Comptes rendus de l’Académie des sciences/Tome 1, 1835/28 septembre


SÉANCE DU LUNDI 28 SEPTEMBRE 1835.
PRÉSIDENCE DE M. Ch. DUPIN, VICE-PRÉSIDENT.



CORRESPONDANCE.

M. le Ministre de l’intérieur rappelle qu’il a communiqué à l’Académie un projet de construction, relatif à l’amélioration de la Maison centrale de détention de Limoges. Il demande que la commission chargée de faire un rapport à ce sujet, veuille bien hâter son travail.

M. Leymerie écrit que la disparition de certains oiseaux dans les lieux où règne le choléra, signalée à l’Académie, lundi dernier, par M. Larrey, avait déjà été remarquée à Barcelone, et que l’observation se trouve consignée dans un de ses ouvrages.

M. Scheibler réclame les rapports qu’on lui avait fait espérer sur divers mémoires d’acoustique qu’il a soumis au jugement de l’Académie.

Magnétisme terrestre. — Variations diurnes de l’aiguille aimantée.

M. Gay écrit, du Chili, à M. Arago, qu’il a déjà fait un assez grand nombre d’observations de variations diurnes de l’aiguille aimantée, avec une boussole de M. Gambey à suspension de soie détordue. Lorsqu’on déduit des résultats annoncés par ce voyageur, la manière dont marche, dans les vingt-quatre heures, la pointe de l’aiguille tournée vers le sud, on retrouve, ainsi qu’il était d’ailleurs naturel de s’y attendre, tous les mouvemens que la pointe nord présente dans notre hémisphère. De nombreux tremblemens de terre n’ont altéré le phénomène qu’en faisant osciller momentanément l’aiguille à la manière d’un pendule. M. Gay compte se rendre prochainement à Payta, entre l’équateur magnétique et l’équateur terrestre, et y séjourner assez long-temps pour résoudre définitivement cette question que M. Arago a soulevée : quel est celui de ces deux équateurs le long duquel il n’y a pas de variation diurne de l’aiguille aimantée ?

Physique terrestre.Puits artésien.

M. Héricart de Thury transmet à M. Arago quelques détails sur un nouveau puits artésien que M. Mulot vient de forer à Cangé, sur le Cher, dans une terre de M. Desbassins de Richemont.

Parvenu à 68 mètres (210 pieds) de profondeur, le puits fournissait déjà 600 litres d’eau jaillissante à la minute ;

À 121 mètres (375 pieds), le produit était de 1000 litres ;

À 126 mètres (390 pieds), on obtint 2500 litres ;

Quelques pieds plus bas, le puits vomit plus de 4000 litres d’eau et de sable vert à la minute. C’est plus de 6000 mètres cubes en 24 heures, ou plus de 300 pouces de fontainier.

Art des constructions. — Pont suspendu de Fribourg (Suisse).

Nous sommes heureux qu’un des articles de la correspondance de l’Académie, nous autorise à consigner ici quelques détails sur la construction vraiment remarquable du pont de Fribourg.

La ville de Fribourg est bâtie sur la rive gauche de la Sarine. Cette petite rivière a ses deux bords très escarpés ; leur hauteur au-dessus du lit est d’environ 200 pieds. Les voyageurs qui se rendaient de Berne à Fribourg, avaient donc à descendre une colline de 200 pieds de hauteur pour atteindre un petit pont en bois jeté sur la rivière, et à gravir, immédiatement après, une nouvelle pente de même hauteur pour arriver au centre de la ville. La traversée de Fribourg, en voiture, était alors de près d’une heure.

Ces difficultés, ces retards, semblaient la conséquence irrémédiable des localités, lorsque des esprits hardis imaginèrent qu’il serait possible d’exécuter un pont suspendu qui unirait les sommités des deux côteaux entre lesquels coule la Sarine. Le pont devait passer sur une grande partie de la ville. Ce projet semblait une véritable utopie ; néanmoins, les autorités et des citoyens zélés, pensèrent devoir le soumettre à l’attention des ingénieurs de tous les pays. Divers plans furent présentés. Le gouvernement cantonnal donna la préférence à celui de M. Challey, de Lyon. En définitive, c’est le plan de notre compatriote qui a été exécuté, sous sa direction immédiate.

Les portes, d’ordre dorique, par lesquelles on entre sur le pont, ont 20 mètres (60 pieds) de hauteur totale, avec une élévation de voûte de 13 mètres, sur une ouverture de 6. La largeur de la maçonnerie est de 14 ; son épaisseur de 6. Quoiqu’on n’ait employé dans ces constructions que des blocs très volumineux de roche calcaire dure du Jura, il a paru nécessaire de les unir fortement par des crampons métalliques. Plus de 25000 kilogrammes de fer ont servi à cet usage.

La largeur de la vallée de la Sarine, dans le point où le pont est construit ; ou, si l’on veut, la distance des faces intérieures des portes élevées sur les deux rives ; ou, enfin, car c’est encore la même chose en d’autres termes, la longueur totale du pont est de 265 mètres  (817 pieds ). Tout le monde concevra qu’on ait hésité à franchir une pareille distance d’un seul jet, et que la pensée de soutenir le pont par son milieu, se soit d’abord présentée à l’esprit de M. Challey. Néanmoins, la difficulté d’établir solidement une pile de près de 200 pieds de hauteur, au fond d’une vallée d’alluvion, fit bientôt renoncer à la division projetée. Le pont n’a donc qu’une seule travée : une travée de plus de 265 mètres !

Le plancher est suspendu, par des moyens connus aujourd’hui de tout le monde, à quatre câbles en fil de fer qui passent sur la partie supérieure des deux portes. Chacun de ces câbles se compose de 1200 fils d’environ 3 millimètres de diamètre et de 347 mètres  de longueur. Comme de telles masses auraient été très difficiles à manœuvrer et à tendre, on a placé séparément les élémens dont elles se composent. Leur réunion s’est opérée en l’air, par des ouvriers qui travaillaient suspendus, et, hâtons-nous de le dire, sans qu’il soit jamais arrivé le moindre accident. On a calculé que les quatre câbles réunis, pourraient porter bien près de 3000000 de kilogrammes (60000 quintaux anciens).

Les quatre câbles trouvent leurs points d’attache, sur l’une et l’autre rive, au fond de quatre puits creusés dans la colline. Dans chacun de ces puits, ils traversent une cheminée cylindrique verticale qui unit trois voûtes massives superposées, encastrées elles-mêmes avec un soin infini dans les rochers environnans ; c’est plus bas qu’ils s’amarrent enfin à des blocs de pierre très dure, de deux mètres cubes. Les câbles ne pourraient donc céder qu’en entraînant les poids de ces énormes bâtisses, fortifiées d’ailleurs de toute leur adhérence avec les rochers.

M. Challey commença à se mettre à l’œuvre au printemps de 1832. Il n’amena avec lui, de France, qu’un seul contre-maître habitué à le seconder. C’est donc avec des ouvriers du pays, inexpérimentés ou qui, du moins, n’avaient jamais vu aucun pont suspendu, qu’il se lança dans une entreprise aussi hasardeuse ; et toutefois, le 15 octobre 1834, quinze pièces d’artillerie, attelées de quarante-quatre chevaux et entourées de 300 personnes, traversaient déjà le pont et se portaient en masse, tantôt au milieu et tantôt aux extrémités, sans que l’examen le plus attentif indiquât aucune apparence de dérangement ; et quelques jours après, le passage d’une procession composée de toute la population de Fribourg et des environs, s’effectua avec le même succès, quoique, à chaque instant, le plancher portât plus de 1800 personnes dont un grand nombre marchaient au pas ; et depuis lors, les curieux et les commerçans de tous les pays, ont été joindre le témoignage de leur entière satisfaction à celui des cantons suisses. Ainsi, bien que l’épreuve définitive que le constructeur s’était imposée, celle de charger le plancher de 100 kilogrammes par mètre carré, ne doive avoir lieu qu’en octobre 1835, on peut dire que le pont colossal de Fribourg a été exécuté complétement en deux ans et demi. La dépense totale ne s’est élevée qu’à environ six cent mille francs !

Le seul pont qui, par ses dimensions, puisse être comparé à celui de M. Challey, est le pont dit de Menai ou de Bangor. Il joint l’île d’Anglesea à la côte d’Angleterre. Les plus grands bâtimens passent dessous à pleines voiles. Il a été construit par le célèbre ingénieur Telford. Eh bien ! la longueur totale du pont de Menai n’est que de 167  mètres (516 pieds) : c’est 98 mètres (301 pieds) de moins que le pont de Fribourg.

Le plancher du pont de M. Telford est à environ 32  mètres (100 pieds) du niveau de la haute mer. Celui du pont de M. Challey se trouve à 51 mètres (156 pieds) du niveau de la Sarine.

M. Decandolle, à qui nous avons emprunté les données d’après lesquelles cette notice a été rédigée, a pris, dans la ville de Paris, des termes de comparaison qui font concevoir mieux encore que tous ces nombres, le grandiose de la construction de M. Challey : qu’on se figure un pont d’une seule arche, dont la longueur serait égale à celle de la grille du Carrousel ou, si l’on veut, à la distance de deux guichets correspondans des deux galeries ; qu’on place le plancher à une élévation un peu inférieure à celle des tours de Notre-Dame, ou à 8 mètres plus haut que le sommet de la colonne de la place Vendôme, et l’on aura créé le pont de Fribourg.

MÉMOIRES PRÉSENTÉS.
Mémoire sur la formation des tables des carrés et des cubes et sur leur emploi dans la multiplication ; par M. Lescure.
(Commissaires, MM. Bouvard, Poinsot, Navier.)

M. Lescure forme la table des carrés des nombres 2, 3, 4, 5, 6, etc., par l’addition de 2, de 3, de 4, etc., termes de la suite des nombres impairs 1, 3, 5, 7, 9, etc. La table des cubes, il l’obtient en additionnant de la même manière la série des multiples de 6, savoir : 0, 6, 12, 18, 24, etc., et en augmentant chaque fois la somme d’une unité. En jetant seulement les yeux sur la formule

,
on concevra comment l’auteur peut réduire la multiplication de par , à l’addition et à la soustraction de ces quantités, et, nous ajouterons, à la division de leur somme et de leur différence par 2.
LECTURES.
Physiologie végétale. — Examen critique d’un passage du Mémoire de M. Hugo Mohl sur la structure et les formes du grain de Pollen ; par M. Mirbel.

En opposition à l’opinion de M. Hugo Mohl, M. Mirbel soutient que les deux ou trois enveloppes du grain de pollen sont des utricules[1], et que l’enveloppe extérieure, pas plus que les intérieures, ne doit être comparée aux enveloppes de l’ovule, ni pour le mode de sa formation, ni pour sa structure finale. Il soutient, en outre, que le végétal se compose tout entier d’une masse utriculaire, l’utricule étant le seul élément constitutif dont nous puissions reconnaître l’existence au moyen de l’observation directe ; et que, par conséquent, c’est sans preuve suffisante que M. Mohl avance que la membrane végétale est formée, non pas uniquement de rudimens d’utricules, mais en outre d’une matière gélatineuse qui unit ces rudimens les uns aux autres, et qui constitue presque toute la partie compacte de certains végétaux d’un ordre inférieur, tandis qu’elle se réduit presqu’à rien dans les plantes d’un ordre plus élevé. C’est l’examen de ces deux points qui fait le sujet du mémoire de M. Mirbel.

Selon lui, M. Hugo Mohl se trompe quand il croit pouvoir distinguer de l’utricule ordinaire l’enveloppe extérieure du grain de pollen, par la présence dans celle-ci de points saillans, petits mamelons quelquefois épars, mais d’autres fois si pressés les uns contre les autres, que le fond de la membrane disparaît totalement. « Ces mamelons, dit-il, sont visibles sur les parois des utricules ou des tubes d’un grand nombre de végétaux ; témoin les utricules allongées du bois du Gingko biloba, et les tubes latexifères de l’écorce du Nerium oleander ; et il s’en faut bien d’ailleurs que ces mamelons, dans lesquels M. Mohl voit des rudimens d’utricules, soient toujours présens sur l’enveloppe extérieure du grain de pollen.

» On répondra, peut-être, ajoute M. Mirbel, que s’il est vrai qu’il y ait des mamelons sur les utricules comme sur l’enveloppe extérieure du pollen, ce n’est pourtant que dans la substance de celle-ci que se manifeste quelquefois l’existence d’une formation utriculaire. » Cet argument est sans force aux yeux de l’auteur, qui assure que dans le Riccia glauca, et beaucoup d’autres espèces cryptogames, la plupart des utricules formant la masse de l’ovaire, réunies d’abord en tissu, se désagrègent ensuite, et passent de l’état simple à l’état composé ; c’est-à-dire que leur paroi membraneuse, mince et compacte, se change en une membrane épaisse, formée de petites utricules ajustées symétriquement côte à côte.

Mais que doit-on penser des grains ou mamelons des membranes ? « Je les crois, dit l’auteur, de même nature que les filets, les bandes, les anneaux qui souvent font partie des utricules et des tubes, ou les constituent en entier ; et cette façon de voir n’est pas incompatible avec l’idée que les mamelons sont, ainsi que M. Mohl l’assure, un commencement de formation utriculaire. M. Purkinje a écrit en 1830 que si ses yeux ne l’ont pas abusé, il a reconnu parfois l’existence d’un canal dans les filets qui composent la seconde couche utriculaire des valves d’un grand nombre d’anthères. Ce soupçon est justifié par le fait que voici. Observant il y a quelque temps les tubes annulaires du centre de la tige du Nerium oleander, dans chaque anneau situé horizontalement par rapport à mon œil, aux deux points latéraux diamétralement opposés où finissait la moitié antérieure d’un anneau et commençait la moitié postérieure, je vis l’apparence d’un orifice. Cependant, comme cette vision m’arrivait à travers la substance de l’anneau, je suspendis tout jugement. Mais à peu de jours de là, le hasard m’ayant livré une coupe qui passait tout juste par l’axe d’un tube annulaire, les deux bouts de chaque moitié postérieure m’offrirent cette fois, avec divers accidens, un orifice si bien éclairé et si nettement circonscrit par une paroi de notable épaisseur, que force fut que je reconnusse que les anneaux étaient creux. Ce nonobstant, je ne prétends pas que partout où se trouvent des anneaux, des bandes, des filets, des mamelons, il y ait de nécessité des cavités internes qui y correspondent. Ici sans doute, comme ailleurs, il n’est pas rare que pour des organes de même origine, la nature, dans telles espèces, arrête la forme définitive à un point qu’elle dépasse plus ou moins dans d’autres espèces. »

M. Mohl, comme on l’a vu précédemment, admet dans la structure végétale, deux substances différentes, savoir : des grains de nature celluleuse (ce sont les mamelons qui couvrent les membranes), et une matière gélatineuse qui enchasse les grains et leur donne une base membraneuse. Selon M. Mirbel, la meilleure réfutation de cette opinion, laquelle, si elle était fondée, renverserait sa théorie de la Monorgagénie végétale, est la preuve directe que la substance dont est formée la paroi utriculaire, suffit à tout et que la place manque pour l’emploi de la substance gélatineuse. Pour obtenir cette démonstration, il fit enfoncer en terre une bouture de racine de Maclura aurantiaca, jusqu’à 2 lignes au-dessous de la coupe supérieure, et elle fut recouverte d’une petite cloche de verre. Huit jours après, il vit suinter de la coupe supérieure entre l’écorce et le bois, une matière qui était évidemment du cambium. Dans les jours suivans, le cambium forma tout autour du bois un petit bourrelet blanchâtre, ferme, inégal, mamelonné, frangé. Examiné au microscope, ce bourrelet offrit des utricules incolores, diaphanes, remplies d’air, entassées les unes sur les autres et réunies en un tissu continu. Nul indice d’utricules allongées ou de tubes, qui sont également des utricules allongées, n’apparaissaient encore. La double paroi, limite respective des utricules contiguës, était si mince que sa tranche, sous les plus fortes lentilles, ne laissait voir qu’une ligne noire d’une extrême finesse. Là, certainement, dit l’auteur, point d’espace pour loger la matière gélatineuse. Le bourrelet circulaire s’accrut incessamment par l’advention d’utricules naissantes qui surmontèrent les vieilles ou s’interposèrent entre elles ; et bientôt, à la surface de cette masse utriculaire parurent de petites taches verdâtres qui correspondaient dans l’intérieur, à des traces de même couleur partout où se formèrent des utricules allongées ; et la couleur n’était point dans la substance de la paroi des utricules, mais dans une matière granuleuse que renfermaient les utricules. Peu ensuite, les taches verdâtres superficielles prirent une teinte plus intense, et le tissu qu’elle colorait fit saillie et s’élargit en petites lames diversement découpées qui n’étaient autre chose que d’imparfaites productions foliacées ; et incontinent, il se forma dans la masse, des trachées qui se prolongèrent vers la base des ébauches de feuille auxquelles succédèrent graduellement des productions de même ordre, se rapprochant de plus en plus de la forme normale.

M. Mirbel observe que le mode de formation du tissu végétal, dans toutes les espèces où il lui a été possible d’en suivre les progrès, ne diffère pas essentiellement de celui-ci.

« La réfutation que l’on vient d’entendre, dit-il en terminant, n’atteint, si tant est qu’elle porte coup, que la moindre partie d’un grand travail rempli de faits neufs et intéressans. Je me hâte de le déclarer, pour qu’on sache bien que dans cet écrit de M. Hugo Mohl, comme dans tous ceux que nous devons à ce phytologiste, je retrouve l’habile, le judicieux, le consciencieux observateur. »

Botanique. — Sur la naturalisation du Nelumbium speciosum de l’Inde, dans le midi de la France ; par M. Raffeneau-Delile, professeur de la faculté de Médecine de Montpellier.
(M. Delile étant correspondant de l’Académie, il n’a pas été nommé de commissaires pour son Mémoire.)

Le Nelumbium speciosum est aujourd’hui, dit M. Delile, une plante sacrée à la Chine, au Japon, dans l’Indoustan. On l’y regarde comme un emblême du monde sortant du sein des eaux. L’ancienne Égypte comptait le nélumbium parmi ses produits : il y croissait dans les lacs, dans les canaux. Ses feuilles qui, suivant Théophraste, avaient la forme et la grandeur des chapeaux thessaliens, servaient de plats et de gobelets, et par cette raison, les boutiques d’Alexandrie en étaient bien pourvues. Maintenant la plante ne se retrouve plus vivante sur les bords du Nil. On ne l’y voit que sur les médailles et parmi les hiéroglyphes.

Les jeunes fruits et les fleurs du nélumbium composent, dit M. Delile, la couronne de l’Antinoüs grec-égyptien. Ils sont aussi sculptés sur la base de la statue du Nil à Rome et sur celle de la même statue au jardin des Tuileries à Paris.

Le nélumbium était connu des Romains. Quand Celse, le médecin, parle de fèves d’Égypte, c’est, suivant M. Delile, cette plante qu’il a en vue.

Jusqu’ici le nélumbium n’avait fleuri en Europe que dans quelques serres chaudes de la Grande-Bretagne. Eh bien ! à Montpellier, sa végétation en plein air a si bien réussi, par les soins de M. Delile, qu’on espère obtenir des graines. Les plus grandes feuilles ont acquis 50 centimètres de largeur ; le diamètre des fleurs a été jusqu’à 30 centimètres (11 pouces). Pour prospérer ainsi, la plante a besoin d’être abritée des ouragans et d’un soleil trop vif.

Le nélumbium est principalement intéressant en Botanique, par la singularité de son fruit : il ressemble, en effet, à une pomme d’arrosoir ou à un guêpier. La plante ne présente, dans son organisation, ni stomate ni raphide : elle donne un suc laiteux quand on la rompt ou quand on écaille ses nervures. La face supérieure des feuilles est d’un velouté extrêmement fin, sur lequel l’eau coule en gouttelettes.

M. Delile, pendant la lecture de son Mémoire, avait placé sous les yeux de l’Académie, un tableau à l’aquarelle de M. Charles Node, de Montpellier, qui représente les fleurs et les feuilles du nélumbium, de grandeur naturelle.

Zoologie. — Mémoire sur les Ptéropodes, par M. d’Orbigny.
(Le mémoire devant paraître sous peu de jours, il n’a pas été nommé de commissaires.)

Après avoir parlé de la valeur de ce groupe, qu’il considère comme très naturel et surtout comme très heureux, M. d’Orbigny annonce qu’il a été assez heureux pour rencontrer, dans ses longs voyages, presque toutes les espèces de Ptéropodes connues jusqu’à ce jour et beaucoup d’autres nouvelles.

Les Ptéropodes se trouvent depuis la zone torride jusqu’aux régions polaires. Tous sont nocturnes ou crépusculaires ; l’auteur rapporte les observations qu’il a faites sur le moment et la durée de leur apparition à la surface des eaux. La mer lui parut toujours limpide et claire pendant le jour ; mais il la voyait se couvrir peu à peu de myriades de Ptéropodes, de beaucoup d’autres mollusques, de crustacés et de zoophytes pendant l’affaiblissement graduel de la lumière crépusculaire : déserte naguère, elle était bientôt animée par des milliers d’êtres nageant diversement à sa superficie.

M. d’Orbigny s’est demandé pourquoi ces animaux se montrent la nuit seulement, à divers degrés d’obscurité et toujours à des heures fixes pour les différentes espèces ; pourquoi ils disparaissent entièrement le jour. Il conclut de la différence des heures auxquelles chaque espèce arrive à la surface, et de la différence d’intensité de la lumière dont elles semblent avoir besoin, qu’elles habitent à différentes profondeurs.

L’auteur combat l’idée mise en avant par M. Rang, que les Ptéropodes vont à la surface des eaux pour se nourrir ou pour respirer. Ce ne peut être pour se nourrir, car devant y trouver même abondance d’alimens au commencement ou à la fin de la nuit, pourquoi se retireraient-ils peu de momens après leur apparition ? Ce ne peut être pour respirer, car ils n’ont que des branchies pour organes respiratoires ; or, s’ils respiraient tout le jour au sein des eaux par des branchies, pourquoi iraient-ils chaque soir respirer à la surface ? Après avoir repoussé ces deux solutions du problème, M. d’Orbigny explique l’évolution journalière des Ptéropodes, par le besoin qu’éprouvent ces animaux d’aller chercher un degré de lumière analogue à celui dont l’absence du soleil les a privés dans leurs demeures habituelles, et par le besoin non moins pressant de regagner les mêmes régions, dès qu’arrivés à la surface des eaux ils se sentent trompés dans leur attente.

M. d’Orbigny ne croit pas que l’absence d’yeux dans les Ptéropodes renverse sa théorie, attendu, dit-il, que beaucoup d’animaux sont sensibles à la lumière quoique privés de l’organe de la vue.

Les Ptéropodes que M. d’Orbigny a observés ne vont jamais sur les côtes : ils restent constamment dans des zones déterminées. À l’appui de son opinion, l’auteur présente un tableau dont il résulte : 1o. que sur les vingt-neuf espèces qu’il a vues, quatorze se trouvent dans tous les grands océans tempérés, onze dans l’océan atlantique seulement, quatre dans le grand océan ; 2o. que de ces mêmes espèces, certaines occupent, dans les mers, une zone de 55° au nord, et de 55° au sud de la ligne, ou de 2200 lieues marines, sur toute la circonférence du globe ; d’autres, des zones moindres, mais cependant encore très étendues ; 3o. enfin que dix-sept espèces sont tout-à-fait nocturnes et onze crépusculaires seulement.

Les Ptéropodes nagent d’une manière élégante en papillonnant au sein des eaux, avec une promptitude extraordinaire. Ils sont plus nombreux en espèces et en individus sous la zone torride que dans les autres. Considérées géographiquement, les Hyales appartiennent aux mers chaudes et tempérées, et sont plus nombreuses en individus que tous les autres genres ensemble.

M. d’Orbigny termine son mémoire en établissant que les Ptéropodes montent à la surface des eaux non-seulement dans les calmes, comme on l’a cru jusqu’à présent, mais régulièrement toutes les nuits, quelque temps qu’il fasse. Il avoue que la science est encore peu avancée sur leur mode de reproduction.

Statistique.Essai sur les lois de la mortalité et de la population en France ; par M. Firmin Demonferrand.
(Commissaires, MM. Poisson, Mathieu, Dupin)

Le travail de M. Demonferrand, comme celui de ses prédécesseurs, se fonde sur les feuilles du mouvement de la population, qui tous les ans sont adressées au ministère de l’intérieur ; seulement, au lieu d’employer ces feuilles en bloc et sans examen, l’auteur du Mémoire les a soumises à diverses vérifications. Des erreurs nombreuses ont été ainsi découvertes. M. Demonferrand a mis de côté tous les documens erronés ; et comment, en effet, aurait-il pu hésiter, lorsque beaucoup de feuilles sont évidemment le fruit de l’imagination des employés de préfectures ; lorsque d’autres sont ou exactement, ou avec de légères modifications, la reproduction de feuilles antérieures ; lorsque, dans les tableaux de la Corse, de 1817 à 1831 ; des Landes, de 1820 à 1833 ; de la Nièvre, pour 1815-16-23-24-25-26-27-28 ; des Basses-Pyrénées, pour 1828-29-30-31-32, on trouve plus de décès de 9 à 10 ans, que de 10 à 15 ; etc., etc., etc. M. Demonferrand a eu à sa disposition les listes de recrutement par département, qui lui ont été fournies au ministère de la guerre pour les treize années consécutives comprenant la période de 1820 à 1832 ; il a aussi fait usage des tableaux des recensemens de 1820 et de 1831.

En 1831, la population de la France se composait :

De 15 947 211 hommes
Total
32 560 934.
De 16 613 723 femmes

La population moyenne de 1817 à 1832 a été, suivant les calculs de M. Demonferrand :

De 15 245 919 hommes
Total
31 322 000.
De 16 076 081 femmes

La période de 15 années, depuis le 1er  janvier 1817 jusqu’au 31 décembre 1831, a donné un total de :

5 952 352 décès masculins,
et de 5 840 937 décès féminins.

Voici, définitivement, suivant l’auteur du Mémoire, le

Tableau des nombres moyens de décès annuels, par âge et par sexes, pour la période de 1817 à 1832.
Tableau des nombres moyens de décès annuels, par âge et par sexes, pour la période de 1817 à 1832.

« En jetant les yeux sur ce tableau, dit M. Demonferrand, on est d’abord frappé de la grande supériorité numérique des décès masculins sur les féminins dans l’enfance ; le rapport des deux mortalités est pour la première année  ; au contraire, depuis vingt-sept ans jusqu’aux limites de la vie, les décès féminins sont plus nombreux que les décès masculins.

» À l’âge de la puberté, ajoute l’auteur, de 13 à 18 ans, les décès des filles sont plus nombreux que ceux des garçons ; mais pour ces derniers la période de 19 ans à 27 est très dangereuse. La même époque présente une élévation dans le chiffre des décès féminins, mais beaucoup moindre proportionnellement. À partir de ce maximum, le nombre des décès reste à peu près constant dans les deux sexes jusqu’à 40 ans ; il augmente ensuite graduellement jusqu’à 74 ans, terme à partir duquel le nombre des décès décroît sans interruption, parce que le danger de mourir dans l’année augmente moins rapidement que la population ne diminue. »

NOMINATIONS.

M. Dumas, actuellement absent de Paris, sera remplacé par M. Chevreul dans la commission nommée, sur la demande du Ministre de l’Intérieur, pour analyser les eaux de Bordeaux. Cette commission ayant à examiner aussi diverses questions d’hydraulique, s’adjoindra MM. Girard et Poncelet.

M. Robiquet est prié de se réunir aux commissaires qui doivent faire un rapport sur le projet de maison centrale de détention de Limoges.

La séance est levée à 5 heures.

A.

Bulletin bibliographique.

L’Académie a reçu dans cette séance les ouvrages dont voici les titres :

Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des Sciences, année 1835, no 8, in-4o.

Mémoire sur J. Napier de Merchiston, contenant sa généalogie, sa vie, le tableau du temps où il a vécu, et une histoire de l’invention des logarithmes, par Mark Napier ; par M. Biot. (Extrait du Journal des Savans, in-4o.)

Notice sur l’Épidémie du Choléra-Morbus indien de 1835, par M. le baron Larrey ; in-4o.

Esamene Critico di Agostino Capello sopra la officiale relazione del Corso e degli effetti del Cholera-Morbus in Parigi, etc. ; Rome, 1835, in-8o.

Proceedings of the Geological Society of London ; vol. 11, no 39.

Table of comparative weights of all the principal commercial Towns in the World ; by M. Ch. Bellati, of Milan.

The aboriginal portofolio, no 1 ; publié à Philadelphie, par M. J.-O. Lewis ; 1835, in-folio.

Antiquités mexicaines : Relation des trois expéditions du capitaine Dupaix, etc. ; tome 1er , livraison 4–10, in-folio.

Herbarium Pedemontanum ; par M. Aloyso Colla ; volumes 3 et 4, in-8o, et le premier volume de planches, in-4o, Turin, 1834–1835.

Des dents et os fossiles et de leur gissement dans la contrée de Georgensmünd, en Bavière ; par M. le docteur Meyer ; 1834, in-4o, en allemand, Francfort-sur-Mein.

Essai sur les Pétrifications-Mammifères fossiles ; par le même, in-4o, en allemand.

Sur les Restes fossiles de bœuf ; par le même, in-4o, en allemand.

Nouvelles astronomiques de M. Schumacher ; no 283, in-4o, en allemand.

Douzième Congrès scientifique à Stuttgard, pendant l’automne de 1834 ; par M. le professeur Fée ; Strasbourg, in-8o.

Maître Pierre, ou le Savant de village (entretiens sur la Botanique) ; par le même ; Strasbourg, 1835, in-16.

Nouvelles recherches sur les secours à donner aux noyés et asphyxiés ; par M. le docteur Marc ; Paris, 1835, in-8o.

Histoire naturelle et Iconographie des insectes coléoptères ; par MM. le comte de Castelnau et Gory ; 1re  livraison, Paris, 1835, in-8o.

Traité élémentaire d’Histoire naturelle ; par MM. Martin Saint-Ange et Guérin ; 21me livraison, in-8o.

Rapports sur les Papiers dits de sûreté de M. Mozard, faits à la Société libre d’émulation de Rouen ; par M. Girardin ; Rouen, 1835, in-8o.

Lettre de M. Coste à M. Raspail, sur l’Embryogénie ; brochure in-8o.

La Comète de Halley. Extraits de la Notice historique de M. Litrow ; par M. J.-A. Darlu ; Meaux, 1835, in-8o.

Petit Cours d’Astronomie, ou courte Exposition du vrai système du monde ; par M. Demonville ; Paris, 1835, in-8o.

Annales de la Société entomologique de France ; tome 4, 2e  trimestre ; 1835, in-8o.

Bulletin de la Société géologique de France ; tome 6, feuilles 12–14, 1835, in-8o.

Gazette médicale de Paris, no 39.

Gazette des hôpitaux, nos 114 et 115.

Journal de santé, no 109.


  1. Ce n’est pas la première fois que M. Mirbel émet cette opinion. Il l’a consignée en 1832, dans son premier mémoire sur le Marchantia polymorpha. (Voy. Mém. de l’Académie des Sciences, 13e vol.)