Commentaire historique/Édition Garnier


Commentaire historique sur les œuvres de l’auteur de La Henriade




COMMENTAIRE

HISTORIQUE

SUR LES ŒUVRES

DE L’AUTEUR DE LA HENRIADE

1776.


AVERTISSEMENT
DE BEUCHOT


Ce n’est point au nom de Voltaire, mais c’est sous sa dictée, qu’a été écrit le Commentaire historique. Cependant Wagnière, pendant son voyage en Russie, s’en disait l’auteur, et depuis son retour en France il parlait de son Commentaire historique[1]. Voici même comme il s’exprime dans deux copies autographes que je possède d’un Avis préliminaire, pour ses remarques ou additions au Commentaire historique :

Ce petit précis historique fut composé au commencement de 1776, tant sur ce que j’avais entendu dire à M. de Voltaire que sur les papiers qu’il m’avait donnés en propre en 1772. Je le priai de me permettre d’en faire usage, et il eut cette bonté. Je le communiquai à mon maître, qui eut la complaisance de le revoir et de me fournir encore quelques instructions. Je suppliai aussi M. de Voltaire de me faire donner un certificat ; et, après la communication et la vérification sur les originaux, il demanda lui-même à MM. Durey et Christin les deux déclarations signées qui se trouvent à la tête de cet ouvrage[2].

C’est à une autre personne que M. G. Feydel[3] fait honneur du Commentaire historique. Il assure que cet écrit est de l’avocat Christin[4].

Voilà deux opinions bien contradictoires. Je les crois fausses toutes les deux. L’auteur du Commentaire dit (page 75) : « J’étais, en 1732, à la première représentation de Zaïre ; » et (page 122) il ajoute : « J’ai entendu, il y a quarante ans (à Bruxelles), cette belle chanson. » Voltaire peut avoir, dans ces deux passages, oublié que, dans le Commentaire historique, il parlait à la troisième personne ; il peut même avoir employé à dessein ces expressions. Mais elles ne peuvent être échappées à Wagnière, né en 1740, ni à Christin, né en 1744, en parlant de faits antérieurs à leur naissance.

La première édition parut en 1776 avec l’adresse de : À Basle, chez les héritiers de Paul Duker. C’est Wagnière lui-même qui le dit, et sur cela il n’a aucun motif d’altérer la vérité.

J’ai sous les yeux cette édition[5] ; au verso du frontispice on lit les deux certificats dont parle Wagnière[6], et qui ont été reproduits dans quelques réimpressions.

Ces certificats prouvent incontestablement que la première édition du Commentaire historique n’est point antérieure au mois de juin 1776. Les Mémoires secrets en parlent, pour la première fois, à la date du 3 septembre.

Les éditeurs de Kehl avaient placé le Commentaire historique dans les Mélanges littéraires.

Lorsque les éditeurs de Kehl ont imprimé le volume où ils ont placé le Commentaire historique, ils ne croyaient pas pouvoir publier les Mémoires pour servir à la Vie de M. de Voltaire. Le roi de Prusse Frédéric II, qui n’y est pas toujours flatté, existait encore. Ils imaginèrent de coudre au Commentaire historique tout ce qu’ils purent des Mémoires. Pour cela faire, il fallut d’abord mettre à la troisième personne le récit qui, dans les Mémoires, est à la première. Quelquefois même des passages furent plus ou moins altérés. Leur édition n’était pas achevée quand le roi de Prusse mourut, et quand, par suite de l’infidélité de La Harpe, ainsi que je l’ai dit, il parut plusieurs éditions des Mémoires, que les éditeurs de Kehl se décidèrent alors à mettre dans le dernier volume de leur édition.

Il était tout naturel, en donnant depuis les deux ouvrages, de faire disparaître du Commentaire historique les passages qu’on y avait intercalés, et qui faisaient double emploi. À cet égard, mes devanciers m’ont laissé peu de chose à faire.

À la suite de la première édition et des réimpressions antérieures aux éditions de Kehl, étaient, sous le titre de Lettres véritables, etc., vingt-neuf morceaux en prose, et le conte en vers intitulé Sésostris[7].

La plus grande partie des vingt-neuf morceaux en prose est dans les éditions de Kehl, comme dans toutes celles qui les ont suivies, y compris la mienne, à leurs dates dans la Correspondance ; le reste, dans les Mélanges.

Wagnière, secrétaire de Voltaire pendant vingt-quatre ans, pouvait mieux que personne donner des développements à certains passages du Commentaire historique. Les notes qu’il avait rédigées ont été imprimées sous le titre de : Additions au Commentaire historique, dans les Mémoires sur la Vie de Voltaire, etc., par Longchamp et Wagnière, 1826, deux volumes in-8°. J’y renvoie quelquefois le lecteur.

Beuchot.
Juin 1832.


COMMENTAIRE
HISTORIQUE


Je tâcherai, dans ces Commentaires sur un homme de lettres, de ne rien dire que d’un peu utile aux lettres, et surtout de ne rien avancer que sur des papiers originaux. Nous ne ferons aucun usage ni des satires, ni des panégyriques presque innombrables, qui ne seront pas appuyés sur des faits authentiques.

Les uns font naître François de Voltaire le 20 février 1694 ; les autres, le 20 novembre de la même année. Nous avons des médailles de lui qui portent ces deux dates ; il nous a dit plusieurs fois qu’à sa naissance on désespéra de sa vie, et qu’ayant été ondoyé, la cérémonie de son baptême fut différée plusieurs mois[8].

Quoique je pense que rien n’est plus insipide que les détails de l’enfance et du collége, cependant je dois dire, d’après ses propres écrits, et d’après la voix publique, qu’à l’âge d’environ douze ans, ayant fait des vers qui paraissaient au-dessus de cet âge, l’abbé de Châteauneuf, intime ami de la célèbre Ninon de Lenclos, le mena chez elle, et que cette fille si singulière lui légua, par son testament, une somme de deux mille francs pour acheter des livres, laquelle somme lui fut exactement payée. Cette petite pièce de vers, qu’il avait faite au collége, est probablement celle qu’il composa pour un invalide qui avait servi dans le régiment Dauphin, sous Monseigneur, fils unique de Louis XIV. Ce vieux soldat était allé au collége des jésuites prier un régent de vouloir bien lui faire un placet en vers pour Monseigneur : le régent lui dit qu’il était alors trop occupé, mais qu’il y avait un jeune écolier qui pouvait faire ce qu’il demandait. Voici les vers que cet enfant composa :

                Digne fils du plus grand des rois[9],
                Son amour et notre espérance,
                Vous qui, sans régner sur la France,
                Régnez sur le cœur des François,
                Souffrez-vous que ma vieille veine,
                Par un effort ambitieux.
                Ose vous donner une étrenne,
Vous qui n’en recevez que de la main des dieux ?
                On a dit qu’à votre naissance
                    Mars vous donna la vaillance,
Minerve, la sagesse ; Apollon, la beauté :
Mais un dieu bienfaisant, que j’implore en mes peines
         Voulut aussi me donner mes étrennes,
         En vous donnant la libéralité.

Cette bagatelle d’un jeune écolier valut quelques louis d’or à l’invalide, et fit quelque bruit à Versailles et à Paris. Il est à croire que dès lors le jeune homme fut déterminé à suivre son penchant pour la poésie. Mais je lui ai entendu dire à lui-même que ce qui l’y engagea plus fortement fut qu’au sortir du collége, ayant été envoyé aux écoles de droit par son père, trésorier de la chambre des comptes, il fut si choqué de la manière dont on y enseignait la jurisprudence que cela seul le tourna entièrement du côté des belles-lettres.

Tout jeune qu’il était, il fut admis dans la société de l’abbé de Chaulieu, du marquis de La Fare, du duc de Sully, de l’abbé Courtin ; et il nous a dit plusieurs fois que son père l’avait cru perdu, parce qu’il voyait bonne compagnie et qu’il faisait des vers.

Il avait commencé dès l’âge de dix-huit ans la tragédie d’Œdipe, dans laquelle il voulut mettre des chœurs à la manière des anciens[10]. Les comédiens eurent beaucoup de répugnance à jouer une tragédie traitée par Corneille, en possession du théâtre ; ils ne la représentèrent qu’en 1718 ; et encore fallut-il de la protection. Le jeune homme[11], qui était fort dissipé et plongé dans les plaisirs de son âge, ne sentit point le péril, et ne s’embarrassait point que sa pièce réussît ou non : il badinait sur le théâtre, et s’avisa de porter la queue du grand prêtre, dans une scène où ce même grand prêtre faisait un effet très-tragique. Mme  la maréchale de Villars, qui était dans la première loge, demanda quel était ce jeune homme qui faisait cette plaisanterie, apparemment pour faire tomber la pièce : on lui dit que c’était l’auteur. Elle le fit venir dans sa loge ; et depuis ce temps il fut attaché à monsieur le maréchal et à madame jusqu’à la fin de leur vie, comme on peut le voir par cette épître imprimée :

Je me flattais de l’espérance
D’aller goûter quelque repos
Dans votre maison de plaisance ; etc.[12].

Ce fut à Villars qu’il fut présenté à M. le duc de Richelieu, dont il acquit la bienveillance, qui ne s’est point démentie pendant soixante années.

Ce qui est aussi rare, et ce qui à peine a été connu, c’est que le prince de Conti, père de celui qui a été si célèbre par les journées de la barricade de Démont et de Château-Dauphin, fit pour lui des vers dont voici les derniers :

Ayant puisé ses vers aux eaux de l’Aganipe,
Pour son premier projet il fait le choix d’Œdipe ;
Et quoique dès longtemps ce sujet fût connu,
Par un style plus beau cette pièce changée
Fit croire des enfers Racine revenu,
Ou que Corneille avait la sienne corrigée[13].

Je n’ai pu retrouver la réponse de l’auteur d’Œdipe. Je lui demandai un jour s’il avait dit au prince en plaisantant : « Monseigneur, vous serez un grand poète ; il faut que je vous fasse donner une pension par le roi. » On prétend aussi qu’à souper il lui dit : « Sommes-nous tous princes ou tous poètes ? » Il me répondit : Delicta juventutis meæ memineris, Domine.

Il commença la Henriade à Saint-Ange, chez M. de Caumartin, intendant des finances, après avoir fait Œdipe, et avant que cette pièce fût jouée. Je lui ai entendu dire plus d’une fois que quand il entreprit ces deux ouvrages, il ne comptait pas les pouvoir finir, et qu’il ne savait ni les règles de la tragédie ni celles du poème épique ; mais qu’il fut saisi de tout ce que M. de Caumartin, très-savant dans l’histoire, lui contait de Henri IV, dont ce respectable vieillard était idolâtre ; et qu’il commença cet ouvrage par pur enthousiasme, sans presque y faire réflexion[14]. Il lut un jour plusieurs chants de ce poëme chez le jeune président de Maisons, son intime ami. On l’impatienta par des objections ; il jeta son manuscrit dans le feu. Le président Hénault l’en retira avec peine. « Souvenez-vous, lui dit M. Hénault dans une de ses lettres, que c’est moi qui ai sauvé la Henriade, et qu’il m’en a coûté une belle paire de manchettes. » Plusieurs copies de ce poëme, qui n’était qu’ébauché, coururent quelques années après dans le public ; il fut imprimé avec beaucoup de lacunes sous le titre de la Ligue.

Tous les poëtes de Paris et plusieurs savants se déchaînèrent contre lui ; on lui décocha vingt brochures ; on joua la Henriade à la Foire[15] ; on dit à l’ancien évêque de Fréjus[16], précepteur du roi, qu’il était indécent et même criminel de louer l’amiral de Coligny et la reine Élisabeth. La cabale fut si forte qu’on engagea le cardinal de Bissy, alors président de l’assemblée du clergé, à censurer juridiquement l’ouvrage ; mais une si étrange procédure n’eut pas lieu. Le jeune auteur fut également étonné et piqué de ces cabales. Sa vie très-dissipée l’avait empêché de se faire des amis parmi les gens de lettres ; il ne savait point opposer intrigue à intrigue : ce qui est, dit-on, absolument nécessaire dans Paris quand on veut réussir, en quelque genre que ce puisse être.

Il donna la tragédie de Mariamne en 1722[17]. Mariamne était empoisonnée par Hérode ; lorsqu’elle but la coupe, la cabale cria : La reine boit ! et la pièce tomba. Ces mortifications continuelles le déterminèrent à faire imprimer en Angleterre la Henriade[18], pour laquelle il ne pouvait obtenir en France ni privilége ni protection. Nous avons vu une lettre de sa main, écrite à M. Dumas d’Aigueberre, depuis conseiller au parlement de Toulouse, dans laquelle il parle ainsi de ce voyage :

Je ne dois pas être plus fortuné
Que le héros célébré sur ma vielle :
Il fut proscrit, persécuté, damné,
Par les dévots et leur douce séquelle :
En Angleterre il trouva du secours,
J’en vais chercher.....[19]

Le reste des vers est déchiré ; elle finit par ces mots : « Je n’ai pas le nez tourné à être prophète en mon pays. » Il avait raison. Le roi George Ier, et surtout la princesse de Galles, qui depuis fut reine, lui firent une souscription immense[20] : ce fut le commencement de sa fortune, car, étant revenu en France en 1728, il mit son argent à une loterie établie par M. Desforts, contrôleur général des finances. On recevait des rentes sur l’Hôtel de Ville pour billets, et on payait les lots argent comptant ; de sorte qu’une société qui aurait pris tous les billets aurait gagné un million. Il s’associa avec une compagnie nombreuse, et fut heureux. C’est un des associés qui m’a certifié cette anecdote, dont j’ai vu la preuve sur ses registres. M. de Voltaire lui écrivait : « Pour faire sa fortune dans ce pays-ci, il n’y a qu’à lire les arrêts du conseil. Il est rare qu’en fait de finances le ministère ne soit forcé à faire des arrangements dont les particuliers profitent. »

Cela ne l’empêcha pas de cultiver les belles-lettres, qui étaient sa passion dominante. Il donna, en 1730, son Brutus, que je regarde comme sa tragédie la plus fortement écrite, sans même en excepter Mahomet. Elle fut très-critiquée. J’étais, en 1732, à la première représentation de Zaïre ; et, quoiqu’on y pleurât beaucoup, elle fut sur le point d’être sifflée. On la parodia à la comédie italienne, à la Foire ; on l’appela la pièce des Enfants trouvés, Arlequin au Parnasse[21].

Un académicien l’ayant proposé en ce temps-là pour remplir une place vacante à laquelle notre auteur ne songeait point, M. de Boze déclara que l’auteur de Brutus et de Zaïre ne pouvait jamais devenir un sujet académique.

Il était lié alors avec l’illustre marquise du Châtelet, et ils étudiaient ensemble les principes de Newton et les systèmes de Leibnitz. Ils se retirèrent plusieurs années à Cirey en Champagne ; M. Koenig, grand mathématicien, y vint passer deux ans entiers. M. de Voltaire y fit bâtir une galerie, où l’on fit toutes les expériences alors connues sur la lumière et sur l’électricité. Ces occupations ne l’empêchèrent pas de donner, le 27 janvier 1736, la tragédie d’Alzire ou des Américains, qui eut un grand succès. Il attribua cette réussite à son absence ; il disait : Laudantur ubi non sunt, sed cruciantur ubi sunt[22].

Celui qui se déchaîna le plus contre Alzire fut l’ex-jésuite Desfontaines. Cette aventure est assez singulière : ce Desfontaines avait travaillé au Journal des Savants sous M. l’abbé Bignon, et en avait été exclu en 1723. Il s’était mis à faire des espèces de journaux pour son compte : il était ce que M. de Voltaire appelle un folliculaire. Ses mœurs étaient assez connues. Il avait été pris en flagrant délit avec de petits savoyards, et mis en prison à Bicêtre. On commençait à instruire son procès, et on voulait le faire brûler, parce qu’on disait que Paris avait besoin d’un exemple. M. de Voltaire employa pour lui la protection de Mme  la marquise de Prie. Nous avons encore une des lettres que Desfontaines écrivit à son libérateur : elle a été imprimée parmi les Lettres du marquis d’Argens[23], page 228, tome Ier : « Je n’oublierai jamais les obligations que je vous ai ; votre bon cœur est encore au-dessus de votre esprit, ma vie doit être employée à vous marquer ma reconnaissance. Je vous conjure d’obtenir encore que la lettre de cachet qui m’a tiré de Bicêtre, et qui m’exile à trente lieues de Paris, soit levée, etc. »

Quinze jours après, le même homme imprime un libelle diffamatoire contre celui pour lequel il devait employer sa vie. C’est ce que je découvre par une lettre de M. Thieriot, du 16 août, tirée du même recueil. Cet abbé Desfontaines est celui-là même qui, pour se justifier, disait à M. le comte d’Argenson : Il faut que je vive ; et à qui M. le comte d’Argenson répondit : Je n’en vois pas la nécessité.

Ce prêtre ne s’adressait plus à des ramoneurs depuis son aventure de Bicêtre. Il élevait de jeunes Français dans ces deux métiers de non-conformiste et de folliculaire ; il leur montrait à faire des satires ; il composa avec eux des libelles diffamatoires, intitulés Voltairomanie[24] et Voltairiana[25]. C’était un ramas de contes absurdes ; on en peut juger par une des lettres de M. le duc de Richelieu, signée de sa main, dont nous avons retrouvé l’original. Voici les propres mots : « Ce livre est bien ridicule et bien plat. Ce que je trouve d’admirable, c’est que l’on y dit que Mme  de Richelieu vous avait donné cent louis et un carrosse, avec des circonstances dignes de l’auteur et non pas de vous ; mais cet homme admirable oublie que j’étais veuf en ce temps-là, et que je ne me suis remarié que plus de quinze ans après, etc. Signé : le duc de Richelieu, 8 février 1739. »

M. de Voltaire ne se prévalait pas même de tant de témoignages authentiques ; et ils seraient perdus pour sa mémoire, si nous ne les avions retrouvés avec peine dans le chaos de ses papiers.

Je tombe encore sur une lettre du marquis d’Argenson, ministre des affaires étrangères : « C’est un vilain homme que cet abbé Desfontaines ; son ingratitude est encore pire que ses crimes, qui vous avaient donné lieu de l’obliger. 7 février 1739. »

Voilà les gens à qui M. de Voltaire avait affaire, et qu’il appelait la canaille de la littérature. Ils vivent, disait-il, de brochures et de crimes.

Nous voyons qu’en effet un homme de cette trempe, nommé l’abbé Mac-Carthy, qui se disait des nobles Mac-Carthy d’Irlande, et qui se disait aussi homme de lettres, lui emprunta une somme assez considérable, et alla avec cet argent se faire mahométan à Constantinople ; sur quoi M. de Voltaire dit : « Mac-Carthy n’est allé qu’au Bosphore ; mais Desfontaines s’est réfugié plus loin vers le lac de Sodome[26]. »

Il paraît que les contradictions, les perversités, les calomnies qu’il essuyait à chaque pièce qu’il faisait représenter ne pouvaient l’arracher à son goût, puisqu’il donna la comédie de l’Enfant prodigue le 10 octobre 1736 ; mais il ne la donna point sous son nom, et il en laissa le profit à deux jeunes élèves qu’il avait formés, MM. Linant[27] et Lamare[28] qui vinrent à Cirey, où il était avec Mme  du Châtelet. Il donna Linant pour précepteur au fils de Mme  du Châtelet, qui a été depuis lieutenant général des armées, et ambassadeur à Vienne et à Londres. La comédie de l’Enfant prodigue eut un grand succès. L’auteur écrivit à Mlle  Quinault[29] : « Vous savez garder les secrets d’autrui comme les vôtres. Si l’on m’avait reconnu, la pièce aurait été sifflée. Les hommes n’aiment pas qu’on réussisse en deux genres. Je me suis fait assez d’ennemis par Œdipe et la Henriade. »

Cependant il embrassait dans ce temps-là même un genre d’étude tout différent : il composait les Éléments de la philosophie de Newton, philosophie qu’alors on ne connaissait presque point en France. Il ne put obtenir un privilége du chancelier d’Aguesseau, magistrat d’une science universelle, mais qui, ayant été élevé dans le système cartésien, écartait les nouvelles découvertes autant qu’il pouvait. L’attachement de notre auteur pour les principes de Newton et de Locke lui attira une foule de nouveaux ennemis. Il écrivait à M. Falkener, le même auquel il avait dédié Zaïre : « On croit que les Français aiment la nouveauté, mais c’est en fait de cuisine et de modes : car pour les vérités nouvelles, elles sont toujours proscrites parmi nous : ce n’est que quand elles sont vieilles qu’elles sont bien reçues, etc. »

Nous avons recouvré une lettre qu’il écrivit longtemps après à M. Clairaut sur ces matières abstraites ; elle paraît mériter d’être conservée. On la trouvera à son rang dans ce recueil[30].

Pour se délasser des travaux de la physique, il s’amusa à faire le poëme de la Pucelle. Nous avons des preuves que cette plaisanterie fut presque composée tout entière à Cirey. Mme  du Châtelet aimait les vers autant que la géométrie, et s’y connaissait parfaitement. Quoique ce poëme ne fût que comique, on y trouva beaucoup plus d’imagination que dans la Henriade ; mais la Pucelle fut indignement violée par des polissons grossiers, qui la firent imprimer avec des ordures intolérables. Les seules bonnes éditions sont celles de MM. Cramer.

Il fallut quitter Cirey pour aller solliciter à Bruxelles un procès que la maison du Châtelet y soutenait depuis longtemps contre la maison de Honsbrouck, procès qui pouvait les ruiner l’une et l’autre. M. de Voltaire, conjointement avec M. Raesfeld, président de Clèves, accommoda enfin cet ancien différend, moyennant cent trente mille francs[31], argent de France, qui furent payés à M. le marquis du Châtelet.

Le malheureux et célèbre Rousseau était alors à Bruxelles. Mme  du Châtelet ne voulut point le voir ; elle savait que Rousseau avait fait autrefois une satire[32] contre le baron de Breteuil son père, dans le temps qu’il était son domestique ; et nous en avons la preuve dans un papier écrit tout entier de la main de Mme  du Châtelet.

Les deux poëtes se virent, et bientôt conçurent une assez forte aversion l’un pour l’autre. Rousseau ayant montré à son antagoniste une Ode à la postérité, celui-ci lui dit : « Mon ami, voilà une lettre qui ne sera jamais reçue à son adresse. » Cette raillerie ne fut jamais pardonnée. Il y a une lettre de M. de Voltaire à M. Linant[33], dans laquelle il dit : « Rousseau me méprise, parce que je néglige quelquefois la rime ; et moi je le méprise, parce qu’il ne sait que rimer[34]. »

Les extrêmes bontés avec lesquelles le roi de Prusse l’avait prévenu lui firent bien oublier la haine de Rousseau. Ce monarque était poëte aussi ; mais il avait tous les talents de sa place, et tous ceux qui n’en étaient pas. Une correspondance suivie était établie depuis longtemps entre lui et notre auteur, lorsqu’il était prince royal héréditaire. On a imprimé quelques unes de leurs lettres dans les recueils qu’on a faits des ouvrages de M. de Voltaire.

Ce prince venait, à son avènement à la couronne, de visiter toutes les frontières de ses États. Son désir de voir les troupes françaises, et d’aller incognito à Strasbourg et à Paris, lui fit entreprendre le voyage de Strasbourg, sous le nom du comte du Four ; mais, ayant été reconnu par un soldat qui avait servi dans les armées de son père, il retourna à Clèves.

Plus d’un curieux a conservé dans son portefeuille une lettre en prose et en vers, dans le goût de Chapelle, écrite par ce prince sur ce voyage de Strasbourg. L’étude de la langue et de la poésie française, celle de la musique italienne, de la philosophie et de l’histoire, avaient fait sa consolation dans les chagrins qu’il avait essuyés pendant sa jeunesse. Cette lettre est un monument singulier d’un homme qui a gagné depuis tant de batailles ; elle est écrite avec grâce et légèreté ; en voici quelques morceaux[35] :

« Je viens de faire un voyage entremêlé d’aventures singulières, quelquefois fâcheuses, et souvent plaisantes. Vous savez que j’étais parti pour Bruxelles afin de revoir une sœur que j’aime autant que je l’estime. Chemin faisant, Algarotti et moi, nous consultions la carte géographique pour régler notre retour par Vesel. Strasbourg ne nous détournait pas beaucoup, nous choisîmes cette route par préférence : l’incognito fut résolu ; enfin, tout arrangé et concerté au mieux, nous crûmes aller en trois jours à Strasbourg ;

Mais le ciel, qui de tout dispose,
Régla différemment la chose.
Avec des coursiers efflanqués,
En droite ligne issus de Rossinante,

Des paysans en postillons masqués,
Butords de race impertinente,
Nos carrosses cent fois dans la route accrochés,
Nous allions gravement d’une allure indolente. »

On dit qu’il écrivait tous les jours de ces lettres agréables au courant de la plume. Mais il venait de composer un ouvrage bien plus sérieux et plus digne d’un grand prince : c’était la réfutation de Machiavel. Il l’avait envoyé à M. de Voltaire pour le faire imprimer : il lui donna rendez-vous dans un petit château appelé Meuse, auprès de Clèves. Celui-ci lui dit : « Sire, si j’avais été Machiavel, et si j’avais eu quelque accès auprès d’un jeune roi, la première chose que j’aurais faite aurait été de lui conseiller d’écrire contre moi. » Depuis ce temps, les bontés du monarque prussien redoublèrent pour l’homme de lettres français, qui alla lui faire sa cour à Berlin sur la fin de 1740, avant que le roi se préparât à entrer en Silésie.

Alors le cardinal de Fleury lui prodigua les cajoleries les plus flatteuses, dont il ne paraît pas que notre voyageur fût la dupe. Voici sur cette matière une anecdote bien singulière, et qui pourrait jeter un grand jour sur l’histoire de ce siècle. Le cardinal écrivit à M. de Voltaire, le 14 novembre 1740, une grande lettre ostensible dont j’ai copie ; on y trouve ces propres mots :

« La corruption est si générale, et la bonne foi est si indécemment bannie de tous les cœurs dans ce malheureux siècle, que, si on ne se tenait pas bien ferme dans les motifs supérieurs qui nous obligent à ne point nous en départir, on serait quelquefois tenté d’y manquer dans de certaines occasions. Mais le roi mon maître fait voir du moins qu’il ne se croit point en droit d’avoir de cette espèce de représailles ; et dans le moment de la mort de l’empereur, il assura M. le prince de Lichtenstein qu’il garderait fidèlement tous ses engagements. »

Ce n’est point à moi d’examiner comment, après une telle lettre, on put, en 1741, entreprendre de dépouiller la fille et l’héritière de l’empereur Charles VI. Ou le cardinal de Fleury changea d’avis, ou cette guerre se fit malgré lui. Mon commentaire ne regarde point la politique, à laquelle je suis absolument étranger ; mais, en qualité de littérateur, je ne puis dissimuler ma surprise de voir un homme de cour et un académicien dire « qu’on se tient ferme dans des motifs qui obligent à ne se point départir de ces motifs ; qu’on serait tenté de manquer à ces motifs, et qu’on est en droit d’avoir de ces espèces de représailles. » Voilà bien des fautes contre la langue en peu de mots.

Quoi qu’il en soit, je vois très-clairement que mon auteur n’avait aucune envie de faire fortune par la politique, puisque, de retour à Bruxelles, il ne s’occupa que de ses chères belles-lettres. Il y fit la tragédie de Mahomet, et alla bientôt après avec Mme  du Châtelet faire jouer cette pièce à Lille, où il y avait une fort bonne troupe dirigée par le sieur Lanoue, auteur et comédien. La fameuse demoiselle Clairon y jouait, et montrait déjà les plus grands talents. Mme  Denis, nièce de l’auteur, femme d’un commissaire ordonnateur des guerres, ancien capitaine au régiment de Champagne, tenait un assez grand état dans Lille, qui était du département de son mari. Mme  du Châtelet logea chez elle ; je fus témoin de toutes ces fêtes : Mahomet fut très-bien joué.

Dans un entr’acte, on apporta à l’auteur une lettre du roi de Prusse, qui lui apprenait la victoire de Molvitz[36] ; il la lut à l’assemblée ; on battit des mains. « Vous verrez, dit-il, que cette pièce de Molvitz fera réussir la mienne. »

Elle fut représentée à Paris le 19 août de la même année[37]. Ce fut là qu’on vit plus que jamais à quel excès se peut porter la jalousie des gens de lettres, surtout en fait de théâtre. L’abbé Desfontaines et un nommé Bonneval, que M. de Voltaire avait secouru dans ses besoins, ne pouvant faire tomber la tragédie de Mahomet, la déférèrent, comme une pièce contre la religion chrétienne, au procureur général. La chose alla si loin que le cardinal de Fleury conseilla à l’auteur de la retirer. Ce conseil avait force de loi ; mais l’auteur la fit imprimer, et la dédia au pape Benoît XIV, Lambertini, qui avait déjà beaucoup de bontés pour lui. Il avait été recommandé à ce pape par le cardinal Passionei, homme de lettres célèbre, avec lequel il était depuis longtemps en correspondance. Nous avons quelques lettres de ce pape à M. de Voltaire[38]. Sa Sainteté voulut l’attirer à Rome ; et il ne s’est jamais consolé de n’avoir point vu cette ville, qu’il appelait la capitale de l’Europe.

Mahomet ne fut rejoué que longtemps après, par le crédit de Mme  Denis, malgré Crébillon, alors approbateur des pièces de théâtre sous les ordres du lieutenant de police. On fut obligé de prendre M. d’Alembert pour approbateur. Cette manœuvre de Crébillon parut assez malhonnête à la bonne compagnie. La pièce est restée en possession du théâtre, dans le temps même où ce spectacle a été le plus négligé. L’auteur avouait qu’il se repentait d’avoir fait Mahomet beaucoup plus méchant que ce grand homme ne le fut ; « mais si je n’en avais fait qu’un héros politique, écrivait-il à un de ses amis, la pièce était sifflée. Il faut dans une tragédie de grandes passions et de grands crimes. Au reste, dit-il quelques lignes après, le genus implacabile vatum me persécute plus que l’on ne persécuta Mahomet à la Mecque. On parle de la jalousie et des manœuvres qui troublent les cours ; il y en a plus chez les gens de lettres ».

Après toutes ces tracasseries, MM. de Réaumur et de Mairan lui conseillèrent de renoncer à la poésie, qui n’attirait que de l’envie et des chagrins ; de se donner tout entier à la physique, et de demander une place à l’Académie des sciences, comme il en avait une à la Société royale de Londres, et à l’Institut de Bologne. Mais M. de Formont, son ami, homme de lettres infiniment aimable, lui ayant écrit une lettre en vers pour l’exhorter à ne pas enfouir son talent, voici ce qu’il lui répondit (23 décembre 1737) :

À mon très-cher ami Formont,
Demeurant sur le double mont,
Au-dessus de Vincent Voiture,
Vers la taverne où Bachaumont
Buvait et chantait sans mesure,
Où le plaisir et la raison
Ramenaient le temps d’Épicure
[39].

Et aussitôt il travailla à sa Mérope. La tragédie de Mérope, première pièce profane qui réussit sans le secours d’une passion amoureuse, et qui fit à notre auteur plus d’honneur qu’il n’en espérait, fut représentée le 20 février 1743. Je ne puis mieux faire connaître ce qui se passa de singulier sur cette tragédie qu’en rapportant la lettre qu’il écrivit, le 4 avril suivant, à son ami M. d’Aigueberre, qui était à Toulouse[40] :

« La Mérope n’est pas encore imprimée : je doute qu’elle réussisse à la lecture autant qu’à la représentation. Ce n’est point moi qui ai fait la pièce ; c’est Mlle  Dumesnil. Que dites-vous d’une actrice qui fait pleurer pendant trois actes de suite ? Le public a pris un peu le change : il a mis sur mon compte une partie du plaisir extrême que lui ont fait les acteurs. La séduction a été au point que le parterre a demandé à grands cris à me voir. On m’est venu prendre dans une cache où je m’étais tapi ; on m’a mené de force dans la loge[41] de Mme  la maréchale de Villars, où était sa belle-fille. Le parterre était fou : il a crié à la duchesse de Villars de me baiser ; et il a tant fait de bruit qu’elle a été obligée d’en passer par là, par l’ordre de sa belle-mère. J’ai été baisé publiquement, comme Alain Chartier par la princesse Marguerite d’Écosse ; mais il dormait, et j’étais fort éveillé. Cette faveur populaire, qui probablement passera bientôt, m’a un peu consolé de la petite persécution de Boyer, ancien évêque de Mirepoix, toujours plus théatin qu’évêque. L’Académie, le roi, le public, m’avaient désigné pour succéder au cardinal de Fleury parmi les quarante. Boyer n’a pas voulu ; et il a trouvé à la fin, après deux mois et demi, un prélat pour remplir la place d’un prélat, selon les canons de l’Église[42]. Je n’ai pas l’honneur d’être prêtre ; je crois qu’il convient à un profane comme moi de renoncer à l’Académie.

« Les lettres ne sont pas extrêmement favorisées. Le théatin m’a dit que l’éloquence expirait ; qu’il avait en vain voulu la ressusciter par ses sermons ; que personne ne l’avait secondé : il voulait dire écouté.

« On vient de mettre à la Bastille l’abbé Lenglet, pour avoir publié des mémoires déjà très-connus, qui servent de supplément à l’histoire de notre célèbre de Thou. L’infatigable et malheureux Lenglet rendait un signalé service aux bons citoyens et aux amateurs des recherches historiques. Il méritait des récompenses ; on l’emprisonne cruellement à l’âge de soixante-huit ans. Cela est tyrannique.

Insere nunc, Melibœe, piros ! pone ordine vites[43] !

« Mme  du Châtelet vous fait ses compliments. Elle marie sa fille à M. le duc de Montenero, Napolitain au grand nez, à la taille courte, à la face maigre et noire, à la poitrine enfoncée. Il est ici, et va nous enlever une Française aux joues rebondies, Vale et me ama.

Voltaire. »

Nous le voyons bientôt après faire un nouveau voyage auprès du roi de Prusse, qui l’appelait toujours à Berlin, mais pour lequel il ne pouvait quitter longtemps ses anciens amis. Il rendit dans ce voyage au roi son maître un signalé service, comme nous le voyons par sa correspondance avec M. Amelot, ministre d’État, Mais ces particularités ne sont pas l’objet de notre Commentaire ; nous n’avons en vue que l’homme de lettres.

Le fameux comte de Bonneval, devenu bâcha turc, et qu’il avait vu autrefois chez le grand prieur de Vendôme, lui écrivait alors de Constantinople, et fut en correspondance avec lui pendant quelque temps. On n’a trouvé de ce commerce épistolaire qu’un seul fragment, que nous transcrivons :

« Aucun saint, avant moi, n’avait été livré à la discrétion du prince Eugène. Je sentais qu’il y avait une espèce de ridicule à me faire circoncire ; mais on m’assura bientôt qu’on m’épargnerait cette opération en faveur de mon âge. Le ridicule de changer de religion ne laissait pas encore de m’arrêter : il est vrai que j’ai toujours pensé qu’il est fort indifférent à Dieu qu’on soit musulman, ou chrétien, ou juif, ou guèbre ; j’ai toujours eu sur ce point l’opinion du duc d’Orléans régent, des ducs de Vendôme, de mon cher marquis de La Fare, de l’abbé de Chaulieu, et de tous les honnêtes gens avec qui j’ai passé ma vie. Je savais bien que le prince Eugène pensait comme moi, et qu’il en aurait fait autant à ma place ; enfin il fallait perdre ma tête, ou la couvrir d’un turban. Je confiai ma perplexité à Lamira, qui était mon domestique, mon interprète, et que vous avez vu depuis en France avec Saïd-effendi : il m’amena un iman qui était plus instruit que les Turcs ne le sont d’ordinaire. Lamira me présenta à lui comme un catéchumène fort irrésolu. Voici ce que ce bon prêtre lui dicta en ma présence ; Lamira le traduisit en français ; je le conserverai toute ma vie :

« Notre religion est incontestablement la plus ancienne et la plus pure de l’univers connu ; c’est celle d’Abraham sans aucun mélange ; et c’est ce qui est confirmé dans notre saint livre, où il est dit : Abraham était fidèle ; il n’était ni juif, ni chrétien, ni idolâtre. Nous ne croyons qu’un seul Dieu comme lui ; nous sommes circoncis comme lui, et nous ne regardons la Mecque comme une ville sainte que parce qu’elle l’était du temps même d’Ismaël, fils d’Abraham.

Dieu a certainement répandu ses bénédictions sur la race d’Ismaël, puisque sa religion est étendue dans presque toute l’Asie et dans presque toute l’Afrique, et que la race d’Isaac n’y a pas pu seulement conserver un pouce de terrain.

Il est vrai que notre religion est peut-être un peu mortifiante pour les sens ; Mahomet a réprimé la licence que se donnaient tous les princes de l’Asie d’avoir un nombre indéterminé d’épouses. Les princes de la secte abominable des Juifs avaient poussé cette licence plus loin que les autres : David avait dix-huit femmes ; Salomon, selon les Juifs, en avait jusqu’à sept cents ; notre prophète réduisit le nombre à quatre.

Il a défendu le vin et les liqueurs fortes, parce qu’elles dérangent l’âme et le corps, qu’elles causent des maladies, des querelles, et qu’il est bien plus aisé de s’abstenir tout à fait que de se contenir.

Ce qui rend surtout notre religion sainte et admirable, c’est qu’elle est la seule où l’aumône soit de droit étroit. Les autres religions conseillent d’être charitables ; mais, pour nous, nous l’ordonnons expressément, sous peine de damnation éternelle.

Notre religion est aussi la seule qui défende les jeux de hasard, sous les mêmes peines ; et c’est ce qui prouve bien la profonde sagesse de Mahomet. Il savait que le jeu rend les hommes incapables de travail, et qu’il transforme trop souvent la société en un assemblage de dupes et de fripons, etc.

(Il y a ici plusieurs lignes si blasphématoires que nous n’osons les copier. On peut les passer à un Turc ; mais une main chrétienne ne peut les transcrire.)

Si donc ce chrétien ci-présent veut abjurer sa secte idolâtre, et embrasser celle des victorieux musulmans, il n’a qu’à prononcer devant moi notre sainte, formule, et faire les prières et les ablutions prescrites. »

Lamira, m’ayant lu cet écrit, me dit : Monsieur le comte, ces Turcs ne sont pas si sots qu’on le dit à Vienne, à Rome, et à Paris… » Je lui répondis que je sentais un mouvement de grâce turque intérieur, et que ce mouvement consistait dans la ferme espérance de donner sur les oreilles au prince Eugène quand je commanderais quelques bataillons turcs.

Je prononçai mot à mot, d’après l’iman, la formule : Alla, illa, alah, Mohammed resoul allah. Ensuite on me fit dire la prière qui commence par ces mots : Benamiezdam Bakshaeïer dadar, au nom de Dieu clément et miséricordieux, etc.

« Cette cérémonie se fit en présence de deux musulmans qui allèrent sur-le-champ en rendre compte au bacha de Bosnie. Pendant qu’ils faisaient leur message, je me fis raser la tête, et l’iman me la couvrit d’un turban, etc. »

Je pourrais joindre à ce fragment curieux quelques chansons du comte bacha ; mais quoique ces couplets soient fort gais[44], ils ne sont pas si intéressants que sa prose.

Je n’aurai rien à dire de l’année 1744, sinon que mon auteur fut admis dans presque toutes les académies de l’Europe, et, ce qui est singulier, dans celle de la Crusca. Il avait fait une étude sérieuse de la langue italienne, témoin une lettre de l’éloquent cardinal Passionei[45], qui commence par ces mots :

« J’ai lu et relu, toujours avec un nouveau plaisir, votre lettre italienne belle et savante. Il est difficile de concevoir comment un homme qui possède à fond d’autres langues a pu atteindre à la perfection de celle-ci.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


La remarque qui est dans votre lettre sur les erreurs des plus grands hommes vient fort à propos : car le soleil a ses taches et ses éclipses ; celles-ci sont observées dans le dernier des almanachs ; et, comme vous le pensez très-bien, les censeurs trop sévères ont souvent besoin que nous ayons pour eux plus d’indulgence que pour ceux qu’ils reprennent. Homère, Virgile, le Tasse, et plusieurs autres, perdront peu sur une petite et légère faute qui est couverte par mille beautés ; mais les Zoïles seront toujours ridicules, et ne sauront pas distinguer les perles du fumier d’Ennius, etc. »

Ce cardinal écrivait, comme on voit, en français presque aussi bien qu’en italien, et pensait très-judicieusement. Nos Zoïles ne lui échappaient pas.

M. de Voltaire, sur la fin de 1744, eut un brevet d’historiographe de France, qu’il qualifie de magnifique bagatelle ; il était déjà connu par son Histoire de Charles XII, dont on a fait tant d’éditions. Cette histoire fut principalement composée en Angleterre, à la campagne, avec M. Fabrice, chambellan de George Ier, électeur de Hanovre, roi d’Angleterre, qui avait résidé sept ans auprès de Charles XII, après la journée de Pultavva.

C’est ainsi que la Henriade avait été commencée à Saint-Ange, d’après les conversations avec M. de Caumartin.

Cette histoire fut très-louée pour le style, et très-critiquée pour les faits incroyables. Mais les critiques et les incrédules cessèrent, lorsque le roi Stanislas envoya à l’auteur, par M. le comte de Tressan, lieutenant général, une attestation authentique conçue en ces termes[46] : « M. de Voltaire n’a oublié ni déplacé aucun fait, aucune circonstance ; tout est vrai, tout est dans son ordre. Il a parlé sur la Pologne, et sur tous les événements qui sont arrivés, comme s’il avait été témoin oculaire. Fait à Commercy, le 11 juillet 1759. »

Dès qu’il eut un de ces titres d’historiographe, il ne voulut pas que ce titre fût vain, et qu’on dît de lui ce qu’un commis du trésor royal disait de Racine et de Boileau : Nous n’avons encore vu de ces messieurs que leur signature. Il écrivit la guerre de 1741, qui était alors dans toute sa force, et que vous retrouvez dans le Siècle de Louis XIV et de Louis XV[47].

Il était alors à Étiole avec cette belle Mme  d’ÉtioIe qui fut depuis la marquise de Pompadour. La cour ordonna des fêtes pour le commencement de l’année 1745, où l’on devait marier le dauphin avec l’infante d’Espagne. On voulut des ballets avec de la musique chantante, et une espèce de comédie qui servît de liaison aux airs. M. de Voltaire en fut chargé, quoique un tel spectacle ne fût point de son goût. Il prit pour sujet une princesse de Navarre[48]. La pièce est écrite avec légèreté. M. de La Popelinière, fermier général, mais lettré, y mêla quelques ariettes ; la musique fut composée par le fameux Rameau.

Mme  d’Étiole obtint alors pour M. de Voltaire le don gratuit d’une charge de gentilhomme ordinaire de la chambre. C’était un présent d’environ soixante mille livres, et présent d’autant plus agréable que peu de temps après, il obtint la grâce singulière de vendre cette place, et d’en conserver le titre, les priviléges et les fonctions.

Peu de personnes connaissent le petit impromptu qu’il fit sur cette grâce, qui lui avait été accordée sans qu’il l’eût sollicitée.

Mon Henri Quatre et ma Zaïre,
Et mon Américaine Alzire,
Ne m’ont valu jamais un seul regard du roi ;
J’avais mille ennemis avec très-peu de gloire :
Les honneurs et les biens pleuvent enfin sur moi
Pour une farce de la Foire.

Il avait eu cependant, longtemps auparavant, une pension du roi de deux mille livres, et une de quinze cents de la reine ; mais il n’en sollicita jamais le payement.

L’histoire étant devenue un de ses devoirs, il commença quelque chose du Siècle de Louis XIV ; mais il différa de le continuer ; il écrivit la campagne de 1744, et la mémorable bataille de Fontenoy. Il entra dans tous les détails de cette journée intéressante. On y trouve jusqu’au nombre des morts de chaque régiment. Le comte d’Argenson, ministre de la guerre, lui avait communiqué les lettres de tous les officiers. Le maréchal de Noailles et le maréchal de Saxe lui avaient confié des mémoires.

Je crois faire un grand plaisir à ceux qui veulent connaître les événements et les hommes, de transcrire ici la lettre que M. le marquis d’Argenson, ministre des affaires étrangères, et frère aîné du secrétaire d’État de la guerre, écrivit du champ de bataille à M. de Voltaire[49].

C’est ce même marquis d’Argenson que quelques courtisans un peu frivoles appelaient d’Argenson la bête. On voit par cette lettre qu’il était d’un esprit agréable, et que son cœur était humain. Ceux qui le connaissaient voyaient en lui un philosophe plus qu’un politique, mais surtout un excellent citoyen. On en peut juger par son livre intitulé Considérations sur le Gouvernement, imprimé, en 1764, chez Marc-Michel Rey. Voyez surtout le chapitre de la Vénalité des charges. Je ne puis me défendre du plaisir d’en citer quelques passages :

« Il est étonnant qu’on ait accordé une approbation générale au livre intitulé Testament politique du cardinal de Richelieu[50], ouvrage de quelque pédant ecclésiastique, et indigne du grand génie auquel on l’attribue, ne fût-ce que pour le chapitre où l’on canonise la vénalité des charges. Misérable invention qui a produit tout le mal qui est à redresser aujourd’hui, et par où les moyens en sont devenus si pénibles : car il faudrait les revenus de l’État pour rembourser seulement les principaux officiers qui nuisent le plus. »

Ce passage important semble avoir annoncé de loin l’abolition[51] de cette honteuse vénalité, opérée en 1771, à l’étonnement de toute la France, qui croyait cette réforme impossible. J’y découvre aussi une uniformité de pensée avec M. de Voltaire, qui a démontré les erreurs absurdes dont fourmille le libelle si ridiculement attribué au cardinal de Richelieu, et qui a lavé la mémoire de cet habile et redoutable ministre de la souillure dont on couvrait son nom en lui imputant cet impertinent ouvrage.

Transcrivons encore un partie du tableau que le marquis d’Argenson fait des malheurs des agriculteurs :

« À commencer par le roi, plus on est grand à la cour, moins on se persuade aujourd’hui la misère de la campagne : les seigneurs des grandes terres en entendent bien parler quelquefois ; mais leurs cœurs endurcis n’envisagent dans ce malheur que la diminution de leurs revenus. Ceux qui arrivent des provinces, touchés de ce qu’ils ont vu, l’oublient bientôt par l’abondance des délices de la capitale. Il nous faut des âmes fermes et des cœurs tendres pour persévérer dans une pitié dont l’objet est absent. »

Ce ministre citoyen avait toujours eu dès son enfance une tendre amitié pour M. de Voltaire. J’ai vu une très-grande quantité de lettres de l’un et de l’autre ; il en résulte que le secrétaire d’État employa l’homme de lettres dans plusieurs affaires considérables, pendant les années 1745, 1746 et 1747. C’est probablement la raison pour laquelle nous n’avons aucune pièce de théâtre de notre auteur pendant le cours de ces années.

Nous voyons, par ses papiers, que l’entreprise d’une descente en Angleterre, en 1746, lui fut confiée[52]. Le duc de Richelieu devait commander l’armée. Le prétendant avait déjà gagné deux batailles, et on attendait une révolution. M. de Voltaire fut chargé de faire le manifeste. Le voici tel que nous l’avons trouvé minuté de sa main[53].

On voit, par les expressions de cette pièce, quelle fut, dans tous les temps, l’estime et l’inclination de l’auteur pour la nation anglaise ; et il a toujours persisté dans ces sentiments.

Ce fut l’infortuné comte de Lally qui avait fait le projet et le plan de cette descente, laquelle ne fut point effectuée. Il était né Irlandais, et il haïssait les Anglais autant que notre auteur les aimait et les estimait. Cette haine était même chez Lally une passion violente, à ce que nous a dit plusieurs fois M. de Voltaire : nous ne pouvons nous empêcher de témoigner notre profond étonnement que le général Lally ait été accusé d’avoir depuis livré Pondichéry aux Anglais. L’arrêt qui l’a condamné à la mort est un des jugements les plus extraordinaires qui aient été rendus dans notre siècle ; c’est une suite des malheurs de la France. Cet exemple, et celui du maréchal de Marillac, font assez voir que quiconque est à la tête des armées ou des affaires est rarement sûr de mourir dans son lit, ou au lit d’honneur.

Ce fut en 1746[54] que M. de Voltaire entra dans l’Académie française. Il fut le premier qui dérogea à l’usage fastidieux de ne remplir un discours de réception que des louanges rebattues du cardinal de Richelieu. Il releva sa harangue par des remarques nouvelles sur la langue française et sur le goût. Ceux qui ont été reçus après lui ont, pour la plupart, suivi et perfectionné cette méthode utile.

Il était, en 1748, avec Mme  du Châtelet à Lunéville, auprès du roi Stanislas, lorsqu’il envoya à la Comédie Nanine, qui fut représentée le 17 juillet de cette année. Elle réussit peu d’abord ; mais elle eut ensuite un succès aussi grand que durable. Je ne puis attribuer cette bizarrerie qu’à la secrète inclination qu’on a d’humilier un homme qui a trop de renommée. Mais avec le temps on se laisse entraîner à son plaisir.

Il arriva la même chose à la première représentation de Sémiramis, le 29 août de la même année 1748 ; mais à la fin elle fit encore plus d’effet au théâtre que Mérope et Mahomet.

Une chose, à mon avis, singulière, c’est qu’il ne donna point sous son nom le Panégyrique de Louis XV, imprimé en 1749, et traduit en latin, en italien, en espagnol et en anglais[55].

La maladie qui avait tant fait craindre pour la vie du roi Louis XV, et la bataille de Fontenoy, qui avait fait craindre encore plus pour lui et pour la France, rendaient l’ouvrage intéressant. L’auteur ne loue que par les faits, et on y trouve un ton de philosophie qui caractérise tout ce qui est sorti de sa main. Ce Panégyrique était celui des officiers[56] autant que de Louis XV : cependant il ne le présenta à personne, pas même au roi. Il savait bien qu’il ne vivait pas dans le siècle de Pellisson. Aussi écrivait-il à M. de Formont, l’un de ses amis :

Cet éloge a très-peu d’effet ;
Nul mortel ne m’en remercie :
Celui qui le moins s’en soucie
Est celui pour qui je l’ai fait.

[57]Cette même année 1749 il était encore dans le palais de Lunéville avec la marquise du Châtelet. Cette dame illustre y mourut.

Le roi de Prusse alors appela M. de Voltaire auprès de lui. Je vois qu’il ne se résolut à quitter la France et à s’attacher à Sa Majesté prussienne pour le reste de sa vie que vers la fin du mois d’août ou auguste 1750. Il était parti après avoir combattu pendant plus de six mois contre toute sa famille et contre tous ses amis, qui le dissuadaient fortement de cette transplantation ; mais, sans avoir pris l’engagement de se fixer auprès du roi de Prusse, il ne put résister à cette lettre que ce prince lui écrivit de son appartement à la chambre de son nouvel hôte dans le palais de Berlin, le 23 août ; lettre qui a tant couru depuis, et qui a été souvent imprimée[58].

Le roi de Prusse, après cette lettre, fit demander au roi de France son agrément par son ministre ; le roi de France le donna. Notre auteur eut à Berlin la croix de Mérite, la clef de chambellan, et vingt mille francs de pension. Cependant il ne quitta jamais sa maison de Paris ; et j’ai vu, par les comptes de M. Delaleu, notaire à Paris, qu’il y dépensait trente mille livres par an. Il était attaché au roi de Prusse par la plus respectueuse tendresse et par la conformité des goûts. Il a dit cent fois que ce monarque était aussi aimable dans la société, que redoutable à la tête d’une armée ; qu’il n’avait jamais fait de soupers plus agréables à Paris que ceux auxquels ce prince voulait bien l’admettre tous les jours. Son enthousiasme pour le roi de Prusse allait jusqu’à la passion. Il couchait au-dessous de son appartement, et ne sortait de sa chambre que pour souper. Le roi composait en haut des ouvrages de philosophie, d’histoire, et de poésie ; et son favori cultivait en bas les mêmes arts et les mêmes talents. Ils s’envoyaient l’un à l’autre leurs ouvrages. Le monarque prussien fit à Potsdam son Histoire de Brandebourg ; et l’écrivain français y fit le Siècle de Louis XIV, ayant apporté avec lui tous ses matériaux. Ses jours coulaient ainsi dans un repos animé par des occupations si agréables. On représentait à Paris son Oreste et Rome sauvée. Oreste fut joué sur la fin de 1749[59], et Rome sauvée en 1750[60].

Ces deux pièces sont absolument sans intrigue d’amour, ainsi que Mérope et la Mort de César. Il aurait voulu purger le théâtre de tout ce qui n’est point passion et aventure tragique. Il regardait Électre amoureuse comme un monstre orné de rubans sales ; et il a manifesté ce sentiment dans plus d’un ouvrage.

Nous avons retrouvé une lettre en vers au roi de Prusse, en lui envoyant le manuscrit d’Oreste[61].

Il faut avouer que rien n’était plus doux que cette vie, et que rien ne faisait plus d’honneur à la philosophie et aux belles lettres. Ce bonheur aurait été plus durable, et n’aurait point fait place enfin à un bonheur encore plus grand, sans une malheureuse dispute de physique-mathématique élevée entre Maupertuis, qui était aussi auprès du roi de Prusse, et Koenig, bibliothécaire de Mme  la princesse d’Orange à la Haye. Cette querelle était une suite de celle qui divisa longtemps les mathématiciens sur les forces vives et les forces mortes. On ne peut nier qu’il n’entre dans tout cela un peu de charlatanisme, ainsi qu’en théologie et en médecine. La question était au fond très-frivole, puisque, de quelque manière qu’on l’embrouille, on finit toujours par trouver les mêmes formules de calcul. Les esprits s’aigrirent ; Maupertuis fit condamner Koenig, en 1752, par l’Académie de Berlin, où il dominait, comme s’étant appuyé d’une lettre de feu Leibnitz, sans pouvoir produire l’original de cette lettre, que pourtant M. Wolff avait vu. Il fit plus, il écrivit à Mme  la princesse d’Orange pour la prier d’ôter à Koenig la place de son bibliothécaire, et le déféra au roi de Prusse comme un homme qui lui avait manqué de respect. Voltaire, qui avait passé deux années entières avec Koenig à Cirey, et qui était son ami intime, crut devoir prendre hautement le parti de son ami.

La querelle s’envenima ; l’étude de la philosophie dégénéra en cabale et en faction. Maupertuis eut soin de répandre à la cour qu’un jour le général Manstein étant dans la chambre de Voltaire, où celui-ci mettait en français les Mémoires sur la Russie composés par cet officier, le roi lui envoya une pièce de vers de sa façon à examiner, et que Voltaire dit à Manstein : « Mon ami, à une autre fois. Voilà le roi qui m’envoie son linge sale à blanchir ; je blanchirai le vôtre ensuite. » Un mot suffit quelquefois pour perdre un homme à la cour ; Maupertuis lui imputa ce mot, et le perdit.

Précisément dans ce temps-là même Maupertuis faisait imprimer ses Lettres[62] philosophiques, fort singulières, dans lesquelles il proposait de bâtir une ville latine ; d’aller faire des découvertes droit au pôle par mer ; de percer un trou jusqu’au centre de la terre ; d’aller au détroit de Magellan disséquer des cervelles de Patagons, pour connaître la nature de l’âme ; d’enduire tous les malades de poix-résine, pour arrêter le danger de la transpiration, et surtout de ne point payer le médecin.

M. de Voltaire releva ces idées philosophiques avec toutes les railleries[63] auxquelles on donnait si beau jeu ; et malheureusement ces railleries réjouirent l’Europe littéraire. Maupertuis eut soin de joindre la cause du roi à la sienne. La plaisanterie fut regardée comme un manque de respect à Sa Majesté. Notre auteur renvoya respectueusement au roi sa clef de chambellan et la croix de son ordre, avec ces vers :

Je les reçus avec tendresse,
Je vous les rends avec douleur,

Comme un amant jaloux, dans sa mauvaise humeur[64],

Rend le portrait de sa maîtresse.

Le roi lui renvoya sa clef et son ruban. Il s’en alla faire une visite à Son Altesse la duchesse de Gotha, qui l’a toujours honoré d’une amitié constante jusqu’à sa mort. C’est pour elle qu’il écrivit, un an après, les Annales de l’Empire.

Pendant qu’il était à Gotha, Maupertuis eut tout le temps de dresser ses batteries contre le voyageur, qui s’en aperçut quand il fut à Francfort-sur-le-Mein. Mme  Denis, sa nièce, lui avait donné rendez-vous dans cette ville.

Un bon Allemand[65], qui n’aimait ni les Français ni leurs vers, vint le premier juin lui redemander les Œuvres de Poëshie du roi son maître. Notre voyageur répondit que les Œuvres de Poëshie étaient à Leipsick avec ses autres effets. L’Allemand lui signifia qu’il était consigné à Francfort, et qu’on ne lui permettrait d’en partir que quand les œuvres seraient arrivées. M. de Voltaire lui remit sa clef de chambellan et sa croix, et promit de lui rendre ce qu’on lui demandait ; moyennant quoi le messager lui signa ce billet.

« M…, sitôt le gros ballot de Leipsick sera ici, où est l’Œuvre de Poëshie du roi mon maître, vous pourrez partir où vous paraîtra bon. À Francfort, premier juin 1753, »

Le prisonnier signa au bas du billet : Bon pour l’Œuvre de Poëshie du roi votre maître.

Mais quand les vers revinrent, on supposa des lettres de change qui ne venaient point. Les voyageurs furent arrêtés quinze jours au cabaret du Bouc pour ces lettres de change prétendues. Cela[66] ressemblait à l’aventure de l’évêque de Valence, Cosnac, que M. de Louvois fit arrêter en chemin comme faux-monnayeur, à ce que l’abbé de Choisy raconte.

Enfin ils ne purent sortir qu’en payant une rançon très-considérable[67]. Ces détails ne sont jamais sus des rois.

Tout cela fut bientôt oublié de part et d’autre, comme de raison. Le roi rendit ses vers à son ancien admirateur, et en renvoya bientôt de nouveaux et en très-grand nombre. C’était une querelle d’amants : les tracasseries des cours passent, mais le caractère d’une belle passion dominante subsiste longtemps.

Le voyageur français, en relisant avec attendrissement la lettre éloquente et touchante du roi, que nous avons transcrite, disait : Après une telle lettre, je ne peux qu’avoir eu un très-grand tort.

L’échappé de Berlin avait un petit bien en Alsace sur des terres qui appartiennent à monseigneur le duc de Wurtemberg. Il y alla, et s’amusa, comme je l’ai déjà dit, à faire imprimer les Annales de l’Empire, dont il lit présent à Jean-Frédéric Schœpflin, libraire à Colmar, frère du célèbre Schœpflin[68], professeur en histoire à Strasbourg. Ce libraire était mal dans ses affaires ; M. de Voltaire lui prêta dix mille livres ; sur quoi je ne puis assez m’étonner de la bassesse avec laquelle tant de barbouilleurs de papier ont imprimé qu’il avait fait une fortune immense par la vente continuelle de ses ouvrages.

Lorsqu’il était à Colmar, M. Vernet[69], Français réfugié, ministre de l’Évangile à Genève, et MM. Cramer, anciens citoyens de cette ville fameuse, lui écrivirent pour le prier d’y venir faire imprimer ses ouvrages. Les frères Cramer, qui étaient à la tête d’une librairie, obtinrent la préférence, et il la leur donna aux mêmes conditions qu’il l’avait donnée au sieur Schœpflin, c’est-à-dire très-gratuitement.

Il alla donc à Genève[70] avec sa nièce et M. Colini son ami, qui lui servait de secrétaire, et qui a été depuis celui de monseigneur l’électeur palatin et son bibliothécaire.

Il acheta une jolie maison de campagne à vie auprès de cette ville, dont les environs sont infiniment agréables, et où l’on jouit du plus bel aspect qui soit en Europe. Il en acheta une autre à Lausanne, et toutes les deux à condition qu’on lui rendrait une certaine somme quand il les quitterait. Ce fut la première fois, depuis Zuingle et Calvin, qu’un catholique romain eut des établissements dans ces cantons.

Il fit aussi l’acquisition de deux terres à une lieue de Genève, dans le pays de Gex : sa principale habitation fut à Ferney, dont il fit présent à Mme  Denis. C’était une seigneurie absolument franche et libre de tous droits envers le roi et de tout impôt depuis Henri IV. Il n’y en avait pas deux dans les autres provinces du royaume qui eussent de pareils priviléges. Le roi les lui conserva par brevet. Ce fut à M. le duc de Choiseul, le plus généreux et le plus magnanime des hommes, qu’il eut cette obligation, sans avoir l’honneur d’en être particulièrement connu.

Le petit pays de Gex n’était presque alors qu’un désert sauvage. Quatre-vingts charrues étaient à bas depuis la révocation de l’édit de Nantes ; des marais couvraient la moitié du pays, et y répandaient les infections et les maladies. La passion de notre auteur avait toujours été de s’établir dans un canton abandonné, pour le vivifier. Comme nous n’avançons rien que sur des preuves authentiques, nous nous bornerons à transcrire ici une de ses lettres à un évêque d’Annecy, dans le diocèse duquel Ferney est situé. Nous n’avons pu retrouver la date de la lettre ; mais elle doit être de 1759[71].

Cette lettre et la suite de cette affaire peuvent fournir des réflexions bien importantes. M. de Voltaire termina ce procès et ce procédé en payant de ses deniers la vexation qui opprimait ses pauvres vassaux ; et ce canton misérable changea bientôt de face.

Il se tira plus gaiement d’une querelle plus délicate dans le pays protestant, où il avait deux domaines assez agréables : l’un à Genève, qu’on appelle encore la maison des Délices ; l’autre à Lausanne[72].

On sait assez combien la liberté lui était chère, à quel point il détestait toute persécution, et quelle horreur il montra dans tous les temps pour ces scélérats hypocrites qui osent faire périr au nom de Dieu, dans les plus affreux supplices, ceux qu’ils accusent de ne pas penser comme eux. C’est surtout sur ce point qu’il répétait quelquefois :

Je ne décide point entre Genève et Rome[73].

Une de ses lettres[74] dans laquelle il disait que le Picard Jean Chauvin, dit Calvin, assassin véritable de Servet, avait une âme atroce, ayant été rendue publique par une indiscrétion trop ordinaire, quelques cafards s’irritèrent ou feignirent de s’irriter de ces paroles. Un Genevois homme d’esprit, nommé Rival[75], lui adressa les vers suivants à cette occasion :

Servet eut tort, et fut un sot
D’oser, dans un siècle falot,
S’avouer anti-trinitaire[76] :
Et notre illustre atrabilaire
Eut tort d’employer le fagot
Pour réfuter son adversaire :
Et tort notre antique sénat
D’avoir prêté son ministère
À ce dévot assassinat[77].

Quelle barbare inconséquence !
malheureux siècle ignorant !
Nous osions abhorrer en France
Les horreurs de l’intolérance,
Tandis qu’un zèle intolérant
Nous faisait brûler un errant !

Pour notre prêtre épistolaire,
Qui de son pétulant essor,
Pour exhaler sa bile amère,
Vient réveiller le chat qui dort,
Et dont l’inepte commentaire
Met au jour ce qu’il eût dû taire,
Je laisse à juger s’il a tort.
Quant à vous, célèbre Voltaire,
Vous eûtes tort ; c’est mon avis.
Vous vous plaisez dans ce pays,
Fêtez le saint qu’on y révère.
Vous avez à satiété
Les biens où la raison aspire :
L’opulence, la liberté,
La paix, qu’en cent lieux on désire ;
Des droits à l’immortalité,
Cent fois plus qu’on ne saurait dire
On a du goût, on vous admire ;
Tronchin veille à votre santé.
Cela vaut bien, en vérité,
Qu’on immole à sa sûreté
Le plaisir de pincer sans rire.

Notre auteur répondit à ces jolis vers par ceux-ci :

Non, je n’ai point tort d’oser dire
Ce que pensent les gens de bien ;
Et le sage qui ne craint rien
A le beau droit de tout écrire[78].

On voit par cette réponse qu’il n’était ni à Apollo, ni à Céphas, et qu’il prêchait la tolérance aux églises protestantes ainsi qu’aux églises romaines. Il disait toujours que c’était le seul moyen de rendre la vie tolérable, et qu’il mourrait content s’il pouvait établir ces maximes dans l’Europe. On peut dire qu’il n’a pas été tout à fait trompé dans ce dessein, et qu’il n’a pas peu contribué à rendre le clergé plus doux, plus humain, depuis Genève jusqu’à Madrid, et surtout à éclairer les laïques.

Bien persuadé que les spectacles des jeux d’esprit amollissent la férocité autant que les spectacles des gladiateurs l’endurcissaient autrefois, il fit bâtir à Ferney un joli théâtre. Il y joua quelquefois lui-même, malgré sa mauvaise santé : et Mme  Denis, sa nièce, qui possédait supérieurement le talent de la déclamation comme celui de la musique, y joua plusieurs rôles. Mlle  Clairon et le célèbre Lekain y vinrent représenter quelques pièces ; on accourait de vingt lieues à la ronde pour les entendre. Il y eut plus d’une fois des soupers de cent couverts, et des bals ; mais, malgré le tumulte d’une vie qui paraissait si dissipée, et malgré son âge, il travaillait sans relâche. Il donna, dès l’an 1755, au théâtre de Paris, l’Orphelin de la Chine, représenté le 20 août ; et Tancrède, le 3 septembre 1760. Mlle  Clairon et Lekain déployèrent tous leurs talents dans ces deux pièces.

Le Café, ou l’Écossaise, comédie en prose, n’était point destinée à être jouée ; mais elle le fut aussi la même année[79] avec un grand succès. Il s’était amusé à composer cette pièce pour corriger le folliculaire Fréron, qu’il mortifia beaucoup, mais qu’il ne corrigea pas. Cette comédie, traduite en anglais par M. Colman, eut le même succès à Londres qu’à Paris : ces ouvrages ne lui coûtaient point de temps. L’Écossaise avait été faite en huit jours, et Tancrède en un mois.

Ce fut au milieu de ces occupations et de ces amusements que M. Titon du Tillet, ancien maître d’hôtel ordinaire de la reine, âgé de quatre-vingt-cinq ^ans, lui recommanda la petite nièce du grand Corneille, qui, étant absolument sans fortune, était abandonnée de tout le monde. C’est ce même Titon du Tillet qui, aimant passionnément les beaux-arts sans les cultiver, fit élever, avec de grandes dépenses, un Parnasse en bronze où l’on voit les figures de quelques poètes et de quelques musiciens français. Ce monument est dans la bibliothèque du roi de France. Il avait élevé Mlle  Corneille chez lui ; mais, voyant dépérir son bien, il ne pouvait plus rien faire pour elle, il imagina que M. de Voltaire pourrait se charger d’une demoiselle d’un nom si respectable. M. Dumolard, membre de plusieurs académies, connu par une dissertation savante et judicieuse sur les tragédies d’Électre ancienne et moderne[80], et M. Le Brun, secrétaire du prince de Conti, se joignirent à lui, et écrivirent à M. de Voltaire. Il les remercia de l’honneur qu’ils lui faisaient de jeter les yeux sur lui, en leur mandant que c’était en effet à un vieux soldat de servir la petite-fille de son général[81]. La jeune personne vint donc, en 1760, aux Délices, maison de campagne auprès de Genève, et de là au château de Ferney. Mme  Denis voulut bien achever son éducation ; et, au bout de trois ans, M. de Voltaire la maria à M. Dupuits, du pays de Gex, capitaine de dragons, et depuis officier de l’état-major. Outre la dot qu’il leur donna, et le plaisir qu’il eut de les garder chez lui, il proposa de commenter les œuvres de Pierre Corneille au profit de sa nièce, et de les faire imprimer par souscription. Le roi de France voulut bien souscrire pour huit mille francs ; d’autres souverains l’imitèrent. M. le duc de Choiseul, dont la générosité était si connue, Mme  la duchesse de Grammont, Mme  de Pompadour, souscrivirent pour des sommes considérables. M. de La Borde, banquier du roi, non-seulement prit plusieurs exemplaires, mais il en fit débiter un si grand nombre qu’il fut le premier mobile de la fortune de Mme  Corneille par son zèle et par sa magnificence ; de sorte qu’en très-peu de temps elle eut cinquante mille francs pour présent de noces.

Il y eut dans cette souscription si prompte une chose fort remarquable de la part de Mme  Geoffrin, femme célèbre par son mérite et par son esprit. Elle avait été exécutrice du testament du fameux Bernard de Fontenelle, neveu de Pierre Corneille ; et malheureusement il avait oublié cette parente, qui lui fut présentée trop peu de temps avant sa mort, mais qui fut rebutée avec son père et sa mère : on les regardait comme des inconnus qui usurpaient le nom de Corneille. Des amis de cette famille, touchés de son sort, mais fort indiscrets et fort mal instruits, intentèrent un procès téméraire à Mme  Geoffrin, trouvèrent un avocat qui, abusant de la liberté du barreau, publia contre cette dame un factum injurieux. Mme  Geoffrin, très-injustement attaquée, gagna le procès tout d’une voix. Malgré ce mauvais procédé, qu’elle eut la noblesse d’oublier, elle fut la première à souscrire pour une somme considérable.

L’Académie en corps, M. le duc de Choiseul, Mme  la duchesse de Grammont, Mme  de Pompadour, et plusieurs seigneurs, donnèrent pouvoir à M. de Voltaire de signer pour eux au contrat de mariage. C’est une des plus belles époques de la littérature.

Dans le temps qu’il préparait ce mariage, qui a été très-heureux, il goûtait une autre satisfaction, celle de faire rendre à six gentilshommes, presque tous mineurs, leur bien paternel, que les jésuites venaient d’acheter à vil prix. Il faut reprendre la chose de plus haut. L’affaire est d’autant plus intéressante que son commencement avait précédé la fameuse banqueroute du jésuite La Valette et consorts, et qu’elle fut en quelque façon le premier signal de l’abolition des jésuites en France.

MM. Desprez de Crassy, d’une ancienne noblesse du pays de Gex, sur la frontière de la Suisse, étaient six frères, tous au service du roi. L’un d’eux, capitaine au régiment de Deux-Ponts, en causant avec M. de Voltaire son voisin, lui conta le triste état de la fortune de sa famille. Une terre de quelque valeur, et qui aurait pu être une ressource, était engagée depuis longtemps à des Genevois.

Les jésuites avaient acquis tout auprès de ce domaine des possessions qui composaient environ deux mille écus de rente, dans un lieu nommé Ornex. Ils voulurent joindre à leur domaine celui de MM. de Crassy. Le supérieur de la maison des jésuites, dont le véritable nom était Fesse, qu’il avait changé en celui de Fessy, s’arrangea avec les créanciers genevois pour acheter cette terre : il obtint une permission du conseil, et il était sur le point de la faire entériner à Dijon. On lui dit qu’il y avait des mineurs, et que, malgré la permission du conseil, ils pourraient rentrer dans leurs biens. Il répondit, et même il écrivit, que les jésuites ne risquaient rien, et que jamais MM. de Crassy ne seraient en état de payer la somme nécessaire pour rentrer dans le bien de leurs aïeux.

À peine M. de Voltaire fut-il instruit de cette étrange manière dont le Père Fesse voulait servir la compagnie de Jésus, qu’il alla sur-le-champ déposer au greffe du bailliage de Gex la somme moyennant laquelle la famille Crassy devait payer les anciens créanciers et reprendre ses droits. Les jésuites furent obligés de se désister ; et, par un arrêt du parlement de Dijon, la famille fut mise en possession, et y est encore[82].

Le bon de l’affaire, c’est que, peu de temps après, lorsqu’on délivra la France des révérends pères jésuites, ces mêmes gentilshommes, dont les bons pères avaient voulu ravir le bien, achetèrent celui des jésuites, qui était contigu. M. de Voltaire, qui avait toujours combattu les athées et les jésuites, écrivit qu’il fallait reconnaître une Providence.

Ce n’était assurément ni par haine pour le Père Fesse, ni par aucune envie de mortifier les jésuites, qu’il avait entrepris cette affaire ; puisque, après la dissolution de la société, il recueillit un jésuite chez lui[83], et que plusieurs autres lui ont écrit pour le supplier de les recevoir aussi dans sa maison. Mais il s’est trouvé parmi les ex-jésuites quelques esprits qui n’ont point été si équitables et si accommodants. Deux d’entre eux, nommés Patouillet et Nonotte, ont gagné quelque argent par des libelles contre lui ; et ils n’ont pas manqué, selon l’usage, d’appeler la religion catholique à leur secours. Un Nonotte surtout s’est signalé par une demi-douzaine de volumes[84], dans lesquels il a prodigué moins de science que de zèle, et moins de zèle que d’injures. M. Damilaville, l’un des meilleurs coopérateurs de l’Encyclopédie, a daigné le confondre, comme autrefois Pasquier s’abaissa jusqu’à réprimer l’insolence absurde du jésuite Garasse.

Mais voici la plus étrange et la plus fatale aventure qui soit arrivée depuis longtemps, et en même temps la plus glorieuse au roi, à son conseil, et à messieurs les maîtres des requêtes. Qui aurait cru que ce serait des glaces du mont Jura et des frontières de la Suisse que partiraient les premières lumières et les premiers secours qui ont vengé l’innocence des célèbres Calas ? Un enfant de quinze ans, Donat Calas, le dernier des fils de l’infortuné Calas, était apprenti chez un marchand de Nîmes, lorsqu’il apprit par quel horrible supplice sept juges de Toulouse, malheureusement prévenus, avaient fait périr son vertueux père.

La clameur populaire contre cette famille était si violente en Languedoc que tout le monde s’attendait à voir rouer tous les enfants de Calas, et brûler la mère. Telles avaient été même les conclusions du procureur général, tant on prétend que cette famille innocente s’était mal défendue, accablée de son malheur, et incapable de rappeler ses esprits à la lueur des bûchers et à l’aspect des roues et des tortures.

On fit craindre au jeune Donat Calas d’être traité comme le reste de sa famille ; on lui conseilla de s’enfuir en Suisse ; il vint trouver M. de Voltaire, qui ne put d’abord que le plaindre et le secourir, sans oser porter un jugement sur son père, sa mère et ses frères.

Bientôt après, un de ses frères, n’ayant été condamné qu’au bannissement, vint aussi se jeter entre les bras de M. de Voltaire. J’ai été témoin qu’il prit, pendant plus d’un mois, toutes les précautions imaginables pour s’assurer de l’innocence de la famille. Dès qu’il fut parvenu à s’en convaincre, il se crut obligé en conscience d’employer ses amis, sa bourse, sa plume, son crédit, pour réparer la méprise funeste des sept juges de Toulouse, et pour faire revoir le procès au conseil du roi. L’affaire dura trois années. On sait quelle gloire MM. de Crosne et de Bacquencourt acquirent en rapportant cette cause mémorable. Cinquante maîtres des requêtes déclarèrent, d’une voix unanime, toute la famille Calas innocente, et la recommandèrent à l’équité bienfaisante du roi. M. le duc de Choiseul, qui n’a jamais perdu une occasion de signaler la magnanimité de son caractère, non-seulement secourut de son argent cette famille malheureuse, mais obtint de Sa Majesté trente-six mille francs pour elle.

Ce fut le 9 mars 1765 que fut rendu cet arrêt authentique qui justifia les Calas, et qui changea leur destinée ; ce neuvième de mars était précisément le même jour où ce vertueux père de famille avait été supplicié. Tout Paris courut en foule les voir sortir de prison, et battit des mains en versant des larmes[85]. La famille entière a toujours été depuis ce temps attachée tendrement à M. de Voltaire, qui s’est fait un grand honneur de demeurer leur ami.

On remarqua en ce temps qu’il n’y eut dans toute la France que le nommé Fréron, auteur de je ne sais quelle brochure périodique intitulée Lettres à la Comtesse[86], et ensuite Année littéraire, qui osa jeter des doutes, dans ses ridicules feuilles, sur l’innocence de ceux que le roi, tout son conseil, et tout le public, avaient justifiés si pleinement.

Plusieurs gens de bien engagèrent alors M. de Voltaire à écrire son Traité de la Tolérance[87], qui fut regardé comme un de ses meilleurs ouvrages en prose, et qui est devenu le catéchisme de quiconque a du bon sens et de l’équité.

Dans ce temps-là même l’impératrice Catherine II, dont le nom sera immortel, donnait des lois à son empire, qui contient la cinquième partie du globe ; et la première de ses lois est l’établissement d’une tolérance universelle.

C’était la destinée de notre solitaire des frontières helvétiques de venger l’innocence accusée et condamnée en France. La position de sa retraite entre la France, la Suisse, Genève et la Savoie, lui attirait plus d’un infortuné. Toute la famille Sirven, condamnée à la mort dans un bourg auprès de Castres par les juges les plus ignorants et les plus cruels, se réfugia auprès de ses terres. Il fut occupé huit années entières à leur faire rendre justice, et ne se rebuta jamais. Il en vint enfin à bout.

Nous croyons très-utile de remarquer ici qu’un magistrat de village nommé Trinquet, procureur du roi dans la juridiction qui condamna la famille Sirven à la mort, donna ainsi ses conclusions : « Je requiers, pour le roi, que N. Sirven et N. sa femme, dûment atteints et convaincus d’avoir étranglé et noyé leur fille, soient bannis de la paroisse. »

Rien ne fait mieux voir l’effet que peut avoir dans un royaume la vénalité des charges de judicature.

Son bonheur, qui voulait, à ce qu’il dit, qu’il fût l’avocat des causes perdues, voulut encore qu’il arrachât des flammes une citoyenne de Saint-Omer, nommée Montbailli, condamnée à être brûlée vive par le tribunal d’Arras. On n’attendait que l’accouchement de cette femme pour la transporter au lieu de son supplice. Son mari avait déjà expiré sur la roue. Qui étaient ces deux victimes ? deux exemples de l’amour conjugal et de l’amour maternel, deux âmes les plus vertueuses dans la pauvreté. Ces innocentes et respectables créatures avaient été accusées de parricide, et jugées sur des allégations qui auraient paru ridicules aux condamnateurs mêmes de Calas. M. de Voltaire fut assez heureux pour obtenir de M. le chancelier de Maupeou qu’il fît revoir le procès. La dame Montbailli fut déclarée innocente ; la mémoire de son mari réhabilitée ; misérable réhabilitation sans vengeance et sans dédommagement ! Quelle a donc été la jurisprudence criminelle parmi nous ? quelle suite infernale d’horribles assassinats, depuis la boucherie des templiers jusqu’à la mort du chevalier de La Barre ! On croit lire l’histoire des sauvages ; on frémit un moment, et on va à l’Opéra.

La ville de Genève était plongée alors dans des troubles qui augmentèrent toujours depuis 1763. Cette importunité détermina M. de Voltaire à laisser à M. Tronchin sa maison des Délices, et à ne plus quitter le château de Ferney, qu’il avait fait bâtir de fond en comble, et orné de jardins d’une agréable simplicité.

La discorde fut enfin si vive à Genève qu’un des partis fit feu sur l’autre, le 15 février 1770. Il y eut du monde tué : plusieurs familles d’artistes cherchèrent un asile chez lui, et le trouvèrent. Il en logea quelques-unes dans son château ; et en peu d’années il fit bâtir cinquante maisons de pierre de taille pour les autres. De sorte que le village de Ferney, qui n’était, lorsqu’il acquit cette terre, qu’un misérable hameau où croupissaient quarante-neuf malheureux paysans dévorés par la pauvreté, par les écrouelles, et par les commis des fermes, devint bientôt un lieu de plaisance peuplé de douze cents personnes, toutes à leur aise, et travaillant avec succès pour elles et pour l’État. M. le duc de Choiseul protégea de tout son pouvoir cette colonie naissante, qui établit un très-grand commerce.

Une chose qui mérite, je crois, de l’attention, c’est que, cette colonie se trouvant composée de catholiques et de protestants, il aurait été impossible de deviner qu’il y eût dans Ferney deux religions différentes. J’ai vu les femmes des colons genevois et suisses préparer de leurs mains trois reposoirs pour la procession de la fête du Saint-Sacrement. Elles assistèrent à cette procession avec un profond respect ; et M. Hugonet[88], nouveau curé de Ferney, homme aussi tolérant que généreux, les en remercia publiquement dans son prône. Quand une catholique était malade, les protestantes allaient la garder, et en recevaient à leur tour la même assistance.

C’était le fruit des principes d’humanité que M. de Voltaire a répandus dans tous ses ouvrages, et surtout dans le livre de la Tolérance, dont nous avons parlé[89]. Il avait toujours dit que les hommes sont frères, et il le prouva par les faits. Les Guyon, les Nonotte, les Patouillet, les Paulian, et autres zélés, le lui ont bien reproché ; c’est qu’ils n’étaient pas ses frères.

« Voyez-vous, disait-il aux voyageurs qui venaient le voir, cette inscription au-dessus de l’église que j’ai fait bâtir ? Deo erexit Voltaire. C’est au Dieu père commun de tous les hommes. En effet, c’était peut-être parmi nous la seule église dédiée à Dieu seul.

Parmi ces étrangers qui vinrent en foule à Ferney, on compta plus d’un prince souverain. Il fut honoré d’une correspondance très-suivie avec plusieurs d’entre eux, dont les lettres sont entre mes mains. La moins interrompue fut celle de Sa Majesté le roi de Prusse et de Mme  Wilhelmine, margrave de Baireuth, sa sœur.

Le temps qui s’écoula entre la bataille de Kollin, le 18 juin 1757, que le roi de Prusse perdit, et la journée de Rosbach, du 5 novembre, où il fut vainqueur, est le temps le plus intéressant de cette correspondance rare entre une maison royale de héros et un simple homme de lettres. En voici une grande preuve dans cette lettre mémorable[90].

On voit par cette lettre, aussi attendrissante que bien écrite, quelle était la belle âme de la margrave de Baireuth, et combien elle méritait les éloges que lui donna M. de Voltaire en pleurant sa mort, dans une ode imprimée parmi ses autres ouvrages[91]. Mais on voit surtout quels désastres épouvantables attirent sur les peuples des guerres légèrement entreprises par les rois ; on voit à quoi ils s’exposent eux-mêmes, et à quel point ils sont malheureux de faire le malheur des nations.

Le solitaire de Ferney donna dès ce moment, et dans la suite de cette guerre funeste, toutes les marques possibles de son attachement à madame la margrave, de son zèle pour le roi son frère, et de son amour pour la paix. Il engagea le cardinal de Tencin, retiré alors à Lyon, à entrer en correspondance avec Mme  de Baireuth pour ménager cette paix si désirable. Les lettres de cette princesse, et celles du cardinal, passaient par Genève dans un pays neutre, et par les mains de M. de Voltaire.

Ce sera une époque singulière que la résolution prise par le roi de Prusse, après tous ses malheurs, qui furent les suites de la bataille de Kollin, d’aller affronter vers la Saxe, auprès de Mersbourg, les armées française et autrichienne combinées, fort supérieures en nombre, tandis que le maréchal de Richelieu n’était pas loin avec une armée victorieuse. Ce monarque avait eu assez de présence d’esprit, et fut assez maître de ses idées, au milieu de ses infortunes, pour écrire au marquis d’Argens une longue épître en vers[92] dans laquelle il lui faisait part de la résolution qu’il avait prise de mourir s’il était battu, et lui disait adieu.

Nous avons cette pièce, qui est un monument sans exemple, écrite tout entière de sa main.

Nous avons un monument encore plus héroïque de ce prince philosophe : c’est une lettre à M. de Voltaire, du 9 octobre 1757, vingt-cinq jours[93] avant sa victoire de Rosbach :

« Je suis homme, il suffit, et né pour la souffrance ;
Aux rigueurs du destin j’oppose ma constance.

« Mais avec ces sentiments, je suis bien loin de condamner Caton et Othon. Le dernier n’a eu de beau moment en sa vie que celui de sa mort.

« Croyez que si j’étais Voltaire,
Et particulier comme lui,
Me contentant du nécessaire,

Je verrais voltiger la fortune légère,

Et m’en moquerais aujourd’hui.

. . . . . . . . . . . . . . .

Je connais l’ennui des grandeurs,

Le fardeau des devoirs, le jargon des flatteurs ;

Ces misères de toute espèce,
Et ces détails de petitesse,

Dont il faut s’occuper dans le sein des grandeurs.

Je méprise la vaine gloire,
Quoique poëte et souverain.

Quand du ciseau fatal retranchant mon destin,
Atropos m’aura vu plongé dans la nuit noire,

Qu’importe l’honneur incertain

De vivre après ma mort au temple de Mémoire ?
Un instant de bonheur vaut mille ans dans l’histoire.

Nos destins sont-ils donc si beaux ?
Le doux plaisir et la mollesse,
La vive et naïve allégresse,

Ont toujours fui des grands la pompe et les travaux.

Ainsi la fortune volage
N’a jamais causé mes ennuis ;
Soit qu’elle me flatte ou m’outrage.
Je dormirai toutes les nuits
En lui refusant mon hommage.
Mais notre état fait notre loi ;
Il nous oblige, il nous engage
À mesurer notre courage
Sur ce qu’exige notre emploi.
Voltaire, dans son ermitage,
Dans un pays dont l’héritage
Est son antique bonne foi,

Peut s’adonner en paix à la vertu du sage

Dont Platon nous marqua la loi.
Pour moi, menacé du naufrage.
Je dois, en affrontant l’orage.
Penser, vivre, et mourir en roi. »

Rien n’est plus beau que ces derniers vers ; rien n’est plus grand. Corneille dans son beau temps ne les eût pas mieux faits. Et quand, après de tels vers, on gagne une bataille, le sublime ne peut aller plus loin.

Le cardinal de Tencin continua toujours, mais en vain, ses négociations secrètes pour la paix, comme on le voit par ses lettres. Ce fut enfin le duc de Choiseul qui entama ce grand ouvrage si nécessaire[94], et le duc de Praslin qui l’accomplit ; service signalé qu’ils rendirent à la France appauvrie et désolée.

Elle était dans un état si déplorable que, pendant douze années de paix qui suivirent cette guerre funeste, de tous les ministres des finances qui se succédèrent rapidement il n’y en eut pas un qui, avec la meilleure volonté, et les travaux les plus assidus, pût parvenir à pallier seulement les plaies de l’État. La disette d’argent était au point qu’un contrôleur général fut obligé, dans une nécessité pressante, de saisir chez M. Magon, banquier du roi, tout l’argent que des citoyens y avaient mis en dépôt. On prit à notre solitaire deux cent mille francs. C’était une perte énorme ; il s’en consola à la manière française, par un madrigal qu’il fit sur-le-champ en apprenant cette nouvelle :

Au temps de la grandeur romaine,
Horace disait à Mécène :
Quand cesserez-vous de donner ?
Ce discours peut vous étonner ;
Chez le Welche on n’est pas si tendre
Je dois dire, mais sans douleur,
À monseigneur le contrôleur :
Quand cesserez-vous de me prendre ?

On ne cessa point, M. le duc de Choiseul, qui faisait construire alors un port magnifique à Versoy, sur le lac Léman, qu’on appelle le lac de Genève, y ayant fait bâtir une petite frégate, cette frégate fut saisie par des Savoyards créanciers des entrepreneurs, dans un port de Savoie près du fameux Ripaille. M. de Voltaire racheta incontinent ce bâtiment royal de ses propres deniers, et ne put en être remboursé par le gouvernement : car M. le duc de Choiseul perdit en ce temps-là même tous ses emplois, et se retira à sa terre de Chanteloup, regretté non-seulement de tous ses amis, mais de toute la France, qui admirait son caractère bienfaisant, la noblesse de son âme, et qui rendait justice à son esprit supérieur.

Notre solitaire lui était tendrement attaché par les liens de la reconnaissance. Il n’y a sorte de grâce que M. le duc de Choiseul n’eût accordée à sa recommandation : il avait fait un neveu de M. de Voltaire, nommé de La Houlière, brigadier des armées du roi ; pensions, gratifications, brevets, croix de Saint-Louis, avaient été données dès qu’elles avaient été demandées.

Rien ne fut plus douloureux pour un homme qui lui avait tant de grandes obligations, et qui venait d’établir une colonie d’artistes et de manufacturiers sous ses auspices. Déjà sa colonie travaillait avec succès pour l’Espagne, pour l’Allemagne, pour la Hollande, l’Italie. Il la crut ruinée ; mais elle se soutint. La seule impératrice de Russie acheta bientôt après, dans le fort de sa guerre contre les Turcs, pour cinquante mille francs de montres de Ferney. On ne cesse de s’étonner, quand on voit, dans le même temps, cette souveraine acheter pour un million de tableaux tant en Hollande qu’en France, et pour quelques millions de pierreries.

Elle avait fait un présent de cinquante mille livres à M. Diderot, avec une grâce et une circonspection qui relevaient bien le prix de son présent. Elle avait offert à M. d’Alembert de le mettre à la tête de l’éducation de son fils[95], avec soixante mille livres de rente. Mais ni la santé, ni la philosophie de M. d’Alembert ne lui avaient permis d’accepter à Pétersbourg un emploi égal à celui du duc de Montausier à Versailles, Elle envoya M. le prince de Koslouski présenter de sa part, à M. de Voltaire, les plus magnifiques pelisses, et une boîte tournée de sa main même, ornée de son portrait et de vingt diamants. On croirait que c’est l’histoire d’Aboulcassem dans les Mille et une Nuits.

M. de Voltaire lui mandait qu’il fallait qu’elle eût pris tout le trésor de Moustapha dans une de ses victoires ; et elle lui répondit[96] qu’avec de l’ordre on est toujours riche, et qu’elle ne manquerait, dans cette grande guerre, ni d’argent, ni de soldats ». Elle a tenu parole.

Cependant le fameux sculpteur M. Pigalle travaillait dans Paris à la statue du solitaire caché dans Ferney. Ce fut une étrangère qui proposa un jour, en 1770, à quelques véritables gens de lettres de lui faire cette galanterie, pour le venger de tous les plats libelles et des calomnies ridicules que le fanatisme et la basse littérature ne cessaient d’accumuler contre lui. Mme  Necker, femme du résident de Genève, conçut ce projet la première. C’était une dame d’un esprit très-cultivé, et d’un caractère supérieur, s’il se peut, à son esprit. Cette idée fut saisie avidement par tous ceux qui venaient chez elle, à condition qu’il n’y aurait que des gens de lettres qui souscriraient pour cette entreprise[97].

Le roi de Prusse, en qualité d’homme de lettres, et ayant assurément plus que personne droit à ce titre et à celui d’homme de génie, écrivit au célèbre M. d’Alembert, et voulut être des premiers à souscrire. Sa lettre, du 28 juillet 1770, est consignée dans les archives de l’Académie :

« Le plus beau monument de Voltaire est celui qu’il s’est érigé lui-même : ses ouvrages. Ils subsisteront plus longtemps que la basilique de Saint-Pierre, le Louvre, et tous ces bâtiments que la vanité consacre à l’éternité. On ne parlera plus français, que Voltaire sera encore traduit dans la langue qui lui aura succédé. Cependant, rempli du plaisir que m’ont fait ses productions si variées, et chacune si parfaite en son genre, je ne pourrais sans ingratitude me refuser à la proposition que vous me faites de contribuer au monument que lui élève la reconnaissance publique. Vous n’avez qu’à m’informer de ce qu’on exige de ma part, je ne refuserai rien pour cette statue, plus glorieuse pour les gens de lettres qui la lui consacrent que pour Voltaire même. On dira que dans ce xviiie siècle, où tant de gens de lettres se déchiraient par envie, il s’en est trouvé d’assez nobles, d’assez généreux, pour rendre justice à un homme doué de génie et de talents supérieurs à tous les siècles : que nous avons mérité de posséder Voltaire : et la postérité la plus reculée nous enviera encore cet avantage. Distinguer les hommes célèbres, rendre justice au mérite, c’est encourager les talents et la vertu ; c’est la seule récompense des belles âmes ; elle est bien due à tous ceux qui cultivent supérieurement les lettres ; elles nous procurent les plaisirs de l’esprit, plus durables que ceux du corps ; elles adoucissent les mœurs les plus féroces ; elles répandent leur charme sur tout le cours de la vie ; elles rendent notre existence supportable, et la mort moins affreuse. Continuez donc, messieurs, de protéger et de célébrer ceux qui s’y appliquent, et qui ont le bonheur, en France, d’y réussir : ce sera ce que vous pourrez faire de plus glorieux pour votre nation, et qui obtiendra grâce du siècle futur pour quelques autres Welches et Hérules qui pourraient flétrir votre patrie.

« Adieu, mon cher d’Alembert : portez-vous bien, jusqu’à ce qu’à votre tour votre statue vous soit élevée. Sur ce, je prie Dieu qu’il vous ait en sa sainte et digne garde.

« Fédéric[98] »

Le roi de Prusse fit plus. Il fit exécuter une statue de son ancien serviteur dans sa belle manufacture de porcelaine, et la lui envoya avec ce mot gravé sur la base : Immortali. M. de Voltaire écrivit au-dessous :

Vous êtes généreux : vos bontés souveraines
Me font de trop nobles présents ;
Vous me donnez sur mes vieux ans
Une terre dans vos domaines.

M. Pigalle se chargea d’exécuter la statue en France, avec le zèle d’un artiste qui en immortalisait un autre. Cette aventure, alors unique, deviendra bientôt commune. On érigera des statues ou du moins des bustes aux artistes, comme la mode est venue de crier : l’auteur ! l’auteur ! dans le parterre. Mais celui à qui l’on faisait cet honneur prévoyait bien que ses ennemis n’en seraient que plus acharnés. Voici ce qu’il en écrivit à M. Pigalle, d’un style peut-être un peu trop burlesque :

Monsieur Pigal, votre statue
Me fait mille fois trop d’honneur.
Jean-Jacque a dit avec candeur
Que c’est à lui qu’elle était due[99].
Quand votre ciseau s’évertue
À sculpter votre serviteur,
Vous agacez l’esprit railleur
De certain peuple rimailleur
Qui depuis si longtemps me hue, etc.[100].

Il avait bien raison de dire que cet honneur inespéré qu’on lui faisait déchaînerait contre lui les écrivains du Pont-Neuf et du fanatisme. Il écrivit à M. Thieriot[101] : « Tous ces messieurs méritent bien mieux des statues que moi, et j’avoue qu’il en est quelques-uns très-dignes d’être en effigie dans la place publique. »

Les Nonotte, les Fréron, les Sabatier, et consorts, jetèrent les hauts cris. Celui qui le persécutait avec le plus de cruauté et d’absurdité était un montagnard étranger[102], plus propre à ramoner des cheminées qu’à diriger des consciences. Cet homme, qui était très-familier, écrivit cordialement au roi de France, de couronne à couronne : il le pria de lui faire le plaisir de chasser un vieillard de soixante et quinze ans, et très-malade, de la propre maison qu’il avait fait bâtir, des champs qu’il avait fait défricher, et de l’arracher à cent familles qui ne subsistaient que par lui. Le roi trouva la proposition très-malhonnête et peu chrétienne, et le fit dire au capelan.

Le solitaire de Ferney étant malade, et n’ayant rien à faire, ne voulut se venger de cette petite manœuvre que par le plaisir de se faire donner l’extrême-onction par exploit, selon l’usage qui se pratiquait alors. Il se comporta comme ceux qu’on appelait jansénistes à Paris : il fit signifier par un huissier à son curé, nommé Gros (bon ivrogne qui s’est tué depuis à force de boire), que ledit curé eût à le venir oindre dans sa chambre au premier avril sans faute. Le curé vint, et lui remontra qu’il fallait d’abord commencer par la communion, et qu’ensuite il lui donnerait tant de saintes huiles qu’il voudrait. Le malade accepta la proposition ; il se fit apporter la communion dans sa chambre le premier avril ; et là, en présence de témoins, il déclara par devant notaire qu’il pardonnait à son calomniateur, qui avait tenté de le perdre, et qui n’avait pu y réussir. Le procès-verbal en fut dressé.

Il dit après cette cérémonie : « J’ai eu la satisfaction de mourir comme Guzman dans Alzire, et je m’en porte mieux. Les plaisants de Paris croiront que c’est un poisson d’avril. »

L’ennemi, un peu étonné de cette aventure, ne se piqua pas de l’imiter : il ne pardonna point, et n’y sut autre chose que faire supposer une déclaration du malade toute différente de celle qui était authentique[103], faite par-devant notaire, signée du testateur et des témoins, dûment légalisée et contrôlée. Deux faussaires rédigèrent donc, quinze jours après, une contre-profession de foi en patois savoyard ; mais on n’osa pas supposer le seing de celui auquel on avait eu la bêtise de l’attribuer. Voici la lettre que M. de Voltaire écrivit sur ce sujet :

« Je ne sais point mauvais gré à ceux qui m’ont fait parler saintement dans un style si barbare et si impertinent. Ils ont pu mal exprimer mes sentiments véritables, ils ont pu redire dans leur jargon ce que j’ai publié si souvent en français ; ils n’en ont pas moins exprimé la substance de mes opinions. Je suis d’accord avec eux : je m’unis à leur foi ; mon zèle éclairé seconde leur zèle ignorant ; je me recommande à leurs prières savoyardes. Je supplie humblement les pieux faussaires qui ont fait rédiger l’acte du 15 avril de vouloir bien considérer qu’il ne faut jamais faire d’actes faux en faveur de la vérité. Plus la religion catholique est vraie (comme tout le monde le sait), moins on doit mentir pour elle. Ces petites libertés trop communes autoriseraient d’autres impostures plus funestes : bientôt on se croirait permis de fabriquer de faux testaments, de fausses donations, de fausses accusations, pour la gloire de Dieu. De plus horribles falsifications ont été employées autrefois.

« Quelques-uns de ces prétendus témoins ont avoué qu’ils avaient été subornés, mais qu’ils avaient cru bien faire. Ils ont signé qu’ils n’avaient menti qu’à bonne intention.

« Tout cela s’est opéré charitablement, sans doute à l’exemple des rétractations imputées à MM. de Montesquieu, de La Chalotais, de Monclar, et de tant d’autres. Ces fraudes pieuses sont à la mode depuis environ seize cents ans. Mais quand cette bonne œuvre va jusqu’au crime de faux, on risque beaucoup dans ce monde, en attendant le royaume des cieux. »

Notre solitaire continua donc gaiement à faire un peu de bien quand il le pouvait, en se moquant de ceux qui faisaient tristement du mal, et en fortifiant, souvent par des plaisanteries, les vérités les plus sérieuses.

Il avoua qu’il avait poussé trop loin cette raillerie contre quelques-uns de ses ennemis. « J’ai tort, dit-il dans une de ses lettres ; mais ces messieurs m’ayant attaqué pendant quarante ans, la patience m’a échappé dix ans de suite. »

La révolution faite dans tous les parlements du royaume, en 1771, devait l’embarrasser. Il avait deux neveux, dont l’un[104] entrait au parlement de Paris, tandis que l’autre[105] en sortait ; tous deux d’un mérite distingué, et d’une probité incorruptible, mais engagés l’un et l’autre dans des partis opposés. Il ne cessa de les aimer également tous deux, et d’avoir pour eux les mêmes attentions. Mais il se déclara hautement pour l’abolissement de la vénalité, contre laquelle nous avons déjà cité[106] les paroles énergiques du marquis d’Argenson. Le projet de rendre la justice gratuitement, comme saint Louis, lui paraissait admirable. Il écrivit surtout en faveur des malheureux plaideurs qui étaient depuis quatre siècles obligés de courir à cent cinquante lieues de leurs chaumières pour achever de se ruiner dans la capitale, soit en perdant leur procès, soit même en le gagnant. Il avait toujours manifesté ces sentiments dans plusieurs de ses écrits : il fut fidèle à ses principes sans faire sa cour à personne.

Il avait alors soixante et dix-huit ans ; et cependant en une année il refit la Sophonisbe[107] de Mairet tout entière, et composa la tragédie des Lois de Minos[108]. Il ne regardait pas ces ouvrages, faits à la hâte pour le théâtre de son château, comme de bonnes pièces. Les connaisseurs ne dirent pas beaucoup de mal des Lois de Minos. Mais il faut avouer que les ouvrages dramatiques qui n’ont pas paru sur la scène, et ceux qui n’en sont pas restés longtemps en possession, ne servent qu’à grossir inutilement la foule des brochures dont l’Europe est surchargée, de même que les tableaux et les estampes qui n’entrent point dans les cabinets des amateurs restent comme s’ils n’étaient pas.

L’an 1774, il eut une occasion singulière[109] d’employer le même empressement qu’il avait eu le bonheur de signaler dans les funestes aventures des Calas et des Sirven.

Il apprit qu’il y avait à Vesel, dans les troupes du roi de Prusse, un jeune gentilhomme français d’un mérite modeste et d’une sagesse rare. Ce jeune homme n’était que simple volontaire. C’était le même qui avait été condamné dans Abbeville au supplice des parricides avec le chevalier de La Barre, pour ne s’être pas mis à genoux, pendant la pluie, devant une procession de capucins, laquelle avait passé à cinquante ou soixante pas d’eux.

On avait ajouté à cette charge celle d’avoir chanté une chanson grivoise de corps de garde, faite depuis environ cent ans, et d’avoir récité l’Ode à Priape de Piron. Cette ode de Piron était une débauche d’esprit et de jeunesse, dont l’emportement fut jugé si pardonnable par le roi de France Louis XV, qu’ayant su que l’auteur était très-pauvre, il le gratifia d’une pension sur sa cassette. Ainsi celui qui avait fait la pièce fut récompensé par un bon roi, et ceux qui l’avaient récitée furent condamnés par des barbares de village au plus épouvantable supplice.

Trois juges d’Abbeville avaient conduit la procédure : leur sentence portait que le chevalier de La Barre, et son jeune ami, dont je parle, seraient appliqués à la torture ordinaire et extraordinaire ; qu’on leur couperait le poing, qu’on leur arracherait la langue avec des tenailles, et qu’on les jetterait vivants dans les flammes.

Des trois juges qui rendirent cette sentence deux étaient absolument incompétents : l’un, parce qu’il était l’ennemi déclaré des parents de ces jeunes gens ; l’autre, parce que s’étant fait autrefois recevoir avocat, il avait depuis acheté et exercé un emploi de procureur dans Abbeville ; que son principal métier était celui de marchand de bœufs et de cochons ; qu’il y avait contre lui des sentences des consuls de la ville d’Abbeville, et que depuis il fut déclaré par la cour des aides incapable d’exercer aucune charge municipale dans le royaume.

Le troisième juge, intimidé par les deux autres, eut la faiblesse de signer, et en eut ensuite des remords aussi cuisants qu’inutiles.

Le chevalier de La Barre fut exécuté, à l’étonnement de toute l’Europe, qui en frissonne encore d’horreur[110]. Son ami fut condamné par contumace, ayant toujours été dans le pays étranger avant le commencement du procès.

Ce jugement si exécrable et en même temps si absurde, qui a fait un tort éternel à la nation française, était bien plus condamnable que celui qui fit rouer l’innocent Calas : car les juges de Calas ne firent d’autre faute que celle de se tromper, et le crime des juges d’Abbeville fut d’être barbares en ne se trompant pas. Ils condamnèrent deux enfants innocents à une mort aussi cruelle que celle de Ravaillac et de Damiens, pour une légèreté qui ne méritait pas huit jours de prison. L’on peut dire que depuis la Saint-Barthélemy il ne s’était rien passé de plus affreux. Il est triste de rapporter cet exemple d’une férocité brutale, qu’on ne trouverait pas chez les peuples les plus sauvages ; mais la vérité nous y oblige. On doit surtout remarquer que c’est dans les temps du plus grand luxe, sous l’empire de la mollesse et de la dissolution la plus effrénée, que ces horreurs ont été commises par piété.

M. de Voltaire ayant donc su qu’un de ces jeunes gens, victime du plus détestable fanatisme qui ait jamais souillé la terre, était dans un régiment du roi de Prusse, en donna avis à ce monarque, qui sur-le-champ eut la générosité de le faire officier. Le roi de Prusse s’informa plus particulièrement de la conduite du jeune gentilhomme : il sut qu’il avait appris sans maître l’art du génie et du dessin ; il sut combien il était sage, réservé, vertueux ; combien sa conduite condamnait ses prétendus juges d’Abbeville. Il daigna l’appeler auprès de sa personne, lui donna une compagnie, le créa son ingénieur, l’honora d’une pension, et répara ainsi, par la bienfaisance, le crime de la barbarie et de la sottise. Il écrivit à M. de Voltaire, dans les termes les plus touchants, tout ce qu’il daignait faire pour ce militaire aussi estimable qu’infortuné. Nous avons été tous témoins de cette aventure si horriblement déshonorante pour la France, et si glorieuse pour un roi philosophe. Ce grand exemple instruira les hommes, mais les corrigera-t-il ?

Immédiatement après, notre vieillard réchauffa les glaces de son âge pour profiter des vues patriotiques d’un nouveau ministre[111] qui, le premier en France, débuta par être le père du peuple. La patrie que M. de Voltaire s’était choisie dans le pays de Gex est une langue de terre de cinq à six lieues sur deux, entre le mont Jura, le lac de Genève, les Alpes, et la Suisse. Ce pays était infesté par environ quatre-vingts sbires des aides et gabelles, qui abusaient de la dignité de leur bandoulière pour vexer horriblement le peuple à l’insu de leurs maîtres. Le pays était dans la plus effroyable misère. Il fut assez heureux pour obtenir du bienfaisant ministre un traité par lequel cette solitude (je n’ose pas dire province) fut délivrée de toute vexation : elle devint libre et heureuse. « Je devrais mourir après cela, dit-il, car je ne puis monter plus haut. »

Il ne mourut pourtant pas cette fois-là ; mais son noble émule, son illustre adversaire, Catherin Fréron, mourut[112]. Une chose assez plaisante à mon gré, c’est que M. de Voltaire reçut de Paris une invitation de se trouver à l’enterrement de ce pauvre diable. Une femme, qui était apparemment de la famille, lui écrivit une lettre anonyme que j’ai entre les mains ; elle lui proposait très-sérieusement de marier la fille de Fréron, puisqu’il avait marié la descendante de Corneille. Elle l’en conjurait avec beaucoup d’instance ; et elle lui indiquait le curé de la Madeleine à Paris, auquel il devait s’adresser pour cette affaire. M. de Voltaire me dit : « Si Fréron a fait le Cid, Cinna et Polyeucte, je marierai sa fille sans difficulté. »

Il ne recevait pas toujours des lettres anonymes. Un M. Clément lui en adressait plusieurs au bas desquelles il mettait son nom[113]. Ce Clément, maître de quartier dans un collége de Dijon, et qui se donnait pour maître dans l’art de raisonner et dans l’art d’écrire, était venu à Paris vivre d’un métier qu’on peut faire sans apprentissage. Il se fit folliculaire. M. l’abbé de Voisenon écrivit : Zoïle genuit Mævium, Mævius genuit Guyot-Desfontaines, Guyot autem genuit Freron, Freron autem genuit Clement ; et voilà comme on dégénère dans les grandes maisons. Ce M. Clément avait attaqué le marquis de Saint-Lambert, M. Delille, et plusieurs autres membres de l’Académie, avec une véhémence que n’ont pas les plaideurs les plus acharnés quand il s’agit de toute leur fortune. De quoi s’agissait-il ? De quelques vers. Cela ressemble au docteur de Molière, qui écume de colère de ce qu’on a dit forme de chapeau, et non pas figure de chapeau. Voici ce que M. de Voltaire en écrivit à M. l’abbé de Voisenon[114] :

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Il est bien vrai que l’on m’annonce

Les lettres de maître Clément.
Il a beau m’écrire souvent,
Il n’obtiendra point de réponse.
Je ne serai pas assez sot
Pour m’embarquer dans ces querelles.
Si c’eût été Clément Marot,
Il aurait eu de mes nouvelles.

Mais pour M. Clément tout court, qui, dans un volume beaucoup plus gros que la Henriade[115], me prouve que la Henriade ne vaut pas grand’chose ; hélas ! il y a soixante ans que je le savais comme lui. J’avais débuté à vingt ans par le second chant de la Henriade. J’étais alors tel qu’est aujourd’hui M. Clément, je ne savais de quoi il était question. Au lieu de faire un gros livre contre moi, que ne fait-il une Henriade meilleure ? Cela est si aisé ! »

Il y a des sortes d’esprits qui, ayant contracté l’habitude d’écrire, ne peuvent y renoncer dans la plus extrême vieillesse : tels furent Huet et Fontenelle. Notre auteur, quoique accablé d’années et de maladies, travailla toujours gaiement. L’Épître à Boileau[116], L’Épître à Horace[117], la Tactique[118], le Dialogue de Pégase et du Vieillard[119], Jean qui pleure et qui rit[120], et plusieurs petites pièces dans ce goût, furent écrites à quatre-vingt-deux ans. Il fit aussi les Questions sur l’Encyclopédie[121]. On faisait plusieurs éditions à la fois de chaque volume à mesure qu’il en paraissait un. Ils sont tous imprimés assez incorrectement.

Il y a sur l’article Messie un fait assez étrange, et qui montre que les yeux de l’envie ne sont pas toujours clairvoyants. Cet article Messie[122], déjà imprimé dans la grande Encyclopédie de Paris, est de M. Polier de Bottens, premier pasteur de l’Église de Lausanne, homme aussi respectable par sa vertu que par son érudition. L’article est sage, profond, instructif. Nous en possédons l’original, écrit de la propre main de l’auteur. On crut qu’il était de M. de Voltaire, et on y trouva cent erreurs. Des qu’on sut qu’il était d’un prêtre, l’ouvrage fut très-chrétien.

Parmi ceux qui tombèrent dans ce piége, il faut daigner compter l’ex-jésuite Nonotte. C’est ce même homme qui s’avisa de nier qu’il y eût dans le Dauphiné une petite ville de Livron[123], assiégée par l’ordre de Henri III ; qui ne savait pas que des rois de la première race avaient eu plusieurs femmes à la fois[124] ; qui ignorait qu’Eucherius était le premier auteur de la fable de la légion thébaine[125]. C’est lui qui écrivit deux volumes contre l’Essai sur les Mœurs et l’Esprit des nations, et qui se méprit à chaque page de ces deux volumes. Son livre se vendit, parce qu’il attaquait un homme connu.

Le fanatisme de ce Nonotte était si parfait que, dans je ne sais quel dictionnaire philosophique religieux[126] ou antiphilosophique, il assure, à l’article Miracle, qu’une hostie, percée à coups de canif dans la ville de Dijon, répandit vingt palettes de sang ; et qu’une autre hostie, ayant été jetée au feu dans Dole, s’en alla voltigeant sur l’autel. Frère Nonotte, pour démontrer la vérité de ces deux faits, cite deux vers latins d’un président Boisvin, Franc-Comtois :

Impie, quid dubitas hominemque Deumque fateri ?
      Se probat esse hominem sanguine, et igne Deum.

Ce qui signifie, en réduisant ces deux vers impertinents à un sens clair : « Impie, pourquoi hésites-tu à confesser un homme Dieu ? Il prouve qu’il est homme par le sang, et Dieu par les flammes. »

On ne peut mieux prouver : et c’est sur cette preuve que Nonotte s’extasie, en disant : « Telle est la manière dont on doit procéder pour régler sa créance sur les miracles. »

Mais ce bon Nonotte, en réglant sa créance sur des injures de théologien et sur des raisonnements de petites-maisons, ne savait pas qu’il y a plus de soixante villes en Europe où le peuple prétend qu’autrefois les juifs donnèrent des coups de couteau à des hosties qui répandirent du sang : il ne sait pas qu’on fait encore aujourd’hui commémoration à Bruxelles d’une pareille aventure ; et j’y ai entendu, il y a quarante ans, cette belle chanson :

Gaudissons-nous, bons chrétiens, au supplice
Du vilain juif appelé Jonathan,
Qui sur l’autel a, par grande malice,
Assassiné le très-saint sacrement.

Il ne connaît pas le miracle de la rue aux Ours à Paris, où le peuple brûle tous les ans la figure d’un Suisse ou d’un Franc-Comtois qui assassina la sainte Vierge et l’enfant Jésus au bout de la rue ; et le miracle des Carmes nommés Billettes[127], et cent autres miracles dans ce goût, célébrés par la lie du peuple, et mis en évidence par la lie des écrivains, qui veulent qu’on croie à ces fadaises comme au miracle des noces de Cana et à celui des cinq pains.

Tous ces pères de l’Église, les uns en sortant de Bicêtre, les autres en sortant du cabaret, quelques-uns en lui demandant l’aumône, lui envoyaient continuellement des libelles et des lettres anonymes ; il les jetait au feu sans les lire. C’est en réfléchissant sur l’infâme et déplorable métier de ces malheureux soi-disant gens de lettres qu’il avait composé la petite pièce de vers intitulée le Pauvre Diable, dans laquelle il fait voir évidemment qu’il vaut mille fois mieux être laquais ou portier dans une bonne maison que de traîner dans les rues, dans un café, et dans un galetas, une vie indigente qu’on soutient à peine, en vendant à des libraires des libelles où l’on juge les rois, où l’on outrage les femmes, où l’on gouverne les États, et où l’on dit à son prochain des injures sans esprit.

Dans les derniers temps il avait une profonde indifférence pour ses propres ouvrages, dont il fit toujours peu de cas, et dont il ne parlait jamais. On les réimprimait continuellement sans même l’en instruire. Une édition de la Henriade, ou des tragédies, ou de l’histoire, ou de ses pièces fugitives, était-elle sur le point d’être épuisée, une autre édition lui succédait sur-le-champ. Il écrivait souvent aux libraires : « N’imprimez pas tant de volumes de moi ; on ne va point à la postérité avec un si gros bagage[128]. » On ne l’écoutait pas : on le réimprimait à la hâte ; on ne le consultait point ; et, ce qui est presque incroyable et très-vrai, c’est qu’on fit à Genève une magnifique édition in-4o dont il ne vit jamais une seule feuille, et dans laquelle on inséra plusieurs ouvrages qui ne sont pas de lui, et dont les auteurs sont connus. C’est à propos de toutes ces éditions qu’il disait et qu’il écrivait à ses amis : « Je me regarde comme un homme mort dont on vend les meubles[129]. »

Le premier magistrat et le premier pasteur évangélique de Lausanne ayant établi une imprimerie dans cette ville, on y fit, sous le nom de Londres, une édition appelée complète. Les éditeurs y ont inséré plus de cent petites pièces en prose et en vers qui ne peuvent être ni de lui, ni d’un homme de goût, ni d’un homme du monde, telles que celle-ci, qui se trouve dans les opuscules de l’abbé de Grécourt[130] :

Belle maman, soyez l’arbitre
Si la fièvre n’est pas un titre
Suffisant pour me disculper.
Je suis au lit comme un bélître,
Et c’est à force de lamper ;
Mais j’espère d’en réchapper,
Puisqu’en recevant cette épître
L’Amour me dresse mon pupitre.

Telle est une apothéose de Mlle  Lecouvreur, faite par un précepteur nommé Bonneval :

Quel contraste frappe mes yeux !
Melpomène ici désolée
Élève, avec l’aveu des dieux,
Un magnifique mausolée.

Telle est cette pièce misérable :

Adieu, ma pauvre tabatière,
Adieu, doux fruit de mes écus.

Telle est cette autre, intitulée le Loup moraliste.

Telle est je ne sais quelle ode, qui semble être d’un cocher de Vertamon devenu capucin, intitulée le vrai Dieu.

Ces bêtises étaient soigneusement recueillies dans l’édition complète, d’après les livres nouveaux de Mme  Oudot[131], les Almanachs des Muses, le Portefeuille retrouvé[132] et les autres ouvrages de génie qui bordent à Paris le Pont-Neuf et le quai des Théatins. Elles se trouvent en très-grand nombre dans le vingt-troisième tome de cette édition de Lausanne. Tout ce fatras est fait pour les halles. Les éditeurs ont eu encore la bonté d’imprimer à la tête de ces platitudes dégoûtantes : Le tout revu et corrigé par l’auteur même, qui assurément n’en avait rien vu. Ce n’est pas ainsi que Robert Estienne imprimait. L’antique disette de livres était bien préférable à cette multitude accablante d’écrits qui inondent aujourd’hui Paris et Londres, et aux sonnets qui pleuvent dans l’Italie.

Quand on falsifia quelques-unes de ses lettres qu’on imprima en Hollande, sous le titre de Lettres secrètes[133], il parodia cette ancienne épigramme :

Voici donc mes lettres secrètes,
Si secrètes que pour lecteur
Elles n’ont que leur imprimeur,
Et ces messieurs qui les ont faites.

Nous voulons bien ne pas dire quel est le galant homme qui fit imprimer en 1766, à Amsterdam, sous le titre de Genève, les Lettres de M. de Voltaire à ses amis du Parnasse[134], avec des notes historiques et critiques. Cet éditeur compte parmi ces amis du Parnasse la reine de Suède, l’électeur Palatin, le roi de Pologne, le roi de Prusse. Voilà de bons amis intimes et un beau Parnasse. L’éditeur, non content de cette extrême impertinence, y ajouta, pour vendre son livre, la friponnerie dont La Beaumelle avait donné le premier exemple. Il falsifia quelques lettres qui avaient en effet couru, et entre autres une lettre sur les langues française et italienne, écrite en 1761 à M. Tovazzi Deodati[135], dans laquelle ce faussaire déchire, avec la plus plate grossièreté, les plus grands seigneurs de France. Heureusement il prêtait son style à l’auteur sous le nom duquel il écrivait pour le perdre. Il fait dire à M. de Voltaire que les dames de Versailles sont d’agréables commères, et que J.-J. Rousseau est leur toutou[136]. C’est ainsi qu’en France nous avons eu de puissants génies à deux sous la feuille, qui ont fait les lettres de Ninon, de Maintenon, du cardinal Albéroni, de la reine Christine, de Mandrin, etc. Le plus naturel de ces beaux esprits[137] était celui qui disait : « Je m’occupe à présent à faire des pensées de La Rochefoucauld[138].

FIN DU COMMENTAIRE HISTORIQUE.



    aime tant les ouvrages, une marque éclatante d’estime dont il serait infiniment touché, et qui lui rendrait cher ce qui lui reste de jours à vivre. Elle ajouterait beaucoup et à la gloire de cet illustre écrivain, et à celle de la littérature française, qui en conserverait une reconnaissance éternelle. Permettez-moi, sire, d’ajouter que dans l’état de faiblesse et de maladie où m’a réduit en ce moment l’excès du travail, et qui ne me permet que des vœux pour les lettres, la nouvelle marque de distinction que j’ose vous demander en leur faveur serait pour moi la plus douce consolation. Elle augmenterait encore, s’il est possible, l’admiration dont je suis pénétré pour votre personne, le sentiment profond que je conserverai toute ma vie de vos bienfaits, et la tendre vénération avec laquelle je serai jusqu’à mon dernier soupir, sire, de Votre Majesté le très-humble et très-obéissant serviteur.

    « d’Alembert.

    « À Paris, le 15 juillet 1770. »

    Réponse de M. d’Alembert à la lettre du roi de Prusse.

    « Sire, je n’ai pas perdu un moment pour apprendre à M. de Voltaire l’honneur signalé que Votre Majesté veut bien lui faire, et celui qu’elle fait en sa personne à la littérature et à la nation française. Je ne doute point qu’il ne témoigne à Votre Majesté sa vive et éternelle reconnaissance. Mais comment, sire, pourrais-je vous exprimer toute la mienne ? Comment pourrais-je vous dire à quel point je suis touché et pénétré de l’éloge si grand et si noble que Votre Majesté fait de la philosophie et de ceux qui la cultivent ? Je prends la liberté, sire, et j’ose espérer que Votre Majesté ne m’en désavouera pas, de faire part de sa lettre à tous ceux qui sont dignes de l’entendre ; et je ne puis assez dire à Votre Majesté avec quelle admiration, et, j’ose le dire, avec quelle tendresse respectueuse, ils voient tant de justice et de bonté unies à tant de gloire. Vous étiez, sire, le chef et le modèle de tous ceux qui écrivent et qui pensent ; vous êtes à présent pour eux (je rends à Votre Majesté leurs propres expressions) l’être rémunérateur et vengeur : car les récompenses accordées au génie sont le supplice de ceux qui le persécutent. Je voudrais que la lettre de Votre Majesté pût être gravée au bas de la statue : elle serait bien plus flatteuse que la statue même pour M. de Voltaire et pour les lettres. Quant à moi, sire, à qui Votre Majesté a la bonté de parler aussi de statue, je n’ai pas l’impertinente vanité de croire mériter jamais un pareil monument : je ne demande qu’une pierre sur ma tombe, avec ces mots : Le grand Frédéric l’honora de ses bienfaits et de ses bontés.

    « Votre Majesté demande ce que nous désirons d’elle pour ce monument ? Un écu, sire, et votre nom, qu’elle nous accorde d’une manière si digne et si généreuse. Les souscriptions ne nous manquent pas ; mais elles ne seraient rien sans la vôtre, et nous recevrons avec reconnaissance ce qu’il plaira à Votre Majesté de donner.

    « L’Académie française, sire, vient d’arrêter d’une voix unanime que la lettre de Votre Majesté serait insérée dans ses registres, comme un monument également honorable pour un de ses plus illustres membres et pour la littérature française. Elle me charge de mettre aux pieds de Votre Majesté son profond respect et sa très-humble reconnaissance.

    « C’est avec les mêmes sentiments, et avec la plus vive admiration, que je serai toute ma vie, sire, etc.

    « À Paris, le 13 août 1770. » (K.)

  1. Page 6 de l’Avertissement de l’éditeur des Mémoires sur Voltaire et sur ses ouvrages, par Longchamp et Wagnière, ses secrétaires ; Paris, Aimé-André, 1826, deux volumes in-8°.
  2. Ce passage est tout différent dans l’impression faite en 1820, conforme à la copie que j’avais reçue de la main de feu Decroix. (B.)
  3. Un Cahier d’histoire littéraire, 1818, in-8°, pages 1-11.
  4. Voyez la note, tome XIX, page 445.
  5. C’est sur un exemplaire d’une autre édition, et dont le titre est encadré, sous l’adresse de Neufchâtel et la date de 1776 (mais que je crois de Genève), in-8° de IV et 232 pages, que Wagnière avait commencé à écrire quelques notes.
  6. Voici ces certificats :

    « J’ai vu les pièces originales et les preuves qui sont dans le Commentaire, et je les ai remises entre les mains du sieur Wagn…. Le 1er mai 1776.

    « Signé : Durey, avocat. »

    « J’ai confronté les mêmes pièces, et je les ai trouvées entièrement conformes aux originaux. Le 1er juin 1776.

    « Signé : Christin. »
  7. Voyez ce conte, tome X, page 68.
  8. Dans sa lettre à Damilaville, du 20 février 1765, Voltaire dit : « Je suis né en 1694, le 20 février, et non le 20 novembre, comme le disent les commentateurs mal instruits. » Il se vieillissait ainsi de près d’une année.

    L’acte de baptême de Voltaire à la paroisse Saint-André-des-Arcs à Paris est du 22 novembre 1694, et porte que l’enfant était né le jour précédent, sans aucune mention conséquemment de l’ondoiement dont parle l’auteur du Commentaire historique. — (B.) Voyez cet acte ci-après, dans les Documents biographiques.

  9. Cette pièce, qui est de 1706 ou 1707, présente ici quelques différences avec le texte qui est au tome X, page 213.
  10. Nous avons une lettre du savant Dacier, de 1713, dans laquelle il exhorte l’auteur, qui avait déjà fait sa pièce, à y joindre des chœurs chantants, à l’exemple des Grecs. Mais la chose était impraticable sur le théâtre français. (Note de Voltaire.)

    — Lorsqu’en 1769, M. de Voltaire obtint justice à Toulouse pour le malheureux Sirven, M. de Merville, avocat chargé de cette cause, refusa toute espèce d’honoraires, et demanda pour toute reconnaissance à M. de Voltaire qu’il voulût bien ajouter des chœurs à son Œdipe. (K.)

  11. En 1718, lors des premières représentations d’Œdipe, Voltaire avait vingt-quatre ans.
  12. Voyez le texte entier de cette épître, tome X, année 1721.
  13. La pièce entière du prince de Conti est parmi les Pièces justificatives.
  14. M. de Voltaire recueillit dès lors une partie des matériaux qu’il a employés depuis dans l’histoire du Siècle de Louis XIV. L’évêque de Blois, Caumartin, avait passé une grande partie de sa vie à s’amuser de ces petites intrigues qui sont pour le commun des courtisans une occupation si grave et si triste. Il en connaissait les plus petits détails, et les racontait avec beaucoup de gaieté. Ce que M. de Voltaire a cru devoir imprimer est exact ; mais il s’est bien gardé de dire tout ce qu’il savait. (K.)
  15. Voltaire fut plusieurs fois en butte aux traits des auteurs qui travaillaient pour le théâtre de la Foire. Plusieurs de ses tragédies y furent parodiées.
  16. Le cardinal de Fleury.
  17. La première représentation de Mariamne est du 6 mars 1724.
  18. Il éprouva bien une autre mortification. On refusa la dédicace qu’il voulait faire de sa Henriade à Louis XV, alors âgé d’environ seize ans.
  19. La suite de ces vers et la lettre dans laquelle ils étaient ne nous sont pas parvenues.
  20. On en porte le produit à 150,000 francs.
  21. Sur ces deux parodies, voyez la note, tome II, page 536.
  22. Phrase de saint Augustin.
  23. Cette lettre est du 31 mai. La date de l’année n’y est pas ; mais elle est de 1724. (Note de Voltaire). — Voyez cette lettre dans la Correspondance.
  24. Voyez la note, tome XXII, page 371.
  25. L’ouvrage est intitulé Voltariana ; voyez la note, tome XXII, page 76.
  26. Nous avons vu une obligation de 500 livres d’argent prêté chez Perret, notaire, 1er juillet 1730 ; mais nous n’avons pu trouver celle de 2,000 livres. (Note de Voltaire.) — Voyez tome XXXIII, pages 252 et 398.
  27. Voyez tome XXXIII, page 243.
  28. Voyez tome XXXIII, page 574.
  29. La lettre à Mlle  Quinault, où se trouvait le passage rapporté ici, n’a point été imprimée.
  30. Cette lettre se trouvait parmi celles qui sont à la suite du Commentaire historique dans la première édition de cet écrit. Elle y était sans date, je lui ai mis celle du 27 août 1759. (B.) — Voyez tome XL, page 158.
  31. Dans ses Mémoires, Voltaire avait dit deux cent vingt mille francs.
  32. Voyez tome XXII, page 330 ; et aussi, tome X, page 286, une note de l’Épître à Mme  du Châtelet sur la Calomnie (1733), et tome X, page 78, une note de la satire intitulée la Crépinade.
  33. La collection des lettres de Voltaire ne contient encore aucune lettre adressée au Linant dont on parle ici.
  34. Nous observons qu’une lettre d’un sieur de Médine à un sieur de Missy, du 17 février 1737, prouve assez que le poëte Rousseau ne s’était pas corrigé à Bruxelles. La voici : « Vous allez être étonné du malheur qui m’arrive ; il m’est revenu des lettres protestées ; on m’enlève mercredi au soir et on me met en prison : croiriez-vous que ce coquin de Rousseau, cet indigne, ce monstre, qui depuis six mois n’a bu et mangé que chez moi, à qui j’ai rendu les plus grands services, et en nombre, a été la cause qu’on m’a pris ? C’est lui qui a irrité contre moi le porteur des lettres ; enfin ce monstre, vomi des enfers, achevant de boire avec moi à ma table, de me baiser, de m’embrasser, a servi d’espion pour me faire enlever à minuit. Non, jamais trait n’a été si noir ; je ne puis y penser sans horreur. Si vous saviez tout ce que j’ai fait pour lui ! Patience, je compte que notre correspondance n’en sera pas altérée. »

    Il faut avouer qu’une telle action sert beaucoup à justifier Saurin, et la sentence et l’arrêt qui bannirent Rousseau. Mais nous n’entrons pas dans les profondeurs de cette affaire, si funeste et si déshonorante. (Note de Voltaire.)

    Dans cette note la lettre de Rousset de Missy est abrégée ; elle est entière, tome XXII, page 354.

  35. Un autre fragment de cette lettre est rapporté dans les Mémoires.
  36. 10 avril 1741 ; voyez page 20.
  37. Ce fut en 1742 et le 9 août qu’on donna à Paris la première représentation de Mahomet.
  38. Voyez tome IV, page 102.
  39. Voyez la suite de ces vers et la prose qui vient après, tome XXXIV, pages 365 et suiv.
  40. Cette lettre est dans la Correspondance sous le n° 1569, tome XXXVI, page 197 ; mais le texte présente des différences.
  41. C’est de là qu’est venue la mode ridicule de crier : l’auteur ! l’auteur ! quand une pièce, bonne ou mauvaise, réussit à la première représentation. (Note de Voltaire.)
  42. Je trouve une lettre du 3 mars 1743, de M. l’archevêque de Narbonne, qui se désiste en faveur de M. de Voltaire. (Id.)
  43. Virgile, églog. I, vers 74.
  44. Wagnière en rapporte quelques-uns, page 28 de ses Additions au Commentaire historique, qui sont au tome Ier des Mémoires sur Voltaire, etc., par Longchamp et Wagnière, 1826, deux volumes in-8°.
  45. Voyez la note, tome XXXVI, page 421.
  46. Voyez tome XVI, page 142.
  47. Elle a été imprimée séparément, et ridiculement falsifiée. (Note de Voltaire.) — Voyez l’Avertissement de Beuchot, en tête du Précis du Siècle de Louis XV, tome XV.
  48. Voyez la Princesse de Navarre, tome IV, page 271.
  49. Nous avons placé cette lettre de d’Argenson à Voltaire dans la Correspondance, tome XXXVI pages 361 et suiv.
  50. Voyez la note, tome XVII, page 211.
  51. Cette abolition, en 1771, n’a été que passagère. (Note de Voltaire.)
  52. Voyez Précis du Siècle de Louis XV, tome XV, page 293.
  53. Voyez ce Manifeste, tome XXIII, page 203.
  54. Voyez son Discours de réception, tome XXIII, page 205.
  55. Ce Panégyrique est de 1748 ; voyez tome XXIII, page 263.
  56. Voltaire a fait aussi un Éloge funèbre des officiers qui sont morts dans la guerre de 1741 ; voyez tome XXIII, page 249.
  57. Dans les éditions de Kehl, au lieu de cet alinéa on lisait un extrait assez long tiré des Mémoires.
  58. Voyez cette lettre de Frédéric, du 23 août 1750, tome XXXVII, page 159.
  59. La première représentation est du 12 janvier 1750.
  60. La première représentation sur le Théâtre-Français est du 24 février 1752 ; mais l’auteur avait fait jouer Rome sauvée sur son théâtre de la rue Traversière à Paris, le 8 juin 1750.
  61. Voyez cette lettre, qui est du 17 mars 1750, tome XXXVII, page 114.
  62. Lettre sur le progrès des sciences, par M. de Maupertuis, 1752, in-12 de IV et 124 pages. Elle est la vingt-troisième dans les Lettres de M. de Maupertuis, seconde édition, 1753, petit in-12.
  63. Voyez la Diatribe du docteur Akakia, tome XXIII, page 560.
  64. Colini, dans Mon Séjour, page 48, rapporte ainsi le troisième vers :

    C’est ainsi qu’un amant, dans son extrême ardeur.

  65. Freytag.
  66. La phrase qui termine cet alinéa ne se trouve dans aucune édition antérieure aux éditions de Kehl. (B.)
  67. Ce fut alors aussi que Voltaire signa la pièce que voici :

    Déclaration de M. de Voltaire au roi de Prusse, remise de sa main au ministre de Sa Majesté à Francfort, 1753.

    « Je suis mourant ; je proteste, devant Dieu et devant les hommes, que, n’étant plus au service de Sa Majesté le roi de Prusse, je ne lui suis pas moins attaché, au moins soumis à ses volontés pour le peu de temps que j’ai à vivre.

    Il m’arrête à Francfort pour le livre de ses poésies, dont il m’avait fait présent. Je reste en prison jusqu’à ce que le livre revienne de Hambourg. J’ai rendu au ministre de Sa Majesté prussienne à Francfort toutes les lettres que j’avais conservées de Sa Majesté, comme des marques chères des bontés dont elle m’avait honoré. Je rendrai à Paris toutes les autres lettres qu’elle pourra me redemander.

    Sa Majesté veut ravoir un contrat qu’elle avait daigné faire avec moi ; je suis assurément prêt à le rendre comme tout le reste : et, dès qu’il sera retrouvé, je le rendrai ou le ferai rendre. Cet écrit, qui n’était point un contrat, mais un pur effet de la bonté du roi, ne tirant à aucune conséquence, était sur un papier de la moitié plus petit que celui que Darget porta de ma chambre à l’appartement du roi à Potsdam. Il ne contenait autre chose que des remerciements de ma part de la pension dont Sa Majesté le roi de Prusse me gratifiait avec la permission du roi mon maître, de celle qu’il accordait à ma nièce après ma mort, et de la croix et de la clef de chambellan.

    Le roi de Prusse avait daigné mettre au bas de ce petit feuillet, autant qu’il m’en souvient : « Je signe de grand cœur le marché que j’avais envie de faire il y a plus de quinze ans. » Ce papier, absolument inutile à Sa Majesté, à moi, au public, sera certainement rendu dès qu’il sera retrouvé parmi mes autres papiers. Je ne peux ni ne veux en faire le moindre usage. Pour lever tout soupçon, je me déclare criminel de lèse-majesté envers le roi de France, mon maître, et le roi de Prusse, si je ne rends le papier à l’instant qu’il sera entre mes mains.

    Ma nièce, qui est auprès de moi dans ma maladie, s’engage, sous le même serment, à le rendre si elle le retrouve. En attendant que je puisse avoir communication de mes papiers à Paris, j’annulle entièrement ledit écrit ; je déclare ne prétendre rien de Sa Majesté le roi de Prusse, et je n’attends rien, dans l’état cruel où je suis, que la compassion que doit sa grandeur d’âme à un homme mourant, qui avait tout sacrifié et qui a tout perdu pour s’attacher à lui, qui l’a servi avec zèle, qui lui a été utile, qui n’a jamais manqué à sa personne, et qui comptait sur la bonté de son cœur.

    Je suis obligé de dicter, ne pouvant écrire. Je signe avec le plus profond respect, la plus pure innocence, et la douleur la plus vive.

    Voltaire. »
  68. Jean-Daniel Schœpflin, né à Salzbourg en 1694 ; mort en 1771. Voltaire a fait mention de son Alsatia illustrata (1751-61, 2 vol. in-fol.), dans une note des Lois de Minos, tome VII, page 182.
  69. Jacob Vernet.
  70. Il y arriva le 12 (et non le 22) décembre 1754 ; voyez la note, tome XXXVIII, page 298. La date du 12 est aussi celle que donne Wagnière dans ses Additions au Commentaire historique.
  71. Ici Voltaire donnait le premier alinéa de sa lettre à Biort, du 15 décembre 1758, qui est tout entière tome XXXIX, page 550.
  72. Monrion ou Montriond.
  73. Henriade, chant II, vers 5.
  74. Celle à Thieriot, du 26 mars 1757 ; voyez tome XXXIX, page 194.
  75. Dans sa lettre à Vernes, du 24 décembre 1757, Voltaire dit que les vers de l’horloger Rival ont été un peu rajustés ; probablement par Voltaire lui-même (B.)
  76. Servet pouvait se reposer sur les propres paroles de Calvin, qui dit dans son ouvrage : « En cas que quelqu’un soit hétérodoxe, et qu’il fasse scrupule de se servir des mots trinité et personne, nous ne croyons point que ce soit une raison pour rejeter cet homme, etc. » (Note de Voltaire.)
  77. Il y a dans quelques éditions : à ce dangereux coup d’État. Nous ne savons pas pourquoi le poëte genevois aurait appelé le supplice de Servet un coup d’État ; le terme propre est assassinat, et la rime est plus riche. (K.) — Les éditeurs de Kehl, auteurs de cette note, le sont peut-être aussi de la correction. L’édition originale du Commentaire historique, et toutes celles du vivant de l’auteur que j’ai pu voir, portent :

    À ce dangereux coup d’État. (B.)

  78. Voyez les six autres stances de cette pièce dans le tome VIII, page 529.
  79. L’Écossaise avait été jouée plus d’un mois avant Tancrède ; voyez tome V pages 399 et 489.
  80. Elle est imprimée à la fin de la tragédie d’Oreste (tome V, page 167).
  81. Lettre à Le Brun, du 7 novembre 1760.
  82. Voyez tome XVI, page 100, la variante du chapitre LXIX de l’Histoire du parlement.
  83. Le Père Adam.
  84. Les Erreurs de Voltaire, en deux volumes, et le Dictionnaire philosophique de la religion, en quatre volumes.
  85. On sait que M. de Voltaire, treize ans après, revint à Paris. Lorsqu’il sortait à pied, il était toujours entouré par une foule d’hommes de tout état et de tout âge. On demandait un jour à une femme du peuple quel était cet homme que l’on suivait avec tant d’empressement : « C’est le sauveur des Calas, » répondit-elle. (K.)
  86. Le titre est : Lettres de madame la comtesse *** ; voyez la note, tome XVIII, page 558.
  87. Voyez ce Traité, tome XXV, page 13.
  88. Hugonet fut le successeur de Gros, qui était mort d’ivrognerie, comme Voltaire le dit un peu plus loin (page 115).
  89. Page 105.
  90. Ici était transcrite la lettre de la princesse Wilhelmine, du 12 septembre 1757, qui est au tome XXXIX, page 263.
  91. Voyez tome VIII, page 462.
  92. Voltaire en transcrit plusieurs passages dans ses Mémoires.
  93. La bataille de Rosbach étant du 5 novembre 1757 est antérieure de 27 jours à la lettre du 9 octobre, qui est tome XXXIX, page 280, mais que l’on a répétée ici parce que cela est nécessité par les premiers mots qui la suivent.
  94. Il s’était formé une autre négociation à Paris, par l’entremise du bailli de Froulai, autrefois ambassadeur de France à Berlin, et on avait consenti à recevoir un envoyé secret du roi de Prusse ; mais, sur les plaintes de la cour de Vienne, cet envoyé fut arrêté, mis à la Bastille, et ses papiers saisis. On prétend que ces choses-là sont permises en politique. (K.)
  95. Devenu empereur sous le nom de Paul Ier.
  96. Voyez, dans la Correspondance, la lettre de Voltaire à Catherine, du 10 mars 1770.
  97. M. de Voltaire était mal informé. Il faut restituer aux gens de lettres français l’honneur d’avoir rendu cet hommage à M. de Voltaire. (K.)
  98. On a cru devoir placer ici les deux lettres suivantes de M. d’Alembert :
    Lettre de M. d’Alembert au roi de Prusse.

    « Sire, je supplie très-humblement Votre Majesté de pardonner la liberté que je vais prendre, à la respectueuse confiance que ses bontés m’ont inspirée, et qui m’encouragent à lui demander une nouvelle grâce.

    « Une société considérable de philosophes et d’hommes de lettres a résolu, sire, d’ériger une statue à M. de Voltaire, comme à celui de tous nos écrivains à qui la philosophie et les lettres sont le plus redevables. Les philosophes et les gens de lettres de toutes les nations vous regardent, sire, depuis longtemps comme leur chef et leur modèle. Qu’il serait flatteur et honorable pour nous qu’en cette occasion Votre Majesté voulût bien permettre que son auguste et respectable nom fût à la tête des nôtres ! Elle donnerait à M. de Voltaire, dont elle

  99. Jean-Jacques Rousseau de Genève, dans une lettre à M. l’archevêque de Paris, qu’il intitule Jean-Jacques à Christophe, dit modestement qu’il est devenu homme de lettres par son mépris pour cet état. Et après avoir prié Christophe de lire son roman de la Suissesse Héloïse, qui, étant fille, accouche d’un faux germe, il conclut, page 127, que tous les gouvernements bien policés lui doivent élever des statues. (Note de Voltaire.)

    — Jean-Jacques Rousseau souscrivit pour la statue de M. de Voltaire. (K.)

  100. Voltaire a depuis corrigé cette épître, et c’est avec les nouvelles corrections qu’on la trouve dans les Épîtres, tome X.
  101. La lettre à Thieriot où étaient les mots rapportés par Voltaire ne m’est pas connue. (B.)
  102. Biort, évêque d’Annecy. (K.)
  103. Wagnière, dans ses Additions au Commentaire historique, a transcrit, page 75, la Déclaration authentique, et, page 83, la Profession de foi supposée. Wagnière donne à cette occasion quelques détails piquants. (B.)
  104. L’abbé Mignot.
  105. D’Hornoy.
  106. Page 89.
  107. Voyez tome VII, page 29.
  108. Voyez tome VII, page 163.
  109. Voyez, tome XXIX, page 375, le Cri du sang innocent.
  110. Voyez, tome XXV, page 501, la Relation de la mort du chevalier de La Barre.
  111. Turgot.
  112. 10 mars 1776.
  113. Voyez quatre lettres de Clément, dans la Correspondance.
  114. Le passage rapporté ici est tout ce qui reste de cette lettre de Voltaire à Voisenon.
  115. Clément publia, en 1773, une Première lettre à M. de Voltaire, qui fut suivie de huit autres sous le titre de Seconde, Troisième, etc. C’est dans les septième et huitième, qui ont plus de 550 pages, qu’il critique la Henriade.
  116. Voyez tome X.
  117. Voyez ibid.
  118. Voyez tome X, page 187.
  119. Voyez ibid., page 195.
  120. Voyez tome IX, page 556.
  121. Les Questions sur l’Encyclopédie parurent de 1770 à 1772.
  122. Voyez tome XX, page 62.
  123. Voyez tome XXVII, page 402.
  124. Voyez tome XIX, page 100 ; XXIV, 489 ; XXVI, 144.
  125. Voyez tome XXIV, page 487 ; XXVI, 142.
  126. Dictionnaire philosophique de la religion, 1772, quatre volumes in-12. L’abbé Chaudon est le principal auteur du Dictionnaire antiphilosophique, 1767, in-8°.
  127. Ce miracle est de 1290, sous Philippe IV ou le Bel ; voyez l’Histoire de Paris, par J.-A. Dulaure, seconde édition, tome III, page 64.
  128. Voltaire avait dit, en 1773, dans son Dialogue de Pégase et du Vieillard :

    On ne va point, mon fils, fût-on sur toi monté,
    Avec ce gros bagage à la postérité.

  129. Cette édition in-4° pèche par le désordre qui défigure plusieurs tomes, par le ridicule de faire suivre une pièce composée en 1770 par une faite en 1720, par la profusion de cent petits ouvrages de société qui ne sont pas de l’auteur, et qui sont indignes du public ; enfin par beaucoup de fautes typographiques. Cependant elle peut être recherchée pour la beauté du papier, du caractère et des estampes. (Note de Voltaire.) — Cette note, conservée dans le tome XXX de l’édition in-4°, et que je rétablis d’après l’édition originale, avait été omise dans les éditions de Kehl et dans beaucoup d’autres. (B.)
  130. Les pièces que Voltaire désavoue ici avaient été déjà désavouées par lui en 1773, dans une des notes de son Dialogue de Pégase et du Vieillard.
  131. Imprimeur à Troyes, dont les presses reproduisaient les romans des Quatre fils Aymon, de Huon de Bordeaux, de Jean de Paris, les Faits et proesses du noble et vaillant Hercules, et autres faisant partie de ce qu’on appelle la Bibliothèque bleue.
  132. L’ouvrage dont parle Voltaire est intitulé le Portefeuille trouvé : voyez la note, tome VI, page 337.
  133. Voyez tome XXVI, page 135.
  134. Voyez, sur ces Lettres, l’Appel au public, tome XXV, page 579.
  135. Voyez tome XLI, page 166.
  136. Voyez une note, tome XXV, page 581.
  137. Capron, dentiste très-connu dans son temps. (K.)
  138. L’édition originale et quelques réimpressions se terminaient ainsi :

    « Nous allons donner quelques véritables lettres de M. de Voltaire, d’après ses propres minutes, que nous conservons : nous ne publions que celles dont on peut retirer quelque utilité. »

    Et sous le titre de Lettres véritables de M. de Voltaire, on donnait vingt-neuf lettres ou morceaux ayant la forme épistolaire, qui sont soit dans la Correspondance, soit dans les Mélanges de la présente édition.