III.

A Don Michel Germain.

Pax Christi.

Mon Reverend Pere,

Notre Reverend Pere visiteur, qui part aujourd’hui d’ici où il a fait sa visite, pour l’aller faire à Bourdeaux, n’a pas trouvé bon que j’allasse à la Seauve[1], mais bien à la Grasse[2], où il y a de quoi travailler, sans compter cinq autres monastères qui n’en sont qu’à une journée, savoir : Narbonne, Saint-Chinien[3], Caunes[4], Soréze[5] et Montolieu[6]. Je vous offre mes services en ce pais la. Je suis d’avis de faire d’abord des chroniques et de faire des remarques pour le Gallia christiana. Je vous prie de m’envoyer à La Grasse notre histoire françoise de la Seauve[7], de faire souvenir dom Jean Mabillon de la reponse qu’il doit à M. Labenazie, chanoine de Saint-Capraise, à Agen[8], et de me faire reponse à ce que je demandois à D. Jean Mabillon touchant nos histoires de saint Maurin et de saint Tiberi, savoir si le raisonnement par lequel je prétends (chapitre III de l’Histoire de saint Maurin[9] que cette abbaye a été fondée par quelque seigneur de la maison de Bearn est bon, si les preuves que j’apporte du temps de la fondation de Saint-Tiberi (chapitre I) et de la donation du même monastère faite au pape Serge II par Pépin le Jeune se peuvent soutenir. Je voudrois bien que quelqu’un parcourut ces deux histoires, et m’en dit nettement ce qu’il en penserait. Je reviens à M. Labenazi. Il m’a fait voir une lettre d’un homme savant de ce pais, qui lui écrit qu’il a veu à Moissac le manuscrit de Lactance de M. Baluze[10], et qu’il y a trouvé les vies de saint Léger, de saint Odilon, etc., la translation de saint Benoist en France, etc., Cela lui fait soubçonner que ce manuscrit tout entier est d’une main bien récente, au respect de Lactance et partant suspect pour ce qui le regarde[11]. Il voudroit bien que quelqu’un le vit et l’en éclaircit, Quant à l’histoire de saint Maurin, il répond que si toutes les anciennes légendes de ce pays ont été brulées, il faut s’en tenir à la tradition. Faites moi, je vous prie, reponse à La Grasse, pour ce qui me regarde, à M. Labenazie, comme dessus, à Agen, pour ce qui le touche, et me croiez,

Mon reverend Pere,
Vostre très humble et très obéissant confrère,
F. Estienne Du Laura.
À Saint-Maurin, ce 5 aoust 1692.
M. B.[12]
Mes baise-mains à D. Jean Mabillon,

On m’a dit que les messieurs de Sainte-Marthe travaillent à un nouveau Gallia christiana. Je vous prie de me l’apprendre[13].

Au Révérend Pere Dom Michel Germain, religieux bénédictin, en l’abbaye de Saint Germain des Prés, à Paris[14].

  1. Aujourd’hui commune du département de la Gironde, arrondissement de Bordeaux, à 21 kilomètres de cette ville. On y admire les belles ruines de l’ancienne abbaye bénédictine.
  2. Chef-lieu de canton de l’arrondissement de Carcassonne, à 35 kilomètres de cette ville. Là aussi de vastes constructions rappellent le monastère des enfants de Saint-Maur, monastère auquel a été récemment consacrée une sérieuse monographie.
  3. On écrit maintenant Saint-Chinian. C’est un chef-lieu de canton de l’arrondissement de Saint-Pons, à 80 kilomètres de Montpellier.
  4. Caunes est une commune de l’arrondissement de Carcassonne, à 22 kilomètres de cette ville. La remarquable église de Caunes est l’ancienne chapelle de l’abbaye des Bénédictins. Comme La Grasse, Caunes a été l’objet d’une notice historique.
  5. Commune du département du Tarn, arrondissement de Castres, à 17 kilomètres de cette ville.
  6. Commune du département de l’Aude, arrondissement de Carcassonne, à 18 kilomètres de cette ville.
  7. Le manuscrit autographe de cette histoire, qui faisait partie des archives de l’archevêché de Bordeaux, a disparu depuis une quarantaine d’années. En voici le titre complet Histoire de l’abbaye de la Sauve-Majour Entre-Deux-Mers, devisés en cinq livres, et comprenant la vie de saint Gérard. L’abbé Cirot de la Ville a fort utilisé ce travail dans son Histoire de l’abbaye et congrégation de Notre-Dame-de-la-Grande-Sauve (Paris et Bordeaux, 1841, 2 vol. in-8o). On conserve dans les archives municipales de la Sauve une copie presque complète de l’ouvrage de Dom Du Laura. Il serait bien désirable que cette copie fût livrée à l’impression, en attendant que la Société des archives historiques du département de la Gironde publie les Cartulaires de l’abbaye de la Sauve, possédés par la bibliothèque de Bordeaux et qui nous sont promis depuis si longtemps.
  8. Sur Bernard Labenazie, né à Agen en 1635, mort en 1724, d’abord chanoine de Saint-Caprais, puis prieur de ce chapitre collégial, voir l’excellente Bibliographie générale de l’Agenais, par M. Jules Andrieu (Paris et Agen, 1887, grand in-8o, tome II, p. 4-6). Labenazie fournit diverses notes sur les évêques d’Agen aux auteurs du Gallia christiana, lesquels ont payé ses communications par une très flatteuse épithète Clarissimi D. de la Benazie, (tome II, pp. 893-894).
  9. L’histoire de l’abbaye de Saint-Alaurin, rédigée par Dom Du Laura, en 1673, est à la Bibliothèque nationale, fonds latin 12, 829 (f° 133 et s.). Cette histoire fait suite à des annales très détaillées du même monastère, écrites en latin de la main du même auteur et intitulés Chronicon monasterii Sancti Maurini martyris ordinis sancti Benedicti diœcesis Agennensis.. On a de plus, dans le manuscrit Latin 13893, une histoire de l’abbaye en latin, tout entière de la main d’Étienne Du Laura, qui, selon une très vraisemblable conjecture de M. L. Delisle, pourrait bien être une première rédaction de l’histoire française, histoire dont je me propose de donner une édition réduite, comme je l’ai fait jadis pour l’Histoire du prieuré de Sainte-Livrade, par Dom Gaspard Dumas, Notice sur le prieuré de Sainte-Livrade d’après un manuscrit de la Bibliothèque Impériale (Agen, 1869, dans le recueil de Monographies historiques publiées sous les auspices du Conseil génèral de Lot-et-Garonne).
  10. Voir sur la découverte du manuscrit de Lactance la notice et les notes qui accompagnent Trois lettres inédites de l’abbé de Foulhiac [auteur de la découverte] à Baluze, [l’éditeur du traité De mortibus persecutorum]. Auch, 1865, in-8o.
  11. La délicate question soulevée ici mériterait d’être examinée de nouveau et d’une manière approfondie, définitive, par un critique d’autant de savoir que de sagacité. Me sera t-il permis d’ajouter que je pense, en écrivant ces lignes, a un des nouveaux membres de l’Académie des Inscriptions, M. l’abbé Duchesne, qui a déjà étudié avec tant d’indépendance et résolu avec tant de bonheur de difficiles et redoutables problèmes de littérature ecclésiastique.
  12. Sur Étienne Du Laura, mort au monastère de Saint-Sever-Cap, en Gascogne, le 13 avril 1706, voir les Prieurs claustraux de Sainte-Croix, de Bordeaux, par Ant. de Lantenay (Bordeaux, 1884, grand in-8o, pp. 85-86). Le savant biographe signale, d’après l’Histoire [inédite] de da congrégation de Saint-Maur, par Dom Edmond Martène (en la bibliothèque de l’abbaye de Solesmes) un manuscrit en deux volumes in-fo, de Dom Du Laura, conservé autrefois à Saint-Germain-des-Prés : Recueil de prières pour servir à l’histoire de l’Ordre de Saint-Benoît, en France, rangées par ordre alphabétique des noms des monastères de cet Ordre.
  13. Ce ne fut qu’en 1710, date mémorable, que Dom Denis de Sainte-Marthe fut chargé par l’assemblée du clergé de refondre le Gallia christiana, dont il fit un ouvrage nouveau (1715-1728).
  14. La lettre autographe est annexée au volume 12,829 du fonds latin. Si elle est adressée à Dom Michel Germain, c’est que ce dernier était le directeur général des travaux relatifs à l’admirable entreprise du Monasticon gallicanum, entreprise au sujet de laquelle il y a trois publications célèbres à citer, celles de M. Louis Courajod, de M. Léopold Delisle, et de M. Peigné-Detacourt.