Comptes rendus de l’Académie des sciences/Tome 1, 1835/21 septembre


SÉANCE DU LUNDI 21 SEPTEMBRE 1835.
PRÉSIDENCE DE M. Ch. DUPIN, VICE-PRÉSIDENT.



CORRESPONDANCE.

M. Baudelocque (neveu) fait connaître un nouveau procédé pour conserver la vie à l’enfant, dans l’accouchement par les pieds, quand, le tronc étant déjà sorti, la tête se trouve arrêtée dans le bassin. Ce procédé consiste à introduire une sonde dans la bouche de l’enfant, pour le faire respirer avant sa naissance. L’auteur l’a mis deux fois en pratique ; et chaque fois, la respiration s’étant établie régulièrement, l’enfant a pu être extrait vivant. L’application de ce nouveau procédé ne se borne pas, d’ailleurs, aux seuls cas où la tête du fœtus reste trop long-temps engagée dans le bassin, après la sortie du tronc ; elle s’étend à tous ceux où la vie du fœtus est compromise par la compression du cordon ombilical.

M. Sollier présente, pour le concours Montyon (Médecine et Chirurgie), un petit appareil ayant pour objet de faciliter la marche des personnes qui sont obligées de faire usage de béquilles.

Hygiène publique.Eaux devant servir à l’alimentation de la ville de Bordeaux.
(Commissaires, MM. Thénard, Dumas, Robiquet.)

M. le Ministre de l’instruction publique transmet deux lettres, l’une de M. le préfet de la Gironde, et l’autre de M. le maire de Bordeaux, tendant à obtenir, de l’Académie, l’analyse de différentes eaux destinées à l’alimentation de cette ville.

L’objet dont il s’agit n’est rien moins que de pourvoir la ville de Bordeaux « d’un système hydraulique qui lui assure une quantité suffisante de bonne eau potable, qui servira, à la fois, à la boisson de 100 à 120 mille habitans qui composent sa population, à leurs besoins domestiques, aux usages des établissemens industriels, et à l’irrigation de 7 à 800 rues, places, etc. »

Plusieurs compagnies ont déjà fait des offres pour fournir, les unes des eaux de sources, et les autres des eaux de la Garonne, préalablement reposées et filtrées. L’administration municipale, avant de faire un choix entre les divers plans qui lui sont soumis, a voulu consulter l’opinion de l’Académie sur plusieurs questions qu’elle lui adresse, et notamment sur ce qui concerne la nature des eaux.

À cet effet, aux lettres de M. le préfet et de M. le maire, dont il vient d’être parlé, se trouve joint l’envoi de plusieurs bouteilles de chacune des eaux proposées ; et chaque bouteille porte une note qui indique la source où l’eau qu’elle contient a été puisée.

Règne animal.Tableau de la nouvelle division de ce règne, par M. Ehrenberg, membre de l’Académie de Berlin, et correspondant de l’Institut de France. (Voyez le Bulletin bibliographique, à la fin de ce numéro.)

M. de Humboldt, qui présente ce Tableau à l’Académie, de la part de l’auteur, l’accompagne de la note suivante :

« Dans sa nouvelle classification, M. Ehrenberg distribue le règne animal en 28 classes, fondées sur leur organisation et la généralité d’un type qui se révèle dans les systèmes sensitif, vasculaire, de locomotion, de nutrition et de propagation. Vingt-deux de ces groupes appartiennent, dans le système de M. Ehrenberg, aux animaux sans vertèbres, qu’il divise, selon qu’ils possèdent un cœur ou en sont dépourvus, en Cordata et Vasculosa. Dans ceux-ci, les vaisseaux ne présentent pas de pulsation ; le mouvement rapide du liquide est souvent favorisé par l’oscillation des parois internes des vaisseaux. L’organe digestif est ou unique (simple), comme dans les Tubulata, ou divisé et multiforme, comme dans les Racemifera, dont la dernière classe, à cils vibrans et hermaphroditisme presque toujours visible, offre les Polygastrica, ou Infusoires.

» M. Ehrenberg a eu occasion, dans le cours de deux expéditions (l’une en Syrie, en Nubie, à Dongola et à la mer Rouge, l’autre dans le nord de l’Asie et à la mer Caspienne), d’observer un grand nombre d’organisations. Il a continué ses recherches microscopiques sans relâche en Europe ; mais il ne présente son Tableau général que comme un essai susceptible de perfectionnement et de développement successifs. »

Embryologie.Anatomie de l’œuf humain.

M. Velpeau répond aux objections qui ont été dirigées contre lui, dans la séance précédente, par MM. Coste et Thomson. Il maintient que le produit de conception présenté par M. Coste, est un produit tout-à-la-fois altéré, et plus avancé que quelques-uns de ceux que lui, M. Velpeau, a déjà décrits. Il soutient, au reste, que ses deux adversaires se sont entièrement mépris sur le vrai sens de la plupart de ses opinions, au point qu’ils vont jusqu’à lui en attribuer de totalement opposées à celles qu’il a, comme, par exemple, que la vésicule ombilicale se trouverait dans la cavité de l’amnios, chose qu’il n’a jamais dite, etc. Sa lettre est renvoyée à la commission qui doit prononcer sur les diverses pièces relatives à cette discussion.

Voyage à la recherche de la Lilloise.Extrait (communiqué par M. de Freycinet) d’une lettre de M. Gaimard, chirurgien-major de la corvette la Recherche, en date de Cherbourg, 17 septembre 1835.

« Notre voyage est terminé, et le peu d’empressement que j’ai mis cette fois à vous écrire vous indique déjà que le but principal de notre expédition n’a pas été atteint. Je dois cependant vous faire part des recherches que j’ai faites depuis que j’ai laissé Olafsvik, ville d’où je vous écrivis la dernière fois. (Voyez page 24 du Compte rendu de la séance du 10 août.)

» Après avoir quitté ce lieu le 7 juillet, je visitai toute la partie méridionale du golfe de Breidifiordur, et les points qui séparent ce golfe de la côte nord de l’Islande.

» Laissant à Melar le gros bagage et quatre chevaux, et sans tenir compte des difficultés et des dangers dont on me menaçait, je me dirigeai vers la partie septentrionale de l’île. J’explorai successivement et avec le plus grand soin plusieurs golfes qui étaient alors encombrés de glaçons. Ici les routes étaient par fois plus mauvaises et véritablement plus difficiles que celles que j’avais déjà parcourues. J’acquis la conviction que la Lilloise n’a pas fait naufrage sur les côtes d’Islande.

» Il ne me restait donc plus qu’à rejoindre M. le capitaine Tréhouart qui m’avait donné rendez-vous à Reykiavik vers le 20 du mois d’août. Je pris la route la plus longue et la moins fréquentée, mais en même temps celle qui offrait le plus d’intérêt sous le rapport des sciences naturelles. Au nombre des lieux les plus remarquables que j’ai visités, se trouve le Geisir et le Strockur, les deux plus beaux phénomènes peut-être qui existent sur le globe, enfin le mont Hékla, etc. Le 19 août j’arrivai à Reykiavik après avoir terminé une excursion de soixante-quinze jours, qui a été faite dans les circonstances les plus défavorables.

» Malgré les contrariétés de tout genre que nous avons éprouvées, les collections faites par mon compagnon de voyage, M. Robert, et par moi, sont les suivantes :

» Quarante bariques ou caisses contenant, surtout dans l’alcool, un nombre très considérable d’animaux divers ; 5 à 600 plantes ; environ 3000 échantillons géologiques ; 191 dessins de zoologie, botanique, géologie, paysages, costumes, instrumens, etc. ; 11 animaux vivans, tels que chevaux, moutons, chiens, renards, aigle, gerfault ; un grand nombre de livres islandais pour la Bibliothèque royale (les plus précieux d’entre eux m’ont été donnés en cadeau par les hommes les plus recommandables de l’Islande) ; des vêtemens, instrumens, ornemens de prix, objets de curiosité, etc., pour le Musée naval.

» Tels sont les principaux résultats, malheureux et accessoires, d’une expédition terrestre dont j’avais la direction, en même temps que je remplissais les fonctions de zoologiste et de médecin, et dont M. Robert, plein de zèle et de talent, était à la fois le peintre, le botaniste et le géologue.

» J’ai recueilli en outre de nombreux documens sur l’histoire, la langue, les maladies, la statistique, la météorologie de l’Islande, etc. Vous serez content, je l’espère, des observations de météorologie qui ont été faites à Reykiavik, par M. le docteur John Thorsteinsson, médecin en chef de l’île ; à bord de la Recherche, par M. Méquet, lieutenant de frégate, et peut-être aussi des miennes dans les diverses parties de l’Islande que j’ai visitées. »

M. Gaimard finit en annonçant qu’il se propose d’écrire à MM. les professeurs du Muséum d’Histoire naturelle, le jour même où partira, pour le Havre, le Saumon, navire qui doit transporter toutes les collections de la Recherche, et même les animaux vivans.

Histoire naturelle.Résultats du voyage de MM. Webb et Berthelot, aux îles Canaries.

Il a été rendu compte, dans l’analyse de la séance précédente (p. 110), de la communication faite par M. Bory de Saint-Vincent, relativement aux explorations de M. Despréaux dans les îles Canaries. M. Berthelot rappelle, à cette occasion, qu’il visita lui-même l’île de Canaria en 1820, et qu’il eut dès lors connaissance des tombeaux canariens de la Isleta, petite presqu’île qui se joint à la Grande-Canarie par l’isthme du Guanarteme ou du Prince. En 1829, après avoir parcouru avec M. Webb, les îles de Ténériffe, Lancerote et Fortaventure, il retourna à la Grande-Canarie, où il acquit de nouvelles notions sur cet ancien peuple canarien, dont il reste si peu de traces. Les fouilles qu’il fit exécuter, à cette époque, lui procurèrent plusieurs squelettes de ces primitifs habitans des Canaries.

Les tombeaux canariens se trouvent, dit-il, dans la nappe de lave de la Isleta ; on en voit aussi quelques-uns dans un terrain analogue, situé entre le port de las Nieves et celui du Juncal. Ce sont des buttes, formées de scories volcaniques, d’environ douze pieds d’élévation. Les corps dont on retrouve les squelettes ont été placés dans le fond de ces tumulus, à quelques pieds au-dessus du niveau du sol, et garantis du poids qui les surchargeait au moyen de blocs de lave disposés en voûte. Ces corps avaient été enveloppés dans un linceul d’un tissu végétal, qui a paru, à M. Berthelot, appartenir aux feuilles du dattier. Les fosses sont remplies de baies du Cneorum pulverulentum (Orixama des aborigènes), térébinthacée qui, à cause de ses propriétés antiseptiques, était employée dans les embaumemens.

M. Berthelot pense que les monumens appelés casas de los antiguos, qu’on voit encore dans les environs de la Gaeta, sur la côte occidentale de la Grande-Canarie, n’ont point été construits par les anciens Canariens, mais bien par les premiers conquérans. « Ce sont des maisons d’un seul étage, solidement bâties, et remarquables par le travail de leur charpente. Elles se composent d’une seule pièce, qui ne reçoit de jour que par la porte d’entrée ; deux espèces d’alcoves ont été pratiquées l’une vis-à-vis de l’autre, partie dans l’épaisseur des murs latéraux, et partie dans la saillie qu’ils forment au dehors de l’édifice ; ce qui donne au plan horizontal l’apparence d’une croix. Le faîte de l’édifice est soutenu par de fortes poutres, provenant de troncs d’une espèce de laurier (laurus barbusana) qui acquiert, dans ce climat, de très grandes dimensions ; leur équarrissage est bien net, et ces fortes pièces sont jointes ensemble par de petites traverses du même bois, très symétriquement rapportées ; travail qui ne peut avoir été fait qu’à l’aide d’un instrument tranchant et facilement maniable. »

M. Berthelot rapporte que le palais des anciens Guanartèmes, indiqué par le géographe Lopez dans sa carte de Canaria, a été démoli il y a environ cinquante-six ans, pour élever sur ses ruines la grande église de Galdar. On n’a malheureusement conservé aucun plan de cet édifice, qu’il eût été si précieux de pouvoir comparer avec ceux qui restent.

« Il paraît, au surplus, ajoute M. Berthelot, que ces anciennes constructions n’étaient pas d’un usage général, et que les primitifs habitans de la Grande-Canarie vivaient en troglodytes, comme leurs voisins, les Guanches. Dans le district de Moya, on m’a montré la grotte où le prince Doramas avait établi sa résidence, selon les anciennes légendes. La montagne d’Urera, dans la vallée de Tiraxana, est toute percée de grottes abandonnées, disposées en séries les unes au-dessus des autres, et communiquant entre elles par des couloirs. À l’Atalaya, de même qu’à Artenara, les populations sont encore troglodytes et se creusent journellement des habitations souterraines. »

Les diverses collections, rapportées des îles Canaries par MM. Webb et Berthelot, embrassent la plupart des branches de l’histoire naturelle. Leur herbier contient, disent-ils, jusqu’à mille Phanérogames, parmi lesquelles ils comptent jusqu’à cent espèces nouvelles, qu’ils s’occupent de décrire pour leur ouvrage sur l’histoire naturelle des îles Canaries, ouvrage dont ces deux voyageurs annoncent la prochaine publication.

Nous terminons en ajoutant que M. Berthelot a présenté, dans cette séance même, à l’Académie, le crâne d’un ancien Canarien, retiré d’un des tombeaux décrits dans sa lettre.

Météorologie.Extrait d’une lettre de M. Tribert à M. Arago sur le tremblement de terre qu’on a ressenti à Niort et dans les environs de cette ville.

« Depuis quinze jours le ciel nous avait amplement dédommagés de la privation de pluie que nous éprouvions depuis le mois de mars ; nous avions des orages violens accompagnés de torrens de pluie ; le ciel était toujours chargé de nuages ; le baromètre était descendu à 27p 6l.

» Le 13 septembre, le baromètre remonta, et gagna successivement 5 lignes. Il se trouvait hier encore dans cette position, mais il passait des nuages épais qui rendaient ce qu’on appelle le temps lourd, lorsque vers les quatre heures et demie, on entendit un bruit souterrain assez semblable à celui d’un tonnerre éloigné. Ce bruit suivait la direction du sud-ouest ou nord-est ; il se prolongea pendant plus de dix secondes ; et l’on sentit alors la terre trembler. Les malades éprouvèrent dans leur lit des oscillations sensibles ; des ouvriers qui étaient occupés sous un hangard s’empressèrent de sortir. Nous, qui nous trouvions en ce moment dans la cour, nous pensâmes que quelque portion de la maison venait de s’écrouler. Ce fut le bruit qui nous fit naître cette pensée ; tous nos voisins ont ressenti les mêmes oscillations. Des lettres nous annoncent que ce tremblement de terre a été le même dans le rayon qui nous entoure et d’où nous avons pu recevoir des nouvelles, c’est-à-dire dans une étendue de 4 ou 5 lieues du pays (8 lieues de poste). »

Astronomie.Comète de Halley.

M. Poisson annonce que M. de Pontécoulant, ayant corrigé ses calculs des perturbations de la comète de Halley, en employant la masse de la terre la plus récemment admise, au lieu de celle qu’il avait d’abord supposée, il s’en est suivi que le passage au périhélie, résultant de ces perturbations, qu’il avait d’abord fixé au 13 novembre prochain, devra être reculé d’un jour, et fixé au 14.

M. Arago rend compte verbalement des dernières observations de la même comète qui ont été faites à Paris. « Le 17 septembre, les différences entre l’éphéméride de M. Rosenberg et la position observée étaient de 45′ en ascension droite et de 56′ en déclinaison. M. Arago annonce que les trois jeunes astronomes, MM. Eugène Bouvard, Laugier et Plantamour qui, sous sa direction, suivent journellement le nouvel astre avec un grand zèle, ne manqueront pas, quand le moment sera venu, de communiquer à l’Académie les résultats de leur travail. »

M. Arago donne ensuite l’analyse d’une lettre qu’il a reçue de M. Valz de Nîmes. « Cet astronome vit la comète, pour la première fois, le 24 août. Depuis, il l’a suivie avec beaucoup d’assiduité. Ses observations, réparties sur une période de 16 jours, lui ont paru suffisantes pour déterminer les élémens de l’ellipse que cet astre semble décrire actuellement. Voici ceux qu’il a trouvés :

Passage au périhélie
1835, novembre, 15,6
Longitude du périhélie
304°31′
Longitude du nœud
55°5′
Inclinaison
17°27′
Excentricité
0,967391
Demi-grand axe admis
17,9879

» M. Valz croit ces élémens fort approchés. Il ne serait disposé à admettre une incertitude de quelques minutes, que sur l’inclinaison de l’orbite. Les différences sensibles qu’il remarque entre les élémens précédens et ceux de M. de Pontécoulant, lui font craindre qu’il ne se soit glissé quelques erreurs dans les calculs si longs, si pénibles, si minutieux des perturbations. À l’occasion des quantités qu’on a volontairement négligées dans ces calculs, M. Valz affirme, mais sans mettre sur la voie de la méthode qui l’a conduit à ce résultat, que les actions réunies de Vénus et de Mars, diminuent la durée de la révolution entière de six jours !

» M. Valz dit s’être assuré que ses propres observations ne peuvent pas être représentées par un simple changement de l’instant du passage de la comète au périhélie. Ainsi les déterminations fondées sur l’invariabilité des autres élémens, ne lui semblent pas dignes de confiance. Quant à la première observation de M. Dumouchel, il la croit inexacte.

(M. Bouvard, présent à la séance, interrompt à ce moment M. Arago dans son analyse, et annonce que M. Dumouchel ayant recalculé sa première observation vient, en effet, d’appliquer de notables corrections tant à la déclinaison qu’à l’ascension droite.)

» La lettre de M. Valz renferme quelques considérations relatives à l’existence possible d’une planète située, au-delà d’Uranus, à une distance du Soleil à peu près triple de celle de la comète de Halley, et qui se manifesterait, de trois en trois apparitions de ce dernier astre, par des perturbations de même valeur.

« M. Valz recommande enfin aux astronomes, les mesures de la nébulosité de la comète actuelle. Depuis ses premières recherches, il s’est assuré que ces astres ne se contractent pas tous en s’approchant du Soleil. Il en est, dit-il, qui, au contraire, se dilatent ! D’après certains caractères que M. Valz ne fait pas connaître pour le moment, la Comète de Halley appartiendrait à la dernière classe. »

L’Académie a reçu aussi, dans cette séance, une note de M. Schumacher d’après laquelle on voit qu’une observation de la Comète, faite à Kœnigsberg le 25 août, donnerait pour le passage au périhélie, le 16,045 novembre ; mais le calcul a été fait dans l’hypothèse, inadmissible suivant M. Valz, que les autres élémens n’ont pas besoin de correction.

MÉMOIRES PRÉSENTÉS.
Analyse mathématique.Note de M. Collani, sur une erreur qu’il croit avoir trouvée dans une formule de M. Lagrange.
(Commissaires, MM. Poisson, Libri.)
Navigation intérieure.Projet d’un système de waggons dragueurs ; par M. Baunez.
(Commissaires, MM. de Prony, Navier, Poncelet.)
Chirurgie.Mémoire, 1o sur un nouveau moyen de guérir certaines fistules de l’urètre ; 2o sur un speculum ani ; 3o sur un nouveau procédé pour l’amputation de la verge ; par M. Barthélemi.
(Commissaires, MM. Duméril, Roux, Breschet.)

Vu l’étendue de quelques-unes des pièces qui doivent faire partie du Compte rendu de cette séance, nous attendrons, pour l’analyse de ces trois mémoires, les rapports qui seront faits par les commissaires.

RAPPORTS.
Rapport sur un mémoire de M. Juncker, ingénieur au Corps Royal des Mines, concernant les machines à colonne d’eau de la mine de Huelgoat, concession de Poullaouen (Finistère).
(Commissaires, MM. Navier, Poncelet, Arago rapporteur.)

« La mine de Huelgoat, partie de la concession de Poullaouen, renferme des sources excessivement abondantes. Leur eau est vitriolique ; le gîte du minerai se trouve disposé de manière à rendre les opérations d’épuisement très compliquées. Heureusement le pays est sillonné en tous sens par des vallons où coulent des ruisseaux qui, à l’aide de canaux de dérivation, ont pu être conduits jusqu’au coteau dans lequel s’enfonce le filon métallique. Il a donc été possible de créer sur ce point de grandes chutes d’eau et même d’en augmenter beaucoup la hauteur utile, par le percement de longues galeries d’écoulement, partant du centre des travaux et débouchant dans la vallée voisine. Comme de raison, la force motrice qu’on s’est procurée ainsi, varie avec les saisons. Sa valeur moyenne est, par minute, de 23 mètres cubes d’eau tombant de 66 mètres, ce qui équivaut à environ 1520 mètres tombant d’un mètre.

» Cette puissance motrice, dans l’ancien système d’épuisement de Huelgoat, mettait en jeu des roues hydrauliques échelonnées les unes au-dessus des autres sur le flanc de la montagne où la mine est située ; les roues, à leur tour, transmettaient le mouvement à trois machines à tirans. Ces machines, malgré leur belle exécution, ne donnaient que les vingt centièmes de la force motrice, et leur entretien annuel ne coûtait pas moins de 40000 francs. Ajoutons qu’en 1816, après une dépense de plus de 120000 francs, les trois machines réunies ne suffisaient plus à l’épuisement des sources. Les eaux envahissaient graduellement les travaux, et l’on pouvait calculer l’époque où ce bel établissement serait inévitablement abandonné.

» M. Juncker, auteur du mémoire dont nous rendons compte à l’Académie, fortifié de l’approbation de M. Baillet, inspecteur-général des mines, n’hésita pas à proposer à la compagnie de Poullaouen de renoncer entièrement aux impuissans moyens mécaniques dont elle faisait usage, et de les remplacer par des machines à colonne d’eau. Après quelques hésitations des actionnaires, la proposition fut agréée, et M. Juncker se rendit en Bavière pour y voir fonctionner des machines de cette espèce, construites sous la direction de M. Reichenbach, et qui, malgré le peu que l’on savait alors de leur importance, semblaient mériter l’examen scrupuleux d’un homme de l’art.

» M. Reichenbach, que l’Académie a compté parmi ses correspondans, est principalement connu en France par les beaux instrumens d’astronomie et d’optique sortis du célèbre atelier de Benedic Bauern ; les grandes et ingénieuses machines dont la Bavière et l’Autriche lui sont redevables, ne témoignent pas moins de la haute portée de ses conceptions industrielles, et de la fécondité de son esprit inventif. M. Juncker, après avoir payé un juste et touchant tribut de reconnaissance à la mémoire de cet excellent homme, décrit succinctement les magnifiques établissemens de Saltzbourg.

» La Bavière, en 1825, produisait annuellement 75000 quintaux de sel. Une partie provenait de sources : elle était extraite par voie d’évaporation, à l’aide des moyens connus ; l’autre, tirée d’abord d’une mine située dans la vallée de Berchtesgaden, était transportée à Reichenhall, où elle subissait une purification par dissolution. Mais le transport de ce sel gemme, quoique plus avantageux que ne l’aurait été celui du combustible dans la vallée étroite et peu boisée de Berchtesgaden, était cependant fort coûteux. D’après les idées de Reichenbach, ce système fut entièrement abandonné : c’est à l’état liquide, dans des tuyaux de conduite, et après avoir été convenablement élevé à l’aide de deux puissantes machines à colonne d’eau, que le sel est maintenant expédié par-delà les montagnes Abruptes, dernières ramifications des Alpes tyroliennes, qui séparent Berchtesgaden de Reichenhall. Ainsi, le bois, qui ne peut être rendu liquide, ne va plus aujourd’hui chercher le sel ; c’est, au contraire, le sel qui marche de lui-même à la rencontre du bois.

» Nous regrettons que les bornes de ce rapport ne nous permettent pas de faire connaître en détail cette gigantesque entreprise. Nous dirons, toutefois, pour en donner une idée, que, dans son trajet, l’eau salée est soulevée à quatorze reprises différentes au moyen d’un pareil nombre de pompes foulantes mues par neuf machines à colonne d’eau et par cinq roues à augets ; que l’une de ces premières machines, celle de la localité nommée Illsang, marche sous l’action d’une chute d’eau de plus de 100 mètres, et refoule l’eau salée, d’un seul jet, à une hauteur verticale de 356 mètres ; que la conduite parcourue par la dissolution saline, entre la source et le point où l’évaporation s’opère, offre un développement de tuyaux d’une longueur de 109000 mètres ou de 27 lieues de poste ; enfin que le résultat utile, comparé à la dépense de force, atteint, sur divers points, la fraction 72 centièmes ! Quand il rapproche ce nombre du résultat qu’obtenaient, avec les anciennes machines à colonne d’eau, les ingénieurs Hoëll et Winterschmidt, le mécanicien étonné se demande naturellement quelles ont été, parmi les diverses innovations dues à Reichenbach, celles qui ont le plus contribué à une pareille amélioration. Suivant M. Juncker, il faudrait les ranger dans l’ordre suivant :

» L’adoption d’un régulateur à piston tellement construit, que les colonnes d’eau se meuvent, s’arrêtent sans chocs appréciables ;

» L’idée d’emprunter à la colonne d’eau motrice, la force nécessaire pour faire agir ce régulateur avec une précision presque mathématique ;

» L’emploi d’orifices d’admission et d’émission fort grands, de telle sorte que la veine fluide n’éprouve plus ni contractions ni vitesses excessives ;

» La disposition qui permet de faire agir directement la puissance sur la résistance, sans aucun intermédiaire de balanciers, leviers coudés, etc.

» La substitution, quelle que soit la hauteur de la colonne de refoulement, d’une pompe unique à la multitude de pompes placées à divers étages dont on se servait jadis.

» L’examen minutieux de tant d’ingénieuses conceptions devait, de plus en plus, confirmer M. Juncker dans sa première pensée que les machines à colonne d’eau pourraient seules sauver les mines d’Huelgoat de la submersion complète dont elles étaient menacées ; aussi, se décida-t-il à prendre irrévocablement pour guide les travaux de Reichenbach. On aurait grand tort, toutefois, d’imaginer que le rôle de copiste, que s’attribue si modestement M. Juncker, fût exempt d’immenses difficultés ; il fallait, en effet, que la machine projetée eût une puissance prodigieuse, une puissance double au moins de celle que possède la machine déjà citée d’Illsang. En Bavière, tout se trouve établi, maintenu, étayé au grand jour, dans un espace indéfini, sur un terrain solide ; à Huelgoat, au contraire, la machine, la pompe, les tuyaux, devaient être placés ou plutôt suspendus dans un puits resserré, et le long duquel se rencontraient fréquemment des couches ébouleuses. Dans les établissemens bavarois, l’appareil moteur est immédiatement au-dessus de la pompe foulante des eaux salées. En Bretagne, ces deux parties de l’appareil ne pouvant être que fort éloignées verticalement, il fallait pourvoir à l’équilibration de tiges très longues, très rigides et, dès lors, très pesantes destinées à les réunir. Ces dissemblances sur lesquelles nous n’insisterons pas davantage, suffiront à tous ceux qui se sont occupés de mécanique appliquée, pour qu’ils entrevoient combien de graves difficultés l’ingénieur de Huelgoat devait s’attendre à rencontrer sur sa route.

» Afin de ne pas abuser des momens de l’Académie, nous allons maintenant parcourir avec rapidité, les questions traitées dans les divers chapitres du mémoire qu’elle a soumis à notre examen. Puisque le secours des figures nous manque, on nous permettra, toutefois, de dire avant d’entrer en matière, et cela avec l’espérance d’être compris de ceux même qui n’ont jamais vu une machine à colonne d’eau, que la forme et les mouvemens d’une semblable machine ressemblent complétement à ceux de la machine à vapeur ordinaire : ici c’est le ressort de la vapeur d’eau qui détermine les oscillations du piston, là ces mêmes oscillations sont engendrées par l’action, tantôt possible et tantôt supprimée, d’une longue colonne liquide dont la pression, évaluée en atmosphères, s’obtient en divisant sa hauteur verticale par 10m,4 (32 pieds).

» Avant de faire exécuter ses appareils, M. Juncker avait à discuter les avantages respectifs des machines à colonne d’eau à simple et à double effet : il trouva qu’à Huelgoat, les premières devaient obtenir la préférence. Le jaugeage des eaux d’infiltration lui apprit qu’il aurait chaque jour à extraire d’une profondeur de 230 mètres, plus de 5000 mètres cubes d’eau. La force motrice dont il pouvait disposer dans le même temps, résultait de plus de 30000 mètres cubes de liquide tombant de 61 mètres de hauteur ; mais la masse des eaux d’infiltration est susceptible d’augmentation ; à Huelgoat on a même toute raison de craindre une prochaine irruption de liquide ; d’ailleurs, une machine, quelle qu’en soit la construction, doit se déranger tôt ou tard ; il fallait donc songer à en avoir deux, mais non solidaires.

» Partant de ces données générales, M. Juncker calcule le diamètre des pistons principaux, après avoir déterminé les limites pratiques de vitesse qu’on ne saurait dépasser dans ce genre de machines sans des inconvéniens graves. Ces diamètres, il les fixe à plus d’un mètre. Désormais c’est de la machine construite, de la machine en place, que M. Juncker nous entretiendra.

» Le premier objet dont il donne la description, est le régulateur hydraulique qui se trouve placé à côté du corps de pompe principal. Ce merveilleux appareil anéantit peu à peu, mais vers la fin de la course seulement, toute la vitesse dont le piston moteur est animé ; il dispose ensuite ce dernier à reprendre sa marche par degrés insensibles. Ce sont les plus subtiles prescriptions de la mécanique rationnelle mises en pratique. Aussi à Huelgoat, disent, avec l’auteur, tous ceux qui ont visité l’établissement, il est impossible d’apercevoir sur aucun point, la moindre manifestation matérielle de force vive, de chocs, de contre-coups ou de vibrations. Les mouvemens s’y effectuent avec un moelleux et un silence qu’aucune autre machine ne présente au même degré.

» Des parties organiques, M. Juncker passe à plusieurs dispositions qui, pour être secondaires, n’en méritaient pas moins une mention spéciale et détaillée ; mais vos commissaires ne sauraient s’y arrêter sans dépasser les limites du rapport dont vous les avez chargés. Ils ne peuvent cependant se dispenser de dire quelques mots d’une partie fort essentielle de la machine d’Huelgoat que M. Juncker appelle le balancier hydraulique.

» La puissance des machines jumelles proprement dites placées près de l’entrée de la galerie d’écoulement, se transmet aux pompes établies au fond de la mine, par deux systèmes de tirans verticaux. Des considérations étrangères aux principes de l’art, ont forcé l’ingénieur à construire l’un de ces attirails en bois. L’autre est en fer et ne pèse pas moins de 16000 kilogr. (environ 300 quintaux, anciennes mesures). À chaque mouvement descendant de la machine, cette masse de 16000 kilogrammes descend elle-même verticalement d’une longueur égale à l’amplitude de l’excursion du piston. Si l’on n’y avait pourvu à l’aide d’une équilibration convenable, pendant l’oscillation opposée de ce même piston, on aurait donc eu et cela en pure perte, à soulever la chaîne. Son énorme poids se serait ainsi ajouté à celui de la quantité d’eau que le refoulement amène sans cesse dans le tuyau de la pompe d’épuisement.

» Après avoir posé le problème, M. Juncker se livre, dans son mémoire, à un examen minutieux des avantages et des inconvéniens des divers modes d’équilibration adoptés par les mécaniciens. Quant à vos commissaires, il leur suffira de dire que celui dont M. Juncker a fait usage, est inhérent à la machine ; qu’il agit sans aucun intermédiaire de corps solides, et avec une continuité inaltérable, tantôt pour seconder la puissance tantôt pour mettre un frein à la libre descente du piston et des chaînes ; qu’il offre une sécurité absolue ; nous ajouterons, enfin, qu’il se fonde sur le principe même des machines à colonne d’eau et sur l’idée bien simple de placer tout l’appareil en contre-bas de la galerie d’écoulement. De cette manière, la colonne de chute étant allongée, la force motrice se trouve avoir reçu l’accroissement nécessaire pour soulever l’attirail.

» Les pompes foulantes sont une invention si ancienne, si répandue ; tant d’habiles mécaniciens ont eu intérêt à les perfectionner, que nous ne pouvions guère espérer de rencontrer quelque chose de neuf dans le chapitre où M. Juncker a décrit celles de ces pompes qui, dans la machine d’Huelgoat, ramènent à la surface les eaux d’infiltration de la mine. Eh bien ! nous avons été agréablement trompés, car l’auteur a trouvé le secret d’introduire diverses améliorations dans cette partie de son appareil. Aussi chacun y remarque-t-il maintenant le même moelleux, la même absence d’ébranlement et de bruit que dans la machine motrice ; aussi, le produit théorique de la pompe, calculé d’après l’amplitude des oscillations du piston et d’après son diamètre, ne surpasse-t-il que d’un trentième le produit effectif, tandis que dans certaines machines analogues, construites sur de bons systèmes et bien exécutées en apparence, le mécompte s’est élevé fréquemment à un quart.

» Le système adopté par M. Juncker imposait la nécessité de suspendre l’appareil moteur lui-même dans le vide d’un puits de 230 mètres de profondeur. De là, des difficultés d’établissement que cet ingénieur a surmontées par des moyens auxquels les constructeurs les plus expérimentés ne refuseront certainement pas la plus entière approbation. Le pont en fer jeté sur le puits, et qui supporte toute la machine, offre une si parfaite solidité, que la main n’y peut découvrir le moindre frémissement, même à l’instant où les pistons commencent à recevoir l’impulsion de l’eau motrice.

» Un ingénieur prévoyant ne pouvait manquer de porter son attention sur la possibilité de quelque rupture dans un mécanisme composé de tant de lourdes pièces, et sur les accidens qui en seraient la conséquence inévitable. Qu’on se figure, par exemple, le piston principal de la machine, détaché de la résistance à la suite de la rupture du tirant supérieur ! Soumis alors à tout l’effort du moteur, il monterait dans le corps de pompe avec une vitesse accélérée, et parvenu au terme de sa course, il ne saurait manquer de produire d’énormes dégâts. D’un autre côté, l’attirail abandonné à lui-même tomberait de tout son poids. En se rappelant que ce poids, pour l’attirail en fer, est de 16000 kilogrammes (plus de 300 quintaux ordinaires), tout le monde comprendra quels ravages s’opéreraient le long des parois du puits, dans les tuyaux ascendans et au fond de la mine. D’ingénieuses dispositions ont été adoptées par M. Juncker pour parer entièrement à la double catastrophe que nous venons de faire entrevoir.

» Plusieurs usines concoururent dans le temps à la construction de la machine d’Huelgoat. M. Wilson, de Charenton, fit exécuter, sur les dessins de M. Juncker, la machine proprement dite. M. Émile Martin, de Fourchambault, fabriqua le long système de tirans dont nous avons si souvent parlé ; d’autres fournirent les tuyaux. Ces tuyaux, essayés à la presse hydraulique sous une pression supérieure, il est vrai, à celle qu’ils devaient supporter, se trouvèrent tellement poreux, que l’eau jaillissait de leur surface dans toutes sortes de directions, en filets plus ou moins capillaires. Pour remédier à cet inconvénient, M. Juncker s’avisa d’un moyen qui déjà, nous le croyons du moins, avait été employé par d’autres ingénieurs. Les tuyaux défectueux furent remplis d’huile de lin siccative, puis soumis à l’action de la presse hydraulique alimentée elle-même avec de l’huile de lin ordinaire. Aucun suintement gras ne se fit remarquer extérieurement, et, toutefois, l’opération avait obstrué les pores, puisque ces mêmes tuyaux, essayés quelque temps après avec l’eau, se montrèrent imperméables, et que depuis qu’ils sont en place, pas une goutte de liquide ne s’est échappée sous des pressions de 15 à 20 atmosphères.

» À la suite de l’opération dont nous venons de rendre compte, la fonte grise des tuyaux se trouva couverte, à l’intérieur, d’un enduit ou vernis fortement adhérent, qui la défend contre l’oxidation et même contre l’action des eaux acides de la mine d’Huelgoat. Ne serait-ce pas là, dit M. Juncker, un moyen simple d’empêcher la précipitation si fâcheuse de tubercules ferrugineux qui s’opère dans les tuyaux de conduite des fontaines de Grenoble.

» Disons, en terminant, que tant d’études, tant d’ingénieuses combinaisons, tant de travaux, tant d’expériences, n’ont pas été en pure perte. La machine d’Huelgoat a réalisé toutes les prévisions de la science. Depuis trois années et demie, elle fonctionne, nuit et jour, à l’entière satisfaction des propriétaires. La régularité, la douceur, le moelleux de ses mouvemens, l’absence complète de bruit, ont été un juste sujet d’admiration pour les ingénieurs de divers pays qui l’ont examinée. Il est vraiment regrettable qu’une machine si belle, si puissante, si habilement exécutée, et qui fait tant d’honneur à notre industrie, soit reléguée à l’une des extrémités de la France, dans un canton rarement visité. Elle n’aurait pas manqué, sans cela, d’exciter le zèle des propriétaires de mines, et les machines à colonne d’eau remplaceraient déjà, sur beaucoup de points, des moyens d’épuisement qui sont à la fois un objet de pitié pour le mécanicien qui les étudie, et une cause de ruine pour le capitaliste qui les emploie. Puisse la publicité que reçoit aujourd’hui le succès de M. Juncker, hâter un résultat que nous appelons de tous nos vœux, et qui contribuera certainement beaucoup au développement de la richesse nationale.

» Le mémoire, disons mieux, l’ouvrage dont nous venons de rendre compte à l’Académie, est accompagné de planches magnifiques à grand point où les ingénieurs trouveront tout ce qui leur importe de savoir sur la forme et l’ajustement des diverses parties de la machine d’Huelgoat. Nous devons ajouter, qu’il est rédigé avec méthode, avec clarté, avec précision, et, ce qui ne gâte jamais rien, avec une rare élégance. L’auteur, à chaque page, rend justice pleine et entière à tous ceux qui par leurs conseils directs ou par leurs travaux antérieurs lui ont été utiles. On voit que sa modestie est de bon aloi, que sa reconnaissance est sincère : comme tant d’autres, il ne se borne pas à faire strictement ce qu’il faut pour échapper aux réclamations. Ce bel ouvrage sera désormais le manuel obligé de tous ceux qui voudront exécuter de puissantes machines à colonne d’eau ; mais, on nous permettra de le dire, il doit avoir un autre genre d’utilité : après l’avoir lu, chacun pourra, par un nouveau nom propre, détromper ceux qui, bien à tort, se persuadent qu’aujourd’hui Paris absorbe tous les hommes d’élite. Le travail de l’ingénieur de Huelgoat, quelque peu disposé qu’on soit à une pareille concession, prouvera combien les connaissances théoriques puisées dans nos écoles, éclairent utilement le praticien ; combien de tâtonnemens, de mécomptes, de dispendieuses bévues elles lui épargnent ; enfin l’habileté consommée dont M. Juncker a fait preuve dans la conception et le placement de sa superbe machine, apprendra aux capitalistes, si d’autres exemples éclatans ne les ont déjà détrompés, que des ingénieurs français ne manqueront pas à leurs projets, quelque gigantesques qu’ils puissent être.

» Vos commissaires se seraient empressés de solliciter l’insertion du mémoire de M. Juncker dans le Recueil des Savans étrangers, s’ils n’avaient appris que l’Administration des Ponts et Chaussées et des Mines doit le publier très prochainement. Nous nous bornerons donc à proposer à l’Académie de vouloir bien accorder son approbation à ce beau travail, mais en regrettant que les usages n’autorisent pas la demande d’un témoignage de satisfaction plus éclatant ! »

L’Académie approuve les conclusions de ce rapport. Elle décide, en outre, qu’il sera imprimé, en entier, dans le Compte rendu de cette séance.

Médecine. Notice sur l’épidémie du choléra-morbus indien qui a régné dans les ports méridionaux de la Méditerranée et dans toute la Provence, pendant les mois de juillet et d’août 1835 ; par M. Larrey.

« Conformément au désir que l’Académie m’en a exprimé, j’ai l’honneur de lui offrir le résumé des observations que j’ai faites, des mesures que j’ai prises ou conseillées partout où je suis passé, et de la méthode rationnelle du traitement relatif à l’épidémie du choléra que j’ai introduite dans tous les hôpitaux civils ou militaires des villes frappées de cette maladie.

» Il est bien évident qu’un concours de causes graves a fait développer, dans la contrée que je viens de parcourir, le choléra-morbus indien dont le principe morbifique paraît avoir réellement été transmis de l’Inde, où il est endémique ; que certains vents l’ont successivement entraîné jusqu’à cette zone, et que dans sa marche, recevant en plus ou en moins des surfaces qu’il a parcourues, des émanations propres à son développement, ses effets sur l’homme ont été plus ou moins fâcheux, selon l’état moral, l’idiosyncrasie ou le défaut d’intégrité physique de celui-ci.

» Le passage de cette sorte d’effluve épidémique sur les ports méridionaux de la Méditerranée et sur les lieux circonvoisins où il a sévi avec tant de force, coïncidant avec les émanations insalubres qui s’élèvent habituellement des bassins de la plupart de ces ports ou d’autres sources miasmatiques, le concours de ces deux circonstances a fait développer les propriétés pernicieuses de cette épidémie et a imprimé sur les habitans plus ou moins accessibles à ses effets, cette sorte de stupeur qui produit immédiatement une vraie névrose ataxique, caractère distinctif de ce choléra qui a décimé les populations des pays où il est passé. Ainsi, le bassin du port de Toulon, comme celui du port de Marseille, recevant les immondices de la ville par les aqueducs qui s’y abouchent, fournissent dans certaines circonstances des émanations insalubres. Cependant, il n’a fallu rien moins qu’une saison aussi chaude que celle qu’on a subie en Provence, cette année, pendant les mois de juillet et d’août, et sur les bords de la Méditerranée (où le thermomètre de Réaumur n’a cessé de marquer 29, 30, 31 et 32 degrés au-dessus de zéro), pour que les eaux de la mer n’aient point entièrement neutralisé les gaz pernicieux qui se dégagent des excrémens humains et autres substances animales putréfiées et versées dans ces bassins par les torrens de pluie ou par ces aqueducs.

» À ces émanations, presque nulles pendant les autres saisons, se sont joints dans ces deux villes, surtout à Toulon que je connais parfaitement, les émanations infectes résultant du séjour des matières désignées plus haut, dans des réduits particuliers (sorte de latrines) ou dans des vases non fermés usités dans toutes les maisons, l’entassement des individus dans des habitations dont la capacité était disproportionnée à leur nombre, enfin, la terreur qui s’était établie parmi les habitans de ces ports de mer, par les effets foudroyans de la maladie, et par l’idée que quelques médecins avaient répandue sur sa prétendue contagion ; ce qui a causé une émigration subite et prodigieuse. Néanmoins, cette émigration a été utile aux personnes qui y étaient restées, en agrandissant l’espace de leurs habitations. Les effets de cet entassement se sont manifestés aussi dans le bagne et les casernes du port, d’ailleurs tenus très proprement et bien ventilés. Les condamnés qui travaillent constamment dans les ateliers qui bordent le bassin rempli de ces eaux infectes ont dû se ressentir les premiers des émanations dont nous avons parlé. Certes, on ne pouvait obtenir de grands succès du traitement, quoique rationnel, mis en usage sur les malades transportés à l’hôpital de terre, parce qu’il ne présente point les conditions voulues pour un bon hôpital[1]. Au total, il y aurait de très grandes et très dispendieuses améliorations à faire dans cette place forte, pour faire disparaître toutes les causes locales d’insalubrité. Cette question fixera sans doute un jour l’attention du gouvernement.

» Avant de parler de Marseille, je ferai quelques réflexions sur deux ou trois phénomènes singuliers que j’ai observés sur divers points de la contrée où le choléra a sévi avec plus ou moins d’intensité. L’un de ces phénomènes a été la disparition subite, ou l’émigration totale des oiseaux qui ne vivent que dans un air pur, tels que les passereaux, les merles, les grives et les hirondelles ; aucun de ces oiseaux n’a été trouvé mort sur le terrain, et cette émigration a eu lieu dans toute la région de la Provence qui s’étend par trois lignes divergentes, d’Avignon à Toulon, à Marseille, à Arles et à Tarascon.

» Est-ce l’influence épidémique qui les a fait émigrer, ou est-ce l’excessive chaleur qu’on a éprouvée dans cette contrée ? On aurait peut-être pu le vérifier, si l’on eût fait des recherches attentives dans les cavernes, communes dans les montages qui bordent la Méditerranée ; car j’ai eu l’occasion de remarquer, dans mes anciennes campagnes d’Espagne et d’Italie, que les hirondelles, loin de passer les mers comme on l’avait cru, du moins certaines espèces, se tapissent, à l’instar des essaims d’abeilles, dans les anfractuosités des grottes profondes qu’on trouve en grand nombre sur les revers des gorges ou vallons des montagnes des Alpes et des Pyrénées[2].

» Un deuxième phénomène a été une quantité innombrable de cigales, que nous croyons être de l’espèce de celles qui ne paraissent dans certaines contrées du midi de l’Europe que tous les quarts de siècle ou tous les dix-sept ans (cicada septemdecim) ; leur chant produisait le même bruit que le son des grelots de mes chevaux de poste. Les habitans des campagnes ne se rappellent point en avoir vu une aussi grande quantité depuis longues années. Dans l’ancien monde, toutes les grandes épidémies, telles que la peste, étaient toujours précédées d’une plaie d’insectes, tels que mouches ou sauterelles. L’épidémie pestilentielle qui régna, en 1799, en Égypte, et qui fit périr plus de cent mille Musulmans, avait été précédée d’une plaie générale de mouches et de plaies partielles de sauterelles.

» Dans ma marche d’Avignon à Marseille, pendant les deux journées du 24 et du 25 juillet, j’ai été frappé du tableau que m’ont offert les populations de ces villes et de celles intermédiaires ; les voitures, les charettes, les chevaux et les ânes garnis de bâts, chargés de familles entières, se précipitaient confusément et sans interruption sur la même route, que j’eus la plus grande peine à parcourir pour arriver à ma destination. La terreur et la consternation étaient empreintes sur la physionomie de la plupart des hommes et des femmes qui faisaient partie de ces convois émigrans.

» J’ai rendu compte à M. le Ministre de la guerre, dans un dernier rapport que je lui ai adressé de cette dernière ville, du résultat de ma visite dans les hôpitaux, les casernes et dans tous les lieux particuliers qui ont été le siége de la maladie.

» Dans les casernes, j’avais pris des mesures hygiéniques dont quelques-unes devraient être appliquées à toute l’armée ; telle est, par exemple, celle relative à la literie des soldats, qui consiste à faire retrousser le matin les fournitures à la tête du cadre du lit, depuis le lever jusqu’à l’heure du coucher. Cette mesure conserve les fournitures intactes et empêche le soldat de se coucher pendant le jour, ce qui nuit à sa santé, surtout lorsque, dans les vingt-quatre heures, il en a consacré huit au repos.

» Une boisson légèrement tonique et agréable en goût a été prescrite dans tous les corps. Elle consiste dans une infusion légère de camomille, édulcorée avec du bois de réglisse et mêlée à un vingtième de bon vin rouge. Des lotions journalières de propreté furent recommandées, les bains de mer défendus, et des mesures de salubrité furent prises partout où il y avait indication.

» Pour tranquilliser les esprits et prévenir l’expansion des miasmes insalubres qui pouvaient s’élever des cadavres des cholériques, après la mort, lorsque surtout ils entrent en putréfaction (ce qu’on a vu chez un grand nombre dans ce climat chaud), et pour empêcher que les corps ne fussent ensevelis trop tôt, ce qui est arrivé peut-être à Avignon, j’avais recommandé de faire couvrir ou envelopper ces corps, immédiatement après le décès, d’un mauvais drap trempé dans le chlorure de chaux. À l’aide de cette enveloppe désinfectante, on pouvait attendre avec sécurité les vingt-quatre heures et davantage, s’il était nécessaire. »

Dans une seconde partie de cette Notice, M. Larrey expose les idées qui lui sont propres, relativement au caractère de l’épidémie, à sa marche et au mode de traitement qui lui paraît le plus convenable.

Après la lecture de ce Mémoire, M. Serres prend la parole : « Il y distingue, d’une part, les faits qu’il renferme, les conseils donnés par l’auteur aux populations frappées par le choléra ; et, d’autre part, l’explication du choléra même. Quant à la première partie du travail de notre collègue, je n’ai, dit-il, rien à lui opposer ; quant à la seconde, je crois devoir faire une observation.

» En attribuant, ajoute-t-il, le choléra à une mofète particulière de l’air, ou à des animalcules qui seraient tenus en suspension par ce fluide, et que les vents pourraient transporter d’un lieu dans un autre, il est à craindre que, contre l’opinion de l’auteur, on n’en déduise la contagion du choléra. Or, rien ne prouvant ni l’existence de cette mofète, ni l’existence de ces animalcules aériens, et jusqu’à ce jour l’origine de cette maladie nous étant complètement inconnue, il est prudent de nous abstenir de toute explication qui, mal conçue ou mal interprétée, pourrait devenir dangereuse. »

M. Larrey répond qu’il est prêt à retirer de son travail toute expression qui pourrait conduire à quelque mal-entendu, et que, d’ailleurs, il partage entièrement l’opinion de M. Serres sur la non contagion du choléra.

La séance est levée à 5 heures.

F.

Bulletin bibliographique.

L’Académie a reçu dans cette séance les ouvrages dont voici les titres :

Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des Sciences, année 1835, no 7, in-4o.

Della rivaccinazione qual sicuro mezzo per guarantire dal Vaiuolo arabo ; Memoria di Giovambatista Fantonetti ; Milan, 1835, in-8o.

Naturreich des Menschen oder das Reich der willensfreien beseelten Naturkorper in XXIX classen ubersichtlich geordnet nach dem Princip eines und desselben bis zur Monade uberall gleichen Bildungs-Tyrpus. Par M. Ehrenberg ; Berlin, 1835, une feuille in-plano.

Phytographie médicale, histoire des substances héroïques et des poisons tirés du règne végétal ; par M. J. Roques ; 3 vol. in-8o et un atlas in-4o ; Paris, 1835.

Cours de Géométrie et de Trigonométrie ; par M. Mutel, un vol. in-8o, Lyon, 1832.

De la dilatation partielle du ventricule gauche du cœur ; par M. Chassinat ; Paris, 1835, in-4o.

Monographie des Cétoines et genres voisins ; par MM. Gory et Percheron ; 8e livraison, in-8o.

Lettre à M. Crapelet, pour servir d’appendice au discours sur les publications littéraires du moyen âge ; par M. l’abbé Promsault ; Paris, 1835, in-8o.

Recherches et Observations sur les tumeurs des parties génitales ; par M. J.-P. Caffort ; Montpellier, 1834, in-8o.

Choléra. Moyens préservateurs et Remèdes employés avec le plus de succès à Paris en 1832 ; par M. Parisel ; brochure in-8o, Lyon, 1835.

Des Mœurs du siècle et de l’Éducation, discours, par M. Gasc ; brochure in-8o, Paris 1835.

Description et Usage du Sigmagraphe ; par M. Bunel ; brochure, in-8o, Paris, 1835.

Mémoire sur l’efficacité du Chlorure d’oxide de sodium dans les Fièvres intermittentes (extrait de la Revue médicale française et étrangère) ; par M. Lalesque fils ; brochure, in-8o, Paris, 1835.

Grand et nouvel Atlas universel de Géographie ; France, deux feuilles, et Amérique, une feuille ; par M. Berthe ; Paris, 1835, grand aigle.

Bulletin de la Société industrielle de Mulhausen ; no 59, in-8o.

Annales de la Société des Sciences, Belles-Lettres et Arts d’Orléans ; tome 13, no 6, in-8o.

Annales de la Société d’Agriculture, Arts et Commerce du département de la Charente ; tome 17, no 4, in-8o.

Traité de Médecine pratique, sous la direction de M. Fossone ; 5e livraison, 15 septembre 1835, in-8o.

Bulletin clinique ; par le même ; no 55, in-8o.

Bulletin général de Thérapeutique médicale et chirurgicale ; par M. Miquel ; tome 9, 5me  livraison, in-8o.

Plainte et Éclaircissemens sur un déni de justice ; par M. Peronnaux de Besson, docteur médecin, brochure in-8o, Paris, 1835.

Programme de l’Académie royale des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux ; in-4o.

Gazette médicale de Paris, no 3838.

Gazette des hôpitaux, nos 110–112.

Journal de santé, no 108.


  1. Un rapport a été fait au ministre de la guerre sur cet hôpital.
  2. C’est dans la grotte creusée profondément dans la montagne désignée sous le nom de l’Hirondellière (vallée de la Maurienne), que j’ai trouvé, à la fin de l’hiver de 1797, ces essaims d’hirondelles