Conférences inédites de l'Académie royale de peinture et de sculpture/L’année 1672

TROISIÈME PARTIE

L’ANNÉE 1672




L’année 1672 s’ouvre à l’Académie par un événement important : le 9 janvier, Jean-Baptiste de Champaigne répond au discours de Blanchard sur le mérite de la couleur, et Charles Le Brun lit son Sentiment sur le même discours de Blanchard. Nous avons donné ces deux intéressants documents dans la première partie de l’ouvrage ; nous n’avons donc pas à y revenir.

Cependant il est curieux de constater que les procès-verbaux mentionnent, sans autre indication, « l’exercice de la conférence » à la date du 2 janvier, et gardent le silence le plus complet sur les discours du 9 janvier. Ces discours auraient dû, semble-t-il, remplir toute la séance, et nous voyons au contraire qu’on y traita de nombreuses affaires. Faut-il croire que la date des manuscrits est inexacte et qu’il convient de reporter au 2 janvier la date de la conférence sur le mérite de la couleur ? Il resterait alors à expliquer comment il se fait que Testelin nous ait à peine signalé cette importante conférence.

Au mois de février, nous ne trouvons, ni dans les manuscrits des Archives de l’École des Beaux-Arts, ni dans les procès-verbaux, aucune trace de conférence. Si nous rapprochons ce fait de l’assertion de Guillet de Saint-Georges qu’à la suite du fameux débat et de la guérison de M. Le Brun, « il y eut de l’une à l’autre (conférence) des intervalles extraordinaires », nous serons tentés de penser que l’exercice accoutumé n’eut pas lieu ce mois-là. D’ailleurs les procès-verbaux nous apprennent que de février à mai, l’Académie n’a qu’une préoccupation : faire à feu M. le Chancelier un service funèbre digne de lui et digne d’elle. On se réunit fréquemment pour discuter sur les dispositions à prendre en vue de la cérémonie, et certainement les conférences doivent en souffrir.

Cependant les procès-verbaux indiquent qu’il y eut une conférence le 5 mars ; mais nous n’en connaissons ni le sujet, ni l’auteur, et l’intérêt de ce renseignement consiste en ce que nous savons ainsi que le règlement fut respecté au moment même où l’Académie est toute préoccupée d’importants travaux décoratifs[1].

Les procès-verbaux sont muets sur les conférences en avril et en mai ; les archives n’en contiennent pas non plus à cette date ; mais aussitôt après le service funèbre du chancelier qui avait exigé beaucoup de préparatifs et beaucoup de dépenses, comme on le voit par le règlement de comptes, on reprend l’exercice ordinaire, et, le 28 mai, « M. Champaigne a dit qu’il se proposait au premier jour à ouvrir la conférence sur le sujet de l’éducation de la jeunesse suivant leur génie naturel » ; en effet, le 11 juin, Philippe de Champaigne prononçait son discours « contre les copistes des manières » qui traite la matière annoncée. Nous ne reproduirons pas ce document qu’on a lu dans la seconde partie du livre.

À partir du mois de juin, l’Académie s’adonne avec le plus grand zèle au travail des conférences. Il est vrai de dire que l’éloge en revient surtout à Michel Anguier qui, pendant quatre mois, compose seul les discours d’ouverture. Ce fut d’ailleurs, avec les deux Champaigne et Sébastien Bourdon, un des artistes les plus disposés à prendre la parole dans l’Académie ; il nous a laissé de nombreux discours. Celui qu’il prononça, le 2 juillet, « sur le corps humain représenté comme une forte citadelle » est bien étrange et bien maniéré ; mais les autres sont d’un artiste soucieux d’être utile à ceux aux- quels il parle. Nous les donnons tous les quatre, quoique celui du 3 septembre soit indiqué par le manuscrit comme étant de 1670. Mais il faut remarquer que le 0 est mal fait dans le texte original, que le 3 septembre 1672 fut un samedi (jour de séance), et enfin que le 17 août, Anguier avait « proposé pour sujet de conférence de parler sur une méthode de faire une anatomie grande comme nature ». Or le titre de la conférence faussement attribuée à l’année 1670 est le suivant : « Sur une méthode particulière qu’il faut tenir pour faire une figure anatomique de sculpture, et comme il convient s’en servir pour la facilité du dessin. » D’ailleurs, au cours de ce discours, l’auteur renvoie a celui qu’il avait fait (le mois précédent, et par conséquent postérieurement à 1670) « sur les mouvements et repos des muscles ». Il est donc bien certain que nous possédons les quatre discours prononcés par Anguier en 1672, et le lecteur pourra juger, en les étudiant, si la critique des sculpteurs l’emporta, à l’Académie Royale, sur celle des peintres. On se convaincra aisément, je crois, que l’artiste (sauf le 2 juillet) parla plutôt en professeur qu’en critique d’art.

Le 10 octobre, l’Académie décide que Friquet, candidat à la place de professeur d’anatomie, « fera, au premier jour de conférence, quelque démonstration sur l’anatomie », et ainsi, le 5 novembre, Friquet, après avoir prononcé un discours dont la Compagnie fut « très satisfaite », obtint le poste qu’il sollicitait. Mais nous ne connaissons pas cette sorte de « morceau de réception » oratoire : sans doute, les Archives de l’École des Beaux-Arts possèdent bien de Friquet « un recueil sommaire des leçons anatomiques données aux élèves de l’Académie sous le rectorat de M. Le Brun, de l’année 1673 », lequel rectorat cessa en avril ; mais il ne semble pas que ce recueil soit identique au discours du 5 novembre ; et en tous cas, ce n’est pas autre chose qu’un cours d’anatomie très sec et très court, avec accompagnement de figures, dont le ton n’a rien de commun avec celui des conférences ordinaires. Aussi ne lui avons-nous pas donné place dans ce recueil.

Mais nous considérons comme une véritable perte la disparition du discours qui fut sans doute prononcé le premier samedi de décembre ; car les procès-verbaux nous disent que, le 26 novembre, « M. Blanchard s’est chargé de faire l’ouverture de la conférence sur le sujet de la disposition des couleurs et de leurs propriétés. » L’année s’était ouverte avec une discussion sur le coloris ; elle se termina sur la même question ; et ceci prouve, en passant, que Guillet de Saint-Georges a eu bien tort d’attribuer l’interruption des conférences à l’émoi soulevé par le débat de 1671 ; moins d’un an plus tard, l’Académie laisse Blanchard, à qui elle témoigna très souvent son estime, revenir sur le sujet passionnant et faire sans doute l’éloge de la couleur. Il faut vraiment regretter que ce discours ne nous soit pas parvenu.

On voit donc que l’année 1672 fut bien employée, à l’Académie, pour les amateurs de conférences, que si, au début, les artistes négligèrent un peu cet exercice pour des travaux de leur profession, ils y revinrent dès que ces travaux furent terminés et s’y adonnèrent régulièrement jusqu’à la fin. Mais nous ne pouvons cependant apporter ici que quatre discours de Michel Anguier. Au moins offriront-ils un échantillon nouveau des conférences de l’Académie, puisqu’ils traitent de la sculpture et surtout de la technique du métier.

  1. Voici les artistes qui prirent part à ces travaux pour la pompe funèbre de Séguier : Nocret, Loyr, Champaigne le neveu, Boulogne, de Sève le jeune, Montaigne, Blanchard, de Namur, Corneille, Vignon, Wleugel, Yvart, Paillet, Friquet, peintres, et An- guier, Girardon, les de Marsy, Regnaudin, Desgardins, Le Hongre, Massou, Ouzeau, Mazeline, Rabon, sculpteurs. Tous travaillèrent gratis ; dans ces conditions, on aurait eu mauvaise grâce à se montrer trop exigeant sur l’article des conférences.