Comité d’instruction publique de l’Assemblée législative

Revue pédagogique, second semestre 1889
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LE COMITÉ D’INSTRUCTION PUBLIQUE

DE L’ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE


Aucune des publications suscitées par le Centenaire de 1789 n’intéresse plus directement les lecteurs de cette Revue que celle qui vient de prendre place, sous les auspices du ministère de l’instruction publique, dans la collection des Documents inédits de l’histoire de France, sous ce titre : Procès-verbaux du Comité d’instruction publique de l’Assemblée législative, publiés et annotés par M. J. Guillaume[1].

Ce magnifique volume sert en quelque sorte de préface à une publication plus considérable, confiée également à M. J. Guillaume, et dont le tome Ier est déjà sous presse, les Procès-verbaux du Comité d’instruction publique de la Convention nationale ; et à ce sujet nous devons tout d’abord présenter une observation. L’histoire a été dure et presque injuste pour la Législative : on ne lui a pas pardonné d’être venue se placer entre deux assemblées immortelles ; elle ne semble faite que pour ménager de l’une à l’autre une pâle transition. Cette impression générale sur l’Assemblée législative pourrait donner le change à quelques lecteurs sur le degré d’importance de l’œuvre de son Comité d’instruction publique. Qu’ils ne s’y trompent pas. Cette œuvre n’a pas été stérile, bien qu’elle n’ait pas porté des fruits immédiats ; et le volume qui nous la retrace possède par lui-même, et abstraction faite du lien qui le rattache à la publication en préparation, une valeur de premier ordre. Le contenu de ce livre est indispensable à connaître pour qui veut suivre la naissance et les développements des plans d’éducation nationale que la Convention verra éclore. Il offre surtout cet intérêt incomparable de nous faire assister à l’élaboration du plan de Condorcet, qui fut et qui restera le document magistral de toute l’époque révolutionnaire : la Convention se l’appropriera, les divers partis s’en inspireront, Romme, Lakanal et Daunou en feront revivre les parties essentielles, la loi de brumaire an IV fera entrer dans le patrimoine de la nation sinon l’ensemble de cette grandiose conception, du moins quelques-uns de ses traits caractéristiques, ne fût-ce que par la création des écoles centrales et celle de l’Institut. C’est ce document, œuvre d’un philosophe, d’un savant, d’un politique et d’un patriote, qui forme, en quelque sorte, le centre de ce volume, comme il fut l’objet capital des délibérations pendant les onze mois d’existence du Comité.

Les Archives nationales, qui ont encore tant de trésors à nous révéler sur toutes les époques, même — on pourrait dire « surtout » — sur celle de la Révolution, possèdent deux registres manuscrits, l’un contenant les procès-verbaux des délibérations du Comité, l’autre le texte des projets de décrets lus en séance : ces deux registres font naturellement le principal objet de la publication. Mais ces procès-verbaux officiels ont l’inconvénient d’être le plus souvent ou très secs ou très brefs. Ce qui en accroît singulièrement l’intérêt, ce qui leur donne parfois la vie et le mouvement, c’est une suite d’extraits empruntés aux trois cents cartons dans lesquels se trouvent, classées ou non comme se rapportant à l’instruction publique, des pièces inédites de la plus grande variété : lettres, adresses, rapports, pétitions, mémoires, comptes-rendus, documents d’enquête, d’instruction, de police, de statistique, etc.

Pour fouiller avec bonheur dans une mine si riche, mais si mêlée, il fallait beaucoup de temps, encore plus d’érudition, une rigueur d’impartialité à toute épreuve et un merveilleux esprit d’ordre. L’écrivain qui s’est trouvé remplir toutes ces conditions n’est pourtant ni un homme de loisir ni un archiviste de profession. Il n’est autre que le secrétaire de la rédaction de la Revue pédagogique, M. J. Guillaume.

Nous serions plus gênés pour dire ici de son travail tout le bien que nous en pensons, si des juges plus autorisés n’avaient déjà rendu hommage et à cette publication et aux études antérieures de M. Guillaume sur la même époque, notamment à son grand article Convention, publié en 1879 dans le Dictionnaire de pédagogie : c’est là — qu’il nous soit permis de le rappeler en passant — que pour la première fois[2] un historique des discussions sur l’enseignement au sein de la Convention, puisé uniquement aux sources originales, et écrit dans un esprit véritablement scientifique, a été présenté aux lecteurs désireux de se renseigner sérieusement sur une des parties restées jusqu’alors les plus mal connues de l’histoire de la période révolutionnaire[3].

Essayons de donner une idée de ce que contient le volume dont il s’agit et de l’intérêt qu’il offre.

Le fond de la publication est formé par le texte même des procès-verbaux des cent sept séances du Comité, auquel s’ajoute, à sa date, à la suite de la 67e séance, le texte du rapport de Condorcet, imprimé d’après le registre manuscrit des Archives et accompagné des variantes, parfois très instructives, des deux éditions de 1792 et de 1793. Que de fois on s’irrite contre le rédacteur anonyme de ces procès-verbaux qui, ayant à y consigner les résultats d’un débat souvent long et passionné, se borne à indiquer les noms de ceux qui y ont pris part, tantôt avec deux ou trois mots résumant plus que sommairement leur opinion, tantôt avec renvoi à un document qui ne s’est pas retrouvé. Pourtant, si maigre qu’il soit à notre gré, le registre contient nombre de pages qui méritent de fixer l’attention, ne fût-ce que par les renseignements historiques qu’elles fournissent. Quoi de plus intéressant dans sa brièveté que le débat sur les « lycées » ou établissements d’enseignement supérieur (p. 118), où l’on est presque aussi étonné de trouver au nombre des opposants Carnot, par un simple malentendu d’esprit démocratique, et au premier rang pour appuyer Condorcet le comte de Pastoret, qui depuis… mais alors il était libéral. Plus loin, au sujet de l’enseignement religieux dans les écoles primaires, on croirait assister à une discussion de la loi de 1882, si celle du Comité de 1792 ne se terminait par ces lignes presque naïves : « On répond (à Vayron, qui demandait que « les parents trouvassent dans les petites écoles la continuation de l’enseignement religieux donné dans la maison paternelle ») que les maîtres séculiers n’ont jamais dû enseigner ce qui concernait le dogme ; que cette fonction, rejetée ou négligée par les prêtres d’autrefois, ne le serait sûrement pas par les prêtres constitutionnels, et qu’ainsi on ne devait pas donner aux malintentionnés la satisfaction de croire qu’on retirait absolument la religion à la surveillance de ses ministres. » (P. 122.)

On remarquera, dans la séance du 18 avril (p. 187), la première apparition officielle du mot instituteur, qui vient remplacer celui de régent ; le secrétaire du Comité n’a malheureusement pas prévu combien on lui aurait su gré de quelques lignes motivant cette substitution, proposée sans doute par Condorcet : il nous donne sans autre détail l’acte de naissance du vocable nouveau qui devait passer si vite et pour toujours dans la langue : comme si, par une justice des mots, l’instituteur devait être un des plus modestes, mais un des premiers serviteurs de la Révolution.

En continuant à feuilleter le volume au moyen de l’Index alphabétique, — indispensable auxiliaire dans un ouvrage de ce genre, — on arrive à la séance du 21 avril, et l’on voit dans quelles circonstances dramatiques le rapport de Condorcet fut lu à la tribune de l’Assemblée.

Par une coïncidence dont on retrouve plus d’un exemple durant la Révolution, dit M. Guillaume (p. 249, note), c’était au moment le plus aigu d’une crise où le bruit des armes semblait devoir tout dominer que le rapporteur du Comité d’instruction publique avait pris la parole. La lecture de son rapport, en effet, avait été coupée en deux par la déclaration de guerre au roi de Bohême et de Hongrie. Le 19 avril, le président de l’Assemblée avait reçu du roi un billet lui annonçant qu’il se rendrait à la séance le lendemain à midi et demi. Le vendredi 20 avril, la séance de l’Assemblée s’ouvrit à l’heure ordinaire, c’est-à-dire à midi. Bien qu’elle sût que le roi allait venir et que le motif de sa visite fût des plus graves, puisqu’il s’agissait d’une déclaration de guerre, l’Assemblée pensa que sa dignité lui commandait de vaquer à son ordre du jour jusqu’à l’arrivée du chef de l’État. En conséquence, Condorcet monta à la tribune et commença la lecture de son rapport.

A midi et demi, l’arrivée du roi ayant été annoncée par un huissier, la lecture faite par Condorcet fut interrompue. Louis XVI, suivi de ses ministres, vint prendre place sur un fauteuil à la gauche du président, Dumouriez, ministre des affaires étrangères, lut au nom du roi un rapport concluant à la déclaration de guerre contre l’Autriche ; Louis XVI déclara qu’ayant épuisé tous les moyens de maintenir la paix, il venait proposer formellement la guerre ; après quoi, comme la constitution interdisait à l’Assemblée de délibérer en présence du roi, la séance fut levée.

Le soir même eut lieu une seconde séance, dans laquelle l’Assemblée vota, à l’unanimité moins sept voix, la déclaration de guerre, formulée dans un décret proposé par Gensonné au nom du Comité diplomatique, où on lisait :

« L’Assemblée nationale déclare que la nation française, fidèle aux principes consacrés par sa constitution de n’entreprendre aucune guerre dans la vue de faire des conquêtes et de n’employer jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple, ne prend les armes que pour la défense de sa liberté et de son indépendance ; que la guerre qu’elle est obligée de soutenir n’est point une guerre de nation à nation, mais la juste défense d’un peuple libre, contre l’injuste agression d’un roi. »

Le samedi matin 21 avril, l’Assemblée commence par charger son Comité d’instruction publique de lui présenter un projet d’adresse aux Français et à l’armée, au sujet de la déclaration de guerre votée la veille. Après quoi, elle donne la parole à Condorcet pour achever la lecture de son rapport. L’impression en est votée, la discussion ajournée, et l’Assemblée décrète en outre que le Comité d’instruction publique lui présentera un aperçu des dépenses qu’entraînerait l’exécution de son plan.

N’y a-t-il pas quelque chose de bien caractéristique dans ce trait inattendu du mandat belliqueux que l’impérieuse loi des circonstances fait donner, séance tenante, à ce Comité dont le rapporteur était monté à la tribune pour présenter l’œuvre pacifique de l’organisation des écoles nationales ?

Le dépôt du rapport de Condorcet n’eut pas, comme on est volontiers porté à se le figurer sur la foi de la légende qui représente l’Assemblée législative comme n’ayant rien su ni rien voulu faire, le caractère d’une simple lecture académique. Tout au contraire, l’Assemblée avait le ferme propos de légiférer d’urgence sur l’instruction publique ; le Comité ne cessa de ramener la question à l’ordre du jour avec une insistance que rien ne put décourager ; jusqu’au dernier moment, les législateurs se crurent assurés d’aboutir et en renouvelèrent le solennel engagement. Zèle infructueux, vaines promesses ! les évènements furent les plus forts. Mais aussi quels événements : le peuple aux Tuileries (journée du 20 juin), le manifeste de Brunswick, la patrie en danger, le 10 août, la défection de Lafayette, les Prussiens à Verdun, les massacres de septembre ! Voici d’ailleurs la série chronologique des dates relatives au projet d’instruction publique :

Le 25 mai a lieu à l’Assemblée la deuxième lecture du projet du Comité (deuxième lecture qui n’avait, à notre connaissance, été mentionnée par aucun historien) ; en même temps Condorcet présente l’aperçu des dépenses qu’entraînerait l’exécution de son plan. — Le 14 juin, l’Assemblée décrète que chaque semaine un jour sera consacré à la discussion du plan d’instruction publique ; malheureusement les incidents les plus graves viennent coup sur coup se mettre à la traverse de cette louable résolution : la démission de Dumouriez, la journée du 20 juin, Lafayette essayant d’insurger la garde nationale contre l’Assemblée, la discussion du décret sur la patrie en danger, la suspension du maire Pétion, la fédération du 14 juillet, qui empruntait cette fois aux circonstances quelque chose de tragique, la promulgation du décret déclarant la patrie en danger, le manifeste de Brunswick. Eh bien, tout cela n’empêche pas le Comité, qui ne doute de rien, de revenir à la charge ; et à la veille du renversement du trône, — le 6 août, chose à peine croyable ! — il donne mandat à Condorcet de rappeler à l’Assemblée sa promesse. Force est bien au représentant du Comité de différer de quelques jours pour s’acquitter de sa mission ; mais dès le 13 août, — trois jours après la sanglante bataille où la royauté s’est écroulée, — il vient demander à l’Assemblée de replacer à son ordre du jour le plan d’instruction ; et sur le champ celle-ci décrète qu’elle s’occupera de l’organisation de l’instruction publique immédiatement après avoir terminé le décret sur l’état civil des citoyens. — Le 20 août un membre impatient demande, sans l’obtenir d’ailleurs, que le projet d’éducation nationale soit mis en discussion immédiatement. — Puis arrivent pétitions sur pétitions. Le 30 août, la ville de Rennes réclame la prompte organisation de l’éducation nationale ; l’Assemblée décrète la mention honorable de l’adresse, et renouvelle sa promesse « de s’occuper de cet important objet aussitôt qu’elle aura terminé la loi sur l’état civil des citoyens ». Quelques jours plus tard, c’est des sections de Paris, la section des Halles, qui adjure l’Assemblée d’ouvrir d’urgence les écoles primaires et les écoles secondaires ; l’adresse de la section des Halles est aux Archives ; en marge de la pièce on lit cette annotation : « Renvoyé au Comité d’instruction publique ce 6 septembre au soir : Lequinio, secrétaire ». Le 6 septembre ! Ainsi, au moment même où des forcenés venaient d’ensanglanter les prisons, une section parisienne s’occupait de l’organisation de l’instruction publique, décidait d’envoyer une députation à l’Assemblée, et celle-ci, toute frémissante encore des farouches accents de Danton, trouvait le temps d’entendre cette députation et de prêter attention au vœu qu’elle venait lui apporter. Enfin le 13 septembre, lorsque la Législative n’avait plus que sept jours à vivre, elle accueille avec enthousiasme une pétition du ministre protestant B.-S. Frossard, en ordonne l’impression et l’insertion au procès-verbal ; et cette pétition disait : « Permettez-moi, législateurs, de vous rappeler deux importants devoirs. Si vous quittiez ce poste avant de les avoir remplis, vous n’auriez pas fait pour la patrie tout ce que auriez dû faire ; elle vous demande avec instance d’organiser l’instruction nationale et de fixer définitivement les secours publics ; rien n’est plus urgent… Tous les préliminaires sont terminés ; les rapports étant imprimés, vos réflexions les ont approfondis : quelques jours suffiront pour développer toutes les opinions et parvenir aux sages résultats. Veuillez donc, au nom des mœurs et de l’humanité dont la voix eut toujours tant d’empire sur vos cœurs, veuillez au moins consacrer trois séances par semaine à ces discussions. Sauveurs de la patrie, qu’elle vous doive encore ce double bienfait ! » On le voit, au moment même où va sonner l’heure qui doit mettre fin à son existence, l’Assemblée n’a pas encore renoncé à l’espoir de donner au plan du Comité la sanction législative.

Parmi les questions les plus importantes dont s’est occupé le premier Comité d’instruction publique, en dehors du plan général d’instruction, nous en mentionnerons encore quelques-unes, presque au hasard des indications que nous fournit le précieux répertoire analytique dont nous avons déjà signalé l’utilité.

Une section spéciale du Comité fut chargée de tout ce qui concernait les bibliothèques et les monuments. Il s’agissait, en Ce qui touche les bibliothèques, de pourvoir à la conservation des chartes, manuscrits et livres existant dans les maisons ecclésiastiques devenues domaines nationaux. Dès 1790, une instruction avait été rédigée, par les soins des comités de la Constituante, sur la manière de procéder à la confection des catalogues de bibliothèques. Les catalogues envoyés à Paris furent centralisés dans un bureau spécial, où douze employés travaillèrent à leur dépouillement pour établir ce qu’on appelait la « bibliographie générale du royaume ». Le 2 janvier 1792, sur un rapport de son Comité d’instruction publique, l’Assemblée législative rendit un décret relatif aux moyens d’accélérer l’achèvement des catalogues des bibliothèques ; et l’on voit le Comité sans cesse occupé à faire activer l’inventaire, le triage et le classement des livres devenus la propriété de la nation. Il ne l’est pas moins de la conservation des monuments des arts et des sciences ; dans celle œuvre il est secondé par une Commission spéciale, dite la Commission des monuments, composée d’archéologues et d’artistes, qui déploie la plus féconde activité. Au lendemain de la prise des Tuileries, lorsque dans un mouvement irréfléchi d’enthousiasme guerrier l’Assemblée vient de décréter que « le bronze des monuments élevés à l’orgueil, au préjugé et à la tyrannie, sera converti en canons », le Comité intervient : il demande et obtient un décret interprétatif, portant « qu’en livrant à la destruction les monuments propres à rappeler le souvenir du despotisme, il importe de préserver et de conserver honorablement les chefs-d’œuvre des arts, si dignes d’occuper les loisirs d’un peuple libre » ; le décret ordonne « qu’il sera procédé sans délai, par la Commission des monuments, au triage des statues, vases et autres monuments placés dans les maisons ci-devant dites royales, et édifices nationaux, qui méritent d’être conservés pour l’instruction et la gloire des arts ; les administrations sont chargées de veiller spécialement à ce qu’il ne soit apporté aucun dommage à ces monuments par les citoyens peu instruits, ou par des hommes mal intentionnés » ; un autre décret ordonne que « les tableaux et autres monuments des beaux-arts qui se trouvent épars en divers lieux seront transportés sans délai dans le dépôt du Louvre pour y former le Muséum français ».

De nombreuses séances du Comité sont remplies par l’examen du projet de décret relatif à la suppression des congrégations religieuses. Après des débats préliminaires qui durent deux mois, la rédaction présentée par Carnot obtient la priorité ; puis deux autres mois se passent en conférences avec le Comité des domaines, chargé de la partie financière du projet ; enfin la question arrive à l’ordre du jour de l’Assemblée en février 1792, et la seconde lecture a lieu en avril ; l’évêque constitutionnel du Cher, le vieux Torné, propose alors des articles nouveaux, renforçant les dispositions du projet. Il insiste surtout pour l’interdiction du costume religieux, et cette interdiction est volée en principe par l’Assemblée. Le projet est remis en discussion au sein du Comité, remanié, discuté de nouveau à l’Assemblée, et devient enfin le décret du 18 août, dont voici les dispositions essentielles : « Aucune partie de l’enseignement public ne continuera d’être confiée à aucune des maisons des ci-devant congrégations d’hommes et de filles, séculières ou régulières ; — Tous les membres des congrégations employés actuellement dans l’enseignement public en continueront l’exercice, à titre individuel, jusqu’à son organisation définitive ; ceux qui discontinueront leurs services sans des raisons jugées valables par les directoires de département n’obtiendront que la moitié de la pension qui leur aurait été accordée[4] ; — Les costumes ecclésiastiques, religieux et des congrégations séculières sont abolis et prohibés pour l’un et l’autre sexe ; cependant les ministres de tous les cultes pourront conserver le leur pendant l’exercice de leurs fonctions, dans l’arrondissement où ils les exercent. »

Nous ne pouvons qu’indiquer en courant la grande enquête sur les fonds et revenus des établissements d’instruction publique, instituée par les soins du Comité, et dont les résultat, réunis aux Archives (dans les cartons F17 1311-1316), font connaître par le menu la situation financière des collèges sous l’ancien régime ; — le rapport consacré aux réclamations des collèges qui avaient été privés d’une partie de leurs revenus par la suppression de la dîme, et qui demandaient des secours ; — les longues négociations du Comité avec de nombreuses villes de province, qui sollicitent l’honneur de devenir le siège soit d’un lycée, soit d’un institut ; — les débats très vifs relatifs à la distribution des récompenses accordées aux artistes qui avaient exposé leurs ouvrages au Salon du Louvre ; — les débats plus vifs encore entre les auteurs dramatiques, représentés par Beaumarchais, Dalayrac, Grétry, Chénier, Sedaine, et les directeurs de spectacles : la querelle fut terminée par le vote du décret du 30 août 1792, qui régla les conditions de la propriété des ouvrages dramatiques ; — le singulier projet élaboré par Vaublanc sur les récompenses militaires, qui faillit doter la France d’un burlesque pastiche du classique triomphe romain : « Il y aura, disait le projet, un grand et un petit triomphe. Dans le grand triomphe, le général sera sur un char orné des attributs de la victoire ; il portera sur l’uniforme de son grade un manteau aux couleurs nationales. Dans le petit triomphe, le général fera son entrée à cheval et ne sera point vêtu de l’habit de triomphateur » ; — la querelle entre Haüy, le fondateur de l’école des aveugles, et l’abbé Sicard, le fondateur de l’école des sourds-muets ; — la réclamation du comité de la section des Postes en faveur des filles de Sainte-Agnès, bonnes patriotes « qui ont toujours témoigné beaucoup d’attachement pour la constitution, ce qui leur attire la haine des réfractaires, qui désireraient les entraîner dans leur ruine » ; — le rapport de Pastoret sur la pétition du département de Paris pour l’établissement immédiat des écoles primaires et la suppression du tribunal de l’Université ; — le rapport de Gentil sur un secours à accorder à l’Académie de Dijon, « dont le nom seul doit rappeler des souvenirs chers à tous les vrais amis de la liberté : ce sont les programmes de cette Académie qui ont éveillé le génie de Rousseau » ; — les détails de l’organisation de la fête funèbre célébrée en l’honneur de Simonneau, maire d’Étampes, mort victime de son dévouement à la loi ; — les détails non moins intéressants relatifs à l’organisation de la fête de la Fédération du 14 juillet 1792, etc., etc. Nous ne saurions omettre, dans cette rapide et bien incomplète énumération, la première apparition du télégraphe aérien, dont le créateur Claude Chappe présente son invention à l’Assemblée le 22 mars 1792 ; ainsi que les travaux entrepris pour l’établissement du système métrique, en particulier la mesure d’un arc de méridien de Dunkerque à Barcelone, confiée à Méchain et à Delambre : on lira avec intérêt la lettre par laquelle le Comité d’instruction publique recommandait Delambre à la bienveillante sollicitude des autorités du département du Loiret, le 16 juin 1792.

Les nombreuses pièces qui, n’ayant pu être rattachées à une séance particulière, ont été groupées dans un Appendice, contiennent en foule des renseignements curieux et inédits. Ce sont, par exemple, des lettres de religieux ou de religieuses, dont les auteurs tantôt protestent contre la « tyrannie » qui prétend leur imposer le serment civique, tantôt affirment leur sincère attachement à la nation et à la constitution. Une sœur de charité se plaint « de l’aristocratie de ses compagnes », et des persécutions auxquelles sont exposées de leur part les religieuses qui veulent se conformer aux lois : « le moyen le plus sûr pour remédier à un si grand mal serait de supprimer les supérieures générales, et de nous donner pour premier supérieur l’évêque de chaque département respectif ; sous de tels guides, nous ne serions plus en danger de transgresser les devoirs que nous impose notre sainte religion et les nouvelles lois du royaume, qu’on ne peut pratiquer l’une sans l’autre » ; un frère des écoles chrétiennes envoie par écrit à l’Assemblée son serment d’être fidèle à la nation, à la loi et au roi, et de maintenir de tout son pouvoir la constitution ; les Ursulines de Montluçon, tout au contraire, déclarent qu’on veut « faire violence à leurs pensées, opprimer leurs consciences », et que le serment qu’on leur demande est illégal ; les « citoyens catholiques romains » de Ligné et de Paimbœuf gémissent sur « les actes de despotisme exercés contre les bons prêtres » ; ils attestent leur inviolable attachement aux curés de leur choix, et l’horreur que leur inspirent « les évêques, les curés, les vicaires constitutionnels, rejetés de l’Église romaine ». Des documents émanant d’autorités constituées donnent l’historique du conflit relatif aux religieuses de l’hôpital de Valognes, de la fermeture du pensionnat tenu par les abbés Ducrozet et Montigny à Mâcon, des querelles soulevées au sujet du collège des Joséphites à Chalon, etc. On voit figurer encore, parmi ces pièces diverses, deux adresses rédigées par des collégiens ; une pétition de trois instituteurs de la Marne ; des adresses des jacobins de Ligny, d’Ambert, des Bouches-du-Rhône et du Gard ; un mémoire pédagogique écrit par un Allemand, M. d’Archenholtz, qui signe « ancien capitaine au service de Prusse sous Frédéric le Grand » ; et enfin l’émouvant procès-verbal de l’assassinat d’un prêtre constitutionnel par les chouans en l’an IV.

Il nous reste à parler brièvement de ce qui constitue plus particulièrement, dans ce volume, le travail personnel de l’éditeur, à savoir les notes, l’Introduction et l’Index.

Les procès-verbaux et les documents qui les accompagnent contiennent un nombre considérable de noms propres et d’allusions à des faits contemporains, à des décrets antérieurs, etc. ; il fallait, pour rendre ces textes intelligibles, des notes explicatives éclaircissant les points obscurs, renseignant le lecteur sur les personnages peu connus, les évènements, les menus incidents de toute nature, et permettant en outre de suivre, par un système continu de renvois, la discussion d’une même question d’un bout à l’autre des procès-verbaux. Quelle somme de recherches assidues, de travail patient et minutieux représente la rédaction de notes semblables, ainsi que des brèves notices biographiques qui s’y ajoutent souvent, il faut le demander à un Aulard ou à un Charavay.

Outre les notes placées au bas des pages, le volume contient une Introduction qui explique le sens et la portée des documents publiés. L’auteur y résume d’abord les travaux de la Constituante en matière d’instruction publique, et reproduit à ce propos une pièce si peu connue qu’on pourrait la qualifier d’inédite — une Notice de Camus sur les décrets de la Constituante concernant l’éducation et l’instruction publique, les sciences et les beaux-arts. Il donne ensuite quelques détails sur la création du Comité d’instruction publique, ses attributions, sa composition ; et énumère, pour terminer, les sources de renseignements que possèdent les Archives nationales sur l’œuvre de ce Comité.

L’Index alphabétique et analytique des matières, des noms de lieux et des noms de personnes, dont nous avons déjà parlé, a été fait sur le modèle des célèbres Tables de Camus pour les procès-verbaux des Assemblées de la Révolution. Un pareil index, on peut le dire, double la valeur d’une publication historique ; et il est bien à regretter que nombre d’historiens aujourd’hui reculent devant la fatigue et les frais d’un tel travail. Rien n’est plus long en effet et plus minutieusement délicat ; mais rien n’est plus précieux pour le lecteur. M. Guillaume a fait de son Index un chef-d’œuvre du genre, tant il a apporté de sûreté dans la méthode et de soin dans l’exécution.

L’ouvrage que nous venons d’analyser n’est pas, on l’a suffisamment compris, un livre de lecture courante destiné au grand public ; c’est surtout un recueil de documents à l’usage des travailleurs spéciaux ; et néanmoins il est vrai de dire que, sans connaissances spéciales, chacun pourra s’orienter dans ce gros volume, en parcourir, avec un plaisir pareil à celui que nous avons éprouvé nous-même, les pages les plus intéressantes, et y recueillir facilement sur bien des points des renseignement exacts, des notions vraies et des impressions justes à opposer, puisqu’il en est encore besoin, à la légende vivace, quoique absurde, du vandalisme révolutionnaire.

  1. Un volume grand in-8o, xxiv-540 pages. Imprimerie nationale et librairie Hachette.
  2. Voir la Revue pédagogique du 15 mai 1883, p. 427.
  3. Voir les jugements portés sur cette consciencieuse étude — complétée par les articles Conseil des Cinq-Cents, Conseil des Anciens, Livres élémentaires de la première République, Ecoles centrales, Consulat, et les biographies de Mirabeau, Sieyès, Daunou, Romme, Lepelletier, Lakanal, etc, — par M, Georges Pouchet (La loi du 29 frimaire, Paris, 1883, p. 12), par M. G. Compayré (Histoire de la pédagogie, p. 328), et tout récemment par un publiciste anglais, M. A. Jamson Smith (The educational work of the French revolutionists, mémoire publié dans les Proceedings of the Binningham Philosophical Society, 1889).
  4. Le taux des pensions accordées par le décret aux membres des congrégations variait de 900 à 1200 livres pour les hommes, de 500 à 700 livres pour les femmes.