Comptes rendus de l’Académie des sciences/Tome 1, 1835/28 décembre


SÉANCE PUBLIQUE DU LUNDI 28 DÉCEMBRE 1835.
PRÉSIDENCE DE M. Ch. DUPIN.



La séance s’ouvre par la proclamation des prix décernés, et des sujets de prix proposés.

PRIX DÉCERNÉS.
GRAND PRIX DES SCIENCES PHYSIQUES.

L’Académie avait proposé, en 1833, pour le grand prix des sciences physiques à distribuer en 1835, le sujet suivant :

Examiner si le mode de développement des tissus organiques, chez les animaux, peut être comparé à la manière dont se développent les tissus des végétaux.

Rappeler à cette occasion les divers systèmes des physiologistes, répéter leurs expériences, et voir jusqu’à quel point elles s’accordent avec les règles du raisonnement et les lois générales de l’organisation.

S’assurer surtout si les animaux d’un ordre inférieur se développent d’une autre manière que ceux d’un ordre supérieur ; s’il existe aussi dans l’accroissement des acotylédones, monocotylédones et dicotylédones, autant de différences que l’ont cru quelques auteurs ; enfin, si chez les dicotylédones il y a à la fois plusieurs modes d’accroissement.

L’Académie, sur le rapport d’une commission composée de MM. de Mirbel, de Blainville, Magendie, Serres, Adolphe Brongniart, a décerné le prix au mémoire no 1, dont l’auteur est M. Valentin, de Breslau, déjà connu par plusieurs travaux importants d’anatomie et de physiologie.

Voici les considérations sur lesquelles se fonde le jugement de la commission :

La commission pour le grand prix de physique croit qu’il est de son devoir de donner à l’Académie quelques explications sur les motifs de la détermination qu’elle a prise.

La question proposée, si vaste et si féconde qu’il semble bien difficile d’en assigner les limites avec précision, ne laissait pas l’espoir que, dans le court espace de quinze à seize mois, les concurrents en embrasseraient l’ensemble et les détails. Nul en effet n’a rempli cette tâche. Mais l’auteur du mémoire no 1 a su mettre à profit l’occasion qui lui était offerte de traiter diverses questions secondaires qui, bien qu’elles n’eussent la plupart que des rapports plus ou moins indirects avec la question principale, étaient pourtant très dignes d’un sérieux examen. Si les doctrines de l’auteur ne sont pas toujours exposées avec la concision, et par conséquent avec la clarté qu’on a droit d’attendre d’un esprit aussi positif, c’est sans doute que le temps a manqué à l’œuvre. Il ne lui a pas été loisible non plus de donner autant de développement à la partie relative aux végétaux qu’à la partie relative aux animaux, parce qu’il n’a disposé que d’une seule saison de végétation, et que deux à peine auraient suffi à l’examen des faits qui se rattachent naturellement à son sujet, tel qu’il l’a conçu.

Ces considérations ont été discutées et appréciées par les commissaires de l’Académie. Ils sont d’avis que nonobstant l’absence d’observations de nature à résoudre complétement la question, ils ne s’écartent point de la pensée constante de l’Académie, en lui désignant pour le prix un immense travail recommandable par une profonde intelligence des choses, de consciencieuses recherches, de savantes descriptions, d’excellentes figures, et dont la publication ne sera pas moins utile aux progrès ultérieurs de la science de l’organisation que glorieuse pour l’auteur.

PRIX D’ASTRONOMIE,
FONDÉ PAR M. DE LALANDE.

La médaille fondée par M. de Lalande pour être donnée annuellement à la personne qui, en France ou ailleurs (les membres de l’Institut exceptés), aura fait l’observation la plus intéressante ou le mémoire le plus utile aux progrès de l’astronomie, a été décernée en 1835,

À M. Dunlop, directeur de l’Observatoire de la Nouvelle-Hollande ;

Et à M. Boguslawski, directeur de l’Observatoire de Breslau.

Depuis la dernière distribution de prix, on a su que M. Dunlop avait découvert deux nouvelles comètes télescopiques ; M. Boguslawski en a trouvé une troisième au commencement de 1835.

Les fonds réservés des années précédentes ont permis à l’Académie de donner à chacune des médailles que recevront les deux observateurs de Sidney et de Breslau, toute la valeur que M. de Lalande avait lui-même fixée.

PRIX DE PHYSIOLOGIE EXPÉRIMENTALE,
FONDÉ PAR M. DE MONTYON.
(Commissaires, MM. de Mirbel, Duméril, Magendie, de Blainville, Serres.)

Ce prix a été partagé entre

M. Gaudichaud, pour ses recherches sur le développement et l’accroissement des tiges, feuilles et autres organes de végétaux ;

Et M. Poiseuille, pour ses expériences sur les causes du mouvement du sang dans les vaisseaux capillaires.

Il est accordé en outre une médaille d’or de la valeur de 400 fr. à M. Martin-Saint-Ange, pour ses recherches sur les villosités du chorion des mammifères.

Enfin, sur la demande de la commission, l’Académie vote l’impression des Recherches anatomiques et physiologiques de M. Léon Dufour, sur les orthoptères, les hyménoptères et les névroptères, accompagnées de considérations relatives à l’histoire naturelle et à la classification de ces insectes ; recherches dont la première partie a obtenu le prix en 1830.

Voici le rapport de la commission sur le travail de M. Gaudichaud.

RAPPORT SUR UN MÉMOIRE DE M. GAUDICHAUD,
Relatif au développement et à l’accroissement des tiges, feuilles et autres organes des végétaux.

Quand on a recueilli un grand nombre de faits, qu’on les a vus sur toutes leurs faces, qu’on les a comparés entre eux, notant avec soin leurs ressemblances et leurs différences, on se sent tourmenté du besoin de rechercher les lois de leur existence, de généraliser celles qui sont susceptibles de l’être, et de les formuler en théorie. Sans doute la prudence voudrait souvent qu’on s’en tînt à la simple exposition des faits ; mais nous ne saurions nier qu’il ne soit très utile pour la science, que ceux qui les ont découverts, s’appliquent à nous en montrer la liaison et la subordination. Les observations exactes ne tardent guère à obtenir l’assentiment de tous ; les théories, au contraire, sont sujettes à de longues contestations. Dans ce conflit d’opinions diverses, les partis opposés mettent en présence tous les faits connus, leur font subir l’épreuve d’un examen plus rigoureux, en découvrent d’autres qui avaient échappé aux précédentes recherches. Or les faits nombreux et bien observés sont ce qui constitue essentiellement le fonds incommutable de la science. Ainsi, quelle que soit l’issue de la lutte, il y a conquête au profit de l’esprit humain, et les vainqueurs et les vaincus ont souvent des droits égaux à l’estime publique.

Ces réflexions nous sont suggérées par la lecture du travail que M. Gaudichaud a adressé à l’Académie, travail qui, d’une part, se compose d’une multitude de faits nouveaux, d’observations fines, et d’inductions aussi justes qu’évidentes ; et de l’autre offre une théorie générale qui s’appuie sur celle de Dupetit-Thouars, et en agrandit considérablement la base. Les faits matériels sont certains ; la théorie qui les généralise et prétend les expliquer est encore en question. De La Hire l’imagina sans l’étayer de preuves ; Dupetit-Thouars, en rassemblant toutes les observations qui lui parurent propres à le justifier, lui donna une existence scientifique ; Agardh s’appliqua à la concilier avec les opinions reçues, et tout récemment, Lindley, excellent observateur, esprit judicieux et grave, vient de la fortifier de tout le poids de son approbation. Mais il faut convenir qu’elle compte encore au moins autant d’adversaires que de partisans. M. Gaudichaud s’arme pour la défendre d’arguments que lui fournissent ses propres découvertes. Ce n’est qu’à l’aide du temps et après un examen très sérieux, que nous obtiendrons le droit de prononcer sur la validité de conséquences tirées de faits trop nouvellement connus pour que nous puissions, dès à présent, en mesurer la juste portée. Nous nous bornerons donc à exposer succinctement la théorie développée par l’auteur, sans nous permettre de l’approuver ou de la condamner ; mais nous n’hésiterons pas à donner notre opinion touchant l’exactitude des faits nombreux qu’il a recueillis.

Ce n’est pas une tâche légère que celle qu’a entreprise M. Gaudichaud. Il passe en revue dans l’ordre suivant toute l’histoire de la vie végétale :

1o.Organographie, ou développement et accroissement des tiges, etc. ;

2o.Physiologie, ou phénomènes de la vie des végétaux ;

3o.Organogénie, ou étude anatomique du développement des tissus végétaux.

L’organographie, qui forme le sujet de la première partie, se subdivise en trois chapitres : 1o les dicotylédonés ; 2o les monocotylédonés ; 3o les acotylédonés.

L’auteur livre aujourd’hui au jugement de l’Académie les deux premiers chapitres de ce vaste travail, dont les précieux matériaux sont déposés dans les galeries botaniques du Jardin du Roi, où ils sont devenus un sujet d’étude et d’admiration pour les connaisseurs.

Il expose les principes généraux par lesquels il veut expliquer non-seulement le mode de développement et l’organisation des tiges, mais encore le mode de développement et l’organisation des processiles ou parties appendiculaires, c’est-à-dire des écailles, feuilles, stipules, bractées, calices, corolles, étamines, pistils, etc., qui tous prennent naissance dans le bourgeon. Ces parties ne sont, à son avis, que des modifications d’un seul organe primitif dont l’embryon monocotylédoné est le type.

En effet, de même que nous observons dans l’embryon monocotylédoné, lorsqu’il a pris toute son expansion normale, un mamelon radiculaire qui constitue son système descendant, et une tigelle, un cotylédon et son support, lesquels forment ensemble son système ascendant, de même aussi nous voyons dans le végétal plus avancé, la racine qui représente la radicule, c’est-à-dire le système descendant, et le mérithalle avec la feuille et son pétiole qui représentent la tigelle, le cotylédon, ainsi que son support, c’est-à-dire le système ascendant.

Ce système ascendant modifié dans les autres parties appendiculaires, ne l’est pourtant pas de telle sorte qu’on n’y retrouve aucun indice de ses traits distinctifs.

Le type simple que présente l’embryon monocotylédoné se double, se triple, se quadruple, se quintuple, etc., dans l’embryon dicotylédoné ou polycotylédoné, et il en est de même aussi de l’appareil vasculaire qu’il renferme. Nous ne saurions nous taire sur le mérite de cet aperçu : il est d’une exactitude qui se démontre rigoureusement par l’anatomie de la jeune plante.

L’appareil vasculaire se compose de deux ordres de vaisseaux : l’un se porte du collet de la racine au bourgeon ; l’autre du bourgeon à l’extrémité de la racine. Le premier élève jusqu’au bourgeon la sève brute qui s’y élabore ; le second conduit jusqu’à la racine une partie de la sève élaborée. Celui-ci, dans les dicotylédonés, se prolongeant entre l’écorce et le bois, forme les nouvelles couches ligneuses par son union avec les utricules nés de la tige, et contribue de cette façon à l’accroissement en diamètre, tandis que l’autre, s’allongeant au centre et aboutissant au bourgeon qui transforme en matière organisée une partie de la sève venue de la racine, travaille à l’accroissement en longueur. Il suit de là que le bourgeon ne reçoit d’en-bas rien de solide, rien d’organisé, qu’il crée de toute pièce les vaisseaux qui entrent dans sa composition, et que ce sont ces mêmes vaisseaux, développés inférieurement, qui se représentent dans les couches ligneuses de la tige et de la racine dont ils constituent la portion la plus importante. Et quant aux utricules des couches, soit qu’ils s’allongent de bas en haut, ou du centre à la circonférence, ils s’organisent sur place, entre l’écorce et le bois, et n’ont rien de commun avec le bourgeon.

Cette série de phénomènes, qui a lieu dans l’état naturel des individus, existe également dans les individus greffés. Tout le bois de la tige et de la racine placé au-dessous de la greffe se compose de vaisseaux émanés des bourgeons de l’ente et d’utricules engendrés par le sujet. Cette proposition est la pierre angulaire de la théorie. Celle-ci s’écroulerait si celle-là venait à être infirmée par l’observation.

Le double appareil vasculaire et les phénomènes qui résultent de sa présence, n’appartiennent pas seulement aux dicotylédonés, ils se retrouvent dans les monocotylédonés ; mais ils y subissent les modifications que commande l’arrangement particulier des filets dont le bois est composé.

Telle est, en substance, la doctrine que professe M. Gaudichaud. À bien considérer les choses, elle n’est, comme nous l’avons déjà fait remarquer, que celle de Dupetit-Thouars et de Lindley ; mais M. Gaudichaud lui a imprimé un caractère de généralité qu’elle n’avait pas. Pour arriver à ce résultat, il a recueilli une multitude de faits qui, de quelque manière qu’on les interprète, serviront puissamment au progrès de la science. Ses adversaires, il faut s’y attendre, ne manqueront pas de dire que ces faits, quelque curieux et inattendus qu’ils soient, s’expliqueraient tout aussi bien par leur doctrine que par la sienne. Mais nonobstant cette assertion, que l’on ne doit pas accepter sur simple parole, puisqu’elle vient de personnes qui depuis long-temps se sont fait une autre idée du phénomène de l’accroissement des végétaux, tout le monde conviendra que, par son nouveau travail, M. Gaudichaud s’élève à la hauteur de nos plus habiles phytologistes. Il est digne de remarque que, durant les agitations de deux voyages de long cours, malgré le déplorable état de sa santé, cet infatigable naturaliste n’a cessé de se livrer à des recherches d’une extrême délicatesse, et qu’il les a poussées aussi loin qu’il aurait fait dans le calme du cabinet. Nous ne pouvons ici que nommer la moindre partie de ses observations les plus intéressantes.

Il a analysé, dessiné, décrit une foule de graines et d’embryons de familles encore peu connues, telles que les nymphéacées, les pipéracées, les gnétacées, les cicadées. Cette dernière famille lui a offert, durant son premier voyage, qui déjà date de seize à dix-sept ans, une suite de faits ovologiques dont quelques-uns sont encore nouveaux, malgré les récentes études de MM. Corda et Robert Brown. Il a fait germer sous leur ciel natal des graines de piper, piperomia, loranthus, avicennia, bruguiera, rizophora, etc., et il nous donne aujourd’hui, sur les premiers développements de ces végétaux, des notions positives qui vont remplacer dans la science des opinions vagues ou erronées.

En même temps qu’il recueillait de nombreux échantillons d’herbier, il étudiait l’intérieur des tiges, et trouvait, dans la structure et l’arrangement du corps ligneux, d’étranges anomalies qu’on était loin d’y soupçonner. Ce sont particulièrement ces observations qui lui ont inspiré le projet de ramener tous les faits de développement et de croissance à des lois générales, projet dont il a constamment poursuivi l’exécution depuis son retour en France.

Pour que chacun puisse vérifier les faits, il a choisi beaucoup d’exemples parmi nos végétaux les plus vulgaires, et souvent ils sont devenus pour lui le sujet d’aperçus nouveaux. Nous indiquerons entre autres le radis, le navet, la carotte, la betterave, le marronnier d’Inde. De l’organisation mieux connue de ces diverses productions végétales, il a su tirer des arguments en faveur de ses opinions. Les phénomènes que présentent l’écorcement, les boutures, les greffes, la taille et autres procédés de culture, lui en ont fourni également. Il n’y a pour ainsi dire pas un fait important de la végétation qu’il n’ait essayé de faire rentrer sous la règle de sa doctrine ; et ses efforts, lors même qu’en certains cas quelques personnes ont pu croire que ses conclusions étaient trop précipitées, n’ont jamais été stériles.

Des explications touchant chaque fait nous mèneraient loin. Ne nous arrêtons que sur trois points, qui, entre tant d’autres remarquables, méritent plus particulièrement de fixer l’attention de l’Académie.

À la base d’un bourgeon de tige de dracæna dépouillée de son enveloppe herbacée par la macération, il se montre, si l’on peut ainsi dire, une espèce de patte, continuation des filets ligneux supérieurs, laquelle s’applique sur le corps ligneux de la tige et s’allonge en doigts effilés, nombreux et divergents. Ces doigts sont évidemment de petits faisceaux vasculaires. Seraient-ils descendus jusqu’aux racines si la végétation n’avait pas été arrêtée ? Cela est fort probable.

Le bourgeon d’une bouture de cissus hydrophora dépouillée de son écorce, nous offre à sa base un réseau ligneux qui revêt partiellement la portion inférieure du vieux bois, et s’échappe de toutes parts en racine.

Ces deux exemples pris, l’un, dans les monocotylédonés, l’autre dans les dicotylédonés, semblent, de prime abord, des preuves irrécusables de la solidité de la doctrine de M. Gaudichaud ; et pourtant plusieurs phytologistes, tout en acceptant les faits, répudient la théorie. C’est que la question n’est pas aussi simple qu’elle paraît. Il est certain qu’elle ne cessera d’être un sujet de controverse que lorsque l’on sera d’accord sur les résultats physiologiques de la greffe.

Le troisième point intéresse la réputation scientifique d’un homme excellent qui a siégé ici durant plus de quarante années et dont la mémoire nous sera toujours chère. Tout le monde connaît le travail de M. Desfontaines sur les tiges des palmiers. Un phytologiste allemand, M. Hugo Mohl, traitant le même sujet avec des matériaux plus nombreux, plus variés, et toutes les ressources de la science telle que cinquante ans de progrès l’ont faite, avança, il y a peu de temps, que les nombreux filets ligneux des tiges ne se formaient pas au centre mais à la circonférence, et que c’était en croisant obliquement les filets plus anciens, qu’ils arrivaient jusqu’au cœur de l’arbre. De ce fait il concluait que M. Desfontaines s’était trompé. Toutefois, il n’en est pas ainsi, quoique les observations de M. Mohl soient d’une parfaite exactitude. Les recherches de M. Gaudichaud montrent que M. Desfontaines a très bien observé et décrit ce qu’il a vu, et que M. Mohl, loin d’avoir renversé l’œuvre de ce savant, l’a rendue plus inattaquable en la complétant.

Les considérations exposées dans ce rapport font connaître suffisamment les motifs qui ont déterminé la commission à partager le prix entre M. Gaudichaud et l’un de ses concurrents, M. Poiseuille, dont les beaux travaux sur le mouvement du sang le rendent, pour la troisième fois, digne d’un témoignage éclatant de l’estime de l’Académie.

PRIX DE MÉCANIQUE,
FONDÉ PAR M. DE MONTYON.
RAPPORT DE LA COMMISSION DE L’ACADÉMIE.

L’Académie a nommé commissaires, pour décerner le prix de mécanique fondé par M. de Montyon, MM. de Prony, Girard, Navier, Poncelet et moi. Nous allons lui rendre compte des résultats de l’examen que nous avons fait des pièces envoyées au concours.

Dès l’année précédente, M. Raucourt avait offert au concours son dynamomètre perfectionné, qu’il appelle phortomètre. La commission chargée de décerner le prix de mécanique pour 1834, a porté sur cet instrument remarquable, un jugement que nous avons dû prendre en considération et que nous allons reproduire.

Il résulte de l’examen et des discussions auxquels se sont livrés les commissaires : « que les phortomètres examinés en dernier lieu, par la commission, et qui ont pour objet le pesage des grands fardeaux, offrent plusieurs dispositifs ingénieux et neufs qui méritent d’être approuvés, mais dont les avantages ont besoin d’être confirmés par une plus longue expérience. »

La précédente commission nous avait, comme on voit, imposé le devoir d’examiner si les avantages des phortomètres sont effectivement ou ne sont pas confirmés par l’expérience.

Nous rappellerons en peu de mots que ces instruments, comparés au dynamomètre de Régnier, offrent les améliorations les plus précieuses.

Dans ce dynamomètre, les ressorts sont susceptibles de varier dans leur flexion, surtout lorsqu’il s’agit de mesurer des poids considérables. D’autres causes d’inexactitude résultent des frottements et du défaut de solidité des parties ; de ces frottements, du jeu des goupilles et des leviers qui transmettent à l’aiguille indicatrice les changements de forme du ressort, résultent des erreurs graves. Si l’on emploie cet instrument pour mesurer des charges de mille à deux mille kilogrammes, il peut se déformer dans les parties recourbées qui réunissent les deux parties flexibles et qui servent de point d’attache. Il suit de là, qu’avec un tour de main frauduleux, on pourrait, en brusquant ou soulevant doucement un fardeau, faire marquer à l’aiguille deux indications diverses pour un même poids. En effet, les frottements du mécanisme et du ressort établissent des différences, négatives si l’on a doucement enlevé ce poids, et positives si ce poids est enlevé brusquement. Les frottements vaincus dans ce dernier cas par la percussion font avancer l’aiguille, qui ne peut plus revenir à sa position primitive. Enfin, si l’on effectuait consécutivement un grand nombre de pesées avec ces instruments, ils perdraient sensiblement de leur force, dont ils recouvreraient une partie seulement, au bout de quelques jours.

Décrivons à présent le phortomètre. Deux lames symétriques d’acier, courbées dans un sens au milieu, et dans le sens contraire vers chaque extrémité, sont réunies aux deux bouts et percées pour recevoir l’attache des cordes ou chaînes de tirage. L’axe de symétrie du système est celui des directions du tirage. Quand ce tirage s’opère, le plus grand écartement des lames diminue, et mesure l’effort exercé.

L’écartement des lames diminue en pressant un mécanisme entre les deux lames, pour faire mouvoir sur le cadran l’aiguille indicatrice de l’intensité du tirage.

Un support immuablement fixé au milieu d’une des lames du ressort, porte le cadran et le mécanisme. Les mouvements se transmettent comme il suit : 1o l’aiguille indicatrice, 2o un pignon denté en acier, 3o deux secteurs dentés engrenant sur le pignon, et tournant sur le même axe ; un secteur est poussé par la pression de la seconde lame du ressort, l’autre l’est par un léger ressort qui ramène constamment le premier secteur au contact contre la seconde lame. Par ce moyen, l’aiguille ne cesse jamais d’indiquer tout l’effet qui résulte de l’écartement des deux lames dont se compose le ressort.

Par une disposition simple, une petite courbe est fixée au second secteur, et calculée de manière que la lame du grand ressort, en touchant successivement divers points de cette courbe, fasse avancer le secteur et l’aiguille, de manière que les divisions extrêmes du cadran, pour d’égales différences de tirage, présentent des divisions sensiblement égales.

Depuis l’époque où M. Poncelet rédigeait son savant rapport au nom de la commission de 1834, deux grandes séries d’épreuves ont été poursuivies. C’est, d’une part, les chargements des waggons sur le chemin de fer de Saint-Étienne à Lyon ; de l’autre, l’application des phortomètres aux ponts à bascule.

Les applications du phortomètre sont nombreuses et variées.

Celui qu’on peut employer aux usages les plus généraux pèse, suivant les besoins, de un à trois demi-kilogrammes ; il est peu volumineux et par là très portatif.

Lorsqu’on le suspend à une chèvre, un treuil, une corde passée dans une poulie fixe, il pèse directement les fardeaux depuis 10 jusqu’à 3 et 4 mille kilogrammes.

Si l’acheteur et le vendeur sont munis chacun de leur phortomètre, et les suspendent ensemble, ils contrôlent leur pesée : c’est un avantage mutuel.

En attachant le phortomètre à une petite chèvre portative, on s’en sert pour arrimer et peser les voitures : on pèse séparément la charge que supporte chaque roue, et l’on égalise ces charges ; avantage important et trop négligé dans le roulage.

Avec un simple triangle de bois et de fer que l’on place comme un coin entre les deux roues contiguës d’un waggon, ces roues sont soulevées à la fois, et, par deux pesées, le phortomètre indique le poids total du waggon. Tel est le moyen mis en pratique avec un plein succès pour mesurer les chargements sur le chemin de fier de Saint-Étienne à Lyon.

Au moyen de la chèvre et d’une griffe adaptée à la partie inférieure du ressort, on peut de suite et sans déplacement, vérifier le poids de tout un magasin de fer, de plomb, de cuivre, pourvu que ces métaux soient empilés sur des bâtis en charpente, qu’il suffira de soulever à chaque extrémité pour obtenir le poids total.

L’application la plus importante, celle surtout qu’avait en vue la précédente commission de l’Académie, en réclamant la sanction de l’expérience, est relative aux ponts à bascule pour le pesage des voitures sur les routes royales et départementales.

Une commission nommée, en juillet 1832, par M. le Directeur général des Ponts et Chaussées, qui a fourni tous les moyens d’expérimentation que l’auteur pouvait désirer, s’est occupée de vérifier les résultats de ce système. Un sixième rapport, en date du 25 janvier 1835, offre des conclusions si lumineuses et si concluantes, que nous croyons devoir les consigner ici.

« Pour le pesage des voitures, M. Raucourt présente trois instruments, dans la composition desquels entrent les nouveaux dynamomètres.

» 1o. Demi-pont à bascule, qui a été construit et placé à Alfort, qui fait le service depuis le mois d’août 1834, et dans lequel il existe un système de leviers, comme dans les ponts à bascule ordinaires. Ces leviers transmettent l’action de la charge à trois dynamomètres. L’un indique la charge totale ; chacun des deux autres indique la charge portée par une des roues du train, en sorte que la somme des deux dernières indications doit s’accorder constamment avec la première. L’accord des deux résultats présente une vérification continuelle qui ne peut laisser aucun doute sur la justesse de l’opération ; le prix est estimé à 4,000 fr., et, en comprenant le transport et l’établissement du bureau sur place, 5,500 fr.

» 2o. Un autre instrument recevant à la fois, comme le premier, la charge des deux roues d’un train ; mais il n’y a pas de système de leviers. Le tablier sur lequel portent les roues est immédiatement suspendu à deux dynamomètres. Avec quelques précautions, chacun des dynamomètres indiquera la charge propre de la roue voisine, et, dans tous les cas, la somme de leurs indications donnera la charge du train. La disposition de cet instrument est très simple et économique ; il pourrait être facilement démonté, transporté et remonté dans un autre emplacement. Sa valeur est portée à 1800 fr., et, en comprenant le transport et l’établissement du bureau sur place, 3,000 fr.

» 3o. Un simple dynamomètre adapté à une petite chèvre portative ayant un cric par lequel on soulève la roue d’une voiture, dont le dynamomètre indique la charge. Il est nécessaire de remarquer que ce dernier instrument, quoique beaucoup plus simple, est du genre des premiers qui avaient été présentés par M. Raucourt, et dont l’usage avait donné lieu à des objections fondées qui ne s’appliquent point aux deux instruments mentionnés ci-dessus. On peut présumer toutefois qu’avec quelques précautions dans la pratique, avec lesquelles les préposés et les voituriers ne tarderaient pas à devenir familiers, l’usage des dynamomètres à chèvre deviendra par la suite très étendu. Ces instruments présentent ces avantages, que la voiture n’est pas obligée de passer dans un lieu déterminé. On peut la vérifier pendant qu’elle est arrêtée pour le service d’un octroi, et il suffira, la plupart du temps, de peser une seule roue pour voir ou non si elle est en contravention. Enfin, comme ils sont éminemment portatifs, ils peuvent être établis où l’on veut et à un instant quelconque, sans préparatifs : leur prix est de 500 fr. ; en comprenant le transport et l’établissement d’un bureau sur place, 1,500 fr. Les instruments dont on vient de parler étant fondés sur l’emploi des ressorts pour le pesage des fardeaux, étaient exposés aux objections qui sont communément faites contre cette méthode de pesage, et qui tiennent surtout à l’influence supposée des variations de température, ou aux altérations qui peuvent survenir dans l’état des ressorts et dans leur degré de résistance.

» Mais, d’après l’observation de ce qui s’est passé au pont d’Alfort, et d’après les observations et expériences spéciales faites par plusieurs membres de la commission, on a dû reconnaître que les changements de température auxquels les instruments sont exposés, ou la fatigue qu’ils peuvent subir par suite de l’usage auquel ils sont destinés, n’apportaient pas, dans les indications des dynamomètres exécutés avec les précautions qu’emploie M. Raucourt, des modifications assez sensibles pour être prises ici en considération. On doit remarquer d’ailleurs qu’il est toujours facile de vérifier l’état d’un instrument qui travaille, en le comparant avec un autre instrument qui serait entre les mains du préposé et qui ne serait pas exposé à s’altérer ; et de plus, si un dynamomètre était altéré par un petit affaiblissement du ressort, il suffirait presque toujours, pour corriger ce défaut, de déplacer un peu le cadran, sans même en changer la division. Sans entrer ici dans de plus grands détails, qui donneraient trop d’étendue à ce rapport, nous nous bornerons à exprimer l’opinion déjà présentée ci-dessus, qu’il sera possible et convenable d’employer, pour faire la police du roulage, de nouveaux instruments, tels que ceux que propose M. Raucourt et qui donnent lieu à une dépense bien moindre que ne le font les ponts à bascule.

» Ainsi, nous répondrons à la première question posée par M. le Directeur général : « Combien faudrait-il de nouveaux ponts pour assurer une police du roulage exacte ? » en lui proposant d’établir 200 nouveaux instruments, dont un quart environ de la nouvelle espèce (appelés par l’auteur demi-ponts) ; un second quart environ de la seconde espèce (appelés par l’auteur phéromètres), et le reste de la troisième espèce (appelés par l’auteur phortomètres). »

Conclusions.

M. le colonel Raucourt ayant rempli toutes les conditions qu’avait paru désirer la précédente commission, et ses instruments offrant sur tous les objets envoyés au concours une incontestable supériorité d’invention, d’importance et d’utilité, nous avons l’honneur de proposer d’accorder le prix de mécanique à M. Raucourt.

Paris, 21 décembre 1835.

Signé : MM. de Prony, Girard, Navier, Poncelet,
et Charles Dupin rapporteur.
PRIX RELATIFS AUX MOYENS DE RENDRE UN ART OU UN MÉTIER MOINS INSALUBRE.
FONDATION MONTYON.
RAPPORT DE LA COMMISSION DE L’ACADÉMIE.

Lorsque M. de Montyon chargeait l’Académie du soin de récompenser les améliorations introduites dans l’hygiène des arts insalubres ; quand il mettait à notre disposition pour cet objet des sommes qui permettent de traiter largement les inventeurs, il pensait, sans doute, que des concurrents nombreux viendraient se disputer le prix.

Frappé des causes si variées d’insalubrité qui existent dans les arts ou métiers, touché du triste sort qui menace ou atteint un grand nombre d’enfants, de femmes ou d’hommes mêmes livrés à des occupations qui excèdent leurs forces, ou obligés de vivre et de travailler dans des ateliers malsains, il cherchait à réveiller en leur faveur une sympathie active et éclairée.

La fondation du prix qu’il a institué pour cet objet est trop récente encore, pour qu’on puisse apprécier l’utilité qu’il acquerra un jour. On ne peut, toutefois, réprimer un premier sentiment de surprise, quand on voit combien les concurrents sont peu nombreux, et combien le but de l’institution est en général mal compris.

Jusqu’ici, quand l’Académie a récompensé quelque amélioration importante, de ce genre, c’est presque toujours sur la proposition directe de l’un des membres de la commission et non pas à la demande des parties intéressées.

Serait-ce qu’en général un sentiment philanthropique satisfait, ou bien quelque projet attaché à ces sortes de découvertes, suffisent aux inventeurs, sans qu’il soit nécessaire de les stimuler par des récompenses honorifiques ? Serait-ce plutôt que les dispositions du testament de M. de Montyon n’ont pas encore reçu toute la publicité désirable, ou bien qu’elles ont été mal comprises ?

S’il fallait choisir entre ces deux opinions, nous n’hésiterions pas à préférer la dernière. Chacun sait qu’il existe dans les arts ou métiers des conditions d’insalubrité. Les progrès de la science, le goût de la propreté et de l’aisance qui se répand dans les classes pauvres, tout tend à rendre plus faciles, plus nécessaires et plus nombreuses, les améliorations hygiéniques qu’elles exigent. Les membres de vos commissions vont tous les ans chercher des inventeurs qui ne s’étaient pas présentés, et viennent appeler vos suffrages sur leurs découvertes. Tout indique donc, tout prouve même que l’institution du prix qui nous occupe n’est point encore assez connue de la classe qu’elle concerne essentiellement, et que son bénéfice ne deviendra complet qu’à l’aide du temps et avec le secours de la presse éclairée.

Quoi qu’il en soit, votre commission regarde comme un devoir, de sa part, de provoquer ce concours des hommes de bien qui habitent les pays manufacturiers et qui peuvent signaler à l’Académie des découvertes que la nécessité amène si souvent dans l’intérieur des usines, et qui malheureusement restent si souvent ignorées au dehors.

Votre commission pense également qu’il est de son devoir de déclarer que l’Académie examinerait avec une sollicitude particulière et un vif intérêt quelques améliorations hygiéniques qui lui semblent possibles, et dont l’importance et la nécessité ne sont que trop évidentes.

Elle place en première ligne tout ce qui tendrait à rendre moins insalubre le travail des enfants dans les usines où ils sont employés. Car, s’il existe des causes d’insalubrité manifestes dans certaines opérations industrielles, combien leur action n’est-elle pas plus funeste quand elle s’exerce sur de jeunes organes ? Tout en rendant justice aux sentiments d’humanité qui dirigent presque toujours les grands propriétaires d’usines, qui peut voir, cependant, sans être ému de pitié, ces populations manufacturières où l’enfance, condamnée à un travail anticipé, s’énerve et s’étiole, faute d’air, de lumière ou d’exercice ? Qui peut songer à l’avenir de ces enfants déjà souffrants, sans désirer qu’une main amie vienne améliorer les conditions de leur existence ?

Votre commission croit ensuite devoir appeler l’attention sur les inconvénients sanitaires si graves attachés à toutes les professions qui obligent les ouvriers à respirer un air chargé de poussières insolubles. Si, dans de certains cas, le remède est difficile, il en est d’autres où l’on réussirait, à coup sûr, soit en tamisant l’air au travers d’une toile incessamment mouillée, comme l’indique notre confrère, M. Thénard, soit par quelque méthode analogue. Les inconvénients de ces poussières sont tels, que l’Académie ne pourrait hésiter à accueillir avec intérêt tout moyen simple et pratique propre à mettre les ouvriers à l’abri de leur funeste influence.

Les personnes qui connaissent tous les effets résultant de la préparation et du maniement de quelques substances métalliques vénéneuses, et en particulier des poussières ou dissolutions plombeuses, dans les manufactures de céruses, comprendront toute la sollicitude de votre commission pour les ouvriers de plus en plus nombreux, que le développement de ces usines fait participer au danger qu’elles offrent. Nous croyons que l’Académie serait heureuse d’apprendre que l’appel de la commission fît découvrir quelque méthode de fabrication, ou quelque appareil, de nature à faire disparaître la colique de plomb de ces usines ou à diminuer le nombre des malades.

Votre commission ne peut hésiter à regarder comme très dignes des encouragements de l’Académie, tous les procédés qui tendent à préserver les ouvriers du contact habituel de l’eau, soit sur les mains, soit sur les pieds, et en général des moyens quelconques propres à les soustraire à l’influence si fâcheuse d’un séjour prolongé dans des ateliers humides et non aérés, pourvu que ces procédés ou moyens aient le caractère d’originalité nécessaire pour constituer une invention.

Enfin, votre commission entrant du reste dans les vues de celles qui l’ont précédée, classe nettement, parmi les objets qui doivent l’occuper, tout ce qui se rattache à l’hygiène publique. Les grandes questions qu’elle présente ne sont plus au-dessus des ressources de la science, et l’Académie a pu voir tout récemment, au sujet d’une des questions les plus simples, la filtration des eaux en grand, combien il reste encore à faire dans cette direction.

En appelant l’attention des manufacturiers ou celle des ingénieurs sur ces divers points, votre commission n’a point voulu dire que les autres découvertes fussent accueillies avec moins d’intérêt. Elle a cherché seulement à exciter une louable émulation parmi les hommes en état d’inventer des choses utiles, en même temps qu’elle a voulu faire comprendre aux personnes éclairées qui habitent les pays d’usines, toute l’utilité des renseignements officieux qu’elles pourraient procurer à l’académie. Elle a désiré qu’à l’avenir le concours ouvert par la bienfaisance de M. de Montyon fût digne, dans ses résultats, des intentions si nobles du fondateur.

1o. Sur la conservation des cadavres, par M. Gannal.

Votre commission a suivi avec intérêt les expériences de M. Gannal ; elle s’est éclairée des lumières de ceux de nos confrères que leurs études obligent à pratiquer des dissections journalières ; et elle se croit fondée à déclarer à l’Académie que les moyens indiqués en premier lieu par M. Gannal, et que mieux encore les simples injections d’acétate d’alumine à 10° aréométriques, qu’il a pratiquées plus tard, suffisent pour conserver les cadavres pendant plusieurs mois, même en été. Elle s’est assurée qu’il n’en résulte aucun inconvénient pour la dissection.

Votre commission a cru devoir attendre que ce procédé soit régulièrement pratiqué dans quelque amphithéâtre un peu vaste, avant de se prononcer d’une manière définitive ; elle sait combien les choses les plus simples sont difficiles à introduire dans le travail courant, parce qu’à l’emploi il surgit en foule des obstacles imprévus.

Elle demeure convaincue, toutefois, que ce procédé peut rendre dès à présent de véritables services dans tous les pays où la dissection rencontre des difficultés, soit par la rareté des cadavres, soit par les préjugés de la population.

Prenant cette circonstance en considération, faisant d’ailleurs la part des obstacles que M. Gannal a rencontrés, des dégoûts qu’il a dû surmonter pour exécuter les expériences qu’il a faites, votre commission a l’honneur de vous proposer de lui accorder, en attendant, un encouragement de 3,000 fr.

2o. Manuel de gymnastique, par M. Amoros.

L’utilité des études gymnastiques n’a presque plus besoin d’être vantée ; chacun la comprend aujourd’hui. Il est quelques industries dans lesquelles leur introduction amène des résultats avantageux sous le rapport hygiénique, et c’est là ce qui doit nous occuper ici.

En première ligne se placent les sapeurs-pompiers ; on conçoit de quel secours l’habitude des exercices gymnastiques peut être à des hommes que leur état oblige à exécuter, au milieu du désordre d’un incendie, des mouvements ou évolutions qui exigent autant de sang-froid que d’adresse.

Viennent ensuite les marins, au profit desquels on voudrait voir créer des écoles de gymnastique, qui, dans l’opinion de notre honorable confrère M. de Freycinet, seraient d’un grand secours pour former de bons mousses et matelots ;

Les couvreurs, maçons et charpentiers, qui, malgré leur habitude d’un certain genre d’exercice, sont loin d’avoir toute l’habileté que certaines et trop fréquentes occasions leur rendraient nécessaire ;

Les militaires chargés de donner un assaut, qui y vont avec plus de confiance et de rapidité ;

Enfin, les élèves de nos colléges et écoles, qui, sous l’influence de ces exercices voient leurs forces physiques se développer, autant que leur adresse, sans que leurs études en souffrent. Bien au contraire, d’après les renseignements que nous a fournis notre confrère M. Thénard, la moralité des élèves et leur application aux travaux de l’esprit s’accroissent sous ce régime ; ce qui surprendra peu les médecins.

Ainsi, la commission n’a pu mettre en doute la convenance d’admettre au concours l’ouvrage de M. Amoros. Restait à examiner si cet ouvrage renfermait quelque découverte qui fût de nature à remplir les conditions exigées par le testament de M. de Montyon.

Sans insister sur le service que M. Amoros a rendu à la France, en y introduisant les études gymnastiques, la commission a trouvé, après un examen réfléchi et sérieux, que les machines inventées par M. Amoros pour l’étude de la gymnastique ; que l’art avec lequel il a su coordonner les diverses parties de cette étude, constituent des titres à une récompense de la part de l’Académie : elle a donc l’honneur de vous proposer de lui accorder un prix de 3,000 fr.

3o. Puits forés absorbants.

Depuis quelques années, on a fait des applications si nombreuses et si importantes des puits artésiens, qu’un des membres de votre commission a cru devoir appeler son attention sur cette nouvelle industrie, et en particulier sur cette classe de puits artésiens qui, loin de fournir des eaux jaillissantes, offrent au contraire le moyen de perdre les eaux dont on est embarrassé.

En effet, les puits jaillissants fournissent sans doute des moyens plus ou moins directs d’assainissement pour les contrées dans lesquelles on les perce ; mais ces puits, connus dès long-temps d’ailleurs, ne présentent pourtant pas des applications hygiéniques ni aussi positives, ni aussi directes que celles qu’on obtient des puits absorbants. Ceux-ci, en effet, donnent un moyen immédiat, économique et certain, d’assainir les endroits marécageux ou inondés.

On pense même qu’on en pourra tirer un grand parti comme moyen de perdre les eaux infectes provenant des usines, des abattoirs ou des égouts, ou même pour se débarrasser des urines, et en général de tous les liquides putrescibles. Comme il est incertain encore que ces nouvelles applications soient exemptes d’inconvénients, votre commission n’entend point ici se prononcer à leur sujet ; elle a donc voulu se borner à encourager le percement des puits artésiens absorbants pour les cas où il s’agit de perdre les eaux, claires et saines d’ailleurs, d’un terrain inondé ou d’un marécage.

Après avoir recueilli les renseignements qui pouvaient l’éclairer, après avoir conféré avec ceux de nos confrères qui ont fait une étude spéciale de la question, votre commission pense que MM. Degousée et Mulot ont des droits aux encouragements de l’Académie, en ce qui touche le percement des puits forés absorbants ; qu’ils méritent d’ailleurs, l’un et l’autre, une preuve de tout son intérêt pour l’activité et le zèle dont ils ont fait preuve dans le percement des puits jaillissants nombreux dont ils se sont chargés ; en conséquence elle a l’honneur de vous proposer d’accorder à M. Degousée, ingénieur civil, et à M. Mulot, ingénieur-mécanicien, deux prix, de 3,000 francs chacun.

Signé : Dulong, Darget, Magendie, Robiquet, Dumas rapporteur.
PRIX DE MÉDECINE ET DE CHIRURGIE.
(FONDATION MONTYON.)

La commission nommée par l’Académie n’ayant pu, à cause du nombre très considérable des pièces qu’elle avait à examiner, terminer son rapport pour cette séance publique, la distribution des prix dont il s’agit aura lieu à une seconde séance publique, dont l’époque sera ultérieurement fixée.

PRIX DE STATISTIQUE.
(FONDATION MONTYON.)
RAPPORT SUR LE CONCOURS POUR LE PRIX DE STATISTIQUE.

L’Académie a nommé une commission composée de MM. Costaz, Charles Dupin, Girard, Mathieu et Poinsot, pour examiner les ouvrages présentés au concours pour le prix de statistique fondé par M. de Montyon.

La Commission a été d’avis :

1o. D’accorder une médaille d’or de 330 fr. à l’ouvrage intitulé : Statistique du département de la Drôme, par M. Delacroix ;

2o. D’accorder une médaille d’or de 200 fr. à l’ouvrage sur l’établissement des Français dans la régence d’Alger, par M. Genty de Bussy.

Je suis chargé d’exposer à l’Académie les motifs de ces décisions.

Statistique du département de la Drôme, par M. Delacroix, membre du conseil général de la Drôme, ancien maire de la ville de Valence.

Cet ouvrage présente la description statistique complète du département de la Drôme. Après en avoir tracé, avec talent, une histoire sommaire depuis les temps les plus éloignés jusqu’en 1789, l’auteur s’occupe de faire connaître les aspects divers du sol et sa nature ; il décrit les cours d’eau, fleuves, rivières et torrents classés par bassins ; il en fait connaître les pentes et le régime ainsi que le parti qu’on en tire pour la navigation ou pour l’arrosement des terres ; il décrit les travaux souvent dispendieux qu’on a faits pour leur donner ce dernier emploi, qui dans quelques cantons de ce pays est une partie importante de l’agriculture. Le département de la Drôme offre une grande variété de climats ; M. Delacroix les caractérise par la désignation des espèces végétales qu’on y cultive ou qui y croissent spontanément ; l’échelle en est fort étendue ; ses points extrêmes sont l’olivier et les arbres résineux qui habitent les Alpes, non loin de la région des neiges perpétuelles.

L’auteur, en faisant l’énumération des végétaux cultivés les plus remarquables, expose avec un détail suffisant les méthodes de culture usitées pour chacun d’eux ; il indique aussi l’espèce, l’origine et le nombre des animaux que l’agriculture emploie et de ceux qui sont élevés pour la vente.

Il fait connaître l’état de l’industrie manufacturière : sa branche la plus importante est le filage, l’ouvraison et le tissage de la soie, substance qui est une des productions de l’agriculture du département de la Drôme.

Les questions relatives à la population sont traitées avec soin ; M. Delacroix discute les faits qui constatent ses variations, et les nombres qui en expriment le mouvement. Pour donner une idée du discernement et de l’esprit consciencieux qui a présidé à son travail, nous arrêterons un moment l’attention sur la marche qu’il a suivie pour éclaircir un doute qui s’était élevé sur la vérité des états de population publiés dans son pays à différentes époques. La comparaison de ces états annonce un accroissement progressif qui ne s’est jamais interrompu ; pour s’assurer que ce résultat ne provenait pas de l’imperfection des recensements, M. Delacroix a soumis à une discussion critique la série de ceux qu’il a pu réunir ; ils sont au nombre de onze dont l’un a été puisé dans un travail fait avant 1789. Il en a comparé les résultats avec ceux que donnent les états du mouvement de la population pendant dix-huit années (1815 à 1832). Ces états ont indiqué une augmentation à peu près pareille à celle qui est annoncée par les recensements, d’où l’on pouvait conclure que ceux-ci ne s’écartaient pas sensiblement de la vérité. M. Delacroix a voulu constater par une autre voie l’exactitude de cette conclusion : il a fait le dépouillement des tables décennales de toutes les communes du département depuis quarante ans ; ces tables, comme on sait, sont le relevé exact des registres de l’état civil ; il est encore arrivé au même résultat. D’après ce travail, il a été fondé à regarder les recensements comme ayant présenté l’état effectif de la population du département de la Drôme, aux différentes époques où ils ont été faits.

Depuis quelque temps on a élevé des doutes sur la confiance due à ces sortes de documents ; il serait à souhaiter que partout ils fussent soumis à une épreuve semblable à celle qu’ils ont subie dans le département de la Drôme. Il serait à souhaiter aussi que M. Delacroix portât ses regards et sa critique sur les tables de décès par âge que l’on adresse chaque année dans les sous-préfectures : un homme aussi judicieux, aurait probablement trouvé des moyens de contrôle propres à éclairer sur le parti que l’on peut tirer de ce travail, pour déterminer les lois de la mortalité.

Après avoir donné la statistique générale du département, M. Delacroix s’est occupé de la statistique particulière des communes : elle est présentée dans une série de tableaux où les communes sont groupées par arrondissements et par cantons : on y trouve le nombre des habitants, celui des maisons, la distribution exprimée en hectares, du territoire entre les différentes cultures ou autres emplois, et le montant en principal des contributions directes. Cette analyse de l’existence communale n’a pas exigé moins de vingt-quatre colonnes ; néanmoins la disposition des tableaux est combinée avec tant d’intelligence et de clarté, qu’on a peu à craindre les erreurs de lecture, si fréquentes lorsqu’on consulte des états numériques étendus et compliqués.

M. Delacroix a généralement soin de résumer ses observations par des nombres, et de réduire en tableaux celles entre lesquelles il existe quelque liaison par l’analogie des matières qui en sont l’objet.

L’auteur de la Statistique de la Drôme a travaillé pendant plusieurs années à réunir et à discuter les données dont se compose son ouvrage. Dès 1817, il en avait publié un essai ; depuis cette époque, il n’a pas cessé de s’occuper du complétement et du perfectionnement de ce premier travail, dont la publication lui a procuré un grand nombre d’observations utiles ; il a entrepris des voyages pour vérifier sur les lieux certains faits ou pour en recueillir de nouveaux ; il est peu de communes du département qu’il n’ait visitées ; il lui a été permis de puiser aux sources authentiques, et il a soumis à une critique exacte et éclairée les documents qu’elles lui ont fournis ; il a constaté par lui-même la plupart des faits qu’il a exposés. Son ouvrage n’est point une compilation, il est le fruit de l’observation directe et immédiate ; il présente la réunion des conditions auxquelles doit satisfaire la description statistique d’un département ; il est remarquable par le choix et par l’étendue des matières, par la méthode qui a présidé à leur disposition, par l’exactitude des faits, par la clarté et la pureté du langage.

Établissement des Français dans la Régence d’Alger, par M. Genty de Bussy, conseiller-d’état, ex-intendant civil de la Régence d’Alger.

L’auteur de cette publication a été pendant quatre années le centre et le chef de l’administration civile dans la régence d’Alger. Cette position lui imposait l’obligation et lui donnait les moyens de recueillir un grand nombre de ces faits dont la connaissance est le premier besoin d’une administration intelligente et la première condition de son succès. Il a réuni dans l’ouvrage qui nous occupe l’ensemble des renseignements qu’il s’est procuré sur ce pays, où la différence des langues, les préventions religieuses exaltées jusqu’au fanatisme, et le caractère naturellement défiant des habitants, encore aigri par une conquête récente, opposaient à ces sortes de recherches des obstacles qui probablement ne pouvaient être surmontés que par l’influence d’une grande autorité.

La population de la Régence n’est pas homogène ; elle se compose de plusieurs nations qui diffèrent entre elles par l’origine, par la langue, par la religion, par le degré de civilisation et par la manière de vivre. M. Genty de Bussy en compte jusqu’à cinq, dont il s’est appliqué à connaître l’état social, les intérêts et les habitudes. Des séries de questions ont été adressées à des jurisconsultes indigènes ; les réponses ont fait connaître la manière dont la propriété est possédée et transmise, et la distinction qui existe entre différentes propriétés, à raison de leur affectation à certains usages. Il a fallu beaucoup de persévérance et de sagacité pour obtenir des réponses catégoriques ; ce sont des matières sur lesquelles les musulmans n’aiment pas à communiquer avec les hommes étrangers à leur religion ; ils sont accoutumés à les qualifier par la dénomination d’infidèles, qui, dans leur bouche, est l’expression de l’orgueil, de la haine et du dédain. Les questions et les réponses sont imprimées en entier parmi les pièces justificatives de l’ouvrage, composé de deux volumes, dont le premier est presque entièrement consacré à des expositions historiques ou à la discussion de quelques questions administratives ; le second est formé par la réunion de nombreuses pièces justificatives, parmi lesquelles se trouvent beaucoup d’observations intéressantes résumées en nombres et rapprochées en tableaux d’après l’analogie des faits qu’elles expriment.

On y trouve des recensements de la population des villes d’Alger, Oran, Bone, Bougie et Mostaganem, classée par nations.

Un tableau statistique des professions exercées dans la Régence au 1er janvier 1834, avec la désignation de la nation à laquelle appartiennent ceux qui les exercent.

Un état de situation des cultures entreprises par des colons européens avec un dénombrement où ces colons sont classés par âge et par sexe.

M. Genty avait déjà donné dans son premier volume un état des tribus arabes campées autour des villes que nous occupons, avec l’indication du nom de chaque tribu, de sa force et de ses sentiments d’attachement ou d’animosité à l’égard des Français. S’il en est quelques-unes qui nous sont hostiles, il en est aussi qui nous sont attachées ; le nombre s’en étendra, il ne faut pas en douter, à mesure qu’elles connaîtront mieux notre nation et son caractère sociable, lorsque le temps et l’expérience leur auront fait apprécier notre civilisation, où l’autorité n’a rien d’arbitraire et ne fait usage de la force dont elle est munie, que pour résister à la violence et comprimer le désordre. L’établissement d’une entière sécurité pour les personnes, les propriétés et la religion, est le plus puissant des moyens qu’on puisse employer pour concilier à une nation civilisée les sentiments de peuplades à demi barbares qui n’ont jamais joui de ces avantages.

Les tribus arabes payaient au dey d’Alger des impôts partie en argent, partie en denrées ou marchandises ; M. Genty donne un état très détaillé des redevances annuelles de chaque tribu. Cette pièce, d’un intérêt en quelque sorte historique pour l’état passé de ces peuples, pourra fournir des données utiles à notre administration financière.

Des documents fort étendus sur le commerce ont été relevés des comptes de l’administration des douanes ; ils font connaître le pavillon et le tonnage des navires qui ont abordé dans les ports de la Régence ou qui en sont sortis : l’espèce, la quantité, la valeur, la provenance et la destination des marchandises qui en composaient le chargement sont spécifiées.

Un tableau particulier contient la nomenclature des produits naturels, agricoles et industriels du territoire de la Régence. Cet état est purement nominatif, sans expression de quantités ou de valeurs ; mais il ne laisse pas de présenter de l’intérêt : c’est un premier élément nécessaire pour connaître les objets vers lesquels les recherches doivent être dirigées.

Un tableau de prix moyen des denrées dans les diverses villes de la Régence servira un jour à constater l’influence de l’occupation française sur l’état économique de cette contrée. Un état comparatif des prix avant et après l’occupation fait pressentir que cette influence sera très favorable aux producteurs.

Des tables de comparaison pour réduire les monnaies, les poids et les mesures d’Alger en monnaies, poids et mesures de France, et réciproquement, se trouvent au nombre des pièces que cet ouvrage renferme.

Les documents dont nous venons de parler ont un caractère officiel ; ils sont tous certifiés par la signature de M. Genty, en sa qualité d’intendant civil. Jusqu’ici aucune publication n’a présenté un corps aussi étendu de documents statistiques sur les possessions récemment acquises par la France dans le nord de l’Afrique ; sans doute l’état qu’ils expriment est destiné à changer, en cela ils auront le sort commun à la plupart des documents statistiques qui, presque toujours, représentent des choses d’une nature variable : mais pour administrer ce pays, en quelque sorte neuf pour des européens, il fallait d’abord constater l’état des choses au point de départ et faire les premiers pas pour arriver à une connaissance plus étendue. La publication de M. Genty de Bussy fixe ce point de départ et fait faire ces premiers pas ; il a indiqué et ouvert les voies sur lesquelles doivent être dirigées les investigations les plus urgentes.

MENTIONS HONORABLES.

La commission a décidé en outre qu’il serait fait mention honorable de trois ouvrages dont je vais avoir l’honneur d’entretenir l’Académie.

Statistique minéralogique du département de la Drôme, par M. Gras, ingénieur des mines.

Cet ouvrage est le résultat d’un travail entrepris sur la demande de l’administration de la Drôme. Il a pour but la reconnaissance des produits minéraux que renferme le territoire de ce département, afin d’avoir des données dignes de confiance sur ceux qui pourraient être mis en exploitation avec avantage. Pour remplir cet objet, M. Gras a visité toutes les parties du département et les a étudiées sous le rapport minéralogique. Son écrit présente l’ensemble et le détail de ses observations ; elles ont été faites avec la sagacité et les moyens d’investigation qui sont le fruit de l’instruction élevée et positive par laquelle les ingénieurs des mines sont préparés à remplir leurs fonctions.

La partie de l’ouvrage qui appartient plus spécialement à la statistique fait connaître les mines et les carrières ; en les indiquant, M. Gras donne son opinion sur le degré d’utilité dont elles sont susceptibles. Il a recueilli de plus un grand nombre de faits sur la constitution géologique du département de la Drôme et sur la formation de ses montagnes : il a déterminé par des observations barométriques les altitudes de plusieurs points remarquables ; enfin il a dressé une carte géologique où ses observations sont représentées par des teintes différentes ou par le tracé de certaines lignes disposées d’après une méthode dont il expose les principes.

L’ouvrage de cet ingénieur est fait avec conscience et talent ; sa publication aura une utilité pratique en dirigeant les spéculateurs vers les exploitations qui présentent réellement des chances de succès. Au moyen de cette statistique minéralogique et de la grande statistique de M. Delacroix, qui a eu soin de déclarer qu’il avait emprunté à la première ce qu’il a dit des mines et des carrières, le département de la Drôme sera complétement connu : les deux publications dont nous venons de parler ne peuvent pas manquer d’être utiles à ses administrateurs et à ses habitants.

Tableau de l’état actuel de l’économie rurale dans le Jura, 1834, par M. Guyétand, docteur de la Faculté de Médecine de Paris, de l’Académie royale de Médecine, ancien membre du Conseil supérieur d’Agriculture, de la Société royale et centrale d’Agriculture, etc., etc., etc.

L’auteur de cet ouvrage remarque avec raison que le département du Jura, par la nature diverse de ses terres, l’élévation de ses montagnes, la fertilité de ses coteaux, est un des plus intéressants à étudier sous le rapport agronomique. L’élévation très variée des lieux y modifie à tel point la température, qu’à l’exception de l’olivier et de quelques végétaux qui ne prospèrent que dans les climats habités par cet arbre précieux, le département du Jura peut admettre tous les genres de culture établis dans le reste de la France ; on y trouve des vignobles dont les vins sont estimés, et des montagnes dont la partie supérieure, couverte pendant les deux tiers de l’année de neige et de frimats, n’admet pas la culture et ne sert qu’à nourrir pendant de courts étés, le bétail qu’envoient dans ses pâturages les contrées voisines où un climat moins rigoureux permet de les entretenir pendant l’hiver. Ces hautes montagnes sembleraient condamnées à la pauvreté et à la misère, cependant le bien-être y est plus généralement répandu que dans les parties les plus fertiles du département ; l’industrie et le travail y ont appelé l’aisance.

M. Guyétand considère successivement trois régions principales qui composent le département du Jura : ce sont la montagne, le vignoble et la plaine. Il décrit d’abord l’état actuel de leur économie rurale, ensuite les améliorations très sensibles que l’agriculture a reçues dans les trente dernières années, et il propose ses vues sur les améliorations dont elle lui paraît susceptible dans l’avenir.

Cet ouvrage, rédigé avec méthode, est rempli de détails positifs et d’observations exprimées en nombres, quoique non présentées sous la forme de tableaux. L’auteur se montre familier avec les pratiques de l’agriculture aussi bien qu’avec les connaissances générales accessoires. Son travail sera certainement utile lorsqu’on s’occupera de la confection de la statistique générale du département du Jura : il est probable qu’il ne sera pas sans influence sur les progrès de son économie rurale.

Recherches des causes de la richesse et de la misère des peuples civilisés, par M. Bigot de Morogues.

Cet ouvrage n’a point été publié par la voie de l’impression. L’auteur en a distribué des exemplaires lithographiés, parmi quelques personnes qui aiment à s’occuper des considérations qui en sont le sujet. Ce n’est pas, à proprement parler, un ouvrage de statistique ; c’est un traité dans lequel l’auteur fait usage de données fournies par la statistique de la France et par les statistiques étrangères, pour établir sur certaines matières, des systèmes d’économie politique et même des plans d’administration qui lui sont propres. Il n’entrait pas dans les attributions de la commission dont je suis l’organe de porter un jugement sur la vérité de ces systèmes et sur l’efficacité des moyens que l’auteur propose : le programme publié par l’Académie, à l’époque où elle accepta la mission de décerner le prix de statistique fondé par M. de Montyon, nous interdisait même de considérer sous ces rapports les ouvrages présentés au concours.

Néanmoins, l’ouvrage de M. Bigot de Morogues doit être remarqué ; il se distingue par son étendue qui a demandé des recherches laborieuses et par l’importance de son sujet. L’auteur a vu en grand les faits statistiques dont il s’est occupé, et du rapprochement de ces faits, il a déduit avec une sagacité peu commune des conclusions utiles sur le paupérisme et sur les causes de la misère : ses observations intéressent en même temps la classe ouvrière et la classe élevée de la société ; elles sont de nature à être utiles à l’une et à l’autre.

Fait en commission, le 14 décembre 1835.

Signé : Girard, Poinsot, L. Mathieu, Ch. Dupin,
L. Costaz rapporteur.
PRIX PROPOSÉS POUR 1836 ET 1837.
GRAND PRIX DES SCIENCES MATHÉMATIQUES,
POUR 1836.

L’Académie des Sciences, après avoir présenté infructueusement, à deux reprises différentes, la question de la résistance de l’eau comme sujet de prix, l’avait retirée du concours. De nouvelles circonstances la déterminent aujourd’hui à signaler, encore une fois, cet important sujet de recherches à l’attention des expérimentateurs et des géomètres.

Ces circonstances sont surtout les avantages imprévus qu’on a trouvés en Angleterre à faire marcher les barques sur les canaux avec de très grandes vitesses. Il y a là un vaste champ à exploiter dans l’intérêt des sciences et de la navigation intérieure. Les faces diverses sous lesquelles le problème peut être envisagé, sont d’ailleurs trop apparentes pour qu’il soit nécessaire de les désigner à MM. les concurrents.

La réduction au vide des observations du pendule faites dans l’air était, naguère encore, calculée par une méthode inexacte, quoique d’anciennes expériences de Dubuat eussent dû mettre sur la voie de la véritable solution. Les travaux de MM. Bessel et Baily ; les recherches analytiques d’un membre de l’Académie, malgré leur grand intérêt, n’ont pas entièrement épuisé la question. L’Académie verrait donc avec plaisir, mais sans en faire une condition expresse, que Messieurs les concurrents cherchassent à éclaircir ce que ce problème de la résistance des milieux, pris de ce point de vue, peut offrir encore d’obscur.

L’Académie rappelle que les ouvrages ou mémoires devront être remis au secrétariat de l’Institut avant le 1er juillet 1836. Ce terme est de rigueur. Les auteurs pourront faire connaître leur nom, ou l’inscrire dans un billet cacheté.

GRAND PRIX DES SCIENCES PHYSIQUES,
POUR 1837.

L’Académie propose pour sujet du grand prix des sciences physiques qu’elle distribuera, s’il y a lieu, dans sa séance publique de 1837, la question suivante :

Déterminer, par des recherches anatomiques et physiques, quel est le mécanisme de la production des sons chez l’homme et chez les animaux vertébrés et invertébrés qui jouissent de cette faculté.

L’Académie demande que les concurrents entreprennent de traiter cette question sous ses différents rapports, la production du son, son intensité, son degré d’acuité ou de gravité, et même sa nature, et cela chez l’homme et chez un certain nombre d’animaux convenablement choisis, comme l’alouatte ou sapajou hurleur, le chat ou le chien, le cochon, le cheval ou l’âne, parmi les mammifères ; le perroquet, la corneille, le merle, le rossignol, le coq et le canard, parmi les oiseaux ; la grenouille parmi les amphibiens ; les cottes, les trigles et même le pogonias tambour, si cela est possible, parmi les poissons ; et enfin chez les cigales, les sauterelles, les grillons, quelques sphynx, et même chez les bourdons et les cousins, parmi les insectes.

L’Académie recommande essentiellement que les ouvrages envoyés au concours soient accompagnés de dessins représentant les appareils naturels de la phonation, et que la théorie soit appuyée sur des expériences assez bien exposées, pour qu’elles puissent être répétées par ses commissaires, si elle le jugeait convenable.

Elle croit aussi devoir avertir les concurrents, dans le but de limiter leurs recherches à ce qu’il y a de plus positif dans la question, qu’elle ne demande, en anatomie, rien qui ait trait à la signification ou concordance des pièces solides ou molles qui entrent dans la composition des appareils, et encore moins, en physiologie, à ce qui regarde l’influence nerveuse et la contractilité musculaire. L’Académie se borne à demander la description anatomique des appareils, dans le but d’expliquer leur action et les résultats physiques de cette action, sans même qu’il soit exigé de rapporter historiquement, dans une longue énumération, tout ce qui a été fait sur ce sujet, autrement que pour combattre ou appuyer une théorie.

Le prix consistera en une médaille d’or de la valeur de 3,000 fr. Les mémoires devront être remis au secrétariat de l’Académie avant le 1er avril 1837. Ce terme est de rigueur. Les auteurs devront inscrire leur nom dans un billet cacheté, qui ne sera ouvert que si la pièce est couronnée.

PRIX D’ASTRONOMIE,
FONDÉ PAR M. DE LALANDE.

La médaille fondée par M. de Lalande, pour être donnée annuellement à la personne qui, en France ou ailleurs (les membres de l’Institut exceptés), aura fait l’observation la plus intéressante, ou le mémoire le plus utile aux progrès de l’astronomie, sera décernée dans la séance publique de l’année 1836.

La médaille est de la valeur de 635 francs.

PRIX EXTRAORDINAIRE SUR L’APPLICATION DE LA VAPEUR À LA NAVIGATION.

Le Roi, sur la proposition de M. le baron Charles Dupin, ayant ordonné qu’un prix de six mille francs serait décerné par l’Académie des Sciences, en 1836 ;

Au meilleur ouvrage ou mémoire sur l’emploi le plus avantageux de la vapeur pour la marche des navires, et sur le système de mécanismes, d’installation, d’arrimage et d’armement qu’on doit préférer pour cette classe de bâtiments ;

L’Académie annonce qu’elle décernera ce prix dans sa séance publique de 1836.

Les ouvrages ou mémoires présentés par les auteurs devront être envoyés francs de port au secrétariat de l’Institut avant le 1er octobre 1836.

Ce terme est de rigueur.

Les auteurs pourront faire connaître leur nom ou l’inscrire dans un billet cacheté.

PRIX DE PHYSIOLOGIE EXPÉRIMENTALE,
FONDÉ PAR M. DE MONTYON.

Feu M. le baron de Montyon ayant offert une somme à l’Académie des Sciences, avec l’intention que le revenu fût affecté à un prix de physiologie expérimentale à décerner chaque année ; et le Roi ayant autorisé cette fondation par une ordonnance en date du 22 juillet 1818.

L’Académie annonce qu’elle adjugera une médaille d’or de la valeur de huit cent quatre-vingt-quinze francs à l’ouvrage, imprimé ou manuscrit, qui lui paraîtra avoir le plus contribué aux progrès de la physiologie expérimentale.

Le prix sera décerné dans la séance publique de 1836.

Les ouvrages ou mémoires présentés par les auteurs devront être envoyés francs de port au secrétariat de l’Institut avant le 1er avril 1836.

PRIX DE MÉCANIQUE,
FONDÉ PAR M. DE MONTYON.

M. de Montyon a offert une rente sur l’État, pour la fondation d’un prix annuel, autorisé par une ordonnance royale du 29 septembre 1819, en faveur de celui qui, au jugement de l’Académie royale des Sciences, s’en sera rendu le plus digne en inventant ou en perfectionnant des instruments utiles aux progrès de l’agriculture, des arts mécaniques et des sciences.

Ce prix sera une médaille d’or de la valeur de cinq cents francs. Les ouvrages ou mémoires adressés par les auteurs, ou, s’il y a lieu, les modèles des machines ou des appareils, devront être envoyés francs de port au secrétariat de l’Institut avant le 1er juillet 1836.

DIVERS PRIX DU LEGS MONTYON.

Conformément au testament de feu M. le baron Auget de Montyon, et aux ordonnances royales du 29 juillet 1821, du 2 juin 1824 et du 23 août 1829, il sera décerné un ou plusieurs prix aux auteurs des ouvrages ou découvertes qui seront jugés les plus utiles à l’art de guérir, et à ceux qui auront trouvé les moyens de rendre un art ou un métier moins insalubre.

L’Académie a jugé nécessaire de faire remarquer que les prix dont il s’agit ont expressément pour objet des découvertes et inventions propres à perfectionner la médecine ou la chirurgie, ou qui diminueraient les dangers des diverses professions ou arts mécaniques.

Les pièces admises au concours n’auront droit aux prix qu’autant qu’elles contiendront une découverte parfaitement déterminée.

Si la pièce a été produite par l’auteur, il devra indiquer la partie de son travail où cette découverte se trouve exprimée : dans tous les cas, la commission chargée de l’examen du concours, fera connaître que c’est à la découverte dont il s’agit que le prix est donné.

Les sommes qui seront mises à la disposition des auteurs des découvertes ou des ouvrages couronnés, ne peuvent être indiquées d’avance avec précision, parce que le nombre des prix n’est pas déterminé ; mais les libéralités du fondateur et les ordres du roi ont donné à l’Académie les moyens d’élever ces prix à une valeur considérable ; en sorte que les auteurs soient dédommagés des expériences ou recherches dispendieuses qu’ils auraient entreprises, et reçoivent des récompenses proportionnées aux services qu’ils auraient rendus, soit en prévenant ou diminuant beaucoup l’insalubrité de certaines professions, soit en perfectionnant les sciences médicales.

Conformément à l’ordonnance du 23 août, il sera aussi décerné des prix aux meilleurs résultats des recherches entreprises sur les questions suivantes proposées par l’Académie, conformément aux vues du fondateur.

Les ouvrages ou mémoires présentés par les auteurs devront être envoyés francs de port au secrétariat de l’Institut avant le 1er avril 1836.

QUESTION DE MÉDECINE,
PRIX DE LA FONDATION MONTYON.

L’Académie rappelle qu’elle avait mis au concours, pour 1834 la question suivante :

Déterminer quelles sont les altérations des organes dans les maladies désignées sous le nom de fièvres continues ;

Quels sont les rapports qui existent entre les symptômes de ces maladies et les altérations observées ;

Insister sur les vues thérapeutiques qui se déduisent de ces rapports.

Le prix n’a pas été décerné, mais le sujet a été remis au concours. Voici textuellement le rapport de la commission qui avait été chargée d’examiner les mémoires :

La commission qui a été nommée pour juger les pièces adressées à l’Académie, vient aujourd’hui vous rendre compte de ses travaux ; elle est composée de MM. Serres, Duméril, Double, Blainville et Magendie.

Parmi le grand nombre de réponses qui ont été soumises à son jugement, la commission a lu avec beaucoup d’intérêt, et distingué d’une manière particulière, quatre mémoires, inscrits sous les numéros 2, 6, 8 et 12.

Bien que les autres saisissent et traitent la question sous des aspects très différents, la commission se plaît à reconnaître dans chacune de ces pièces un mérite réel et une connaissance parfaite de l’état actuel des sciences, en ce qui regarde la question proposée.

Sa satisfaction a été telle, qu’elle a pensé un moment à partager le prix entre deux de ces réponses et à accorder des mentions honorables aux deux autres.

Mais en considérant que tout en traitant leur sujet avec un talent remarquable, soit dans l’exposition des faits, soit dans leur rapprochement, les auteurs y ont cependant laissé des lacunes véritables ; que, par exemple, les rapports qui existent entre les symptômes des fièvres et les lésions des organes, ainsi que les vues thérapeutiques qui se déduisent de ces rapports, ont été en général, sinon négligés, du moins présentés d’une manière beaucoup trop superficielle ; que, si ces parties de la question en sont justement les points les plus difficiles, ils en sont aussi les plus importants, et ceux qui réclament, dans l’intérêt de l’humanité, les recherches les plus approfondies ;

Considérant d’ailleurs que les mémoires qu’elle a distingués cette année lui laissent l’espoir fondé que les auteurs sont très capables d’améliorer leur travail, et de résoudre, aussi complétement que cela est possible aujourdhui, la question proposée, et qu’il résulterait de cette solution un progrès remarquable dans l’une des branches les plus obscures de la médecine théorique et pratique.

La commission a décidé qu’il n’y avait pas lieu à décerner cette année le prix de médecine de M. de Montyon, question spéciale ; elle a l’honneur de proposer à l’Académie de remettre la même question au concours, pour l’année 1836, et en même temps de rétablir le prix à sa valeur primitive, c’est-à-dire de le faire consister en une médaille d’or de 10,000 francs.

Le prix consistera donc en une médaille d’or de la valeur de dix mille francs. Les mémoires devront être remis, francs de port, au secrétariat de l’Institut, avant le 1er avril 1836.

QUESTION DE CHIRURGIE.
PRIX MONTYON.

L’Académie rappelle également qu’elle avait proposé la question suivante comme sujet d’un prix qu’elle devait décerner en 1834 :

Déterminer, par une série de faits et d’observations authentiques, quels sont les avantages et les inconvénients des moyens mécaniques et gymnastiques appliqués à la cure des difformités du système osseux.

Neuf pièces adressées à l’Académie ont été examinées par une commission composée de MM. Larrey, Magendie, Serres, Double et Savart.

Plusieurs d’entre elles offrent un mérite remarquable, soit par le nombre et l’importance des faits qu’elles contiennent, soit par les machines ingénieuses dont elles font connaître les avantages dans la cure des difformités du système osseux.

Mais aucun des concurrents n’ayant mis la commission chargée de décerner le prix à même de vérifier sur des personnes atteintes de difformités (ainsi que l’exigeait le programme) l’exactitude des faits énoncés dans les mémoires, seule manière de leur donner l’authenticité désirable, l’Académie s’est vue forcée de remettre la question au concours pour l’année 1836, en invitant les concurrents à remplir littéralement les conditions énoncées au programme.

Les concurrents devant communiquer avec les commissaires de l’Académie pour la vérification des faits et l’emploi des machines, il est indispensable que les mémoires soient signés, et que les auteurs fassent connaître le lieu de leur résidence.

Le rapport de la commission qui avait été chargée de statuer sur le précédent concours, renferme plusieurs indications que les concurrents seront bien aises de retrouver ici. L’Académie engage donc les concurrents à se rappeler que l’on demande :

1o.La description générale et anatomique des principales difformités qui peuvent affecter la colonne vertébrale, le thorax, le bassin et les membres ;

2o.Les causes connues ou probables de ces infirmités, le mécanisme suivant lequel elles sont produites, ainsi que l’influence qu’elles exercent sur les fonctions, et particulièrement sur la circulation du sang, la respiration, la digestion et les fonctions du système nerveux ;

3o.De désigner d’une manière précise celles qui peuvent être combattues, avec espoir de succès, par l’emploi des moyens mécaniques ; celles qui doivent l’être par d’autres moyens ; enfin celles qu’il serait inutile ou dangereux de soumettre à aucun genre de traitement ;

4o.De faire connaître avec soin les moyens mécaniques qui ont été employés jusqu’ici pour traiter les difformités, soit du tronc, soit des membres, en insistant davantage sur ceux auxquels la préférence doit être accordée.

La description de ces derniers sera accompagnée de dessins détaillés ou de modèles ; et leur manière d’agir devra être démontrée sur des personnes atteintes de difformités.

Les concurrents devront aussi établir par des faits les améliorations obtenues par les moyens mécaniques non-seulement sur les os déformés, mais sur les autres organes et sur leurs fonctions, et en premier lieu sur le cœur, le poumon, les organes digestifs et le système nerveux.

Ils distingueront, parmi les cas qu’ils citeront, ceux dans lesquels les améliorations ont persisté, ceux où elles n’ont été que temporaires, et ceux dans lesquels on a été obligé de suspendre le traitement ou d’y renoncer à raison des accidents plus ou moins graves qui sont survenus.

Enfin la réponse à la question devra mettre l’Académie dans le cas d’apprécier à sa juste valeur l’emploi des moyens mécaniques et gymnastiques proposés pour combattre et guérir les diverses difformités du système osseux.

Le prix consistera en une médaille d’or de la valeur de dix mille francs. Les mémoires devront être remis au secrétariat de l’Institut avant le 1er avril 1836.

Ce terme est de rigueur.

PRIX DE STATISTIQUE,
FONDÉ PAR M. DE MONTYON.

Parmi les ouvrages qui auront pour objet une ou plusieurs questions relatives à la statistique de la France, celui qui, au jugement de l’Académie, contiendra les recherches les plus utiles, sera couronné dans la première séance publique. On considère comme admis à ce concours les mémoires envoyés en manuscrit, et ceux qui, ayant été imprimés et publiés, seront parvenus à la connaissance de l’Académie ; sont seuls exceptés les ouvrages de ses membres résidants.

Les mémoires manuscrits ou imprimés, adressés par les auteurs, doivent être envoyés au secrétariat de l’Institut, francs de port, et remis avant le 1er juillet 1836 ; ils peuvent porter le nom de l’auteur : ce nom peut aussi être écrit dans un billet cacheté joint au mémoire.

Le prix consistera en une médaille d’or équivalente à la somme de cinq cent trente francs. Il sera décerné dans la séance publique de 1836.

Les concurrents pour tous les prix sont prévenus que l’Académie ne rendra aucun des ouvrages qui auront été envoyés au concours, mais les auteurs auront la liberté d’en faire prendre des copies.


Nous croyons devoir donner ici l’analyse des mémoires de MM. Poiseuille et Martin Saint-Ange (voyez ci-dessus page 521), mémoires sur lesquels il n’a pas été fait de rapport écrit. Nous donnerons de même, dans un numéro suivant, l’analyse du travail de M. Valentin et de celui de M. Léon Dufour.

Physiologie animale.Recherches sur les causes du mouvement du sang dans les vaisseaux capillaires ; par M. le docteur Poiseuille.

Voici l’analyse de ce mémoire dans les termes mêmes de l’auteur :

« Lorsque dans les vaisseaux capillaires des batraciens ou des mammifères on examine le cours des globules sanguins, on les voit, et cela dans le même vaisseau, doués de vitesses très différentes ; les uns offrent simultanément deux mouvements, l’un de rotation, l’autre de translation ; d’autres sont momentanément en repos. Deux globules présentant d’abord la même vitesse ne conservent qu’accidentellement la distance qui les sépare ; et si la vitesse du sang permet de suivre le même globule, on le voit dans le même vaisseau capillaire offrir quelquefois ces différentes phases de mouvement. La vitesse des globules dans les capillaires est moindre que dans les artères et les veines ; elle est rarement plus grande : cette remarque s’étend aussi à un vaisseau capillaire qui naît immédiatement d’une artère ou qui se rend directement dans un tronc veineux.

» Ces phénomènes divers de mouvement porteraient à penser que les globules sont doués d’un mouvement spontané, ou bien que la cause du cours du sang à travers les capillaires est différente de la cause unique qui préside au mouvement du sang dans les gros vaisseaux. »

L’auteur ne s’arrêtant pas à l’hypothèse du mouvement spontané des globules, a dû examiner avec la plus scrupuleuse attention les causes auxquelles étaient dus les mouvements du sang dans les parties isolées de l’action du cœur par une ligature, ou séparées du corps par un instrument tranchant, et ensuite étudier l’influence du cœur et des artères sur la circulation capillaire.

Il a établi, par un grand nombre d’expériences, « que le calibre que présentent les artères et les veines est dû à la pression du liquide qu’elles charrient ; que leurs parois sont incessamment distendues par le sang qu’elles reçoivent, que ces vaisseaux tendent à revenir subitement sur eux-mêmes, par suite de l’élasticité de leurs parois, dès que la cause qui les dilate cesse d’agir tout à coup. Les troncs artériels et veineux, ainsi que les petites artères et veines, partagent cette propriété ; mais en outre ces dernières, dès qu’elles ne reçoivent plus de sang, reviennent peu à peu sur elles-mêmes, et la diminution de leur diamètre continue à avoir lieu pendant un temps plus ou moins long. Ce retrait est quelquefois tel, que les vaisseaux mésentériques de la grenouille, de la salamandre, de jeunes rats et de jeunes souris, se trouvent ramenés à un diamètre qui n’est que les deux tiers de leur diamètre primitif. Il a aussi démontré que ce retrait, toutes choses égales d’ailleurs, est plus prononcé dans les artères que dans les veines. Ces faits bien constatés, il est facile de se rendre compte de ces mouvements du sang dans les parties séparées du tronc, soit par une ligature, soit par un instrument tranchant ; mouvements qu’on s’est efforcé, même dans ces derniers temps, de décorer du nom de circulation.

» En effet, un examen attentif de cette prétendue circulation fait voir, la partie étant dans un plan horizontal, que le mouvement des globules dans les capillaires est totalement aboli ; que tous les vaisseaux, artères et veines un peu considérables, charrient alors le sang des extrémités vers la surface amputée ; que ce mouvement devenant de plus en plus lent, cesse au bout de quelques minutes, et en même temps l’organe offre une quantité de sang beaucoup plus petite. Ces mouvements résultent donc tout simplement du rapprochement des parois des vaisseaux vers leur axe ; ils doivent alors pousser le sang vers leur ouverture libre. La queue des tétards de la grenouille, la patte du même animal, les mésentères de très jeunes rats, de jeunes souris, séparés du tronc par un instrument tranchant, ont présenté constamment les mêmes phénomènes. Cette pression, qu’il a constatée pour le sang des animaux, existe aussi pour les liquides végétaux ; l’auteur est porté à croire que cette sorte de circulation qu’on observe dans une stipule du ficus elastica détachée du tronc, est due à la même cause.

» L’action de la pesanteur, ainsi que celle de la chaleur, sont aussi des causes, mais dans des limites plus resserrées, du mouvement des globules dans les parties séparées du tronc, quand surtout le sang n’est pas encore coagulé dans les vaisseaux.

» De nombreuses expériences faites, 1o sur les tétards de la salamandre et de la grenouille, animaux chez lesquels la circulation se suspendant pour ainsi dire à volonté, on la voit se rétablir peu à peu du centre à la circonférence ; 2o sur la patte de la grenouille en liant les vaisseaux cruraux ; 3o sur les mésentères de grenouille et de salamandre en liant ou en coupant le cœur ; 4o sur les mésentères de jeunes rats et de souris ; toutes ces expériences, dont plusieurs trouvent leur confirmation dans celles de deux célèbres physiologistes, Haller et Spallanzani, ont convaincu M. Poiseuille que le cœur et l’élasticité des parois artérielles, provoquée par les contractions de cet organe, sont les seuls agents de la circulation capillaire dont il est ici question.

» En s’appuyant sur les faits précédents, c’est-à-dire l’action du cœur et des artères, et la tendance qu’ont ces dernières à revenir sur elles-mêmes, dès qu’elles ne sont plus suffisamment dilatées par l’ondée de sang lancée par le cœur, les circulations continue-saccadée, intermittente, oscillatoire, qui précèdent la mort de l’animal, s’interprètent avec la plus grande facilité : il en est de même de la circulation rétrograde qu’offrent les artères après la mort de l’animal et celle du cœur. »

Ces points éclaircis, l’auteur passe à l’examen de la cause des mouvements singuliers des globules, qu’il a signalés dans les vaisseaux capillaires.

« Si l’on étudie le cours du sang dans les veines et artères de la grenouille, de très jeunes rats, de jeunes souris, on voit, en allant de l’axe du vaisseau vers les parois, la vitesse des globules être tout-à-fait différente ; au centre la vitesse est à son maximum ; elle diminue au fur et à mesure qu’on s’approche des parois : tout près des parois on distingue un espace très transparent, qui n’est occupé ordinairement que par du sérum ; cet espace a une largeur égale au huitième ou dixième environ du diamètre du vaisseau. Cette partie transparente des vaisseaux, entrevue par Haller, notée par Spallanzani, dans la grenouille, comme devant être occupée par du sérum, a été de nouveau observée dans le même animal par M. de Blainville.

» Lorsque quelques globules heurtés les uns contre les autres, se trouvent lancés dans cette partie transparente des vaisseaux, les globules placés au milieu de son épaisseur ont un mouvement extrêmement lent et ils cessent de se mouvoir quand ils sont presque en contact avec les parois du vaisseau. Les globules les plus voisins de cette partie transparente ont un double mouvement de rotation et de translation ; ils roulent, pour ainsi dire, sur cette partie de sérum.

» De ces observations, l’auteur conclut que l’intérieur des vaisseaux est tapissé d’une couche de sérum en repos. On pressent déjà les conséquences qu’il va tirer de la présence de cette couche, dont il a constaté l’existence dans les vaisseaux des reptiles, des poissons, des oiseaux et des mammifères. Puisque cette couche est immobile dans son contact immédiat avec les parois des vaisseaux, toutes les fois qu’un globule s’y trouvera placé, il sera en repos, ou bien sa vitesse sera plus ou moins diminuée, si une portion plus ou moins grande du globule s’y trouve plongée : or dans les vaisseaux capillaires, les globules se meuvent entre ces deux couches de sérum ; donc leur mouvement doit être moins vite que dans les gros vaisseaux, puisqu’ils ont à vaincre l’inertie de cette couche. Si un globule est en grande partie dans la couche, cette portion du globule sera en repos, tandis que son autre portion placée dans l’axe du vaisseau aura une certaine vitesse ; alors le globule tournera sur lui-même, pour prendre sa vitesse normale en suivant le centre du vaisseau. Si de deux globules, marchant, par exemple, de front, l’un est placé plus avant dans la couche que son congénère, celui-ci poursuivra sa marche lorsque l’autre restera en arrière, et offrira les mouvements divers dont nous venons de parler.

» Des travaux de M. Girard sur l’écoulement des liquides dans des tubes de petits diamètres, ont établi pour les tubes inertes susceptibles d’être mouillés par le liquide qui s’y meut, l’existence de cette couche, dont l’auteur a constaté l’immobilité dans les vaisseaux sanguins. Cependant, il a fait passer dans des tubes de verre de petits diamètres, des liquides tenant en suspension des corps opaques ; et ayant examiné cet écoulement à l’aide du microscope, il a trouvé cette couche immobile, d’une épaisseur beaucoup plus petite que celle obtenue par les calculs de ce savant physicien.

» De là l’auteur conclut que le sang transporté par les vaisseaux, du cœur à toutes les parties du corps, ne frotte point contre leurs parois ; qu’une couche de sérum garantit, par son immobilité, ces parois de l’usure qui en serait résultée si ce frottement eût existé. En outre, on conçoit toute l’importance de cette couche immobile de sérum tapissant les parois des vaisseaux, dans l’acte de la nutrition, depuis surtout les dernières expériences de M. Muller, de Berlin, par lesquelles il a démontré que la fibrine est en dissolution dans le sérum. »

M. Poiseuille a ensuite étudié l’influence du froid et de la chaleur sur la couche de sérum : à ce sujet, nous rapporterons en peu de mots l’expérience suivante. Température, 25° centigrades ; on examine la circulation dans la patte d’une grenouille, et dans l’auge où cette patte est placée on met des morceaux de glace ; dans les gros vaisseaux, la partie transparente de sérum augmente manifestement d’épaisseur ; les globules en contact immédiat avec elle se meuvent avec plus de lenteur, les trois ordres de vaisseaux, artères, capillaires et veines, conservent sensiblement leurs diamètres, même avec un grossissement de trois cents fois ; la vitesse dans les capillaires est considérablement diminuée, et dans quelques-uns de ces vaisseaux, elle devient complétement nulle ; pendant six à huit minutes, par exemple, la circulation dans les capillaires de l’autre patte de la grenouille, conserve sa vitesse normale ; ce n’est qu’après un quart d’heure de submersion de la première patte dans l’eau glacée, que la vitesse du sang dans la deuxième patte placée dans l’atmosphère se trouve diminuée, par suite de l’abaissement de température de toute la masse sanguine. On remplace la glace de l’auge par de l’eau à 38° centigrades, et la vitesse des globules devient alors si grande, qu’on peut à peine distinguer leur forme. Sur de jeunes rats, le froid prolongé pendant quelques minutes seulement, avait arrêté la circulation dans les capillaires du mésentère ; on la vit se rétablir peu à peu, et reprendre son rhythme normal après la soustraction de la glace.

« Ainsi le ralentissement de la circulation capillaire par le froid, sa vitesse plus grande par l’action de la chaleur, s’interprètent naturellement par l’augmentation de l’épaisseur de cette couche dans le premier cas, et sa diminution dans le second.

» Ces résultats s’accordent entièrement avec ceux de M. Girard sur la variation d’épaisseur de la couche qui tapisse les parois des tubes inertes, quand la température augmente ou diminue.

» On sait que certains animaux, tels que les poissons et quelques mammifères amphibiens, se trouvent quelquefois placés à une distance de la surface de l’eau de 80 mètres environ, et supportent alors une pression de 7 à 8 atmosphères ; il était donc important de savoir comment se comportait cette couche, et en même temps de voir les modifications de la circulation capillaire sous une telle pression. C’est dans ce but que l’auteur a fait construire un appareil auquel il a donné le nom de porte-objet pneumatique. Une courte description le fera connaître, et mettra sur la voie des résultats qu’on peut tirer de son usage. Il consiste en une boîte en cuivre de forte épaisseur ; les parois supérieure et inférieure sont des glaces encastrées dans des rainures qu’offrent les parois latérales ; l’une des extrémités de cette boîte porte un tuyau en cuivre qui reçoit tantôt un tube barométrique, tantôt un manomètre à air comprimé ; l’autre extrémité présente une large ouverture, par laquelle on introduit les animaux ; à cette extrémité on adapte tantôt une pompe aspirante, tantôt une pompe foulante. L’animal préparé de manière à voir la circulation capillaire est placé dans l’instrument, et l’appareil lui-même, sous l’objectif du microscope ; on peut alors observer les modifications que peut introduire dans la circulation capillaire une pression ambiante plus ou moins considérable. Chez les salamandres, les grenouilles, leurs tétards, les très jeunes rats et les jeunes souris, les circulations artérielle, capillaire et veineuse, n’ont offert aucun changement en portant la pression, même brusquement, à 2, 3, 4, 6 et 8 atmosphères, et réciproquement. En outre, la circulation a continué à se faire avec le même rhythme sous une pression de quelques centimètres de mercure, chez les salamandres, les grenouilles et leurs tétards. En plaçant dans l’appareil de très jeunes rats, de très jeunes souris (on sait que les mammifères, pendant les premiers jours de leur naissance, peuvent rester quelques heures sans respirer), on a pu voir par l’intégrité parfaite de la circulation, chez ces animaux alors placés dans le vide, combien était illusoire l’opinion des physiologistes qui pensent que, sans pression atmosphérique, il n’y a point de circulation possible ; mais la pression atmosphérique, concurremment avec les mouvemens respiratoires, sont des causes accessoires du cours du sang, ainsi que M. Poiseuille l’a démontré dans l’un de ses précédens mémoires.

» De ces expériences il tire cette conséquence, que l’épaisseur de cette couche, dont l’existence est due à l’affinité qui s’exerce entre les parois des vaisseaux et le sérum, épaisseur qui varie d’une manière si remarquable par le froid et la chaleur, est indépendante de la pression ambiante ; que les contractions du cœur conservent leur rhythme normal quelle que soit cette pression. De là l’intégrité de la circulation, toutes choses égales d’ailleurs, chez les animaux qui, par la nature du milieu qu’ils habitent, supportent une pression plus ou moins considérable.

» Plusieurs tubes de chara, placés dans cet appareil, ont présenté, sous une pression qui a varié de 2 à 600 centimètres de mercure, le même mode de circulation ; et les mouvements de quelques infusoires contenus dans l’eau du chara, tels que vorticelles, potifères, vibrions, etc., s’exécutaient avec la même facilité qu’au sein de l’atmosphère. »

Ovologie.Recherches sur les villosités du chorion des mammifères ; par M. Martin Saint-Ange.

L’auteur cherche d’abord à se faire des idées arrêtées sur ce que l’on doit appeler chorion. L’anatomie comparée lui a fourni quelques données à cet égard. Chez la vache, la jument, la brebis et la truie, il est très facile de séparer cette membrane en trois lames ; elle est parcourue dans toute son étendue par des vaisseaux qui sont placés dans le feuillet moyen et se réunissent aux vaisseaux ombilicaux. La surface interne du chorion varie dans ses rapports avec les autres parties de l’œuf aux différentes époques de la gestation ; mais l’auteur a toujours trouvé le chorion dans ces animaux, et vers le milieu de la grossesse, en contact, dans une certaine étendue, avec l’amnios, et dans tout le reste, avec l’allantoïde ; un liquide clair et limpide existait en outre entre ces parties. « Si l’on n’admet, dit-il, dans l’œuf humain, qu’une membrane externe (le chorion), une lamelle très fine (l’allantoïde), une membrane interne (l’amnios), et une poche intermédiaire (la vésicule ombicule), on a raison de dire que la surface interne du chorion est lisse et en contact avec un liquide : mais alors il faut admettre, ajoute-t-il, que le chorion est formé de trois lames : l’une, ainsi que le pense M. Dutrochet, externe épidermoïde ; l’autre, moyenne, de nature celluleuse et renfermant des vaisseaux ; enfin, la troisième, interne, également épidermoïde. Chez la femme, hors la partie où existe le placenta, le chorion ne lui a présenté aucun vaisseau : cela n’a point lieu de surprendre, puisque, dans tout le reste de son étendue, les fonctions du chorion sont réduites à celles d’un épiderme. Selon lui, le feuillet épidermoïde externe aurait pour usage d’isoler l’œuf des parties environnantes ; le moyen servirait de gangue aux vaisseaux qui, se trouvant médiatement en contact avec des fluides sécrétés par la mère, porteraient au fœtus les éléments de sa nutrition ; et enfin l’interne serait destiné à isoler cet organe des autres parties de l’œuf.

M. Martin Saint-Ange poursuit ainsi :

« Suivant plusieurs auteurs, la périphérie de l’œuf présente, dans toute son étendue, et dès son apparition dans la matrice, des flocons, un duvet, des villosités, en un mot, elles sont d’abord éparses sur toute la surface externe de l’œuf, indépendantes toutes les unes des autres, et paraissant avoir à peu de chose près, le même degré de développement. D’abord très courtes, on a dit qu’elles n’étaient pas ramifiées, et que la surface externe de l’œuf avait l’aspect d’une peau de chagrin. Cependant nous les avons constamment trouvées ramifiées ; il est possible que cela tienne à ce que nous avons examiné des œufs humains, dont le plus jeune avait déjà un mois.

» Nous avons aussi remarqué que ces filamens cylindriques offraient un plus grand nombre de ramifications vers la fin du second ou du troisième mois, que vers le trentième jour. À mesure que la gestation avance, les villosités qui se trouvent en contact avec la caduque réfléchie, et qui occupent environ les quatre cinquièmes de la surface de l’œuf, dépérissent ; et vers la fin du troisième mois, ont entièrement disparu ; tandis que celles qui occupent l’autre cinquième prennent un accroissement beaucoup plus considérable, deviennent beaucoup plus longues et présentent plus de ramifications. Ces dernières villosités se trouvaient dans les premiers temps en contact immédiat avec la matrice, et plus tard avec la membrane caduque intra-placentaire, dans l’épaisseur de laquelle elles pénètrent plus ou moins. Cependant, sur un œuf de deux mois environ les villosités de toute la surface de l’œuf nous ont offert le même degré de développement. MM. Breschet, Raspail et Velpeau ont avancé, dans différents mémoires, qu’au commencement de la grossesse les villosités n’étaient point vasculaires. Selon nous, les vaisseaux des villosités préexistent à la formation des vaisseaux dans le cordon ombilical. Sur un œuf de deux mois environ, nous sommes parvenus, au moyen de l’air injecté dans les vaisseaux du cordon, à nous assurer que les villosités contenaient des vaisseaux. Du reste, l’existence de troncs vasculaires est, d’après ce que nous savons sur la formation des vaisseaux, une preuve de l’existence d’un réseau vasculaire au-delà des troncs. À terme, les villosités sont très grêles et très longues ; elles s’entrelacent entre elles, se contournent en différens sens et affectent toutes sortes de directions. On ne saurait mieux comparer cette disposition qu’à celle des cheveux crépus du nègre. Lorsqu’on les a isolées, on voit qu’elles ont d’un demi-pouce à un pouce de longueur ; qu’elles fournissent de nombreuses ramifications et se terminent par des extrémités renflées, arrondies et claviformes ; elles offrent en divers points de leur étendue des nodosités ou renflemens irréguliers. La veine et l’artère présentent, dans le tronc principal de la villosité un calibre assez grand. On peut suivre leurs subdivisions jusque dans les dernières ramifications de la villosité. Le plus souvent la matière injectée s’arrête dans les vaisseaux avant d’arriver au bout des dernières ramifications de la villosité et ne pénètrent point dans le réseau capillaire par lequel ces vaisseaux se terminent. Mais si l’on a injecté de l’air ou s’il s’en est mêlé au liquide dont on s’est servi pour faire l’injection, alors, à l’aide du microscope, on pourra distinguer ce réseau capillaire, et reconnaître qu’une branche artérielle et une veineuse se continuent l’une avec l’autre en formant une espèce d’anse, comme l’a observé M. Lauth. »

Voici les considérations générales par lesquelles l’auteur termine son travail.

« Les œufs des mammifères présentent toujours un placenta lorsqu’ils sont arrivés à une certaine époque de leur développement ; il est inexact de dire que la truie et la jument n’en offrent pas.

» Le placenta est toujours formé de deux parties, le placenta utérin et le placenta fœtal. Le placenta utérin consiste en une ou plusieurs portions, ou même en la totalité de la membrane muqueuse de la matrice ; les parties qui constituent cet organe se trouvent en rapport avec les villosités vasculaires du chorion ; ces parties prennent un grand degré de développement ; tantôt elles présentent des cavités ou cellules ramifiées pour recevoir les villosités dans leur intérieur ; tantôt des espèces d’enfoncements, des godets par lesquels cette membrane se trouve en contact immédiat avec les villosités ; enfin, dans d’autres circonstances, le placenta utérin est séparé des villosités par une couche de matière inorganique.

» Le placenta fœtal est constitué par l’ensemble des villosités qui revêtent la surface de l’œuf ; elles sont tantôt réunies en une seule masse, d’autres fois disséminées par plaques plus ou moins nombreuses, et enfin dans certaines circonstances, elles recouvrent en entier la surface de l’œuf. Une villosité est formée par un feuillet épidermoïde et du tissu cellulaire, où se développe un réseau vasculaire. Ce réseau fournit des ramuscules qui se réunissent à ceux des autres villosités, pour donner naissance à des branches se terminant par trois ou quatre troncs connus sous le nom de vaisseaux ombilicaux.

» D’après ce que l’on voit sur la jument et la truie, où toute la surface du chorion est recouverte de villosités ; sur la brebis et la vache, où elles occupent une moindre surface ; d’après ce que l’on observe chez la femme, etc., on peut admettre que plus les villosités sont répandues sur une grande surface, plus elles sont courtes et petites.

» Chez les différents animaux les villosités présentent de nombreuses variations dans leurs dispositions, leurs formes, etc. D’après cela, la circulation du fœtus est-elle dépendante de celle de sa mère, comme le veulent certains auteurs ? Telle est l’importante question que nous avons maintenant à résoudre. S’il en était ainsi, une injection faite dans les vaisseaux des membranes de l’œuf devrait nécessairement passer dans ceux de la mère, et une substance injectée dans les vaisseaux de la mère devrait, sans aucun doute, pénétrer dans les vaisseaux du fœtus. Nous avons souvent répété ces expériences sur différents animaux, et nous pouvons affirmer que jamais nous n’avons pu réussir à faire passer une injection soit des vaisseaux du fœtus dans ceux de la mère, soit des vaisseaux de celle-ci dans ceux du fœtus. Au fait que nous venons d’énoncer, nous ajouterons les considérations suivantes : nous dirons d’abord que le sang du fœtus ne ressemble aucunement à celui de la mère, et nous nous fonderons sur les observations faites par Autenrieth et M. Velpeau. Ces auteurs ont vu que le sang fœtal est d’abord rosé, puis devient rouge, ensuite noirâtre, et ne présente pas de différence de couleur dans les veines et les artères. Tiedemann a trouvé qu’il renferme une proportion de sérum beaucoup plus considérable que chez l’adulte ; qu’il est moins coagulable, et d’après les observations microscopiques de MM. Prevost et Dumas, les globules du sang sont tellement petits chez le fœtus, que ceux de l’adulte ne pourraient traverser les mêmes vaisseaux sans détruire l’équilibre de toutes les fonctions et produire la mort. Quand même on n’aurait pas reconnu ces différences, on doit présumer que la nature de ce fluide doit être en rapport avec chaque âge du fœtus. Ajoutons que le nombre des battements du cœur du fœtus est presque le double de celui de la mère, qu’une libre communication a lieu entre les artères et la veine ombilicale ; rappelons-nous la disposition anatomique des vaisseaux dans le placenta, et les faits que nous avons tirés de l’anatomie comparée, et nous arriverons à cette induction, que les vaisseaux du fœtus ne communiquent pas avec ceux de la mère ; que les premiers forment un cercle propre au fœtus, et que la circulation fœtale est tout-à-fait indépendante de celle de la mère.

» Ainsi l’on peut, jusqu’à un certain point, comparer le placenta aux branchies des tétards de la grenouille : en effet, ces deux organes sont également transitoires ; la distribution des vaisseaux se fait de la même manière dans les deux, et les fonctions qu’ils ont à remplir sont à peu près analogues. »


LECTURES.
Coup d’œil sur quelques progrès des sciences mathématiques, en France, depuis 1830, par M. Charles Dupin, président.
Messieurs,

Qu’il me soit permis de signaler quelques conquêtes mathématiques accomplies depuis 1830. On verra qu’en cette période, si courte et si profondément agitée, les sciences, poursuivant leurs travaux avec un paisible courage, n’ont pas fait défaut à la gloire de la France.

Au moment que j’ai pris pour point de départ, l’Académie perdait l’un de ses membres les plus illustres. M. Fourier était au nombre des esprits profondément méditatifs qui, plus jaloux de multiplier leurs découvertes que d’en recueillir la gloire, gardent long-temps le silence sur des travaux dont un seul suffirait pour donner la renommée à son auteur. Telle est la Résolution générale des équations numériques, dont M. Fourier avait jeté les bases dès l’âge de 18 ans, qu’il a développée dans quelques leçons orales, avant de partir pour l’expédition d’Égypte, et qu’on a trouvée manuscrite dans ses papiers après sa mort. Ses moyens de solution offrent à la fois l’avantage d’une exactitude rigoureuse et d’une application aussi facile que rapide ; double mérite que Lagrange même n’avait pas réuni dans son bel ouvrage sur le même sujet : tantôt il métamorphose, il perfectionne des méthodes signalées par les noms du grand Newton, de Lagrange et de Daniel Bernouilli ; tantôt il invente, comme dans sa théorie tout-à-fait neuve du calcul des inégalités, théorie dont il montre la fécondité.

L’œuvre où se révèle un tel génie d’invention est publiée, complétée et corrigée, comme devrait l’être tout esprit posthume, avec un talent, avec un dévouement, avec un respect presque filial, également honorable pour le grand géomètre et pour son ami, son élève et son digne confrère M. Navier.

Les recherches que nous venons d’indiquer portent éminemment le cachet des travaux de Fourier, travaux où chaque découverte théorique est illustrée par des applications importantes ; tandis que chaque grande application, impraticable avant lui, devient possible par les méthodes d’analyse générale qu’il invente dans ce dessein même. C’est le double succès qu’on admire surtout dans sa théorie mathématique de la chaleur, et dans les méthodes d’intégration qui la caractérisent et la fécondent.

Les sciences exactes ont fait, dans la personne de M. Legendre, une autre perte irréparable. À 78 ans il réimprimait et perfectionnait sa théorie des nombres ; à 80 il achevait et publiait le troisième et dernier supplément de ses Fonctions elliptiques : ouvrage où des calculs immenses et des recherches aussi neuves que profondes, montrent ce qu’avait conservé de puissance intellectuelle ce vieillard illustre par son génie et vénérable pour son beau caractère. Récompensé par Napoléon pour avoir, avec Lagrange et Laplace, conservé durant le grand règne, la suprématie mathématique de la France ; dépouillé dix ans plus tard, pour avoir refusé d’inféoder son suffrage académique, audacieusement réclamé comme un tribut monarchique, et pour avoir fait entendre au pays le cri de sa conscience indignée, M. Legendre supporta sans se plaindre cette adversité glorieuse. Il se consola de sa fortune déchue par de nouveaux services rendus à la science. Enfin, après avoir tout fait pour mériter la gloire la plus pure, il mourut en défendant qu’on écrivît son éloge ; mais il n’a pu nous interdire de jeter comme un germe fécond, dans le cœur des néophytes de la science, le souvenir de sa carrière et l’exemple de ses vertus.

L’Académie reste fidèle au système qui fit admettre dans son sein, sans distinction d’origine, les Huygens et les Cassini. Elle a remplacé Legendre par un géomètre qui naquit dans la patrie de Galilée. Nos derniers volumes sont enrichis de ses recherches sur l’intégration des équations linéaires aux différences du second ordre et des ordres supérieurs. M. Libri vient de publier le premier volume de son Histoire des mathématiques en Italie ; tandis qu’il en faisait hommage à l’Institut, l’édition entière, partageant le sort de la Mécanique céleste, était dévorée par le vaste incendie que la capitale déplore. L’auteur supportait sa perte avec le calme du sage, et prenait ainsi pour lui-même la première des leçons que donnera son ouvrage. C’est un édifice qu’il érige à la philosophie des sciences, pour montrer à la jeunesse, non pas le spectacle fréquent du génie accueilli, honoré, récompensé ; mais attaqué, mais persécuté, mais proscrit, comme Galilée, comme le Dante, comme Machiavel. « Cette lutte persévérante, dit-il, ce grand drame intellectuel, m’ont paru renfermer de hautes leçons de morale, utiles surtout dans des temps où le découragement et le suicide suivent de si près le moindre désappointement des jeunes gens. » Il est beau de voir la plus austère des sciences offrir ses mâles remèdes à la jeunesse empoisonnée par une littérature délétère, et présenter aux âmes généreuses, pour espérance qui les rattache à la vie, l’ambition sublime de mériter l’ingratitude et l’outrage de nos contemporains, à force de services et de gloire.

L’analyse transcendante continue d’être cultivée, agrandie par l’héritier scientifique des Laplace et des Lagrange. M. Poisson recule les bornes d’un genre de recherches qu’ont abordé tour à tour et ces deux géomètres, et Legendre et M. Biot parmi les Français, Ivory et Gauss parmi les étrangers ; c’est l’attraction des ellipsoïdes homogènes, quelle que soit la position du point attiré.

Il traite à nouveau le mouvement de la Lune autour de la Terre, sujet traité successivement par les plus grands mathématiciens depuis Newton jusqu’à Laplace et par MM. Plana, Garlini, Damoiseau. Pour résoudre les plus graves difficultés de cette matière, l’auteur cherche des moyens de solution dans la méthode si générale et si féconde de la variation des constantes arbitraires ; méthode qu’il a complétée presqu’au moment où Lagrange, septuagénaire, érigeait ce dernier monument de son génie.

Il aborde le calcul même des variations, la grande découverte analytique du 18e siècle, qui laissait encore à désirer la solution d’un cas général et très difficile ; c’est la variation des intégrales doubles, en considérant d’une manière complète les termes de cette variation qui correspondent aux deux limites. Il remplit cette lacune et fournit des moyens nouveaux d’appliquer aux questions de mécanique et de physique cet admirable calcul.

La théorie générale des mouvements d’un corps solide est devenue l’objet des études simultanées de deux géomètres puissants, l’un par les ressources de l’analyse, l’autre par celles de la géométrie. Le premier, dont nous venons de rappeler les grands travaux, est resté digne de lui-même en prouvant la fécondité de sa méthode favorite. Le second, M. Poinsot, inventeur des nouveaux polyèdres réguliers, et créateur de la théorie des couples, qui change la face de la statique et de la mécanique, entreprend de traiter par la seule géométrie les questions transcendantes du double mouvement des corps, la translation et la rotation. Qu’on se figure les axes instantanés de rotation et les axes principaux d’un corps figurés par des droites apparentes, et sur ces droites des points distincts marquant la position du centre de gravité du corps, on va former des orbes indices de translation, et des surfaces indices de rotation. Eh bien ! par les conceptions ingénieuses, par la théorie lucide de l’auteur, les propriétés géométriques de ces orbes et de ces surfaces, corrélatives à celles du corps et des forces qui l’animent, sont rendues pour ainsi dire visibles à l’œil et palpables à l’imagination ; elles offrent une série de théorèmes aussi nouveaux qu’inattendus ; elles font connaître à l’esprit l’un des plus nobles plaisirs que puisse éprouver notre intelligence à la vue de cette manière si brillante et si sensible de suivre et de comprendre, dans toutes leurs phases, des transformations jusque-là cachées sous des formes analytiques mystérieuses comme les oracles d’une puissance invisible.

Lorsque les héros français envoyés par l’homme du siècle, remontaient le fleuve dont la source est inconnue, guidés par nos savants devanciers, ils découvrirent tout-à-coup Thèbes, la ville aux monuments à formes géométriques largement dessinées par les rayons d’une lumière tropicale ; à cette vue sublime, ils furent saisis du même enthousiasme qu’ont éprouvé les jeunes amis de la science qui se pressent à nos réunions hebdomadaires, lorsque le savant moderne dévoila devant eux le monument de sa géométrie.

Un profond analyste, M. de Corancez, mort victime de la funeste épidémie de 1832, a laissé pour dernier produit de ses veilles une savante théorie du mouvement de l’eau dans les vases ; théorie publiée depuis sa mort sous les auspices de notre célèbre confrère M. de Prony.

Un digne élève de Monge et de Fourier, en a suivi l’esprit et continué les découvertes par ses recherches sur les transversales, sur les propriétés projectives des figures, enfin sur le calcul numérique et les limites des séries dirigées vers un but d’applications ; but auquel appartiennent ses plus beaux titres.

Nous rappellerons seulement ses roues hydrauliques à formes savantes, devenues populaires sous le nom industriel de roues-à-la-Poncelet. Quand leur adoption, qui s’étend chaque année, sera complète, un seul perfectionnement théorique aura fait gagner à la France le travail quotidien d’une force motrice que nous n’évaluons pas à moins de 20,000 chevaux, ou de 120,000 hommes.

Les travaux des officiers de l’artillerie et du génie civil, militaire et naval, offrent un ensemble admirable de calculs, d’observations et d’entreprises. En nous bornant aux faits les plus remarquables, citons seulement : pour les Ponts et Chaussées, les ponts à bascule armés d’un dynamomètre comparable et perfectionné, que récompense aujourd’hui l’Académie ; le plus grand pont de l’Europe et de l’Amérique, suspendu de montagne à montagne, par-dessus Fribourg, au milieu des Alpes ; pour le génie militaire et l’artillerie, les théories de la poussée des terres et des voûtes, rendues plus rigoureuses et plus applicables ; les lois de l’écoulement des fluides par de grands orifices, étudiées et tirées de l’expérience ; les lois du choc des projectiles et leur pénétration dans les corps de diverse nature, pareillement recherchées et calculées ; le frottement des machines, de nouveau soumis à l’expérience, et le travail de l’illustre Coulomb complété ; enfin, pour le génie maritime, un port, un arsenal, des vaisseaux du premier rang improvisés dans la basse Égypte ; et, dans la Thébaïde, les ressources de l’art naval appliquées à l’enlèvement de l’obélisque de Louxor comme à l’abattage d’un mât, avec tant de talent et de simplicité que huit hommes ont suffi pour modérer et régulariser la descente d’un obélisque qui pèse 3600 hommes.

Voilà les travaux des Raucourt, des Changey, des Poncelet, des Lesbros, des Piobert, des Morin, des Cérizy et des Lebas, tous enfants de l’École Polytechnique.

L’Observatoire de Paris offre un autre essaim glorieux de cette ruche immortelle. C’est là qu’ont été découvertes les plus belles lois des intermittences et de la polarisation, et leurs applications si neuves et si frappantes sur la nature même de la lumière du soleil et des autres astres. C’est là surtout qu’on s’est efforcé d’étudier les lois de la distribution de la chaleur, suivant la profondeur des couches de la terre. C’est là que nos astronomes ont recueilli dans ces dernières années près de cent mille observations sur l’aiguille aimantée, pour déterminer les lois des variations diurnes soit de l’inclinaison, soit de la déclinaison. Enfin, c’est là qu’on a reconnu le fait si remarquable de la perturbation des mouvements magnétiques par les aurores boréales même à d’énormes distances.

Maintenant, à l’Observatoire, on découvre ou signale de telles aurores, complétement invisibles à Paris : plus tard nous apprendrons qu’elles sont apparues aux extrémités de l’Europe et même par-delà l’Océan, sur le continent de l’Amérique.

L’astronome célèbre auquel appartient cette découverte a fait pour la science une autre conquête peut-être plus difficile. L’Observatoire, riche en instruments qui sont l’honneur de notre industrie récente, n’offrait pas de constructions spacieuses qui leur assurassent la parfaite immuabilité, ni la facilité, ni la sécurité des observations ; en un mot, qui n’offrait pas les conditions impérieuses d’une science dont les progrès futurs exigent une précision mathématique. Il a présenté, dans la chambre dont il est membre, le tableau des découvertes auxquelles la science aspire. Il a montré l’étranger marchant à leur conquête, avec plus d’avantages, par le bénéfice, non du génie mais du matériel scientifique ; il a demandé simplement, aux représentants du pays, s’ils voudraient ou non déshériter la France d’une gloire que l’esprit humain s’apprête à saisir ? À ce noble langage du savant qui réclame pour la science, les funestes traces des partis se sont effacées ; on n’a vu que la patrie et que sa renommée : aussitôt la générosité du législateur a surpassé la demande et l’espoir de l’astronome. Le Gouvernement, stimulé par la même émulation, s’est mis à l’œuvre sans retard, et deux ans et deux cent mille francs ont suffi pour tout accomplir avec la grandeur qui convient à la France.

Passons à d’autres travaux pareillement consacrés à la gloire, à l’utilité du pays. Je veux parler des grandes entreprises destinées à décrire mathématiquement les côtes, le territoire et le sol français.

Après avoir entrepris et terminé l’hydrographie des côtes de Belgique et de Hollande, sous le régime de l’Empire, puis celle des côtes de l’Océan, depuis Ouessant jusqu’à l’Espagne, notre confrère M. Beautemps-Beaupré, continue sur le même plan l’hydrographie des côtes de la Manche, qui précédera celle des côtes de la Méditerranée. Dans trois campagnes, il aura terminé pour la mer Atlantique cet ensemble d’opérations, où la rigueur des méthodes qu’il a perfectionnées, où la précision scrupuleuse des observations et des explorations sur terre, sur mer et je dirai presque sous la mer, où le contrôle des calculs toujours faits à deux reprises par des ingénieurs différents, enfin, où la beauté de l’exécution graphique, rivalisent, afin de produire un ouvrage qui soit digne de l’état actuel des sciences et des arts. Un mot suffira pour faire apprécier la grandeur de l’entreprise. L’hydrographie complète des côtes de France, exécutée dans le double intérêt du commerce et de la force navale, aura demandé cinq millions de francs, trente ans de travaux du corps savant des hydrographes, la moitié de la vie du chef de ce corps, et 450 volumes in-4o d’observations et de calculs, pour préparer le grand Atlas du Pilote français.

Moins avancée que cette entreprise, mais d’un travail encore plus vaste, la nouvelle carte de France est exécutée sur un plan général que l’illustre auteur de la Mécanique céleste a marqué du sceau de la géométrie. M. de Laplace, recherché pour son génie par Napoléon, accueilli pour son esprit sous Louis XVIII, a fait servir sa haute influence afin d’obtenir qu’on opérât avec un corps de savants géographes, anciens élèves de l’École Polytechnique. On a sillonné la France de frontière à frontière opposée, par deux nouvelles chaînes de triangulations méridiennes et par six chaînes de triangulations parallèles, observées avec des instruments perfectionnés, calculées par les méthodes que fournissaient les progrès récents de la géodésie et de l’astronomie. Cet immense travail s’est accompli de 1818 à 1830.

Déjà les hydrographes et spécialement M. Daussy, ont mesuré la grande chaîne sinueuse qui suit les côtes de l’Océan. En 1830, 1831 et 1832, les géographes ont mesuré la chaîne qui suit les côtes de la Méditerranée depuis Perpignan jusqu’à Marseille.

Des mémoires dignes de l’entreprise et soumis au jugement de l’Académie, ont fait connaître les résultats des principales chaînes : tel est celui de M. le colonel Corabœuf sur les opérations géodésiques des Pyrénées et la comparaison du niveau des mers ; travail qui démontre, pour la première fois, l’égale hauteur de l’Océan et de la Méditerranée. L’ensemble des opérations est exposé dans la nouvelle description géométrique de la France, œuvre de notre confrère M. Puissant, qui, depuis plusieurs années, a la direction scientifique des travaux de la Carte de France.

Des conséquences d’une haute importance dérivent des mesures prises avec cet ensemble, prolongées déjà pour la méridienne jusqu’aux Orcades vers le nord, et jusqu’aux Baléares vers le sud, par MM. Biot et Arago ; prolongées ensuite pour le parallèle moyen depuis l’Océan jusqu’à l’Adriatique.

Ces conséquences sont exposées et démontrées dans un mémoire lu par M. Puissant à l’Académie, en 1833, sous le titre de Nouvelles comparaisons des mesures géodésiques et astronomiques de France. Elles font voir : 1o que l’aplatissement de la terre, pour la portion qu’occupe le territoire français, est plus considérable qu’on ne l’avait précédemment évalué ; 2o que la surface de ce territoire, considérée dans son ensemble, n’est pas formée de deux portions d’un même sphéroïde, symétriques à l’orient et à l’occident du méridien de Paris. Ce méridien même et tous les autres méridiens qui sillonnent la France, ne sont pas des courbes planes non plus que les parallèles ; ils ont dans les limites du royaume une double courbure très prononcée ; leurs plans osculateurs sont inclinés les uns vers l’occident les autres vers l’orient d’un méridien théorique et plan : M. Puissant fait connaître ces inclinaisons pour les points principaux des grandes chaînes de la Carte de France. En même temps, la chaîne mesurée par Delambre et Méchain est corrigée dans sa partie intermédiaire et dans son résultat final à la base de Perpignan.

La France divisée en 21 quadrilatères par les grandes chaînes méridiennes et parallèles, on s’est proposé de couvrir ces quadrilatères par un réseau de triangles primordiaux ayant pour sommets les points culminants du sol et des monuments les plus remarquables. Une triangulation du second ordre rattache à ces repères principaux tous les points essentiels dans les topographies locales. Enfin le cadastre, partant de ces derniers réseaux, les remplit en mesurant par voie d’arpentage les propriétés distinctes qui couvrent le sol français.

Quand les triangulations seront complètes, elles donneront la position de quarante mille points mathématiquement déterminés par l’azimuth, la latitude, la longitude et l’altitude, c’est-à-dire la hauteur au-dessus du niveau moyen des mers.

Depuis 1830, il faut l’avouer, ces triangulations ont été poursuivies avec lenteur. Une mesure peu scientifique a détruit le corps des ingénieurs géographes, exclusivement alimenté jusqu’en 1831 par l’École Polytechnique. Confondus désormais avec les officiers d’état-major, assujettis à des services étrangers à la géométrie et plus favorables aux récompenses que décerne le pouvoir, les vrais géographes de la Carte de France diminueront en nombre comme en travail spécial ; ils n’auront plus ces occupations exclusives qui conduisent exclusivement à la supériorité. Formons au moins des vœux pour que ceux qui vivent encore soient tous employés à finir le grand ouvrage qu’ils ont commencé. Ce serait une honte pour le 19e siècle et pour un gouvernement ami des arts, si, dans ses mains, une entreprise illustre du régime déchu s’achevait en dégénérant, et si l’on substituait des travaux militairement expéditifs à des travaux laborieusement scientifiques. Disons-le hautement : ce ne sera ni la dépense totale, ni la beauté de la gravure, ni la grande échelle des planches qui feront de la Carte de France un monument digne du peuple français ; ce sera la rigueur, la précision mathématique apportée dans l’ensemble et dans le détail des opérations. Voilà la perfection qu’il appartient à l’Académie des Sciences de réclamer comme une gloire nationale à laquelle on doit porter un respect religieux !

La position mathématique de tous les points importants déterminée, il restait à décrire la nature même du sol. Tel est l’objet qu’atteint la Carte géologique de France, entreprise dans l’intérêt des sciences naturelles et des arts industriels. Essayée, il y a soixante ans, sous le patronage de Lavoisier, interrompue par la révolution, elle fut reprise en 1825 par trois élèves de l’École Polytechnique ; le premier en grade comme en âge, M. Brochant, déjà membre de l’Académie et directeur de l’entreprise dont il a donné le plan ; le second, appelé dans cette année, dans ce mois même, à siéger parmi nous ; le troisième, admis au premier rang parmi les concurrents et les émules de ce célèbre collaborateur.

En dix ans de voyages, d’explorations, d’études et de découvertes sur le territoire entier de la France et sur celui des pays limitrophes, l’Angleterre, l’Espagne, l’Italie, la Suisse et l’Allemagne occidentale, MM. Élie de Beaumont et Dufrénoy ont complété les matériaux de la Carte dont les lignes primordiales, les intersections des couches essentielles et de la surface visible, sont aujourd’hui dessinées et gravées. Elle n’a plus à recevoir que des hachures, des cotes et des légendes, pour présenter un monument comparable, sous tous les rapports et sous quelques-uns supérieur à la belle carte géologique de l’Angleterre.

On a commencé par département, des cartes de détail que j’appellerai le cadastre géologique de la France, pour offrir la topographie spéciale et complète de nos richesses minérales. Ces cartes auront pour cadre et pour repères les grands tracés et les données fondamentales de la carte d’ensemble. Déjà plusieurs conseils généraux ont voté les fonds nécessaires à ces entreprises départementales. Il y a trop de lumières et d’amour du bien dans ces conseils électifs pour qu’on puisse douter un moment qu’un seul d’entre eux recule devant un sacrifice d’où résulteront tant de notions favorables et utiles à l’agriculture, au commerce, aux manufactures, aux besoins de la vie privée et des services publics.

Des ingénieurs formés à l’illustre école de Monge, ne pouvaient suivre avec autant de constance l’étude des territoires si grands, si variés, qu’ils avaient à décrire, sans s’élever à des considérations de haute géométrie et de mécanique appliquées à la géologie ; c’est ce qu’a fait, avec un rare bonheur, M. Élie de Beaumont, dans ses vues si neuves et si fécondes sur le soulèvement successif des grandes couches minérales qui forment l’enveloppe du globe.

L’application des sciences mathématiques aux sciences naturelles, aux besoins de l’industrie, aux travaux publics, dont nous venons d’offrir de si beaux exemples dans les travaux auxquels l’Académie préside, forme le caractère le plus remarquable des progrès actuels des connaissances humaines.

On continue, on développe la théorie de la chaleur, fondée par Fourier. C’est l’objet d’un grand ouvrage de M. Poisson.

Ce que ne peut la soustraction de la chaleur même par des agents chimiques, la mécanique le produit. En 1830, l’Académie récompense, par un prix, la machine à comprimer les gaz de M. Thilorier. L’application de cette machine procure à la chimie le gaz acide carbonique, d’abord liquéfié, puis solidifié : transformations d’une haute importance.

Un correspondant de l’Académie, M. Melloni, nous révèle des faits nouveaux sur la chaleur rayonnante, et les soumet au calcul.

M. Biot, auquel nous devons un rapport, ou plutôt un savant traité sur les expériences de M. Melloni, recule par ses propres travaux les bornes des applications de l’analyse mathématique à la chimie. Il fait servir les phénomènes de la polarisation circulaire soumise aux lois du calcul, à l’explication des phénomènes extrêmement remarquables de la chimie organique ; il poursuit depuis plusieurs années ce sujet, entièrement neuf.

Franklin, Galvani, Volta, Œrsted et Seebeck, ont découvert les faits primordiaux sur l’électricité, le galvanisme et le magnétisme, desquels découlent de vastes séries de phénomènes. Les savants français ont découvert les lois théoriques de tous ces phénomènes. Voilà la gloire de Coulomb et de M. Poisson, pour l’électricité statique ; voilà celle de MM. Ampère, Arago, Biot, Savart et Savary, pour l’électricité dynamique.

Au milieu de ces savants, M. Becquerel s’ouvre une route spéciale ; il attaque la chimie avec des armes qu’il se rend propres, pour soumettre cette science à l’empire des lois mathématiques. L’électricité, le galvanisme, sont les forces, ou pour mieux dire, sont la force qu’il emploie. Doué par la nature de cette délicatesse d’organes et de cette finesse d’observation, qui nous permettront de l’appeler le Wollaston français, lorsqu’il veut calculer les plus grandes actions des puissances qu’il étudie, il lui suffit d’appareils presque microscopiques. Il découvre, il apprécie avec une sagacité merveilleuse les deux électricités qui se développent dans la production des actions chimiques ; il perfectionne la pile thermoélectrique, et lui donne un nouveau prix par l’importance de ses applications. Des fils métalliques d’une extrême ténuité, lui permettent de mesurer la chaleur intérieure des animaux et de l’homme, dans les diverses parties de leur système organique, ainsi que les variations de cette chaleur par l’effet des maladies ; matière entièrement neuve et précieuse pour les sciences médicales.

Un voyage que le même savant et M. Breschet, son collaborateur pour ces dernières expériences, ont fait dans le midi de la France et dans le nord de l’Italie, leur a permis d’appliquer leurs instruments et leurs méthodes à des phénomènes dont l’observation recule encore les limites de la science.

Le génie mathématique étend ainsi ses applications jusqu’aux phénomènes de l’organisme animal.

L’acoustique est employée pour étudier par l’intensité, par la variété, par le rhythme des sons émanés du cœur et du poumon, l’état salubre ou maladif de ces organes, et pour connaître la nature et le degré des affections morbides.

Notre confrère M. Magendie, par des considérations ingénieuses, emprunte à la mécanique son explication des bruits normaux du cœur, qu’il rapporte à des oscillations de cet organe.

Notre confrère M. Flourens cherche, dans la pression mécanique exercée sur le cerveau, l’explication des états où se trouve placé l’homme soumis à l’opération du trépan, et l’effet même de cette opération. Il étudie en habile physicien le phénomène de la respiration des poissons ; il démontre par quel effet hydrostatique les poissons respirent plus d’oxigène libre dans l’eau, qui semble leur en offrir si peu, que dans l’air atmosphérique où ce gaz vital s’offre avec abondance.

M. Dutrochet, qui nous a révélé tant de faits ingénieusement observés sur la dynamique intérieure des végétaux, a porté ses investigations sur le mécanisme de la respiration des insectes, soit aquatiques, soit aériens, en examinant les opérations chimiques accomplies durant cet acte de leur existence.

Je suis loin d’avoir énuméré tous les genres nouveaux d’applications des sciences mathématiques aux sciences naturelles ; je n’ai pas même abordé les applications aux sciences politiques et d’économie sociale et les recherches sur la population : ayant pris quelque part à ces travaux, je les passerai sous silence.

Mais, dans cette esquisse rapide, incomplète, imparfaite, je le demande avec confiance, n’apercevez-vous pas l’utilité toujours croissante et l’étendue des services, et la sublimité des titres de la science, même en ce laps de temps si court, si traversé, si turbulent, où j’ai voulu me renfermer ? Les sciences sont donc animées d’une activité qui leur est propre ; elles ont une puissance progressive supérieure aux obstacles des temps, des choses et des hommes. Les passions humaines, les ambitions vulgaires, les intérêts des partis passent, mais les efforts de la science, les sacrifices faits pour elle, les conquêtes accomplies en son nom subsistent et contribuent à grandir l’héritage de services et de gloire sur lequel s’élève aujourd’hui la majesté des sciences.

Je m’arrête, pour ne pas abuser de votre indulgence et pour céder à votre juste désir d’entendre l’académicien dont j’indiquais tout à l’heure les belles recherches, énumérer devant vous les titres de gloire du savant illustre que regrettent également la haute administration, les arts et les sciences.

Après cette lecture de M. le Président, M. Flourens, secrétaire perpétuel, lit l’éloge historique de feu M. le comte Chaptal.

La séance est levée à 5 heures.

F.

Erratum pour le numéro précédent (séance du 21 décembre).
Page 508, ligne 6, lumineux, lisez calorifiques.