Chronique de la quinzaine - 31 août 1837

Chronique no 129
31 août 1837


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.
Séparateur



31 août 1837.


La question de la dissolution de la chambre se trouve entièrement absorbée en ce moment par les affaires extérieures. L’Espagne, le Portugal, la Sicile et Naples se présentent dans l’ordre politique avec des complications nouvelles. Heureusement, le calme qui règne en France, l’esprit d’ordre et de conservation qui y domine, permettent au ministère de tourner toute son attention vers les pays où l’horizon semble se rembrunir.

Quelques journaux ont trouvé moyen de se plaindre à la fois de l’inactivité et de l’esprit d’intrigue de notre diplomatie, de son peu d’influence en Espagne et en Portugal, et en même temps de la part qu’elle a prise, dit-on, aux derniers mouvemens politiques qui se sont opérés dans ces deux royaumes. Il ne serait pas difficile de repousser ces doubles reproches, les journaux qui parlent ainsi se répondant à eux-mêmes, et se réfutant involontairement les uns les autres. Il est bon cependant d’ajouter que toutes les lettres des hommes impartiaux et bien informés s’accordent à reconnaître que M. de Latour-Maubourg n’a pas pris à l’affaire d’Espartero la part qu’on lui attribue dans cette tentative, et qu’il ne s’est écarté en rien de la ligne que s’est tracée jusqu’à ce jour le gouvernement français. Si dans l’extrémité où l’avait réduite la démission de son ministère, la reine s’était adressée à l’ambassadeur de France, comme on l’a prétendu, M. de Latour-Maubourg se serait bien gardé de lui donner le moindre conseil, de lui indiquer un nom, de lui montrer du bout du doigt le chemin à suivre. C’eût été compromettre son gouvernement ; c’eût été témoigner à un homme, à un parti, une sympathie que cet homme, ce parti, auraient pu mal interpréter ; c’eût été préparer à la France de nouveaux embarras. Aussi M. de Latour-Maubourg, quoi qu’on en ait dit sur la foi de correspondances équivoques, s’est-il abstenu en cette circonstance, comme il s’est abstenu en toute autre. Plusieurs fois sondé depuis dix mois, au nom d’hommes considérables, sur des projets de réaction, pour savoir si l’appui de la France leur serait acquis, il les a toujours réprouvés, afin de ne pas lier la politique de la France, envers l’Espagne, au triomphe ou à la chute d’aucun parti, et pour maintenir son gouvernement dans cette attitude de neutralité bienveillante où il se renferme depuis la révolution de la Granja. En agissant autrement, et quand bien même il aurait pris toutes les réserves imaginables, l’ambassadeur de France aurait encouragé, malgré lui, un espoir qui ne devait pas se réaliser ; on y aurait vu, malgré toutes ses protestations, la perspective d’un changement de politique, et son intervention aurait été plus funeste qu’avantageuse à la cause de la reine, et au peu d’influence que nous pouvons encore vouloir conserver dans les affaires d’Espagne.

Abandonnée à elle-même, car ce n’est pas non plus l’Angleterre qui lui a donné le moindre conseil au milieu de cette crise, la reine a pu remettre les modérés, les partisans du statut royal, en possession du ministère. Ils se sont présentés ; ils lui ont fait leurs propositions ; ils ont dit à quelles conditions ils prendraient les cartes dans un moment où la partie était si compromise, et pour peu qu’ils aient de sens, ils ont dû ajouter que même à ces conditions-là, ils n’étaient pas sûrs de la gagner. Or, voici leur programme : Considérer comme non-avenu tout ce qui s’était fait depuis la révolution de la Granja, dissoudre les cortès, en convoquer d’autres, ressusciter la chambre des proceres, et confier à la législature ainsi composée le soin d’élaborer une nouvelle constitution. C’était beaucoup à la fois ; la reine pensa que c’était trop, et remercia les modérés qui ne l’étaient guère dans leurs prétentions, pour nommer un ministère qui voulût bien prendre le pays, les hommes et les choses au point où tout cela en était, sans reculer d’un an, puisqu’aussi bien les conséquences de cette année, les faits accomplis, les revers essuyés, ne se pouvaient anéantir. Elle a cru, avec raison, que dans l’état actuel de l’Espagne les questions constitutionnelles n’avaient aucune importance, que le plus pressant n’était pas de rétablir la chambre des proceres, mais de rendre quelque confiance à l’armée, de tranquilliser certaines provinces sur leurs intérêts industriels, d’éloigner les carlistes de Madrid, et de trouver de l’argent, si c’était possible. D’ailleurs la reine a dû penser que le parti modéré n’était pas à craindre, qu’il lui suffirait de ne plus voir M. Mendizabal aux affaires pour se rallier au gouvernement, et qu’il serait toujours temps de l’y faire entrer, si la chute du ministère de la Granja n’était pas le signal d’un nouveau soulèvement.

Nous savons que bien des gens, qui se croient de profonds politiques, haussent les épaules à chaque nouvelle qui arrive d’Espagne, et se croient dispensés d’en rien prendre au sérieux. Pour nous, c’est une indifférence que nous ne comprendrons jamais. Il faut, hélas ! quoi qu’on en ait, prendre au sérieux tout ce qui se passe en Espagne. Qui que nous soyons, nous y sommes intéressés malgré nous, et c’est en vain que les évènemens semblent tendre à nous dégoûter de l’Espagne, à en détacher nos esprits et nos yeux, c’est toujours une question française ; c’est toujours, sous un double point de vue, une question de prépondérance ou d’humiliation pour notre politique ; c’est la robe de Nessus attachée à nos flancs, quelques efforts que nous ayons faits pour la secouer, depuis que la reine d’Espagne a reçu d’un envoyé français, le lendemain de la mort de Ferdinand VII, le solennel témoignage de l’intérêt que lui portait la France.

Les évènemens du Portugal présentent les mêmes complications. On a voulu également y reconnaître une influence étrangère. Là comme à Madrid un chef de corps est soupçonné d’agir secrètement avec le pouvoir royal pour changer la forme de la constitution. L’intervention anglaise terminerait-elle cette lutte ? Assurément, si la diplomatie française déploie à Lisbonne quelque activité, c’est sans doute pour empêcher ce principe de s’y exercer ; car la France sera aussi forte, et se montrera aussi influente au dehors en arrêtant les interventions étrangères, de quelque nature qu’elles soient, qu’en intervenant elle-même d’une façon active. Empêcher par sa médiation amicale l’intervention de l’Angleterre en Portugal, arrêter par ses négociations tout projet d’intervention en Sicile et à Naples, ce serait là remplir toutes les conditions du système de modération que la France s’est imposé jusqu’à ce jour. C’est là sans doute aussi ce qu’elle fait en ce moment.

À en croire quelques journaux légitimistes, l’Europe, pour nous servir d’une expression romantique, l’Europe craquerait encore d’un autre côté. On affecte de grandes inquiétudes pour la santé du roi de Suède, afin de rappeler les prétendus droits d’un jeune prétendant à la couronne de Wasa. Le prince Wasa, comme on l’appelle, et qui est tout simplement un prince de la maison de Holstein-Eutin, se trouverait appelé au trône, non pas seulement par la protection de l’Autriche et de la Russie, mais par les vœux des états et du peuple. Si ces pensées ont été conçues de bonne foi, nous pouvons rassurer ceux qui les ont adoptées. Ce n’est pas à l’avénement d’un jeune prince, aujourd’hui tout-à-fait inconnu en Suède, et dont le mérite est bien peu propre, dit-on, à le tirer de l’oubli, que doit aboutir le règne du roi de Suède actuel, long règne qui a été consacré tout entier à la prospérité du pays. La France n’a trouvé qu’un reproche à faire au roi Charles-Jean, c’est celui d’avoir été trop Suédois depuis son adoption par la Suède, et ce ne seront certainement pas les Suédois qui le puniront, dans la personne de son successeur, du dévouement absolu qu’il a montré à sa seconde patrie. Les bruits que nous relevons ne sont pas d’une extrême importance ; mais ils dénotent une activité nouvelle dans le parti légitimiste, qui espère vainement ressaisir dans les élections une position perdue, et cherche inutilement des points d’appui dans toute l’Europe.

Le ministère a bien fait de pousser avec énergie et persévérance les préparatifs de l’expédition de Constantine, pendant qu’on discutait les propositions d’Achmet-Bey. En effet, les négociations entamées avec lui ont été rompues au moment où l’on s’y attendait le moins, par un caprice inexplicable, si toutefois il n’est pas plus naturel de supposer que ce chef voulait gagner du temps et ne cherchait qu’à suspendre, par des offres trompeuses, les envois de troupes et de matériel en Afrique. Si c’était là son but, il l’a manqué complètement ; car, depuis quelques mois, on n’a pas perdu une minute pour assurer le succès de l’entreprise et pour être en mesure de commencer l’expédition dans la saison favorable. M. le duc d’Orléans a pris part aux derniers conseils tenus sur cette grande question, et on annonçait hier qu’il était sur le point de partir pour l’Afrique, où il devait prendre le commandement de l’expédition. Mais alors il n’y avait encore rien de résolu, et aujourd’hui, au moment où nous écrivons ces lignes, il est décidé que M. le duc d’Orléans n’ira point exposer à la carabine d’un Kabyle une existence qui est devenue doublement précieuse. L’ordre d’entrer en campagne a dû être expédié au général Danremont. Espérons qu’il aura bientôt vengé l’injure de la France et rétabli en Afrique l’honneur de nos armes !

On a dit que les doctrinaires s’opposaient à la dissolution de la chambre, et qu’ils s’étaient efforcés de faire repousser cette mesure en haut lieu. Il est notoire qu’une rencontre, que le Journal de Paris nous donne comme fortuite, rencontre qui a eu lieu à l’heure de dîner, dans une taverne célèbre, a fait, pendant quelques jours, le sujet de toutes les conversations. Le Rocher de Cancale ressemblait assez, ce jour-là, à l’auberge où Candide, d’innocente mémoire, rencontra les trois rois qui venaient uniquement pour passer le carnaval à Venise. C’est ainsi que M. Guizot, M. le duc de Broglie et M. Duchâtel, partis au hasard de trois points différens, pour venir respirer un peu d’air politique à Paris, se trouvèrent à une même table, où se discutèrent de graves questions. Dans ce temps de disette en fait de nouvelles intérieures, on a longuement commenté les propos de ces trois éminens convives. Nous ne pensons pas que le ministère ait été ébranlé des suites de ce dîner. On croit savoir toutefois que la dissolution de la chambre a paru un incident favorable aux chefs du parti doctrinaire, et qu’ils s’occupent activement de renforcer leur minorité dans la chambre. On dit même qu’un d’eux aurait déclaré que si le ministère actuel n’opérait pas la dissolution, elle se ferait par un cabinet doctrinaire. Voilà donc un point sur lequel tombent d’accord tous les partis.

Nous ne dissimulerons pas au ministère une impression dont se sont trouvés frappés ceux-là même qui éprouvent le plus de sympathie pour ses actes, et qui approuvent la ligne qu’il a suivie jusqu’à ce jour. Une feuille qui depuis quelque temps s’est vouée à défendre les actes du ministère, a adressé, au sujet des futures élections, une sorte de manifeste aux doctrinaires, et comme une invitation ministérielle de se présenter dans les colléges électoraux, en leur donnant l’assurance que le ministère verra leur élection, non pas seulement sans déplaisir, mais avec une sorte de satisfaction. Quel pourrait être le but de cette agacerie ministérielle ? De calmer les doctrinaires, de les attirer à soi ? Mais ne sait-on pas que la qualité la plus précieuse des doctrinaires est d’être implacables, de ne jamais céder à ceux qui leur tendent la main, et de ne transiger qu’avec une force supérieure à celle dont ils disposent ? Le caractère du parti est si authentiquement établi, qu’on a été tenté de croire que le cabinet actuel tendait vers la doctrine, et se disposait à lui céder la place, — ou du moins quelques places dans le ministère. Il n’en est rien cependant. Assurément, M. Molé, qui a si énergiquement et si noblement lutté avec M. Guizot, et dont la politique s’est de plus en plus séparée, par l’amnistie et par tant d’autres, actes, du système doctrinaire, n’est pas disposé à prendre la route où il a refusé de s’engager, il y a quelques mois. Serait-ce M. de Montalivet qui ouvrirait ainsi la porte du ministère à M. Guizot et à quelques-uns de ses amis ? Mais M. de Montalivet n’a-t-il pas refusé, aussi positivement que M. Molé, de coopérer à la formation d’un cabinet doctrinaire ? M. de Montalivet ne demandait-il pas, lors de la dernière crise, que M. Guizot consentît à rester au ministère de l’instruction publique, et que les deux portefeuilles si importans de l’intérieur et des affaires étrangères fussent en des mains qui n’eussent pas été disposées à s’en dessaisir en faveur des doctrinaires, ministres ou non ? On ne peut douter que toutes ces appréhensions ne soient chimériques ; mais il est important pour le ministère de les dissiper, car elles ne manqueraient pas de jeter le découragement dans les colléges électoraux, et elles pourraient, si elles étaient habilement entretenues, amoindrir ou même dissiper des majorités qui lui sont acquises, s’il persévère loyalement, comme nous n’en doutons pas, dans la voie qu’il a suivie avec tant de succès jusqu’à ce jour.

Ce serait, en vérité, faire trop beau jeu au parti doctrinaire, que de le compter aujourd’hui parmi les nécessités de la session prochaine. Que demandait ce parti ? Que promettait-il au pays en échange des lois de rigueur, des destitutions, des coups d’état dont il le menaçait ? La paix, l’ordre, le respect des lois (d’exception !), le repos. Toutes ces choses sont venues sans coups d’état, sans destitutions, sans lois de rigueur. Elles sont venues par des moyens tout contraires à ceux que le parti doctrinaire avait proposés dans les conseils du roi. Elles sont venues par une amnistie, acte réprouvé par les doctrinaires et regardé par eux comme le signal de la chute de la monarchie ; elles sont venues par un système de tolérance et de conciliation, système tout opposé aux grands moyens d’intimidation conçus par M. Guizot et ses amis. Ces actes ne pouvaient avoir lieu, selon les doctrinaires, qu’au moyen de larges concessions fatales à la monarchie de juillet, par un abandon de tous les principes qui ont soutenu le gouvernement depuis le 13 mars, par l’oubli de la politique qui maintint la paix et l’ordre dans le pays depuis le ministère de Casimir Périer. Ces actes ont eu lieu, et les principes n’ont pas été toutefois abandonnés ; aucune grande concession politique n’a été faite ; les lois de septembre, que nous avions nous-mêmes jugées trop rigoureuses, n’ont pas été abandonnées ! Les tentatives contre la personne royale ont cependant cessé ; la licence de la presse a pu être réprimée sans loi d’exception, l’anarchie prévenue sans une destitution de fonctionnaires en masse. La paix, l’ordre, se sont consolidés, uniquement parce que l’acrimonie a disparu du pouvoir. Et aujourd’hui, quand cet heureux changement s’est accompli, quand on a passé sans secousse de l’état si alarmant où le ministère doctrinaire avait jeté l’opinion publique, à la situation calme et rassurante où nous nous trouvons aujourd’hui, on songerait à rappeler au pouvoir ceux qui n’ont su ni reconnaître le mal, ni appliquer le remède ; on concevrait l’idée de partager avec eux ce pouvoir, qui disparaissait, dans leurs mains, à force de secousses ! Ce n’est assurément ni un membre du cabinet actuel, ni un de ses amis sincères, qui a pu concevoir une telle pensée. Il se peut que quelques-uns des membres les plus influens du parti doctrinaire entrent à la chambre dans les prochaines élections ; mais le ministère ne concourra certainement à l’élection d’aucun d’eux, et ceux qui ne pourraient avoir de majorité dans les colléges qu’avec l’appui du ministère, resteront en arrière, nous ne pouvons en douter. Le ministère sait bien que chaque doctrinaire qu’il appuierait lui coûterait dix voix, et qu’il ne gagnerait même pas celle du doctrinaire qu’il aurait fait nommer.

En fait de suppositions injustes, il nous resterait encore beaucoup à dire. Nous dira-t-on, par exemple, le juste degré d’impudence où sont arrivés quelques journaux français ou étrangers, qui ont affirmé, avec toute l’honnêteté et la sincérité dont ils sont susceptibles, que M. Gretsch, conseiller de l’empereur de Russie, s’était fait introduire près des rédacteurs du Journal des Débats et de la Revue des Deux Mondes pour faire agréer quelques-uns de ses articles politiques sur la Russie, soumis à la censure russe ? Nous ne connaissons M. Gretsch que pour l’avoir vu une fois dans nos bureaux, où il ne s’est fait introduire par personne. M. Gretsch s’est présenté à nous en présence de plusieurs témoins. Il nous a offert quelques articles littéraires que nous n’avons ni refusés ni acceptés, parce que nous ne les avons pas vus ; il n’a jamais été question de traité entre lui et nous, et nous avons lieu de croire qu’il en a été ainsi au Journal des Débats, où M. Gretsch n’a peut-être jamais paru, et où il n’a été présenté par personne. Toute assertion contraire à ce que nous avançons ici est fausse, mensongère, inventée à plaisir, et nous défions tous les journalistes de ce côté du Rhin et de l’autre de citer un seul fait à l’appui de leurs calomnies. Nous avons inséré dernièrement un mémoire d’un de nos collaborateurs, fait consciencieusement, signé de lui, et fruit d’un long voyage. Il est vrai que dans ce mémoire, l’auteur n’avait pas jugé à propos, pour plaire à quelques prétendus libéraux, de traiter l’empereur Nicolas de Cosaque et de Tartare ; mais il prouvait, avec des formes convenables et polies, que la Russie, gênée par les dépenses exorbitantes de sa flotte, par les suites de ses guerres en Pologne et en Orient, engagée, depuis peu, dans la voie du crédit public où elle n’avait pas encore fait un seul pas avant ce règne, ne peut s’ériger en arbitre violent et despotique des puissances européennes. C’était démontrer que la France est libre d’agir comme bon lui semble en Espagne et en Afrique, qu’elle ne doit écouter que la voix de ses intérêts nationaux, et ne pas redouter les volontés hautaines d’une puissance qui ne domine ni l’Autriche, ni la Prusse, comme on l’a cru, et qui a assez d’embarras intérieurs pour ne pas s’en créer capricieusement de plus grands au dehors. Voilà le pamphlet russe qui a été victorieusement réfuté, à coups d’injures et de calomnies, par d’honorables publicistes qui n’ont pas daigné le lire, et qui nous a valu des accusations dont nos lecteurs feront, comme nous, justice par le dédain. Nous continuerons désormais nos publications sans répondre à ces lâches turpitudes ; nos investigations se porteront, avec impartialité, sur la Russie, comme sur l’Espagne, sur l’Italie et tous les états dont nos collaborateurs ont pu apprécier la tendance et la situation ; mais on peut être assuré que ces articles ne seront jamais soumis à aucune censure, russe ou prussienne, et que ce n’est pas à des voyageurs ou à des fonctionnaires étrangers que nous nous adresserons jamais pour la rédaction de nos travaux politiques.


— La présence du roi à la distribution des prix du concours général a donné à cette solennité un éclat et un intérêt inaccoutumés. Il faut féliciter le ministère de s’être associé au mouvement qui a porté Louis-Philippe à venir prendre sa part, comme tous les pères des enfans couronnés, de cette fête de tant de familles. Quant au ministre qui la présidait, ç’a été une bonne fortune, et nous dirions presqu’un admirable exorde en action, pour son beau discours sur le travail, que l’arrivée inattendue du roi, roi par le travail, venu à une distribution de prix pour y voir couronner deux de ses fils, les premiers aussi d’entre leurs concurrens par le travail. Le discours du ministre, grand-maître de l’Université, a été digne de l’auditoire tout entier. Des pensées libérales, fermes, élevées, exprimées dans un bon langage ; notre civilisation célébrée avec une heureuse concision ; l’égalité, fruit du travail, proclamée par la loi le principe vital de la société française ; des hommages sincères plutôt que des flatteries officielles au roi, lequel était loué pour les services et les labeurs qui l’ont fait roi, plutôt que pour cette grandeur matérielle, indépendante de la personne, où la flatterie va toujours s’inspirer ; une émotion modeste et une sensibilité vraie, en prononçant des paroles venues du cœur, toutes ces choses ont fait écouter le discours de M. de Salvandy avec une sympathie et une confiance qui imposent au ministre de l’instruction publique de graves obligations pour l’avenir.

Il faut, en ce qui le regarde particulièrement, qu’il tienne les promesses solennelles qu’il a faites au travail au nom du gouvernement dont il est membre ; il faut que le travail trouve en lui protection et garantie ; il faut que le talent et les services, appréciés par les juges compétens, et non pas exagérés par la banale complaisance des recommandations, se voient faire toute la place qu’il est possible qu’on leur fasse dans notre société encombrée, où il y a cent concurrens pour une position. Même dans cet encombrement, qui n’est la faute de personne, un ministre équitable et laborieux peut faire beaucoup de bien, et de deux manières : d’une part, en élargissant l’horizon devant tous ceux qui, parmi les hommes de mérite, en ont le plus ; et d’autre part, en laissant à tous ceux qui demeurent momentanément en dehors de l’avancement, l’opinion que l’administration n’a rien négligé pour les y faire entrer.

M. de Salvandy paraît vouloir que son discours soit regardé dans l’Université comme le programme de sa conduite. Outre plusieurs mesures de détail, et, en général, une grande activité dans l’exercice de ses fonctions, il vient d’ouvrir la voie des améliorations par un acte qui pourrait passer pour la première et la plus urgente de toutes, et qui ne peut avoir une médiocre portée. Il s’agit de l’entrée des inspecteurs-généraux dans le conseil royal. C’est un retour au décret de 1808, et une remise en vigueur de cette disposition si sage et si féconde qui admet au droit de délibération, dans les hauts conseils de l’Université, ceux qui en voient de plus près et périodiquement la marche générale et le détail. Quelques jours après la distribution des prix du grand concours, ces fonctionnaires ont été invités à venir, en conseil royal, lire et discuter leurs rapports. Cette admission, qui paraissait ne devoir être que temporaire, plusieurs séances consécutives en ont déjà fait une sorte de collaboration régulière et amiable entre les inspecteurs-généraux et les membres du conseil royal. Nous ne voyons pas qui pourrait s’effaroucher d’une semblable mesure. Elle ne peut pas créer d’embarras sérieux, tout au plus peut-il en résulter un surcroît de travail ; mais qui oserait, pour un pareil motif, y faire une opposition déclarée, surtout aux yeux de tout le corps enseignant, dont l’état exige tant de travaux pour de si médiocres salaires ? C’est donc une bonne mesure que celle qui n’a que des inconvéniens dont personne ne peut se plaindre sans s’accuser soi-même, et qui offre d’ailleurs, pour quiconque veut y penser un moment, tant d’avantages. Aussi tous les professeurs, sans exception, ont-ils applaudi à la mesure prise par M. de Salvandy dans l’intérêt de tout le monde : dans celui du corps enseignant, pour qui c’est une nouvelle garantie ; dans celui du conseil royal, dont l’autorité, comme toutes les autorités raisonnables, se fortifiera par ce contrôle intérieur, et qui profitera d’ailleurs de la popularité des actes qui en résulteront ; enfin dans celui du ministre lui-même, qui, en s’éclairant ainsi de tant de lumières réunies, se met à l’abri des erreurs du premier mouvement et échappe à l’obsession des demandes sans titre et des ambitions sans droits.


La Maison rustique du dix-neuvième siècle est arrivée à ses dernières livraisons, avec un succès qui s’accroît chaque jour. La place de cet excellent recueil est désormais marquée. Il vient remplir le vide laissé dans l’enseignement pratique de l’agriculture et des sciences qui en sont l’accessoire obligé. L’ancienne Maison rustique de 1755, on le conçoit sans peine, ne pouvait plus offrir, en 1837, une grande sûreté de savoir sur beaucoup de points ; elle se taisait complètement sur un plus grand nombre d’autres que la science a de nos jours créés et perfectionnés. La Maison rustique du dix-neuvième siècle honore, par son exécution, les savans et les praticiens qui y ont concouru, et dote le pays de l’un des ouvrages les plus précieux qui aient paru depuis long-temps.