si j’y étais.

Je portais alors la petite robe raccourcie des bébés. Nous étions une vingtaine de bambins, à qui la sœur Marie-Antoinette apprenait à lire ; nous lui donnions une fière besogne. Mais la bonne sœur avait une patience inimaginable, et elle était bonne, bonne ; elle nous aimait, comme si nous eussions été ses enfants.

Plus tard, je n’ai pas été le dernier des journalistes libres-penseurs à célébrer, avec toute l’indignation du parti pris, la férocité des sœurs qui font la classe aux fillettes ou aux petits garçons. La moindre chiquenaude, rapportée par une chronique, nous servait de prétexte à des déclamations dithyrambiques ; une oreille peu ou prou tirée, quel beau motif pour crier au rétablissement de la torture ! Mais je me gardais bien de parler de mes souvenirs personnels ; j’aurais été obligé d’avouer que la bonne sœur Marie-Antoinette, la sœur Bonbon, comme nous l’appelions, parce qu’elle avait toujours ses poches pleines de dragées, était pour nous une vraie maman.

Je demeurai au Sacré-Cœur jusqu’à l’âge de neuf ans.

Les professeurs que j’eus me donnèrent une bonne instruction primaire. C’étaient : M. Ripert, un brave vieux papa qui nous faisait chanter tous en choeur : Maître Corbeau sur un arbre perché ; M. Filliol, que nous considérions comme le roi de la calligraphie ; et M. Roubaud, un vénérable petit rentier, devenu professeur afin de suppléer à l’insuffisance de son modeste revenu, lequel, en classe, pour priser sans être vu des élèves, disparaissait tout à coup dans sa chaire et en surgissait ensuite en criant : « Jogand, déclinez : rosa, la rose ».

Par exemple, le surveillant général était terrible. Il s’appelait l’abbé Plane et possédait, le malheureux, une physionomie des plus ingrates : il était tellement grêlé qu’il n’arrivait jamais à bien se raser à point ; imaginez-vous un fromage de gruyère dans les trous duquel auraient poussé des poils. Nous en avions une peur atroce. Dès que M. Plane paraissait à la porte d’une étude, personne n’osait plus souffler ; chacun retenait sa respiration, tant on craignait de lui sembler « dissipé », tant on redoutait d’attraper « un verbe à copier » ; car, c’est une justice à lui rendre, il n’était pas avare de pensums. Avec lui, il fallait être sage. Bref, c’était un Croquemitaine des mieux réussis ; mais, à présent que la période des terreurs enfantines est passée, je m’imagine volontiers qu’il n’était pas plus méchant qu’un autre et que le directeur l’avait sans doute choisi, à cause de sa tête impossible, pour les fonctions rigides de surveillant général.

Le directeur, l’abbé Ytier, était l’antithèse de M. Plane. Autant celui-ci nous épouvantait, autant on se sentait attiré vers l’excellent M. Ytier, toujours indulgent pour nous, toujours disposé à nous rendre l’école agréable. Il s’était réservé particulièrement l’enseignement religieux ; aussi, est-ce à lui que je dois la connaissance première des vérités chrétiennes.

En octobre 1863, mes parents m’envoyèrent au collège de Notre-Dame de Mongré, à Villefranche-sur-Saône, près de Lyon.

Mongré est un collège libre, appartenant à la Compagnie de Jésus.

La maison, admirablement construite, est située dans une vaste campagne. Le collège peut avoir jusqu’à six cents élèves. On y est très bien sous tous les rapports. Au point de vue matériel, Mongré est supérieur à n’importe quel lycée et même à beaucoup de collèges catholiques ; j’en parle par expérience : l’établissement est tenu avec un confortable dont il est difficile de se faire une idée. Quant au niveau des études, il est des plus élevés.

Si ma conscience me reproche bien des appréciations d’une malveillance voulue, si j’ai à mon passif bien des critiques formulées de mauvaise foi dans ma lutte insensée contre l’Église, j’ai du moins la consolation d’avoir toujours rendu justice à mes maîtres de Mongré. L’impression que j’ai gardée de ce collège demeura constamment en moi si bonne, mes excellents souvenirs en furent si ineffaçables que, même au plus fort de mes attaques contre les jésuites en général, je ne pouvais m’empêcher de faire une exception pour les pères de Mongré ; c’était plus fort que moi.

Et pourtant je n’ai passé que deux années dans cette maison.

Les jésuites ont adopté une méthode d’enseignement, qui est, je crois, la meilleure, mais qui demande des professeurs bien difficiles à trouver. Chez eux, l’enfant ne change pas de professeur chaque année, comme cela se pratique dans les autres collèges : un Père a charge de ses élèves depuis la classe la plus élémentaire jusqu’aux classes supérieures ; ainsi, l’enfant, conservant toujours le même maître, travaille plus volontiers, et, d’autre part, le professeur, connaissant à fond les aptitudes spéciales de son élève, le guide mieux au travers des difficultés de l’instruction.

Pour cela, il est nécessaire que chaque Père chargé de l’enseignement, soit d’une capacité hors ligne et sache en même temps se plier à toutes les exigences de sa situation. Allez donc demander à un professeur de rhétorique de l’Université de s’abaisser à faire, pendant une année, la classe élémentaire de français !

Aussi, les élèves affluent chez les jésuites.

Durant les deux années que je passai à Mongré, le collège fut au grand complet. Il y avait là des pensionnaires venus des quatre coins du monde : autant que je me souviens, l’Italie et le Portugal étaient les nations étrangères les mieux représentées, numériquement ; mais, parmi mes camarades, se trouvaient même des enfants de Batavia, de Sydney et de la Nouvelle-Orléans.

À cette époque, le supérieur, ou Père Recteur, était le Père de Bouchaud.

J’entrai en sixième ; il s’agissait de me perfectionner dans le latin, dont je n’avais appris, au Sacré-Cœur, que les rudiments.

Le professeur de sixième se nommait le Père Richard. Il était très aimé de ses élèves. Incapable de la moindre brutalité, il ne se faisait respecter des enfants qu’à force de mansuétude ; et ce n’était pas affectation de sa part, cela était dans son caractère. Il était la bonté même.

Dans les chaudes journées d’été, parfois, profitant du beau temps, il nous emmenait à la campagne, assez loin. On emportait du pain et du chocolat ; en route, il achetait des cerises à un paysan et nous les distribuait. On s’arrêtait sous bois, et là, à l’ombre, il nous faisait son cours de grammaire, de latin, de catéchisme ou d’histoire. Puis, on jouait et l’on goûtait sur l’herbe.

Ah ! je vous réponds que c’était à qui saurait le mieux ses leçons, avec un tel maître. Les sorties de cette espèce étaient exceptionnelles ; mais comme tout le monde s’appliquait à ses devoirs pour plaire au bon professeur et le remercier ainsi de ces promenades instructives !

Le collège entier aurait voulu être de la classe du Père Richard.

Je n’étais pas un mauvais élève. J’ai pu, gràce à la complaisance du Père Recteur actuel, retrouver les « palmarès » de 1864 et 1865, et j’ai constaté, avec joie, qu’aux distributions de prix je ne passai pas inaperçu.

En sixième (1864), j’eus le premier prix d’orthographe, et les seconds accessits de thème latin et de version latine.

En cinquième (1865), j’eus le premier prix de thème latin, le second prix d’histoire et géographie, les premiers accessits d’instruction religieuse, d’excellence, et de version latine, le second accessit d’orthographe, et une mention spéciale d’honneur aux examens publics.

Mais laissons là ces petits succès classiques, et abordons un sujet d’une bien autre importance ; parlons d’un évènement qui, certainement, a décidé de mon avenir.

J’avais onze ans, en cette année 1865, la seconde passée à Mongré. C’est à ce moment que je fis ma première communion.

Le collège avait alors à inaugurer sa nouvelle et grande chapelle. Pour que la cérémonie fût plus imposante, on avait réservé les enfants de la précédente année, et nous étions ainsi une soixantaine qui nous préparions à ce grand acte de la vie chrétienne.

Selon l’usage, on nous avait séparés des autres élèves. Nous suivions les classes, comme à l’ordinaire ; mais nous passions le temps des études et des récréations dans un petit château attenant au collège, nommé le château de la Barmandière ; nous y avions aussi notre réfectoire et notre dortoir.

Le directeur de la retraite des communiants était le Père Samuel, religieux d’un très grand mérite et d’une piété très ardente, en un mot, un de ces hommes qui ne sont pas de ce siècle.

J’ai le devoir de rendre à ce saint prêtre un hommage tout particulier. C’est à lui que je dois d’avoir été on ne peut mieux préparé.

J’étais dans des dispositions excellentes. J’attendais, en proie à un ravissement de toutes les heures, le beau jour où il allait m’être permis de recevoir mon Créateur et mon Dieu.

Ma pensée tout entière se concentrait dans ce désir, dans cette faim céleste. Mon travail classique même me servait à exciter en mon âme enfantine les sentiments de la foi la plus vive.

Un jour, le professeur nous donna, comme sujet de composition, l’épisode d’un combat naval livré par Annibal à Eumènes.

Annibal, pour gagner la victoire, porte son unique effort à combattre le vaisseau sur lequel se trouve le chef de la flotte ennemie. Il va droit à ce navire, sans se préoccuper des autres, qui font pleuvoir sur lui leurs plus terribles projectiles ; il aborde le vaisseau d’Eumènes, et les matelots carthaginois, sur son ordre, y jettent de nombreux pots de terre. Les ennemis se moquent. Quoi ! un navire vient seul contre leur flotte, et c’est à leur lancer des pots de terre que se borne toute son attaque ? Mais soudain, les ricanements cessent. Les vases, en se brisant, ont laissé échapper des reptiles dangereux, qui, se répandant sur le vaisseau, enlacent les marins, les paralysent et les tuent ; Eumènes, chef de la flotte, est mis hors de défense, et Annibal triomphe.

Je traitai ma composition comme tous mes autres camarades ; mais ce sujet, bien qu’absolument étranger à la religion, m’avait inspiré des réflexions pieuses.

Après l’étude, j’envoyai à mon confesseur, le Père Futy, un billet, le priant avec instance de venir au château et lui annonçant que j’avais une confidence très importante à lui faire.

Le Père Futy, arrive, très intrigué.

— Qu’y a-t-il, mon enfant ?

— Mon Père, je n’ai rien de caché pour vous ; vous connaissez toute mon âme, avec ses défauts et ses travers ; dites-moi, je vous en prie, quel est mon vice dominant.

— Pourquoi me demandez-vous cela ?

— Voici.

Je raconte alors à mon confesseur la victoire d’Annibal sur Eumènes, et rajoute :

— Eumènes, le chef de la flotte ennemie, c’est mon vice dominant ; les autres adversaires, ce sont mes travers, mes imperfections, mes défauts. Eh bien, je suis Annibal, et je veux remporter une victoire complète. Comme le général carthaginois, je dois user de tactique. Faites-moi connaître Eumènes ; j’irai droit à lui, sans me préoccuper de mes autres ennemis. J’ordonnerai, aux quelques matelots qui seront avec moi, de jeter sur les adversaires des vases remplis de petits serpents : mes matelots, ce sont mes rares vertus ; les petits serpents, ce sont mes prières. Elles enlaceront mes défauts et les réduiront à l’impuissance, pendant que, seul à seul, déployant toutes mes forces contre mon vice dominant, je le terrasserai dans un combat suprême. Eumènes tué, je ferai jeter à la mer ses soldats désarmés et paralysés, et, avec les dépouilles des ennemis et le prix de leurs vaisseaux, j’élèverai un temple au Dieu vivant. Mes matelots me resteront attachés ; d’autres soldats viendront se joindre à eux, attirés par le prestige de ma victoire, et alors, glorieux et triomphant, je pourrai recevoir le Roi des rois dans un cœur digne de lui.

Telles étaient mes dispositions aux approches du grand jour.

Les larmes me viennent en relisant les lettres que j’écrivais à cette époque ; lettres que mes divers parents, les ayant précieusement gardées, ont bien voulu remettre sous mes yeux.

L’année dernière, quelque temps après ma conversion, c’est-à-dire en novembre 1885, j’allai à Lyon rendre visite à ma chère marraine. Je profitai de ce voyage pour passer à Mongré ; deux ou trois jours seulement avant, j’avais prié le Père Recteur d’avoir la bonté de me recevoir. J’arrivai donc un peu à l’improviste.

J’étais si heureux de revoir ce collège bien-aimé où s’étaient écoulés les meilleurs jours de mon enfance !

La première personne que je rencontrai fut le Père Samuel, ce même religieux qui m’avait préparé à la première communion. Il était, lui aussi, de passage à Villefranche ; il profitait d’un voyage pour s’arrêter quelques minutes à Mongré.

Avec quelle joie je sautai, comme un enfant, au cou du saint prêtre ! Pensez donc, comme Dieu était bon de me faire retrouver, au bout de vingt ans, le vénéré directeur de ma retraite de premier communiant !

Je demandai des nouvelles de tous les pères que j’avais connus ; les uns étaient morts, les autres dispersés dans des pays lointains.

Le collège n’avait plus sa physionomie si gaie d’autrefois. L’expulsion gouvernementale fut dirigée, on le sait, surtout contre les jésuites. Mongré n’avait pu conserver que quatre ou cinq Pères, pour la garde de l’immeuble et la direction des études ; les professeurs sont maintenant des ecclésiastiques et des laïques habitant au dehors.

Et j’ai été un de ceux qui ont réclamé l’expulsion des ordres religieux, au nom de la liberté !… Quels remords pour tout le reste de ma vie !…

Ah ! j’ai bien prié, ce jour-là, dans la chapelle du collège, et, de tout mon cœur, j’ai remercié Dieu de m’avoir pardonné mes égarements et mes crimes.

Cette visite à Mongré a été pour moi une immense consolation.

Je n’oublierai jamais ceci :

Le Père Recteur, après avoir été mon guide à travers les corridors et les classes, me conduisit à une galerie où sont accrochés tous les anciens tableaux d’honneur, depuis la fondation de l’établissement. Là, bien que je me fusse rendu indigne de mes maîtres, mon nom figurait toujours aux tableaux des années 1864 et 1865 ; on ne l’avait jamais effacé.

Et comme, attendri, je manifestai mon étonnement :

— À Mongré, me dit le Père Recteur, nous n’avons jamais douté de votre retour à Dieu.

Le Père Samuel ajouta :

— Vous avez fait une si bonne première communion !

Je lui rappelai certains faits de cette époque ; à son tour, il m’en remémora d’autres, insistant sur ce point que ma piété avait été réellement exemplaire.

— Un matin, au château, pendant la retraite, me raconta-t-il, j’entrai dans la chapelle pour prier avant de dire ma messe. L’aurore n’avait pas encore paru. Grande fut ma surprise en apercevant un enfant étendu par terre, sur les marches de l’autel : il avait, la nuit, quitté le dortoir, avait pris le grand crucifix de la chapelle, et là, il avait veillé ; il tenait encore entre ses bras l’image du Sauveur sur la croix, il l’embrassait et l’inondait de ses larmes. Ce spectacle me toucha profondément ; je racontai à tous nos Pères cette édifiante aventure… Cet enfant, c’était vous ; cette veillée si ardemment pieuse avait eu lieu quelques jours avant votre première communion.

Je remerciai le Père Samuel d’avoir ravivé mes souvenirs. En effet, j’en ai gardé la mémoire, ma première communion édifia tout le monde. Je fus même, pour une démarche auprès d’un des évêques venus à Mongré à cette occasion, choisi unanimement par mes camarades comme le porte-parole des jeunes communiants.

La solennité eut lieu le jeudi de l’Ascension.

Le pain céleste nous fut donné par S. E. Mgr de Bonald, cardinal-archevêque de Lyon, assisté de Mgr Mermillod, évêque de Genève, et de Mgr de Marguerye, évêque d’Autun.

On me pardonnera si je suis entré dans tant de détails. J’avais à cœur d’établir l’influence d’une bonne première communion sur l’avenir du chrétien. En ce qui me concerne, le fait est particulièrement caractéristique et indiscutable.

Catholiques, mettez tous vos soins à ce que vos enfants accomplissent avec le plus grand zèle cet acte décisif de la vie religieuse, et soyez bien certains alors que la grâce de Dieu, même s’ils y deviennent rebelles, ne les abandonnera jamais.