Cinquième rapport sur une mission en Basse-Bretagne/Le roi qui voulait épouser sa propre fille


LE ROI QUI VOULAIT ÉPOUSER SA PROPRE FILLE.


Un roi d’Espagne perdit sa femme, et il jura qu’il ne se remarierait jamais, à moins qu’il ne trouvât une jeune fille à qui la robe de noces de la défunte reine siérait parfaitement. Sa fille, qui avait dix-huit ans, mit un jour, en jouant, la robe de sa mère, et elle lui allait à merveille, si bien que son père voulait l’épouser. Effrayée de ses instances, elle va consulter une sorcière qui lui dit de demander successivement au roi, pour gagner du temps, d’abord un habit couleur du ciel, puis un autre couleur de la lune, et enfin un troisième couleur du soleil. Son père vient à bout de lui procurer ces trois habits, l’un après l’autre, et avec beaucoup de peine. Alors elle quitte, de nuit, le palais, et, par le pouvoir de la sorcière, ses trois habits la suivent sous terre, dans une cassette. Elle devient gardeuse de dindons dans un château. Le fils du seigneur de ce château tombe amoureux d’elle. Afin de la connaître et de l’éprouver, il se rend dans une ferme attenante au château et s’entend avec le fermier et sa femme pour se faire passer pour une pauvre femme bien malade à qui ils ont donné l’hospitalité, par commisération. Il se fait mettre un lit dans un endroit obscur, sous prétexte qu’il ne peut souffrir la lumière.

Trois demoiselles nobles, qui désiraient toutes les trois l’épouser, le visitent là, successivement, sans le reconnaître, et lui font d’étranges aveux. La gardeuse de dindons vient aussi à son tour, et, trompée comme les autres et croyant parler à une pauvre femme, elle lui avoue qu’elle est fille du roi d’Espagne. Alors le jeune seigneur se fait reconnaître. Il épouse la prétendue gardeuse de dindons et le vieux roi, devenu plus sage, assiste aux noces de sa fille et cède sa couronne à son gendre.


On sait que Peau d’âne de Perrault est bâti sur les mêmes ressorts ; mais l’épisode de la ferme ne s’y trouve pas, ni non plus dans Straparole, qui a le même conte, à quelques différences près, nuit I, fable IV, sous le titre suivant : « Thibaud, prince de Salerne, veut espouser sa fille Doralice ; laquelle, estant sollicitée du père, arriva en Angleterre, où Genèse l’espousa et eut deux enfants d’elle, qui furent mis à mort par Thibaud, dont Genèse se vengea depuis. »

La même circonstance d’un père qui veut épouser sa fille se trouve dans l’Histoire de la belle Héleine de Constantinople, mère de saint Martin de Tours en Touraine et de saint Brice, son frère. On trouve encore une situation analogue dans un conte de Chaucer et dans un conte lithuanien intitulé : De la belle-fille d’un roi, dans le recueil de Schleicher, Lithauische Märchen, page 10. Il y a également dans Bonaventure Des Périers un conte dont l’héroïne, Pernette, présente plus d’un trait de ressemblance avec le conte de Perrault, Peau d’âne.