Chronique de la quinzaine - 30 septembre 1862

Chronique n° 731
30 septembre 1862


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




30 septembre 1862.


Si quelques-uns, importunés de la confusion et du long trouble des affaires d’Italie, avaient pu se figurer que la question romaine cesserait bientôt d’être la plus urgente préoccupation et le plus grand souci de la France lassée, une telle illusion ne saurait tenir devant l’importante publication faite par le Moniteur la semaine dernière. Nous ne nous étions pas attendus, pour notre part, à voir si tôt confirmées par des documens officiels de cette gravité les considérations que nous présentions, il y a quinze jours, et sur la nécessité d’une prompte et radicale solution de la question romaine, et sur les effets des perplexités bien naturelles de l’empereur.

Le gouvernement vient de nous mettre au courant de la dernière phase diplomatique de la question romaine. Cet acte curieux de la comédie italienne contemporaine s’est passé entre le 20 mai, date de la lettre de l’empereur à M. Thouvenel, et le 24 juin, date de la réponse de M. de Lavalette à la dépêche de notre ministre des affaires étrangères. Cela peut s’appeler l’effort suprême ou la dernière formalité de la conciliation impuissante. « Il ne s’agit plus, écrivions-nous naguère, dans le parti qu’il faut prendre aujourd’hui, de témoigner d’un attachement abstrait à la révolution ou d’une sympathie générale pour l’église catholique, attachement et sympathie qui, dans la région des abstractions et des généralités, se peuvent accorder sans peine : il s’agit au contraire de se prononcer directement pour l’une et directement contre l’autre. Il faut dire : Je ne veux pas que l’Italie se constitue dans l’unité, parce que je veux que les papes demeurent souverains de Rome en vertu d’une légitimité qui nie les droits des peuples; ou bien il faut dire : Je veux que l’Italie existe dans la forme qu’elle a choisie, et je veux pour cela que la papauté n’ait plus de royaume en ce monde. » La lettre de l’empereur nous montre que le 20 mai la pensée du souverain n’abordait point cette rigoureuse conséquence et demeurait encore dans la région de la conciliation abstraite, générale, théorique, où l’on peut, avec une bienveillance également pondérée, faire sa part à chacun, — à la théocratie catholique comme à la civilisation moderne. A nos yeux, du reste, les chances raisonnables de succès faisaient si absolument défaut à la tentative du 20 mai, que nous nous croyions autorisés pleinement à rester dans le doute au sujet de la qualification qu’il convient de lui donner : effort suprême ou dernière formalité. Pour se convaincre du peu de fondement qu’avait en pratique cette combinaison, il n’y a qu’à considérer l’hypothèse de l’acceptation de Rome. Certes, si, au lieu de faire de la revendication de l’intégralité de son domaine temporel une question de principe, et par conséquent de conscience et d’honneur, sur laquelle il n’est pas permis de transiger même en simagrée, la cour romaine eût simplement voulu faire de la politique et jouer au plus fin, il est quelqu’un qui eût été bien attrapé, et ce quelqu’un, c’est nous-mêmes. L’assentiment de la cour de Rome ne suffisait pas en effet à tirer notre combinaison des limbes : pour lui donner corps, pour la réaliser, il y avait une adhésion non moins indispensable, c’était celle de la cour de Turin et de l’Italie. Nous voit-on, après le malencontreux succès que nous aurions obtenu au Vatican, chargés de la lourde gloire d’avoir enfin persuadé le saint-père et le cardinal secrétaire d’état, obligés de nous retourner vers l’Italie, prenant piteusement le chemin de Turin, et là, auprès d’un parlement qui a, par des votes réitérés, proclamé Rome capitale de l’Italie, auprès d’un ministère qui ne pourrait subsister un seul jour si la nation ne le croyait pas sincère dans l’aspiration vers Rome, prodiguant notre éloquence pour obtenir du gouvernement italien l’engagement vis-à-vis de la France de reconnaître les états de l’église et la délimitation convenue? Pour le coup, il y aurait eu de quoi forcer le roi Victor-Emmanuel lui-même à prendre la chemise rouge, comme il disait un jour à Naples devant un de nos amis. Après nous être mis à Rome dans la position la plus fausse, nous eussions été refusés net à Turin. Aujourd’hui, en montrant la résistance de la cour romaine à nos propositions, nous pouvons du moins nous tourner vers le libéralisme européen et lui dire : Vous avez raison; il n’y a rien à faire à Rome; on y rejette des concessions qui, à vos yeux, eussent paru l’abandon du principe révolutionnaire. Mais dans le cas contraire notre unique ressource eût été de faire la révérence aux cléricaux et aux partisans de la légitimité théocratique et de leur dire avec un triste mea culpa : C’est vous qui aviez raison; les Italiens sont impossibles; les plus belles combinaisons de paix viennent échouer contre leur ambition entêtée! Pie IX et le cardinal Antonelli nous ont donc tirés d’un mauvais pas et nous ont rendu un grand service par la fin de non-recevoir absolue qu’ils ont opposée à nos ouvertures. A la vérité, quant à nous, ce qui modérerait notre reconnaissance, si nous avions été au courant des propositions qui leur étaient adressées, c’est que nous n’eussions pas douté un instant que ce service, il n’était point en leur pouvoir de ne pas nous le rendre.

Il ne nous en coûte point en effet, dans les grandes luttes de principes. d’estimer chez nos adversaires la sincérité du caractère et l’inflexible droiture des convictions. Nous respectons donc le non possumus d’un pontife, lorsqu’à ses yeux les résolutions de la conduite sont tracées par l’idée qu’il se fait du devoir, car nous respectons à travers le jugement qui peut se tromper la conscience qui ne veut pas errer. À ce seul titre, quoique adversaires déterminés du pouvoir temporel, nous voudrions que l’on épargnât au prêtre-roi l’obsession d’offres qui ne sont pour lui que des tentations à combattre, et la fatigue de ces refus qu’il est si naturel d’attendre de sa part. La paix, la concorde, les transactions sont de fort belles choses assurément dans leur légitime domaine; mais il faut prendre garde qu’appliquées aux questions de principes et de conscience, elles ne sont guère que des pastiches du scepticisme. D’ailleurs, lors même que la question du pouvoir temporel ne serait pas placée si haut aux yeux de la cour de Rome, le moment où on lui soumettait un programme de concession a-t-il été bien choisi? Quand on allait demander au pape une transaction qui entraînait l’abandon d’une portion du domaine temporel, au lendemain du jour où le pape, entouré d’une manifestation imposante de l’épiscopat universel, venait d’affirmer, aux acclamations de l’église, la nécessité et le droit de la principauté pontificale, était-on bien fondé à croire à l’opportunité d’une telle démarche, et pouvait-on sérieusement en espérer le succès? Mais c’est pour d’autres motifs que la pensée d’obtenir de la papauté, par une transaction, l’abdication partielle ou totale du pouvoir temporel eût dû être depuis longtemps abandonnée.

Ce qui trompe ceux qui ont cru et qui croient encore à la possibilité d’une transaction, ce sont les fausses analogies du passé. On a vu souvent dans l’histoire les papes en lutte, en guerre même avec des états catholiques; on a vu ces conflits se terminer par des arrangemens quelconques, et l’on se figure qu’une conclusion semblable peut être appliquée aujourd’hui au différend qui divise la papauté temporelle et l’Italie. On oublie dans cette routine combien les époques et combien les questions sont changées. Dans le passé sur lequel on se fonde, n’avait point pénétré encore le principe absolu de l’état laïque, et c’est du triomphe final de ce principe qu’il s’agit dans la question romaine. Au temps des anciennes luttes des rois et des empereurs contre les papes, la séparation du principe laïque et du principe ecclésiastique au sein des sociétés européennes n’était nulle part accomplie : l’église et l’état étaient partout liés l’un à l’autre, se pénétraient mutuellement de tous côtés. On combattait alors pour la prépondérance de l’un des principes sur l’autre, non pour leur séparation et leur indépendance. Qui eût songé avant la révolution française à constituer l’état en dehors de l’église? Qui eût conçu l’état absolument distinct de l’église, l’église sans lien avec l’état? Dans cet ordre de faits ou d’idées, les luttes qui déplaçaient la prépondérance au profit de l’un des élémens, au détriment de l’autre, mais qui ne devaient point en opérer le divorce, se réglaient naturellement par des transactions, par des traités, par des concordats, et la papauté, à la fois pontificat religieux et souveraineté politique, était le suprême symbole de cette constitution générale des sociétés catholiques. Tout autre est la nature et la portée du conflit dont nous sommes les témoins et les acteurs. Les deux principes sont encore en présence, mais cette fois c’est pour se séparer sans retour. La notion de l’état laïque est sortie de la révolution française comme une des plus grandes victoires obtenues par la justice dans le gouvernement des sociétés auxquelles elle doit assurer par son complet développement la liberté politique et religieuse. La force des choses et la puissance des événemens ont donné pour mission à l’Italie d’accomplir l’acte radical, décisif, consommateur de la séparation des deux pouvoirs, en plaçant à Rome, où était le nœud de l’union de ces pouvoirs, le nœud de la nouvelle nationalité italienne. Donc, dans ce conflit, pas de transaction possible, car qui dit transaction dit partage, conciliation, satisfaction commune de deux prétentions rivales. Or ici il faut que l’une des prétentions succombe devant l’autre, sauf à retrouver sous une autre forme les garanties de droit que lui doivent les sociétés modernes. Dans un tel duel, venir parler d’arrangemens fondés sur des concessions mutuelles, c’est demander à l’une des parties la désertion et comme le reniement de sa cause. Or les causes honorables et vivaces ne consentent jamais, il faut le reconnaître pour l’honneur de la nature humaine, au suicide de l’abdication. Elles préfèrent, et avec raison, une éclatante défaite, qui est comme un arrêt de la force des choses, sous laquelle on plie par contrainte, mais sans honte, à une capitulation prématurée et à un vil marchandage par lesquels elles donneraient un acquiescement dégradé à des situations repoussées par leur dignité et leur conscience. L’Italie elle-même a montré au monde, dans la journée de Novare, qu’il est des cas où il vaut mieux être vaincu par l’ennemi que de fléchir dans sa foi et de succomber à sa propre défaillance. C’est dans le feu de ce sentiment qu’est la beauté de la grande parole chevaleresque de François Ier : «Tout est perdu fors l’honneur. » Pourquoi chercherait-on à ravir à l’église temporelle, personnifiée dans la cour de Rome et traversant sa suprême épreuve, l’honneur d’une résolution semblable? Que gagnerait-on à empêcher le pouvoir temporel, qui a été une si grande chose dans la vie de l’Europe, de finir avec la noblesse qui sied aux grandes choses humaines?

Reconnaissons donc qu’en un tel débat les habiletés politiques sont un vain amusement. Abandonnons l’illusion puérile que l’on puisse obtenir de la cour de Rome, par les déguisemens et les détours d’une négociation diplomatique, des concessions qui l’humilieraient en nous amoindrissant. Nous le répéterons à satiété, il n’est pas possible d’obtenir de la papauté une renonciation volontaire au pouvoir temporel ; il n’y a pas d’autre moyen d’en finir que de le lui retirer et de placer entre elle et ce pouvoir l’infranchissable barrière de la force des choses. A-t-on jamais vu l’église abdiquer volontairement aucun des avantages temporels, aucun des privilèges politiques qu’elle a perdus? A-t-elle abandonné par les voies diplomatiques les propriétés et les juridictions ecclésiastiques, la dîme, le monopole de l’état civil? Non : elle a perdu ces privilèges; jamais elle ne s’en est volontairement dessaisie. Pour qu’elle se résignât à s’en passer, il a fallu, tranchons le mot, que la société laïque crût avoir le droit et eût le courage et la force de l’en dépouiller. Comment voudrait-on que les choses se pussent passer autrement pour le pouvoir temporel de la papauté? La papauté ne peut pas, ne doit pas rendre ce pouvoir; elle ne le rendra pas, il faut donc que quelqu’un croie avoir le droit et ait le courage et la force de le lui ôter. Or, comme elle ne conserve ce pouvoir que par la protection militaire de la France, c’est à la France de porter le coup décisif. C’est elle qui doit puiser dans le sentiment de son droit le courage suffisant pour affronter cette responsabilité, en marquant le terme de la protection militaire qu’elle a si longtemps accordée à la cour de Rome.

La logique des principes de la révolution, portant ainsi le flambeau en avant des événemens, nous en montre l’aboutissement infaillible. Sans doute, et nous n’en sommes pas surpris, la faiblesse humaine eût voulu se ménager la commodité de transitions ralenties; elle répugne à se trouver, sous un plein jour soudain, en face de ces conséquences extrêmes, de ces solutions radicales, de ces responsabilités écrasantes. Elle demande merci aux deux principes antagonistes, elle implore des délais. Changer la forme du gouvernement temporel de l’église, quel problème! Est-il possible d’en improviser la solution? Un grand homme d’état mourant n’a pas voulu emporter au tombeau son secret et nous a crié la devise de l’avenir : « l’église libre dans l’état libre. » La liberté dans l’église, la liberté dans l’état, la liberté partout, conséquence inévitable, au sein des états catholiques, de l’évanouissement du pouvoir temporel, quel autre éblouissant fantôme plein d’éclairs et de tonnerre! et comment en soutenir la vue? Qu’y faire cependant? Ces commotions, ces dangers, ces surprises, tout cela, il y a quatre ans, était encore scellé dans la boîte du magicien. On l’en a fait sortir malgré l’avis des prudens; on ne l’y fera plus rentrer. On ne remettra plus le couvercle sur ces forces révolutionnaires déchaînées, avant qu’elles n’aient trouvé leur direction régulière par l’accomplissement des inexorables lois de la révolution et de l’histoire. Le temps des atermoiemens est épuisé, la période des transitions est achevée, ou plutôt, par une pente nécessaire, c’est au profit du futur ordre de choses que se ménagent les transitions. Par la bouche du cardinal Antonelli, l’église, pensant à son indépendance dans l’avenir au moment où s’écroule l’ancienne garantie de son indépendance dans le passé, refuse avec raison de devenir la mercenaire de l’état laïque, et préfère à un tribut de trois millions offert par un gouvernement les contributions volontaires des fidèles, le denier de saint Pierre. Or qu’est-ce que le denier de saint Pierre, sinon le commencement de ce que l’on appelle, en matière d’entretien des cultes, le système volontaire, sinon l’idée mère du budget de l’église libre dans l’état libre? La lutte est aujourd’hui entre deux croyances et entre deux droits. L’église donne à la révolution l’exemple des résolutions inébranlables; il faut donc que la révolution élève dans l’action sa foi et son courage au niveau de la foi et de la fermeté passives que montre l’église.

Quant à nous, indulgens pour les hésitations que peut faire naître dans le cœur d’un chef d’état la responsabilité d’une résolution aussi grave que celle qui est aujourd’hui demandée à l’empereur par les partis et par la force des choses, nous avons ouvert un avis qui pourrait jusqu’à un certain point mettre à couvert les scrupules de notre gouvernement. Nous avons exprimé le désir que le pays fût consulté par des élections générales. Il n’y a en effet que deux façons d’en finir avec la question romaine. Il faut ou que l’empereur prenne l’initiative et la responsabilité d’une solution, ou que la solution sorte des entrailles du pays, interrogé sur ce dilemme : la France doit-elle être fidèle aux principes de la révolution et cesser toute intervention entre le pape et les Romains, ou bien doit-elle, au mépris des droits du peuple italien, étayer indéfiniment une théocratie croulante, incapable de se réparer et d’exister par ses propres forces?

Le gouvernement voudra-t-il prendre sur lui la responsabilité de la décision? Nous convenons que cela le regarde, et, tout en maintenant nos réserves en faveur de l’intervention du pays dans ses plus grandes affaires, nous nous accommoderons de la résolution du gouvernement, si elle est conforme aux principes que nous soutenons dans la question romaine. Les habitués des coulisses affirment au surplus que le gouvernement est à la veille de prendre son parti. Le retour de l’empereur de Biarritz est indiqué comme la date à laquelle serait prise la résolution gouvernementale. Ce n’est un mystère pour personne que la question de Rome divise notre cabinet : une portion du cabinet soutiendrait les opinions tergiversatrices et temporisatrices qui sont représentées dans la presse par le journal la France ; une autre fraction voudrait que notre pays sortît de cette impasse de Rome en laissant en Italie les choses s’arranger dans le sens de la logique des événemens qui s’accomplissent depuis 1859. À ce propos, un mot devenu archaïque sous ce régime, un mot choquant comme un souvenir du parlementarisme, celui de crise ministérielle, est vaguement murmuré. Une circonstance toute naturelle, où se trouveront en présence les deux opinions qui partagent le ministère et où l’empereur devra se décider pour l’une ou pour l’autre, est le conseil où sera examinée, dit-on, la réponse que M. Thouvenel a dû préparer à la dernière circulaire du ministre des affaires étrangères d’Italie, le général Durando. Ce document diplomatique, écrit après l’échec de Garibaldi, est un appel pressant adressé à l’Europe, et plus particulièrement à la France, touchant la question de Rome. M. Durando y fait valoir avec une certaine chaleur le sacrifice que l’Italie a dû s’imposer en réprimant l’élan du patriotisme dont Garibaldi est la personnification illustre. Il parle de Garibaldi avec un accent généreux, à côté duquel forment un pénible contraste les velléités qu’a eues le =ministère italien de faire à Garibaldi et à ses compagnons un impossible procès. Le général est surtout pressant envers la France, car il est curieux que, tandis que nous portons à Rome des plans de transaction, Turin nous envoie des instances pour une solution radicale, et ne puisse nous envoyer autre chose. Il s’agit donc de répondre au général Durando, et l’on avouera que, dans les circonstances actuelles, il serait impossible, à moins que le gouvernement ne voulût consulter sans retard le pays par des élections générales, que la réponse du cabinet des Tuileries n’exprimât point une opinion décidée sur la marche des affaires italiennes.

Nous ignorons si cette réponse doit être préparée de façon à faire pressentir un système de solution. Dans le cas où le gouvernement serait déterminé à prendre un parti favorable à l’Italie, la marche qu’il aurait à suivre est si bien indiquée par la nature des choses que nous ne sommes pas surpris si le plan suivant est venu à l’esprit de plusieurs personnes. Le gouvernement français déclarerait qu’il veut pratiquer à Rome, comme en Italie, le principe de non-intervention ; mais, avant de retirer ses troupes, il obtiendrait du gouvernement italien l’engagement de s’abstenir, lui aussi, de toute intervention dans les états pontificaux, et d’empêcher l’entrée dans ces états de volontaires enrôlés dans les autres parties de l’Italie. De la sorte le pape et ses sujets se trouveraient seuls en présence. Ce serait au pape d’obtenir l’assentiment de ses peuples ; ce serait aux Romains, si le gouvernement pontifical leur est insupportable, de s’en délivrer et de disposer de leurs destinées. Il va sans dire que, dans tous les cas, des mesures devraient être prises pour la sûreté du pape et du sacré-collège. Ce système équivaudrait, dira-t-on, à laisser faire à Rome une révolution. Nous ne disons pas le contraire, et nous ne comprendrions pas qu’il en fût autrement, puisque depuis treize ans la papauté temporelle ne se soutient que par la présence d’une division française, étendue quelquefois aux proportions d’un corps d’armée ; mais cette révolution aurait été précédée de telles formalités et de telles précautions, elle serait inspirée par les intérêts d’un patriotisme si élevé, elle serait placée sous une surveillance si solennelle, celle de l’univers attentif et ému, elle aurait à rendre d’elle-même des comptes si grands, qu’il n’y aurait pas à craindre qu’elle se compromît et se souillât par des folies et des désordres. Par un tel plan, dira-t-on encore, dont il n’est pas permis de ne point prévoir les conséquences nécessaires, c’est le gouvernement français et la France qui auront marqué la dernière heure du pouvoir temporel des papes et qui auront consenti à voir Rome devenir capitale de l’Italie ; c’est le gouvernement français et la France qui prendront sciemment la responsabilité de ces événemens ! — Nous l’entendons bien ainsi.

Il nous paraît difficile que ces éventualités imposantes ne soient pas l’objet des délibérations de la première réunion du conseil des ministres qui sera présidée par l’empereur. Dans ce conseil, sera-t-il pris un parti, et quel parti ? A la suite de ces délibérations, le ministère sera-t-il modifié, et dans quel sens? Nous nous posons ces questions comme tout le monde, et comme tout le monde nous sommes dans l’attente. Que si le gouvernement, avant de prendre un engagement irrévocable dans un moment surtout où le mandat du corps législatif est si près d’expirer, veut consulter le pays et s’appuyer sur une manifestation toute fraîche de l’assentiment populaire, nous ne l’en blâmerons pas. Nous le blâmerions seulement si, ajournant la solution de la question de Rome après les élections générales, il ajournait d’un autre côté les élections après la dernière session du corps législatif. Nous regarderions comme funeste et ne pouvant profiter à personne cette prolongation insupportable de l’incertitude présente. Supposez que les élections soient renvoyées à l’année prochaine, et que la session de 1863 commence sans que la question romaine ait été résolue : qu’attendra-t-on de cette dernière session du corps législatif? On sait qu’une chambre qui touche à la fin de son mandat perd beaucoup de son activité et de son efficacité. Ses membres ne sont plus occupés que des intérêts de leur réélection. Dans la présente hypothèse, la prochaine discussion de l’adresse ne serait guère qu’un champ de bataille électoral. C’est la lutte des élections qui s’y engagerait à propos de la question romaine entre des groupes d’opinion qu’il n’est plus permis de considérer comme la représentation exacte des sentimens actuels du pays. La discussion de l’adresse serait, dans de mauvaises conditions, ce que les Anglais appellent une campagne de hustings, et les Américains une campagne de plateforme. Après ce débat, il en faudrait toujours venir aux élections; pourquoi, si l’on voulait subordonner la solution de la question romaine à un appel préalable adressé au pays, ne pas recourir aux élections tout de suite? La logique nous conduit donc, à propos de l’issue des délibérations gouvernementales qu’on nous annonce, à l’une de ces deux conclusions : ou nous verrons bientôt le gouvernement faire un pas décisif dans la question romaine, ou, si la question romaine était ajournée, il faudrait que les élections générales eussent lieu avant la fin de cette année. De toute façon, il y a nombre de superstitieux qui depuis quelque temps ont introduit dans la politique Mathieu Laensberg, et qui, l’œil sur leur almanach, font remarquer que la saison dans laquelle nous allons entrer est celle des coups de théâtre politiques. Nous ignorons si le phénomène se reproduira cette année à la satisfaction des chercheurs de comètes; mais ce que nous savons bien, c’est que l’occasion et les motifs d’un coup de théâtre politique ne font pas défaut à l’automne de 1862.

L’intérêt des affaires intérieures pâlit dans une crise qui est elle-même la plus grande de nos questions extérieures comme la plus difficile de nos questions intérieures. Depuis la session si peu accidentée de nos conseils-généraux, les questions intérieures chôment d’ailleurs en France. A propos des conseils-généraux, ils ont soulevé cette année si peu de questions générales d’une importance politique, que nous nous reprochons une omission à l’égard du conseil-général de l’Hérault, qui a fait cependant exception à la commune inertie. Le conseil de l’Hérault, on le sait, sous la présidence de M. Michel Chevalier, a pris l’habitude des initiatives libérales en matière de réformes économiques. Il n’a pas manqué cette année à sa propre tradition. Il a émis un vœu remarquable contre l’inscription maritime. La justice et la force des choses veulent que l’on fasse profiter notre marine marchande de la réforme progressive qui doit réaliser en France la liberté commerciale. Or le premier obstacle que l’on rencontre à la régénération de notre marine marchande, c’est peut-être l’inscription maritime, qui tient nos matelots asservis de dix-huit à cinquante ans à la marine de l’état. Ce vieux système, par ses exigences oppressives, éloigne nos populations du métier de la mer, empêche le nombre de nos matelots de s’accroître et grève notre marine marchande de frais excessifs, dont sont affranchies les marines concurrentes; il est en outre la violation flagrante du principe de l’égalité; il fait de nos matelots une caste placée en dehors du droit commun; il perpétue en France quelque chose d’analogue à cette odieuse presse que l’Angleterre a depuis longtemps abolie. Si cette injustice est, comme nous n’en doutons point, victorieusement attaquée au nom des intérêts économiques, on verra là un nouvel exemple des services que l’application des vrais principes économiques est appelée à rendre à la justice sociale. C’est un grand honneur pour le conseil de l’Hérault d’avoir entamé cette campagne, et nous avons l’espoir que le ministre du commerce, M. Rouher, qui a si franchement associé son nom à la réforme commerciale, ne perdra pas de vue la réclamation aussi humaine que sensée de ce conseil.

La France vient de perdre un homme distingué, qui a été dans l’ordre politique un de ses serviteurs les plus honorables, et dans l’ordre des intérêts matériels un de ses maîtres les plus utiles. Nous voulons parler de M. de Gasparin, mort récemment dans sa quatre-vingtième année. M. de Gasparin laisse une place vide à l’Académie des sciences, et ses ouvrages d’agronomie feront longtemps encore autorité dans l’Europe entière. L’agriculture, c’est là le titre éclatant de M. de Gasparin; mais il serait injuste d’oublier en lui l’ancien membre de nos assemblées parlementaires, l’ancien ministre également estimé de ses adversaires et de ses amis, l’ancien préfet de Lyon qui, dans un jour de cruelle épreuve, sauva l’ordre social dans la seconde ville de France. On ne peut voir s’éteindre sans une expression de respectueuse sympathie une des carrières les plus dévouées, les plus désintéressées, les plus pures de notre temps. Nos vétérans politiques s’en vont, à demi effacés d’avance par le mélancolique crépuscule qu’ont fait autour d’eux les révolutions en les éloignant de la vie active. Les hommes d’état de la monarchie constitutionnelle vont partir un à un. Encore peu d’années, et cette génération aura disparu. Puisse la nôtre l’égaler en lumières, en fermeté, en libéralisme! Les fautes commises, les échecs subis, les travers qu’engendre parfois l’adversité politique, ne doivent pas nous empêcher de voir dans ces hommes la grandeur des services et la généreuse sincérité des intentions. On peut dire de l’Italie en ce moment que, l’intérêt des questions auxquelles son sort est suspendu étant maintenant concentré à Paris, le petit courant des incidens qui peuvent se passer de l’autre côté des Alpes n’est guère de nature à commander notre attention. Les correspondances de Turin parlent beaucoup d’un prochain remaniement ministériel. La question de la composition du cabinet italien est, quant à présent, tout à fait lilliputienne. Qu’importe que les longues irrésolutions touchant le procès ou l’amnistie de Garibaldi aient été la cause de ce petit déchirement ministériel? Toutes les voix de l’Europe n’ont cessé de dire au gouvernement italien qu’il lui est impossible de mettre Garibaldi en jugement, et personne n’a cru un instant que le blessé d’Aspromonte pût subir une autre condamnation que celle que la fortune lui a infligée. Il est en tout cas un membre du ministère italien, le chef de l’instruction publique, qui ne se laisse point attarder par la dislocation du cabinet dans l’accomplissement de la réorganisation universitaire qu’il a entreprise, et qu’il poursuit avec une infatigable activité. M. Matteucci vient de publier le règlement général qui sera dans un mois appliqué aux universités du royaume d’Italie. Plusieurs points dans cette organisation nouvelle sont dignes d’attention. La pensée dominante est de réduire les seize ou dix-huit universités qui existaient dans la péninsule à un nombre plus restreint, à six, qui auront leur siège à Bologne, Naples, Palerme, Pavie, Pise et Turin. M. Matteucci établit à Pise une école normale supérieure semblable à la nôtre. Il veut que toutes les écoles de sciences naturelles aient des cabinets, des laboratoires, des collections où, en alternant avec les leçons, les élèves soient tenus de travailler trois fois par semaine. Il n’y aura plus dans toute l’Italie que six commissions d’examen pour l’épreuve du doctorat; l’Italie sera divisée en six circonscriptions, et les élèves iront prendre leurs degrés au siège de la commission dans la circonscription où sera leur résidence. On comprend l’utile économie de cette mesure lorsque l’on sait que l’ancien régime universitaire employait huit cents examinateurs, tandis que cent suffiront avec le nouveau système, ce qui permettra de réunir plus facilement des examinateurs consciencieux et capables. Nous signalerons encore une disposition du plan de M. Matteucci qui nous paraît surtout digne d’éloges. Il y aura chaque année, dans les grandes universités, un concours spécial entre les jeunes docteurs, et les prix du concours seront des pensions temporaires allouées aux lauréats, afin de leur permettre de poursuivre leurs études en Italie ou à l’étranger. On pourra mériter ces pensions soit par des mémoires publiés, soit pour avoir pendant une année professé un cours libre à la façon des privat docent des universités allemandes. Ces mesures nous paraissent inspirées par un sentiment éclairé et libéral des intérêts de l’instruction publique en Italie, et assureront, nous n’en doutons pas, à M. Matteucci les suffrages de l’Europe savante.

Le conflit qui s’est élevé entre le gouvernement et le parlement à Berlin à propos de la nouvelle organisation militaire a déterminé la retraite de M. von der Heydt et a porté M. de Bismarck à la présidence du conseil. Le gouvernement du roi de Prusse s’engage ainsi plus avant dans la voie réactionnaire. Le roi ne réalise pas les espérances que le prince-régent avait données. Après avoir débuté avec un ministère libéral, il choisit maintenant pour son principal conseiller et place à la tête de son cabinet le représentant le plus intelligent, il est vrai, mais le plus ardent et le plus remuant de la faction des hobereaux et du vieux parti de la croix. L’intérêt évident du gouvernement prussien étant de prendre en Allemagne la tête du mouvement libéral, on s’explique difficilement en Europe cette marche en arrière du roi de Prusse. L’ovation toute spontanée et marquée de cette sincérité pénétrante dont les manifestations d’un peuple libre portent seules le caractère, le véritable triomphe qui a l’autre jour accueilli le roi Léopold rentrant pour la première fois à Bruxelles depuis sa maladie, vient de montrer aux souverains comment s’acquiert la seule popularité qui ait du prix; l’exemple de la reine Victoria, à laquelle le roi de Prusse s’est allié en unissant son fils à la princesse Victoire, montre à ce prince quelles sont les conditions les plus sûres d’un règne vraiment prospère. Ni le roi Léopold ni la reine Victoria n’ont jamais opposé au sentiment de leur peuple, à l’opinion de leurs parlemens une résistance ombrageuse. On voit comment ils en ont été récompensés : la conduite la plus honnête et la plus intelligente a été aussi pour eux la plus avantageuse et la plus sûre. On ne s’explique pas, à côté de tels exemples, qu’un roi de Prusse, un souverain dont la vocation est d’être libéral, ne s’assouplisse pas avec une placidité confiante aux exigences naturelles du gouvernement parlementaire, et paraisse vouloir remonter laborieusement le courant du progrès, au lieu de s’y laisser porter doucement. Nous ne redoutons pas sans doute des conséquences graves du conflit parlementaire de Prusse ; mais quand nous observons les efforts intelligens, sincères, persévérans, qui se font à Vienne dans la voie du système représentatif, nous admirons par quelle étrange déviation la cour de Berlin s’expose à se faire battre en libéralisme par l’Autriche elle-même. Tous les symptômes de la vie politique en Allemagne indiquent une aspiration de plus en plus ferme à la constitution de la force nationale par la liberté. La réunion de Weimar, où l’on semble s’essayer à un parlement unitaire, révèle le développement croissant d’un grand parti libéral allemand. N’est-il pas extraordinaire que ce soit à Berlin, appelé à en recueillir le fruit, que le sens de ce mouvement demeure méconnu?


E. FORCADE.



LA QUESTION DES MONASTÈRES DANS LES PRINCIPAUTÉS-UNIES.

La question d’Orient est peut-être l’affaire la plus complexe de notre temps; il n’y a pas un point de vue, si élevé qu’il soit, d’où l’homme d’état puisse d’un seul regard en embrasser tout l’horizon. La question d’Orient a ses arcanes, et l’on n’aurait qu’une connaissance bien imparfaite des élémens qui s’y agitent, si l’on se bornait à concentrer son attention sur les grandes crises qui reviennent périodiquement mettre en cause les conditions d’existence de l’empire ottoman et la paix de l’Europe. L’inexpérience seule ou la légèreté pourrait méconnaître l’importance de quelques affaires moins bruyantes, qui n’en exercent pas moins une grande influence sur les dispositions des peuples et sur l’attitude des cabinets. L’une des plus sérieuses et des plus intéressantes est celle des monastères dédiés[1] dans les Principautés-Unies; il n’y en a guère non plus de moins connue. Rien cependant n’excuse l’ignorance en cette matière depuis que de nombreuses publications, inspirées par les divers intérêts qui se trouvent aux prises, sont venues apporter la lumière de la discussion dans les replis les plus cachés de ce débat[2]. Ce n’est pas, je l’avoue, une entreprise ordinaire que d’introduire le lecteur dans un monde qui lui est complètement étranger, et où chaque mot a besoin d’être défini. Heureusement les publications dont nous avons parlé ne se sont pas bornées à des controverses qui n’auraient pu être comprises en Occident que de quelques rares privilégiés : elles nous ont fait voir, si je puis m’exprimer ainsi, le corps même de la question. Grâce à la mise au jour de nombreux documens, l’on peut se rendre un compte exact de la nature de l’objet en litige; l’on peut lire en quelque sorte dans les âmes des princes et des boyards roumains du XVIIe et du XVIIIe siècle, et ce n’est certainement pas une étude sans intérêt pour l’histoire de l’Orient chrétien.

Dans les principautés de Moldavie et de Valachie plus que partout ailleurs, un monastère était un établissement de retraite, de bienfaisance et d’utilité publique. Ces pays ayant été exposés jusqu’à nos jours à des invasions de tous leurs voisins, Turcs, Tartares, Hongrois, Polonais, Russes, les monastères étaient destinés à servir d’asile aux populations errantes. Beaucoup sont bâtis sur des montagnes, à des hauteurs presque inaccessibles. Dans les villes même, et notamment à Bucharest, il y en a qui sont de véritables forteresses, et il existe encore des personnes qui s’y sont réfugiées dans leur jeunesse. Quelques monastères étaient obligés de doter chaque année un certain nombre de filles, de boyards appauvris. Ces asiles étaient aussi des lieux de dépôt pour l’argent et les objets précieux, et même des caravansérails où le voyageur trouvait une hospitalité gratuite. « Il n’y a pas un seul monastère, dit avec raison l’auteur d’un ouvrage sur ce sujet, M. Istratti, qui ait été doté sans que le fondateur n’ait eu en vue quelque œuvre de bienfaisance publique.» A l’appui de cette assertion, M. Istratti cite les monastères de Slatina et de Pangaratzi, encore soumis à l’obligation de donner l’hospitalité aux montagnards qui vont travailler dans la plaine ; le monastère de Golia, qui conserve les traces d’un hôpital d’aliénés ; le monastère de Saint-Sabba, qui avait autrefois une typographie publique destinée à l’impression des livres nécessaires aux églises du pays ; le monastère des Trois-Saints, où le fondateur avait établi l’imprimerie nationale ; le monastère de Galata, obligé de tenir table ouverte pour les pauvres ; le monastère de Saint-Spiridion, chargé de l’entretien d’un hôpital public, etc. Le monastère Vacareschti était obligé de distribuer chaque année un grand nombre d’aumônes sous la surveillance d’une commission de tutelle composée de trois grands dignitaires de l’état. Les actes de fondation contiennent tous de curieux détails sur cette destination si complexe des couvens roumains.

Parmi ces monastères ainsi fondés et dotés par des boyards moldo-valaques ou par des princes, les uns sont libres ἐλεύθερα (eleuthera), les autres sont dédiés[3] à certains établissemens religieux grecs ou, suivant l’expression adoptée, aux saints lieux, situés en dehors des principautés. Les moines grecs prétendent, et là est la cause du litige, que dédicace veut dire donation. Les Roumains soutiennent que le même mot exprime seulement que le monastère indigène a été placé, à de certaines conditions, sous la direction d’un établissement religieux étranger. Le sens que les Grecs attribuent au mot de leur langue qui exprime la dédicace est en contradiction directe avec l’étymologie. À la vérité, ils ont publié en français quelques actes où le mot donation est employé ; mais les Roumains contestent soit l’authenticité de ces actes, soit la fidélité de la traduction, et, pour l’éclaircissement de la question, il est à regretter que l’on n’en ait pas donné le texte en valaque ou en grec.

Mais il ne faut pas s’arrêter à une querelle de mots. Si les mots le plus souvent expriment la pensée, ils servent bien quelquefois à la déguiser. D’ailleurs on ne se tire jamais des questions grammaticales. Comme l’a dit Horace,

Grammatici certant, et adhuc sub judice lis est.


Il faut donc examiner ce qu’est la dédicace en elle-même. Nous prenons d’abord dans le mémoire publié par les moines grecs l’acte de dédicace du monastère de la Sainte-Trinité, appelé Radu-Voda[4].

« J’ai commencé de tout mon cœur à relever le monastère de la Sainte-Trinité avant qu’il fût totalement détruit. Je me suis rappelé mes aïeux, et j’ai dédié le saint monastère susdit au mont Athos, au saint monastère des Ibériens, pour lui être metochie (monastère relevant d’un autre). Et en donnant et dédiant le saint monastère susdit, j’ai trouvé bon et j’ai ordonné, pour connaissance de tous, que celui que Dieu amènera ici des pères et frères du mont Athos pour être igoumêne (supérieur) dans le monastère de la Sainte-Trinité ait à percevoir tout le revenu provenant de tous les biens et de toute part pour le saint monastère, et augmenter le revenu et les travaux, comme aussi les effets et ornemens sacrés, en sorte que le saint monastère ne soit jamais privé du nécessaire, mais qu’il soit un lieu hospitalier en tout temps. Et ce qui excédera du revenu d’une année à l’autre, les moines devront l’employer au susdit monastère du mont Athos. Après mon décès, ô vous que Dieu appellera à cette principauté de la Valachie, soit de mes descendans, soit de mes parens, soit enfin (pour mes péchés!) d’une autre famille, je vous adjure, au nom de la très sainte Trinité, de vous tenir obligés de sanctionner, confirmer et renouveler mon présent chrysobulle et les dispositions que j’y fais. Et celui qui honorera, confirmera et renouvellera le présent chrysobulle, qu’il soit honoré de Dieu tant sur la terre que dans la vie future ! que Dieu et la sainte Vierge lui soient en aide dans le jugement suprême! Mais celui qui n’honorera ni ne confirmera le présent chrysobulle et celui qui le rejettera et le foulera aux pieds et l’abandonnera à l’oubli, que celui-là soit responsable le jour du jugement dernier! Que Dieu punisse son corps ici et son âme au siècle futur! Qu’il soit maudit et excommunié par les trois cent dix-huit pères du concile de Nicée! Que sa part soit avec Judas et Arius et les Juifs qui crièrent contre Notre-Seigneur : Haro, crucifiez-le! Que le sang du Seigneur soit sur eux et sur leurs fils éternellement! Amen. Le 10 février an 7121 (1613 de J.-C.).»

Voici un autre acte, tiré du livre de M. Bengesco, où les conditions de la dédicace sont encore plus nettement exprimées et sous une forme non moins originale : « Nous Sherban Cantacuzène Bassarabe, — par la grâce de Dieu, prince de toute la Valachie, — nous avons fondé, sur la place même où Notre-Seigneur Jésus-Christ et la Vierge sans tache nous ont délivrés de nos ennemis, le saint monastère de Cotrotchèni. Nous l’avons orné à l’intérieur et à l’extérieur de présens et d’offrandes, de biens meubles et immeubles qui puissent suffire à l’entretien des moines qui y passeront leur vie, ainsi qu’à celui des hôtes qui y viendront en visite ou pour des motifs de dévotion. Et pour que cette disposition soit maintenue et respectée sous notre règne et sous celui de nos successeurs, et pour que personne ne puisse dissiper ou aliéner les biens du monastère, — mais pour que les igoumènes au contraire s’efforcent de le faire prospérer, nous le dédions aux monastères du mont Athos... Les conditions que le saint mont Athos aura à observer sont les suivantes: — Des revenus du monastère, dans les années d’abondance, on enverra au mont Athos seulement le superflu qui restera après avoir préalablement pourvu aux dépenses annuelles du monastère; dans les mauvaises années, le secours sera proportionné aux revenus, etc. »

On pourrait multiplier ces citations; nous avons voulu seulement montrer par quelques exemples l’esprit qui animait les fondateurs de couvens dédiés et la portée véritable qu’ils attribuaient à la dédicace. Voici d’ailleurs en quels termes la majorité de la commission européenne envoyée en 1857 dans les principautés pour en étudier les ressources et les besoins avait exprimé son avis sur cette question[5] : « Les commissaires d’Autriche, de France, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Sardaigne, après un mûr examen, adoptent les faits suivans comme base de leurs appréciations... Les propriétés attachées aux couvens étaient, si les renseignemens desdits commissaires sont exacts, destinées d’abord à soutenir les communautés y appartenant et à remplir des actes de charité et de bienfaisance dans le pays. Il n’y avait que le surplus de leur revenu qui était approprié aux besoins des saints lieux. Un assez grand nombre de ces couvens ont été dédiés postérieurement à leur fondation, non par les fondateurs, mais par les princes des deux principautés, qui, trouvant les couvens indigènes et leurs propriétés mal administrés, les ont placés, par des actes de dédicace, sous la surveillance des couvens étrangers jouissant alors d’une grande réputation. Leur but, qui était de pourvoir plus amplement au maintien des communautés et aux charités imposées par les fondateurs, peut être encore constaté par plusieurs actes de dédicace qui ont été reproduits dans une brochure imprimée sous les auspices des couvens des saints lieux; mais il est à remarquer que, dans certains passages de cet opuscule, le mot valaque qui signifie dédicace a été traduit par le mot donation qui implique une contradiction avec la pensée qui a dicté l’acte. »

Il résulte en somme des documens mêmes publiés par les moines grecs que les dédicateurs ont eu l’intention que leurs monastères restassent, après la dédicace, de véritables monastères, c’est-à-dire des établissemens de retraite, de bienfaisance et d’utilité publique. C’est de leur part plus qu’une intention, c’est plus encore qu’une condition, c’est la cause même de la dédicace. Il y a un mot qui se trouve dans presque tous les actes, mot accepté par les deux parties, et qui exprime nettement les rapports des couvens indigènes dédiés à l’égard des couvens dédicataires ; c’est le mot metochie, qui veut dire dépendance et rien autre chose. L’on pourrait résumer et formuler ainsi le sens de toutes les dédicaces sans exception : « J’ai fondé ou restauré un monastère dans mon pays, et je l’ai doté de tout ce qui est nécessaire pour qu’il soit véritablement un établissement de retraite, de bienfaisance et d’utilité publique. Désirant à la fois assurer le maintien de cet établissement dans cette condition et satisfaire à ma dévotion envers les saints lieux, j’ordonne que le susdit monastère valaque soit administré spirituellement et temporellement, sous le contrôle de ma famille et de l’état, par certains moines grecs qui, après avoir pourvu à la dépense, à l’entretien et à l’agrandissement du monastère, enverront aux saints lieux soit l’excédant, soit une part déterminée des revenus. »

Ce qui paraît bien démontré, c’est que les moines grecs ne peuvent prétendre à la qualité de propriétaires des monastères dédiés. La qualification qui leur appartient est celle d’administrateurs bénéficiaires. Il ne faudrait pas croire que cette qualité ait été imaginée après coup et pour le besoin d’une cause. Des actes authentiques, et notamment ceux du prince Morousi et du patriarche de Constantinople Néophyte, prouvent que, sous le gouvernement même des princes grecs qui ont régné dans les principautés de 1715 à 1821, les moines grecs n’étaient réellement que des aministrateurs bénéficiaires. On retrouve la même pensée dans le rapport de la commission européenne : « Les commissaires d’Autriche, de France, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Sardaigne se croient en outre autorisés à considérer les biens des couvens dédiés comme des biens religieux appartenant au pays moldo-valaque, destinés principalement à soutenir les œuvres pies indigènes et à contribuer subsidiairement à l’entretien des couvens des saints lieux. » Cette destination ne ressort pas moins clairement d’un calcul présenté dans l’ouvrage de M. Brezoïano : c’est une moyenne de l’emploi des revenus d’un certain nombre de monastères dédiés pendant la période comprise outre les années 1692 et 1741 (les princes grecs ont commencé à régner on 1715). Le revenu a été en moyenne et en chiffres ronds de 40,000 piastres. Sur cette somme, 22,000 piastres ont été consacrées à l’entretien des monastères, 16,000 ont été données à l’état à titre d’impôt, et 2,000 seulement ont été envoyées en offrande aux saints lieux.

Quel est l’état actuel des monastères dédiés? Ici encore il faut recourir au précieux témoignage de la majorité de la commission européenne envoyée en 1857. Voici quelle a été l’appréciation des commissaires d’Autriche, de France, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Sardaigne : « Il n’y a pas jusqu’à présent de communautés dans les couvens en question. Ces couvens, malgré leurs énormes revenus, n’exercent pas les œuvres charitables qu’on serait en droit d’attendre d’eux. Tout ce qui provient des terres qui leur appartiennent, sauf le peu qui sert à l’entretien des bâtimens et des prisonniers qu’ils sont tenus de loger, est appliqué soit au profit des prêtres grecs pour qu’ils les administrent, soit au profit des couvens grecs par lesquels ces prêtres sont envoyés. »

Un tel état de choses est évidemment contraire aux intentions si précises des fondateurs et de ceux qui ont fait la dédicace. C’est une usurpation, et une usurpation de telle nature que les moines grecs ne sauraient se prévaloir ici de la durée pour la faire considérer comme leur assurant un droit, car il est reconnu en droit que l’on ne prescrit pas contre son titre. D’ailleurs, d’après un autre principe de jurisprudence, personne n’est admis à se prévaloir de sa propre faute. Aussi, quel que soit l’état présent, le gouvernement roumain est autorisé à regarder les moines grecs comme des administrateurs bénéficiaires. Examinons quels sont les droits de ce gouvernement envers des personnes d’une telle condition.

Considérons d’abord le moine grec comme administrateur. Si l’on voulait rechercher au point de vue théorique quels sont les droits de tout gouvernement territorial à l’égard des communautés étrangères administrant dans le pays des établissemens de retraite, de bienfaisance et d’utilité publique, l’on arriverait difficilement à une conclusion pratique qui pût être acceptée par tout le monde. Il faut donc chercher une autre base. Nous en avons trouvé une qui a au moins l’avantage de couper court à toute discussion. Nous disons que les puissances garantes, en l’absence de toute disposition contraire dans la convention de 1858[6], ne peuvent refuser au gouvernement roumain le droit qu’elles se reconnaissent sur ce sujet à elles-mêmes et les unes aux autres, et qu’elles ont souvent mis en pratique. C’est une conséquence de l’autonomie administrative garantie aux principautés. Or chacun de ces états s’est attribué, à tort ou à raison, en mainte circonstance, le droit de déclarer purement et simplement ne plus vouloir que tel établissement de retraite, de bienfaisance et d’utilité publique soit administré sur son territoire par des moines étrangers. Ou le gouvernement du prince Couza ne jouit pas de l’autonomie administrative qui lui a été si solennellement et si récemment garantie par la convention de 1858, ou il est en droit de retirer aux moines grecs l’administration des établissemens en question. Voilà ce que l’on peut dire du moine grec considéré comme administrateur.

Les moines grecs, par suite de la décision qui leur enlèverait l’administration des monastères, doivent-ils perdre le bénéfice assigné aux saints lieux par les donateurs ? Non. — Ils n’accompliraient plus, il est vrai, les intentions de ces donateurs ; mais ce serait un acte indépendant de leur volonté qui les aurait placés dans l’impossibilité de le faire, encore qu’ils en eussent la bonne volonté. Ils sont donc en droit de réclamer l’excédant ou la quote-part des revenus assignés aux saints lieux. C’est d’ailleurs à eux de prouver que tel monastère a été réellement dédié avec clause bénéficiaire par une personne qui en avait le pouvoir. Il résulte en effet d’un acte de Matthieu Bassarabe que, d’après le droit public de la Valachie, les princes n’étaient pas autorisés, sans le concours de l’assemblée des boyards, à dédier les couvens princiers, c’est-à-dire nationaux. Dès le commencement du XVIIe siècle il y avait eu des dédicaces illégales, et Matthieu Bassarabe a fait affranchir les couvens qui avaient été ainsi dédiés indûment. En outre, conformément aux principes généraux du droit et aux intentions écrites des dédicateurs, les administrateurs spirituels et temporels des monastères dédiés étaient obligés de jouir, comme on dit, en bons pères de famille. S’il se trouvait que l’objet confié à leur administration ne fût pas en bon état, le gouvernement moldo-valaque serait en droit d’exiger que le prix de la réparation fût laissé à la charge des administrateurs négligens. Enfin il ressort des actes de dédicace que les moines grecs étaient tenus non-seulement de conserver les biens, mais de consacrer une partie des revenus à les augmenter ; aussi, s’ils ont acheté quelques terres, c’était pour remplir une obligation qui leur était imposée, et ils n’auraient pas plus de droit sur ces terres que sur les autres. Toutefois, je le répète, le gouvernement moldo-valaque ne peut pas, après que les monastères lui auront été rendus en bon état, se refuser à remettre aux moines grecs la part des revenus fixée par les dédicateurs pour ceux des monastères qui ont été dédiés régulièrement.

Nous n’avons fait du reste que reproduire ici le vœu émis par la majorité de la commission européenne dans les termes suivans : « Les commissaires croient devoir recommander un arrangement à l’amiable. Les commissaires de France, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Sardaigne, vu que les documens primitifs[7] de fondation ne peuvent être reproduits, croient que les couvens des saints lieux pourraient être engagés à faire abandon de leurs prétentions sur les biens des couvens dédiés et sur la gestion de ces biens contre la fixation d’une somme annuelle servie par l’état, et garantie sur les terres des couvens à des conditions qui ne sauraient être précisées ici. Lesdits commissaires font remarquer de plus que les couvens grecs ont souvent déclaré qu’ils ne reçoivent qu’une portion minime du revenu des couvens qui leur sont dédiés. L’arrangement ci-dessus serait donc également favorable aux couvens des saints lieux et à l’église des principautés; il mettrait en outre fin à un état de choses déplorable, qui a fait passe la huitième partie du sol national dans des mains étrangères.»

Au point de vue du droit, il paraît difficile d’arriver à une autre conclusion du moment que l’on aura reconnu que les monastères fondés en Moldo-Valachie étaient réellement des établissemens de retraite, de bienfaisance et d’utilité publique, et que les dédicateurs, en en confiant à des moines grecs l’administration spirituelle et temporelle, ont eu l’intention qu’ils restassent à l’état de monastères. C’est d’après ces principes que la question aurait été résolue en Serbie, comme M. Brezoïano l’indique dans son ouvrage.

Il semblerait, d’après cette simple analyse des élémens de la question, qu’il devait être facile aux parties de conclure un arrangement à l’amiable. Dépendant tous les efforts qui ont été tentés dans ce sens ont échoué jusqu’à présent à cause des intérêts et des passions qui sont mêlés au débat. Aussi la conférence réunie à Paris en 1858 a-t-elle cru devoir indiquer un moyen d’arriver à une conciliation. Le treizième protocole contient à ce sujet une mention spéciale : « M. le plénipotentiaire de Russie appelle l’attention de la conférence sur le conflit existant dans les principautés touchant les biens des couvens dédiés. Après examen, la conférence décide que, pour donner une solution équitable au différend qui existe à ce sujet entre le gouvernement des principautés et le clergé grec, les parties intéressées seront invitées à s’entendre entre elles au moyen d’un compromis; dans le cas où elles ne parviendraient pas à s’entendre dans le délai d’un an, il sera statué par voie d’arbitrage; dans le cas où les arbitres ne parviendraient pas à s’entendre, ils choisiront un sur-arbitre. S’ils se trouvaient également dans l’impossibilité de s’entendre pour le choix de ce sur-arbitre, la Sublime-Porte se concerterait avec les puissances garantes pour le désigner. »

Le compromis n’ayant pas eu lieu dans le délai fixé, la conférence de Paris, dans sa séance du 14 septembre 1859, prolongea ce délai d’une année. Il y a eu depuis quelques pourparlers pour fixer un nouveau terme, mais aujourd’hui cette première phase paraît terminée, et l’on se trouve sur le seuil de la seconde phase, qui serait celle de la nomination des arbitres. Cependant le gouvernement des Principautés-Unies, si l’on doit entrer dans cette seconde phase, nous paraît autorisé à demander avant tout une explication sur la portée du treizième protocole. En effet, en retirant à un moine étranger l’administration d’un monastère indigène, le gouvernement des principautés fait, comme nous l’avons vu, acte d’autonomie administrative; au contraire, en traitant avec le bénéficiaire d’un revenu quelconque, il reste dans le domaine du droit privé. Il peut parfaitement déférer à un arbitrage la question de droit privé. En est-il de même de l’autre question? Remarquons bien qu’il ne s’agirait plus de conférences à la manière diplomatique, dans lesquelles le consentement de toutes les parties est exigé. Ce serait un jugement obligatoire qui sortirait de l’arbitrage ou du sur-arbitrage. Or le gouvernement des principautés doit à sa nation, il doit même, aux puissances qui lui ont si généreusement garanti sa situation actuelle de ne pas s’exposer à ce qu’un jugement prononce qu’il n’a pas le droit de faire des actes d’administration intérieure. Il ne peut pas plus transiger là-dessus qu’un particulier ne peut renoncer à des droits qui sont d’ordre public, comme la puissance maritale ou paternelle. Et au point de vue du droit un jugement qui porterait atteinte à l’indépendance administrative des principautés serait nul. Il devrait donc être entendu que l’arbitrage porterait seulement sur la fixation de la somme qui doit revenir aux saints lieux, en réservant au gouvernement local le droit de retirer aux moines étrangers l’administration des monastères indigènes dédiés. Tel paraît être d’ailleurs le sens du treizième protocole. En effet, si les cabinets garans avaient eu l’intention de porter sur ce point une grave atteinte à l’autonomie des principautés, ils en auraient fait mention dans la convention où ils ont eu soin d’insérer toutes les dispositions ayant pour objet de limiter cette autonomie. L’insertion incidente de cette mention dans un simple protocole indique bien que les puissances européennes ont voulu seulement, sans rien changer à l’économie générale de la convention, faciliter la solution d’une question d’intérêt privé qui, sans cette clause, devrait être portée devant les tribunaux du pays.

Il n’en est pas moins désirable que les parties puissent s’entendre pour un arrangement à l’amiable, car la solution, en quelque sorte judiciaire, indiquée par la conférence ne laisse pas que de présenter aussi des difficultés. Ainsi les députés roumains ont soutenu d’un vote unanime une motion portant que la question ne sera résolue qu’avec le consentement du pouvoir législatif.

Tels sont les élémens de la question des monastères dédiés dans les principautés roumaines. Depuis 1821, les Grecs de Constantinople ont cessé d’exercer leur prépondérance dans les principautés; mais, en se retirant, ils ont laissé derrière eux cette cause de discussions acharnées qui entretient une animosité regrettable à tous les égards entre deux parties si intéressantes de la chrétienté d’Orient. Les moines grecs envoyés dans les principautés y sont en butte à toute sorte de tracasseries, et certainement les saints lieux ne retirent pas de la situation actuelle autant d’avantage que les principautés n’en reçoivent de préjudice. Le statu quo est nuisible à tout le monde. L’adoption d’un moyen terme ne ferait qu’en perpétuer les inconvéniens. Aussi l’on doit faire des vœux pour qu’une solution définitive de l’affaire des monastères dédiés vienne débarrasser la grande question d’Orient de cette complication irritante et stérile.


A. D’AVRIL.


MADAGASCAR ET LE ROI RADAMA II.

L’attention se porte de nouveau sur Madagascar. La reine Ranavalo est morte le 15 août 1861. Pendant plus de trente ans, cette femme énergique avait comprimé sous sa main de fer toutes les races de l’île; elle avait tenu les étrangers à distance, repoussé l’intervention de la France et de l’Angleterre et mis à néant les tentatives de la propagande chrétienne. Dans les dernières années de ce règne de terreur, quelques symptômes indiquaient que la patience des populations était à bout : les complots entouraient le trône, le prince Rakotond, fils et héritier de Ranavalo, tolérait, encourageait même les conspirations, et faisait ouvertement appel aux étrangers; mais la vieille reine sut jusqu’au bout défendre sa position, et elle ne fléchit que devant la mort. Rakotond lui succéda sans difficulté sous le nom de Radama II. Fidèle aux engagemens qu’il avait pris comme prince royal, il annonça immédiatement le désir d’entrer en rapports avec l’Europe. La France et l’Angleterre, qui se sont de tout temps trouvées en contact et en conflit sur le terrain de Madagascar, accueillirent avec empressement les ouvertures qui leur étaient faites. En janvier 1862, M. le baron Brossard de Corbigny, capitaine de frégate, se rendait à Atanarive, capitale de l’île, avec une mission du gouvernement français, et il était reçu à la cour de Radama II de la manière la plus courtoise. A la suite de cette mission, le commandant de notre station navale à Bourbon a reçu l’ordre de continuer les bienveillantes relations ouvertes par M. de Corbigny, pendant que de son côté le gouverneur de l’île Maurice ne néglige rien pour faire tourner au profit du commerce anglais la révolution qui vient de s’accomplir à Madagascar. Il y a donc là, dans ce coin du monde où l’on ne serait guère disposé en ce moment à jeter les yeux, une situation nouvelle qui ne manque pas d’intérêt pour l’avenir et qui mérite d’être examinée avec quelque attention.

La France, assure-t-on, a des droits de souveraineté sur Madagascar, et l’on ajoute que l’heure est venue de les faire valoir. Cette opinion est développée très énergiquement par M. F. Riaux dans une notice historique dont il a fait précéder la traduction récente du Voyage à Madagascar, de Mme Ida Pfeiffer[8]. Elle a été également exprimée par plusieurs organes de la presse périodique, qui ont trouvé dans la conquête, très facile pour eux, de Madagascar un motif d’amplifications sur la gloire attachée aux entreprises lointaines. Il est superflu de mentionner l’ardeur avec laquelle les colons de La Réunion encouragent tous ces projets d’expédition contre la grande île qui pourvoit en grande partie à leur alimentation. Cette polémique, rapprochée des démarches officielles faites auprès du successeur de Ranavalo, donne un intérêt d’à-propos aux relations les plus récentes qui concernent Madagascar. Avec Mme Ida Pfeiffer, on peut se rendre compte de la situation de l’île vers la fin du règne de la vieille reine ; avec M. Brossard de Corbigny, on assiste presque à l’avènement du nouveau souverain, et les renseignemens recueillis dans le cours de ces deux visites à la cour d’Atanarive permettent de juger s’il est réellement utile et opportun pour la France de tenter l’aventure qu’on lui propose en plantant à Madagascar le drapeau de la souveraineté ou celui du protectorat.

Ce fut en mai 1857 que Mme Pfeiffer débarqua à Tamatave. Comment la célèbre et infatigable voyageuse se décida-t-elle à se rembarquer, à l’âge de soixante ans, après avoir fait deux fois le tour du globe? N’avait-elle pas déjà vu assez d’îles et de continens, et pourquoi, parmi les pays peu nombreux, il est vrai, qu’elle n’avait point encore visités, eut-elle l’idée de choisir Madagascar pour la dernière étape de ce perpétuel voyage que son génie aventureux avait entrepris comme une gageure contre le monde entier? Incroyable bizarrerie! Mme Pfeiffer vit Paris pour la première fois en 1856, et le motif de cette visite fut simplement de recueillir quelques informations sur l’île de Madagascar, avec laquelle on lui avait dit que le gouvernement français entretenait seul quelques relations. Cette femme si curieuse, qui avait risqué mille fois sa vie dans des excursions réputées impossibles et au milieu des peuplades les plus sauvages, n’avait point jusqu’alors songé à explorer la France! Elle avait dédaigné le train de plaisir qui en quelques heures, dans un bon wagon, sans danger et sans fatigue, l’eût amenée à Paris! Elle était ainsi faite : le lointain seul l’attirait, et le péril à braver y ajoutait pour elle un aimant irrésistible. Nous avois déjà essayé de décrire cette étrange physionomie de femme et de voyageuse en suivant les pérégrinations de Mme Ida Pfeiffer dans les archipels de la Malaisie, à Sumatra, à Bornéo[9], et si l’on s’obstinait à rechercher pourquoi Mme Pfeiffer s’était mis en tête d’aller à Madagascar, quel démon la poussait à voir de près la cour de la reine Ranavalo, on ne trouverait qu’une seule réponse : c’était son goût.

Du reste, le journal de son voyage, qui a été publié après sa mort par les soins de son fils, nous la montre peu enthousiaste du pays qu’elle était si désireuse de visiter. Son désenchantement commença à Tamatave même, où la première visite qu’elle reçut fut celle d’un douanier malgache qui mit ses bagages sens dessus dessous. La ville, que les géographes et les commerçans décorent du titre de principal port de Madagascar, n’est qu’un misérable village. La plupart des maisons sont construites en bois ou en bambou, avec une couverture de longues herbes ou de feuilles de palmier. Elles reposent sur des pieux de 2 à 3 mètres de haut, et ne se composent que d’une seule pièce pour toute la famille. Les habitations des gens aisés sont plus hautes et plus grandes : l’intérieur est divisé par des cloisons en plusieurs compartimens, où l’on pénètre par des fenêtres sans vitres. Cette architecture, trop facilement aérée, est très commode pour les voleurs. Mme Pfeiffer en fit l’expérience à ses dépens : on lui vola sa montre, et il faut croire qu’elle eut d’autres motifs que ce léger désagrément personnel pour déclarer, dans son journal, que le penchant au vol est très prononcé à Tamatave, non-seulement chez les esclaves, mais aussi chez presque tous les indigènes, sans en excepter les officiers et les employés. Le pays ne vaut guère mieux que la population. Tamatave est entouré de sables; ce n’est qu’à un ou deux milles dans l’intérieur que commence la végétation, et malheur à l’Européen qui s’aventure à franchir cette courte distance ! Il pleut tous les jours : la moindre humidité donne la fièvre, et quelle fièvre! un mal trop souvent mortel! De son côté, M. Brossard de Corbigny nous a décrit les ardeurs du soleil de Tamatave. Il revenait de sa visite officielle au gouverneur du port. Une escorte d’hommes l’accompagnait, « lorsque tout à coup soldats, tambours et musiciens rompent les rangs pour courir dans toutes les directions, comme si une bombe avait éclaté au milieu d’eux... Comme le sol de Tamatave se compose d’un sable fin où l’on enfonce jusqu’à la cheville, et que nous étions en plein midi, sous un soleil ardent, les pieds nus des soldats cuisaient littéralement à petit feu. Il n’y a pas de discipline qui puisse tenir à un pareil supplice... « Nous citons ces détails de pluie et de soleil, de froid et de chaud, pour montrer le sort qui serait réservé à l’expédition française que l’on voudrait débarquer sur la côte de Madagascar. Les témoignages de Mme Pfeiffer et de M. de Corbigny s’accordent parfaitement sur les obstacles naturels qui se rencontrent au seuil même de l’île, et qui opposeraient sans doute à des troupes européennes une barrière infranchissable.

De Tamatave à Atanarive, capitale de l’île, on compte environ 400 kilomètres. C’est un rude voyage à travers un pays marécageux et malsain. Une partie du trajet se fait en pirogue sur des cours d’eau très étroits, entrecoupés de rapides, et sur lesquels toute navigation régulière serait impossible pour les transports du commerce. La population est peu nombreuse; elle a été décimée par les corvées, par les mesures de violence et de cruauté qui ont marqué le long règne de Ranayalo. Il faut traverser plusieurs chaînes de montagnes ou de collines pour arriver sur le territoire d’Émir, d’où est originaire la race des Hovas, et au milieu duquel se trouvé située la capitale, Atanarive. Ce territoire, élevé de 1,300 mètres environ au-dessus du niveau de la mer, est assez salubre; cependant il ne paraît pas être beaucoup plus peuplé que le reste. Mme Pfeiffer a remarqué que plusieurs villages et même des maisons isolées sont entourés de murs en terre, usage qui date du temps où les tribus vivaient à l’état de luttes perpétuelles. Le pays est donc parfaitement disposé pour une guerre de guérillas, de telle sorte qu’un corps de troupes européennes, après avoir traversé les marais et les fièvres du littoral, rencontrerait là encore de sérieux obstacles. Si peu que l’on estime les 30,000 soldats de l’armée malgache, il y aurait à compter avec un ennemi embusqué sur son propre terrain, ne procédant que par surprises à la manière des sauvages, et pouvant se dérober aisément à toutes les combinaisons de la tactique européenne.

Mme Pfeiffer fut admise sans difficulté à Atanarive, grâce à la décision du sikidy, c’est-à-dire de l’oracle, qui, dans cette circonstance, s’empressa de flatter la curiosité qu’éprouvait la vieille reine à l’approche d’une visiteuse aussi inattendue. « Dans tout Madagascar, dit Mme Pfeiffer, mais surtout à la cour, on est habitué, pour les affaires les plus importantes comme pour les plus insignifiantes, à consulter le sikidy. Cela se fait de la manière suivante, qui est extrêmement simple. On mêle une certaine quantité de fèves et de cailloux ensemble, et, d’après les figures qui se forment, les personnes douées de ce talent prédisent une bonne ou une mauvaise fortune. Il y a à la cour plus de douze interprètes des oracles, et la reine les consulte pour la moindre bagatelle. Elle respecte les sentences du sikidy au point de renoncer souvent à sa propre volonté et de se rendre en cela l’esclave la plus soumise dans un pays qu’elle gouverne d’ailleurs despotiquement. Veut-elle par exemple faire une excursion, il faut d’abord consulter l’oracle, pour savoir le jour et l’heure où elle pourra l’entreprendre. Elle ne met pas de robe, elle ne mange d’aucun mets, sans avoir interrogé le sikidy. Même pour l’eau qu’elle boit, le sikidy doit indiquer à quelle source il faut l’aller chercher. » Grâce aux bonnes dispositions des oracles, Mme Pfeiffer obtint une prompte audience de la reine. Elle dut, suivant la recommandation expresse qui lui avait été faite, entrer du pied droit dans la cour du palais. Ranavalo était assise à un balcon du premier étage. Elle avait sur la tête une couronne d’or, et, bien qu’elle fût à l’ombre, on tenait déployé au-dessus d’elle un grand parasol en soie rouge. A Madagascar, comme dans beaucoup d’autres pays situés sous les basses latitudes, le parasol est l’insigne du commandement. Mme Pfeiffer et les Européens qui l’accompagnaient furent présentés à la reine par un de ses ministres; ils eurent à faire trois révérences devant le balcon royal, puis trois autres révérences devant le tombeau du roi Radama Ier Une pièce d’or fut ensuite remise au ministre qui remplissait l’office de grand-maître des cérémonies; c’est une sorte d’impôt levé sur tout étranger qui est présenté à la cour. Ces formalités accomplies, la reine daigna adresser la parole à ses visiteurs, et demanda à Mme Ida Pfeiffer si elle se portait bien, et si elle n’avait pas été atteinte de la fièvre, question qui n’avait rien de déplacé, car l’étranger, dit Mme Pfeiffer, n’échappe que très rarement, même dans la belle saison, à la fièvre intermittente. L’entretien se borna à ce dialogue sur la fièvre, et les visiteurs se retirèrent après avoir répété les révérences devant le balcon et devant le tombeau de Radama. On eut bien soin de leur recommander encore de franchir du pied droit le seuil du palais.

Ce n’était vraiment pas la peine d’avoir fait tant de chemin pour contempler la cour d’Atanarive. Mme Pfeiffer séjourna près de deux mois dans la capitale, qui n’offre rien de bien remarquable. Ce qu’elle y vit des mœurs et des coutumes du pays n’était point de nature à lui laisser d’agréables souvenirs ; aussi le journal de son voyage ne présente-t-il point l’intérêt que l’on trouve dans les récits de ses deux excursions autour du monde. Ses descriptions manquent d’entrain; elles ne respirent point la sympathie que Mme Pfeiffer avait éprouvée pour les sauvages de Bornéo et de Sumatra. Les Malgaches sont de mauvais sauvages. Ils n’ont pas de religion, point de mœurs, point de vertus. La superstition, qui ailleurs est innocente et naïve, ne se manifeste chez eux que par des pratiques cruelles. Les supplices sont affreux et prodigués avec une facilité inouïe. Sous le règne de Ranavalo, les massacres en masse, sous prétexte de rébellion ou de simple mécontentement, faisaient disparaître des villages entiers. L’empoisonnement par le tanguin, sorte d’amande vénéneuse, pouvait être infligé aux individus les plus innocens, pourvu qu’il se trouvât un dénonciateur pour les accuser d’un crime imaginaire en déposant une légère somme d’argent. L’accusé était tenu d’avaler le poison avec une boulette de riz contenant trois petites peaux découpées sur le dos d’une poule. Les parens avaient alors la permission de lui administrer des vomitifs, et, pour être réputé innocent, il fallait qu’il rendît et le poison et les trois peaux; autrement il était impitoyablement exécuté comme un criminel, si la prison n’avait pas suffi pour le tuer. Cette épreuve, aussi dégoûtante que sauvage, a coûté la vie à des milliers d’hommes, les dénonciateurs et la reine étant intéressés à la multiplier, parce qu’ils se partageaient les biens des victimes.

A côté de ces usages barbares, Mme Pfeiffer put remarquer, non pas précisément des indices de civilisation, mais une imitation maladroite et ridicule des mœurs européennes. Il y a à la cour d’Atanarive toute une hiérarchie militaire. Les nobles et les officiers s’affublent de vêtemens d’Europe. On donne des bals et des festins, on observe une étiquette, et la reine Ranavalo aimait à s’entourer du plus fastueux cérémonial. Cette copie de civilisation n’aboutit qu’à une caricature. Point de culture intellectuelle, point de sentiment moral; tout ce qui tient à l’âme et à l’esprit fait complètement défaut chez ce peuple, qu’une longue période de tyrannie a plongé dans l’abrutissement. Voilà l’impression que nous laisse le récit de Mme Pfeiffer, et cependant il est juste d’ajouter que l’indulgente voyageuse ne désespère pas, car dans cette foule sauvage elle a cru distinguer un honnête homme, le prince Rakotond, ami des Européens, protecteur des missionnaires, et destiné, suivant elle, à régénérer Madagascar.

Le prince Rakotond est aujourd’hui le roi Radama II. Bien qu’il soit né deux ans après la mort de Radama Ier, il n’en est pas moins considéré comme l’héritier très légitime de la couronne, et il a succédé sans difficulté à Ranavalo. Celle-ci, pour justifier sa grossesse quelque peu tardive, n’a eu qu’à dire qu’elle avait fait une visite au tombeau de son époux, et la cour s’est inclinée devant cette explication officielle. Le portrait de Radama II, tel que nous le trace M. le commandant Brossard de Corbigny, est conforme aux espérances flatteuses que le jeune prince avait inspirées à Mme Pfeiffer. Les premiers actes du nouveau roi ont été d’abolir l’épreuve du tanguin, de supprimer en partie le régime des corvées, d’accueillir les Européens et les missionnaires. Nous ne décrirons pas les incidens du voyage de M. de Corbigny entre Tamatave et Atanarive, ni l’audience que l’envoyé du gouvernement français obtint du roi, ni ses rapports avec les principaux personnages de la cour. Ce serait la répétition de ce que nous ont appris les récits de Mme Pfeiffer : mêmes difficultés pendant le trajet, même étiquette à la cour. Ainsi que sa courageuse devancière, M. de Corbigny paya son tribut à la fièvre, qui décidément n’épargne aucun des voyageurs qui mettent le pied sur le soi de Madagascar. Il ne prolongea point son séjour à Atanarive, et il revint à Tamatave. Par suite des pluies qui étaient tombées depuis son premier passage, il lui fallut franchir en pirogue une partie des plaines voisines du littoral qu’il avait traversées à pied sec vingt jours auparavant.

M. de Corbigny est demeuré trop peu de temps à Madagascar pour se former une idée bien nette du caractère de la population. Il faut d’ailleurs remarquer qu’il n’a eu de rapports qu’avec l’aristocratie du pays, et que sa situation officielle lui impose une certaine réserve dans ses jugemens. « Le caractère hova, écrit-il, m’a semblé, pendant mon séjour à Atanarive, beaucoup moins fourbe qu’on ne le dépeint ordinairement; mais en revanche j’y ai trouvé un fonds bien caractérisé de vanité excessive, qui paraît héréditaire. J’en citerai quelques exemples bien connus. Radama Ier aimait à comparer ses conquêtes à celles de la France sous le premier empire; il se mettait en parallèle avec Napoléon, et n’avait pu se défendre de la crainte de subir le sort de l’infortuné Louis XVI. Ranavalo, lorsqu’on lui parlait de nos succès en Crimée, ne disait-elle pas avec conviction que, si les Russes étaient vaincus par nous, c’est qu’ils étaient moins forts que les Hovas, car la France et l’Angleterre avaient été battus par eux à Tamatave ! Radama II lui-même, quoiqu’à l’abri des sentimens sanguinaires qui ont été le fond de la politique de ses prédécesseurs, a bien, comme eux aussi, son petit grain de vanité, lorsque, après avoir supprimé les droits de douane de Tamatave, il demande naïvement si tous les commerçans de La Réunion et de Maurice, frappés de cet acte de libéralité, ne vont pas abandonner leurs îles pour venir à Madagascar. Presque toute la classe élevée raisonne de la même manière ; l’ignorance et l’isolement grossissent à leurs yeux leurs moindres actes et amoindrissent ceux qui se passent à distance. Ils sont encore au nombre de ceux qui, en portant le costume des Européens, en imitant leurs gestes et leur tournure, croient avoir acquis la civilisation ; mais il y a en eux l’intelligence, la curiosité de l’inconnu et ce goût pour l’imitation, qui peuvent les amener à une prompte transformation, s’ils ont de bons exemples sous les yeux... » Ainsi, d’après M. de Corbigny, le peuple hova pourrait s’améliorer, se policer sous l’influence d’un bon gouvernement; dans son état actuel, il ne lui est apparu que sous des traits fort peu séduisans, et il aurait besoin d’une transformation à peu près complète. Le roi Radama II sera-t-il de force à opérer cette transformation?

Tous les témoignages sont en faveur des excellentes intentions de ce prince, et les premiers actes de son règne attestent qu’il veut rompre avec les traditions sanguinaires du règne précédent; mais quand il s’agit de régénérer un peuple, la bonté ne suffit pas : le patriotisme et l’intelligence sont plus nécessaires encore chez le souverain qui aspire à un pareil rôle. Or Mme Pfeiffer nous fait connaître qu’à l’époque de son voyage le roi actuel, alors prince royal, indigné des cruautés de sa mère Ranavalo, se déclarait prêt à renoncer à ses droits à la couronne et à accepter la domination étrangère, pourvu que son pays fût bien gouverné. Ces sentimens, très philanthropiques peut-être, n’indiquaient pas une grande force de caractère ni un profond patriotisme, et il est douteux que les tribus de Madagascar partagent cette singulière indifférence en matière de nationalité. Plus tard, si Radama II, en succédant à sa mère, abolit immédiatement quelques pratiques sauvages et cruelles, on le vit supprimer en même temps des travaux utiles qui honoraient le règne de Ranavalo. Cette femme impitoyable, qui sut pendant plus de trente ans maintenir l’île entière sous son despotisme, avait quelquefois l’instinct de la grandeur. Tout en repoussant les étrangers, elle avait fondé, sous la direction d’un Français très intelligent, M. Laborde, une sorte de village industriel, où s’élevaient des hauts-fourneaux, une magnanerie, une verrerie, une fonderie de canons. Ces usines appartenaient à l’état. La reine s’y intéressait, elle venait souvent les visiter, et les personnages de la cour possédaient aux environs des habitations de plaisance. M. de Corbigny nous apprend que «le nouveau roi, pour rendre à son armée la faculté de se livrer à l’agriculture, a fait abandonner ces utiles établissemens en même temps que la fonderie de canons, dont ses sentimens pacifiques ne lui ont jamais fait comprendre l’utilité. Le village commence à tomber en ruine, et n’est plus habité que par une population insignifiante.» À ce seul trait, on peut juger que Radama II n’est point le prince appelé à civiliser Madagascar, et il est permis de craindre que l’œuvre de conquête et d’unité accomplie par Radama Ier et conservée par Ranavalo ne périclite entre ses débiles mains.

Est-ce donc à l’Europe de tenter directement l’aventure, et convient-il à la France de ressusciter les droits que d’anciens traités lui confèrent sur Madagascar pour y fonder une grande colonie? C’est le vœu exprimé par Mme Pfeiffer, c’est la proposition franchement développée par M. F. Riaux, Cet écrivain n’est point découragé par les échecs qu’ont éprouvés de précédentes tentatives, et qu’il attribue à l’insuffisance des moyens employés contre les Hovas. Il demande que l’on entreprenne sérieusement la colonisation de Madagascar. Une telle œuvre suffirait, dit-il, à illustrer le plus glorieux règne, et compenserait la perte de notre ancien empire colonial. M. Riaux ne méconnaît point d’ailleurs les difficultés de l’entreprise, car il déclare que, pour y réussir, la France « devrait en faire pendant un siècle sa grande, sa principale affaire, le pivot et la base de sa politique. » Cette condition est assez rassurante pour les esprits moins convaincus et moins enthousiastes qui ne tiennent pas à voir la France occupée à la conquête de Madagascar. Nous avons autour de nous trop de grosses affaires engagées pour espérer que notre politique ait de si tôt le loisir et le goût de se consacrer tout entière à l’œuvre nouvelle qu’on lui propose. Sans compter les embarras de l’Italie, on pourrait même dire les embarras de toute l’Europe, nous avons en ce moment à compter avec la Chine, avec la Cochinchine, avec le Mexique; notre drapeau est déplié aux divers points de l’horizon, et il est bien certain que les apôtres les plus ardens de la civilisation doivent se trouver satisfaits des sacrifices d’argent et d’hommes que la France prodigue pour la propagation et le triomphe de leurs idées.

Cependant l’expérience nous enseigne qu’il faut se défier des opinions qui conseillent les expéditions lointaines. Ces opinions peuvent exercer sur les résolutions du gouvernement une influence dangereuse, et quand elles ne sont point contestées en temps opportun, elles fournissent à la politique d’aventure l’occasion et le prétexte de guerres nouvelles, de campagnes plus brillantes qu’utiles, que l’on commence à la légère et que l’on n’est plus maître d’interrompre, lorsqu’une fois l’honneur militaire est en jeu. N’est-ce point ainsi que nous avons débarqué à Tourane quelques milliers d’hommes dont une partie a été sacrifiée aux pieuses illusions des missionnaires catholiques? Ceux-ci déclaraient, très sincèrement sans doute, qu’il suffirait de la présence du drapeau français pour soulever tous les chrétiens de la Cochinchine et pour abaisser l’orgueil de la cour de Hué. Si Ton eût consulté les rares voyageurs qui avaient visité Tourane, on se serait probablement abstenu d’y établir à grands frais une base d’opérations qu’il a fallu bientôt abandonner pour se rabattre au sud vers Saigon. La pression de l’intérêt religieux a été décisive, et tout en souhaitant à notre nouvelle colonie de Cochinchine les plus belles chances d’avenir, nous pouvons craindre d’être engagés de ce côté plus loin qu’on ne l’aurait voulu, et d’y rencontrer des difficultés longues et coûteuses en vue d’un résultat incertain. Si nous portons nos regards vers le Mexique, nous trouvons également, au début même de cette expédition entreprise si inopinément, de graves mécomptes résultant de fausses informations et d’une étude incomplète des lieux, des choses et des hommes. Il importe donc que l’opinion publique soit bien prémunie contre les dangers de la question de Madagascar, puisque certains esprits animés des plus patriotiques sentimens veulent à toute force qu’il y ait là une question française !

On ne connaît de Madagascar que la route de Tamatave à Atanarive et quelques points isolés du littoral. On ne sait rien du reste. L’intérieur du pays n’a point été exploré. Pour la région qui a été parcourue par Mme Ida Pfeiffer et par M. de Corbigny, on a vu par leurs récits ce qu’il faut en penser : peu de population, peu de culture, des plaines tantôt couvertes d’un sable brûlant, tantôt inondées par des pluies torrentielles; partout la fièvre. Mme Ida Pfeiffer en est morte, M. de Corbigny en a ressenti les redoutables accès, et il n’en a été quitte qu’à son retour en Europe. Faire campagne dans un tel pays, ce serait plus que de l’imprudence. On parle, il est vrai, d’assainissement au moyen de travaux hydrauliques; on espère le développement des productions de l’île sous une administration meilleure, et l’on escompte la révolution politique et sociale que le roi Radama II doit opérer à Madagascar. Ces espérances n’ont rien de solide, elles ne reposent que sur des hypothèses. Voici en définitive ce qui nous paraît le plus sage : profiter des bonnes dispositions du nouveau roi pour accroître les rapports commerciaux de notre colonie de La Réunion avec Madagascar, entretenir avec la cour d’Atanarive des relations amicales qui faciliteront aux missionnaires et aux négocians l’accès du pays, donner à Radama les conseils qu’il paraît solliciter dans l’intérêt de son peuple, importer dans l’île, par le libre mouvement du commerce, de meilleurs procédés de culture, et préparer ainsi une consommation plus régulière des produits européens. Ce plan n’a rien de grandiose, il faut l’avouer; mais il ne coûtera rien, et pourra nous procurer quelque profit. Les autres projets, colonisation, prise de possession, protectorat, sont aussi dangereux que chimériques. S’il nous faut absolument un établissement colonial ou une position militaire dans les mers de l’Orient, et cette opinion est très soutenable, réservons tous nos efforts, toutes nos ressources pour l’expérience que nous poursuivons en Cochinchine. Cette contrée, au seuil de la Chine, est du moins plus rapprochée de la région de l’Asie où se portent actuellement l’activité et la concurrence européennes. Quant à Madagascar, gardons-nous d’y compromettre notre politique et nos armes. Une telle conquête, à supposer qu’elle soit possible, n’a rien qui puisse nous tenter.


C. LAVOLLÉE.




LES SOPRANISTES.

GASPARO PACCHIAROTTI.


Parmi les chanteurs exceptionnels dont j’essaie de raconter la vie éphémère et d’apprécier le talent[10], Pacchiarotti fut l’un des plus remarquables de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Il est mort presque de nos jours, on l’a vu, on l’a entendu, et les renseignemens positifs ne manquent pas sur ce virtuose éminent. Gasparo Pacchiarotti est né, on ne sait trop dans quel village de la Romagne, vers 1744. Il entra comme enfant de chœur à la cathédrale de Forli, où sa voix fut remarquée par un vieux sopraniste de la chapelle qui conseilla aux parens de Gasparo, pauvres sans doute, de consacrer leur fils à charmer les hommes par un horrible et honteux sacrifice. L’opération terminée heureusement, ce qui n’arrivait pas toujours, le vieux sopraniste prit l’enfant sous sa direction, l’instruisit, et lui fit faire de rapides progrès. Pacchiarotti aborda le théâtre de très bonne heure en jouant d’abord des rôles de femme. Il parcourut ainsi beaucoup de villes d’Italie, et se fit bientôt remarquer moins par la beauté de sa voix que par le goût et le sentiment qu’il mettait à interpréter la musique sérieuse. Il chantait à Palerme en 1772 et en 1773 ; sa réputation était assez grande pour qu’on l’engageât au théâtre de Saint-Charles à Naples, où Jomelli lui confia le rôle d’Oreste dans un opera seria de sa composition, Ifigenia, qui n’eut aucun succès. Un écrivain du temps, Saverio Mattei, qui a été l’ami de Jomelli dont il a écrit la vie, assure que Pacchiarotti était alors un comédien des plus novices, et que sa belle voix, d’un timbre si touchant, manquait d’assurance. « Si Pacchiarotti chantait aujourd’hui ce même rôle d’Oreste, dit le critique[11], l’Ifigenia aurait autant de succès que l’Armida du même maître. » C’est à la première représentation de l’Ifigenia que Caffarelli, indigné de la mauvaise exécution de l’œuvre de Jomelli, s’écria avec emphase : « Il n’y a plus de chanteurs capables d’interpréter cette musique. » Pacchiarotti avait alors vingt-huit ans. Après avoir visité Bologne, Parme, Forli, Pacchiarotti fut engagé en 1777 à Venise, où il rencontra pour la première fois la Gabrielli, la cantatrice de bravoure la plus étonnante et la plus impérieuse qui ait existé. Pacchiarotti, débutant dans le même opéra avec cette femme célèbre, fut d’abord tout interdit en lui entendant chanter un air avec un luxe de vocalisations effrayantes. Il perdit courage et s’écria : Povero, povero mi ! questo è un portento (c’est un prodige) ! et il se sauva dans la coulisse. Il fallut beaucoup d’efforts pour rassurer le pauvre Pacchiarotti, et c’est la Gabrielli elle-même qui le ramena sur la scène tout tremblant. Il se remit peu à peu, et chanta son rôle d’une manière si touchante que la prima donna en fut non moins émue que le public. L’année suivante, Pacchiarotti se rendit à Milan pour l’ouverture du nouveau théâtre de la Scala, et à la fin de l’année 1778 il partit pour l’Angleterre. Pacchiarotti débuta à Londres dans un opéra intitulé Demofoonte, qui était une sorte de pasticcio composé de morceaux de différens maîtres. Son succès fut grand, ainsi que le constate le témoignage d’un amateur distingué du pays, lord Edgecumbe.

On raconte que l’arrivée de Pacchiarotti en Angleterre donna lieu à une scène plaisante au sein du parlement. Pendant un débat politique très animé, un ministre demanda tout à coup qu’on renvoyât au lendemain le vote définitif. Sur cette proposition, le speaker leva la séance, non sans rire malignement sous sa large perruque. Ce mouvement avait été préparé par les dilettanti du parlement, qui voulaient assister aux débuts de Pacchiarotti.

Pacchiarotti est resté attaché au théâtre de Londres jusqu’en 1785. Il a emporté de ce pays une grande réputation et beaucoup d’argent. Il paraît que, pendant les six années de son séjour à Londres, Pacchiarotti a pu s’absenter quelquefois, car il est certain qu’il chantait en 1781 à Venise, où l’entendit un écrivain allemand, Heinse, qui en parle avec les plus grands éloges dans ses Lettres à Jacobi. Pacchiarotti revint encore à Venise à la fin de 1785, et ne quitta guère cette ville qu’en 1790, époque où il revint à Londres. Il avait alors quarante-six ans, et, malgré cet âge un peu avancé pour la voix fragile d’un sopraniste, Pacchiarotti retrouva dans cette grande ville l’éclatant succès qu’il y avait eu autrefois. Il resta en Angleterre encore une dizaine d’années, gagnant des sommes considérables à donner des leçons et à chanter dans les concerts. Il retourna en Italie en 1801, et se fixa à Padoue, où il vécut jusqu’en 1821 en grand seigneur et en homme de bien. Il avait succédé à Guadagni comme chanteur de la chapelle de Saint-Antoine.

Pacchiarotti était grand, et sa taille, qui avait été mince d’abord, grossit beaucoup avec les années. Sa figure n’avait rien de remarquable, non plus que sa voix, dont le charme consistait dans l’art qu’il mettait à la diriger et surtout dans l’expression pathétique des sentimens, qui était la qualité suprême de son talent. Il paraît même que cette voix, qui lui avait coûté si cher, avait quelque chose de nasal, et qu’il fallait l’entendre pendant quelque temps avant que l’oreille s’y accoutumât. Lord Edgecumbe, qui avait beaucoup connu Pacchiarotti à Londres, parle ainsi de ce grand virtuose : « La voix de Pacchiarotti était aussi douce qu’étendue. Sa facilité de vocalisation était extrême, mais il avait trop bon goût pour en abuser. Il se contentait de placer dans chaque opéra un air de bravoure dans lequel il pouvait déployer toute l’agilité de son organe, puis il chantait le reste de son rôle avec une grande simplicité de style, persuadé qu’il était que l’art du chant consiste surtout dans l’expression. Il était excellent musicien, lisait tout à première vue, et tous les styles lui étaient familiers. Il observait scrupuleusement les intentions du compositeur, et jamais cependant il ne chantait deux fois un morceau de la même manière. Son genre d’ornemens consistait surtout dans le trille, qui était considéré par le public d’alors comme la plus grande difficulté de l’art. Malgré sa taille élevée et son extrême embonpoint, il était bon comédien. Pacchiarotti sentait vivement, et il professait un grand enthousiasme pour les vraies beautés de l’art. Sa manière de dire le récitatif était si exquise et si noble que, sans même comprendre les paroles italiennes, on le suivait avec le plus vif intérêt. C’est dans un salon, devant un petit auditoire, que Pacchiarotti était surtout admirable. C’est ainsi que je l’ai entendu chanter une cantate de Haydn, intitulée Ariane à Naxos, écrite pour une seule voix, avec un simple accompagnement de clavecin. L’illustre maître, qui avait composé ce morceau pour la Billington, accompagnait lui-même le virtuose au clavecin. Pacchiarotti était un artiste sincèrement modeste; ses qualités d’homme du monde le rendaient aussi cher à ses amis que son talent d’artiste le faisait admirer du public. »

L’écrivain allemand que nous avons cité plus haut disait du talent de Pacchiarotti, qu’il put apprécier à Venise en 1781 : « Il est impossible d’entendre une voix plus douce et plus suave et un plus beau talent. L’effet qu’il a produit sur moi dépasse tout ce que je pourrais vous dire. La voix de Pacchiarotti est si bien dirigée, si ferme et si juste qu’elle vous pénètre dans l’âme et vous communique une émotion douce et profonde. » N’oublions pas d’ajouter que c’est un Allemand qui parle ainsi d’un sopraniste italien, genre de chanteurs qu’on avait en horreur au-delà du Rhin. Un amateur et un écrivain distingué de Venise, le chevalier André Majer, qui a laissé plusieurs ouvrages remarquables sur la musique, dit aussi de Pacchiarotti : « Je défie l’écrivain le plus habile d’essayer de donner une idée du talent de cet artiste à ceux qui ne l’ont pas entendu. Son style savant et admirable se composait de nuances infinies, d’ornemens brisés, d’appoggiatures, de grapetti, de rinforzi, c’est-à-dire de renflemens de sons et de demi-teintes adorables dont il est impossible à la parole humaine de rendre les effets[12].» Arteaga, dans son Histoire des Révolutions du théâtre musical en Italie, s’écrie, en parlant du grand virtuose qui nous occupe : « pathétique Pacchiarotti! bien que ton rival, Marchesi, te soit supérieur par l’éclat de la vocalisation, tu es le seul artiste vivant à qui je voudrais accorder le laurier dont l’ancienne Grèce couronnait la statue d’Arion! » Cette opinion sur le talent de Pacchiarotti était universellement partagée, Mme Vigée-Lebrun, ce peintre délicat et charmant qui se trouvait à Venise en 1792, dit, dans les mémoires qu’elle a laissés : « J’assistai au dernier concert que donnait Pacchiarotti, célèbre chanteur, modèle de la grande et belle méthode italienne. Il avait encore tout son talent; mais depuis le jour dont je parle, il n’a plus reparu devant le public. » On raconte qu’à Rome, où Pacchiarotti chantait dans un opéra de Bertoni, Artaserse, il fut si touchant et si pathétique dans la scène du jugement, alors qu’il s’écrie : Eppur sono innocente, que les musiciens de l’orchestre s’arrêtèrent tout court. Étonné de ne plus entendre l’accompagnement, Pacchiarotti baissa le regard et dit au chef d’orchestre : « Eh bien! que faites-vous donc? — Nous pleurons, « répondit-il.

Nous l’avons dit, le goût fin, le sentiment et le savoir de Pacchiarotti, qui avait reçu une bonne éducation musicale et littéraire, le rendaient propre à chanter tous les styles; mais c’est dans la musique large et sérieuse qu’il était particulièrement remarquable. Comme tous les virtuoses célèbres qui ont parcouru le monde, Pacchiarotti fut obligé de chanter dans beaucoup d’ouvrages médiocres, tels que les opéras de Nasolini, par exemple; mais lorsqu’il pouvait choisir, il n’aimait à interpréter que les œuvres des grands maîtres. Il avait un grand penchant pour la musique de Traetta, qui fut un compositeur plein de sentiment, et particulièrement pour les opéras de Jomelli, qu’on avait surnommé le Gluck de l’Italie. Il s’était formé un répertoire des plus beaux airs qu’il avait pu trouver, et il les intercalait dans les opéras médiocres où il était obligé de paraître. On cite parmi ces morceaux favoris de Pacchiarotti l’air Misero pargoleto, du Demofoonte d’un compositeur obscur, Monza; un air de Bertoni : Non temer; un autre: Dolce speme, du Rinaldo de Sacchini; puis Ti seguiro fedele, de l’Olimpiade de Paisiello, et surtout un air de Piccinni :

Destrier che all’ armi usato,


où il était admirable, au dire de Saverio Mattei. Dans sa longue retraite à Padoue, où il vivait comme un seigneur, Pacchiarotti aimait à faire exécuter dans ses appartemens les psaumes de Marcello, dont il comprenait si bien le style large et solennel. Pacchiarotti, que j’ai entrevu dans ma tendre jeunesse, recevait dans son joli palazzo les artistes et les voyageurs les plus distingués de l’Europe. Il a donné des conseils à la Pisaroni, et Lablache, qui avait assisté à ces leçons intéressantes, m’a assuré que rien n’était plus admirable que la manière dont le vieux sopraniste disait le récitatif. C’est à Pacchiarotti que la Pisaroni doit la tradition de ce grand style que nous avons admiré à Paris, Rubini aussi a eu l’inappréciable avantage de voir et d’entendre Pacchiarotti, qui lui dit un jour, après avoir chanté au jeune ténor un air pathétique de Traetta : « Dans notre art, il y a toujours de nouvelles difficultés à vaincre. Plus on étudie et plus on voit combien il reste de choses à apprendre, en sorte qu’on arrive à savoir chanter lorsqu’on n’a plus de voix. Moi-même, je m’aperçois que tous les jours je découvre des effets nouveaux. Quand on est jeune, on a la voix, et l’art vous manque; quand on a enfin appris à chanter, la voix a disparu. » Rubini ajoutait, en racontant cette anecdote, qu’il pouvait témoigner lui-même de la vérité de l’observation de Pacchiarotti. Rossini, qui a vu souvent Pacchiarotti à Venise, assure que c’était un aimable vieillard, très instruit et très généreux. « Il causait avec esprit, m’a dit le grand maître, racontait beaucoup d’anecdotes plaisantes, et chantait à ravir; mais il aimait trop les sonnets. Il en faisait lui-même, et chaque jour il vous en lisait de nouveaux. »

Il est piquant de constater que l’auteur de Tancredi, dont les chefs-d’œuvre ont provoqué la révolution qui a banni les sopranistes de la scène lyrique italienne, regrette pourtant, il me l’a dit bien souvent, la disparition de ces curieux phénomènes du caprice et de la sensualité. Ce qui explique ce regret de la part d’un si grand musicien, dont le génie dramatique n’est méconnu aujourd’hui que par des oreilles tudesques, c’est que les sopranistes avaient porté l’art de chanter à une perfection dont on ne peut se faire une idée. On se trompe grossièrement en croyant que ces êtres, mutilés par une horrible coutume qui remonte aux premiers âges de l’histoire, fussent dépourvus d’émotion et de sentimens, et incapables de rendre l’accent des passions. Ils avaient les mêmes passions qui animent tous les hommes, et on pourrait presque soutenir, sans paradoxe, qu’ils exprimaient certains sentimens tendres avec la douloureuse aspiration d’un captif qui regrette la liberté, ou d’un aveugle qui parle de la lumière, Glück, Handel, Jomelli, Traetta, Piccinni, les compositeurs les plus énergiques et les plus sérieux, ont écrit pour les sopranistes sans affaiblir leur pensée et sans faire des concessions indignes de leur génie. Il est vrai qu’un opera seria italien au XVIIIe siècle était d’une trame fort simple, et qu’il ne renfermait que des situations peu compliquées. Les passions énergiques y étaient rarement admises, et une pièce comme l’Olimpiade de Métastase, qui a été mise en musique par tous les compositeurs illustres, depuis Leo jusqu’à Paisiello, ne renferme que quelques scènes d’amour. Des airs, des duos, quelquefois un trio et des chœurs peu développés, tels étaient les élémens d’un opéra séria jusqu’à l’avènement de Mozart. Cela suffisait, avec des virtuoses comme Pacchiarotti, pour exciter les plus vifs transports et pour entr’ouvrir au public un coin de l’idéal. Quand on a entendu Rubini, comédien gauche et presque ridicule, soulever la salle du Théâtre-Italien de Paris en chantant du bout des lèvres et les mains dans les poches, pour ainsi dire, l’adorable cantilène de la Sonnambula de Bellini, — Il pia misero dei mortali, — on a la mesure de la puissance de la voix humaine et de l’art de chanter. Tels étaient les effets merveilleux que produisaient les sopranistes comme Guadagni et surtout comme Pacchiarotti. Si l’on pouvait dire tout ce que renferme de curieux la vie intime des sopranistes sur le sujet délicat que je ne puis qu’effleurer ici, on serait surpris de la vivacité des sentimens qu’ont éprouvés ces êtres singuliers. Salimbeni par exemple, qui fut un sopraniste célèbre, beau comme le jour et l’un des chanteurs favoris du grand Frédéric, est mort à la fleur de l’âge, en 1751, épuisé par les passions vives qu’il avait éprouvées. Quant à Marchesi, le rival de Pacchiarotti, lorsqu’il chantait à Vienne, toutes les femmes de la cour arrivaient au théâtre avec le portrait du virtuose suspendu au cou.

On a comparé le talent de Pacchiarotti (c’est lord Edgecumbe qui fait ce rapprochement) à celui de Mme Pasta, dont la voix sourde et médiocre était rachetée par tant de goût et un sentiment si juste et si profond des situations dramatiques. Eh bien ! qu’on se rappelle cette cantatrice portant sur sa belle tête le casque de Tancredi, s’avançant près de la rampe et, les bras croisés sur sa poitrine, chantant d’une voix pénétrante, qui se dilatait peu à peu, l’air printanier : Di tanti palpiti, — et on aura une intuition de l’effet que devait produire Pacchiarotti chantant l’air fameux de Piccinni :

Destrier che all’armi usato !


P. SCUDO.



A M. LE DIRECTEUR DE LA REVUE DES DEUX MONDES.


Monsieur,

Absent de Paris, je viens seulement d’apprendre qu’un rédacteur du Moniteur, M. Ernest Desjardins, a récemment publié sous ce titre : Du Patriotisme dans les Arts, une brochure où, à propos de mes observations sur la collection Campana, je suis personnellement attaqué avec un défaut de mesure qui m’engagerait au silence, si j’étais bien certain que mon silence ne fût imputé qu’au dédain. Vous avez peu d’espace à m’offrir dans votre numéro, déjà presque imprimé ; moi-même je n’ai que peu d’instans à ma disposition : c’en est assez pour la réponse qu’il me convient de faire. Autant j’aurais à cœur d’accepter une controverse loyale et éclairée sur ces questions qu’on supposait tranchées, et qui, dit-on, doivent renaître, autant je suis peu d’humeur à prendre au sérieux les attaques d’un homme qui ne s’est pas donné la peine de lire ce que j’ai dit, ou qui le comprend si mal qu’il me réfute même quand par hasard je suis de son avis, altérant mes paroles, m’accusant de mépris pour les choses que j’estime et que j’aime le plus, m’attribuant en un mot, selon sa fantaisie, les opinions en matière d’art les plus contraires à celles que j’ai toujours hautement professées.

Qu’ai-je donc fait à M. Desjardins ? Je l’ai ménagé de mon mieux. En parlant de cette Notice dont le zèle imprudent et l’enthousiasme sans réserve ont, selon moi, fait plus de tort au musée Napoléon III que ses détracteurs les plus sévères, je n’ai même pas dit quel en était l’auteur. J’ai fait plus : je me suis refusé le plaisir trop facile de relever dans ce petit écrit d’étranges aberrations, et notamment de signaler, en m’occupant des majoliques, certaine découverte de M. Desjardins qui aurait assurément égayé mes lecteurs. Il est vrai qu’en citant quelques phrases de sa notice, je l’ai qualifiée d’officielle; c’est là ce qui déplaît à M. Desjardins. Cela lui parait « désobligeant. « En vérité, je m’en étonne : j’aurais pensé qu’au Moniteur ce mot-là devait être mieux pris; mais la passion de M. Desjardins, je l’ignorais, est pour l’indépendance. C’est en effet presque toujours à la qualité qui paraît nous manquer que nous tenons le plus. M. Desjardins m’affirme qu’il n’a jamais reçu d’aucun haut personnage la moindre inspiration : je le crois sur parole; seulement, s’il est pour lui si jaloux de l’indépendance, d’où vient que chez les autres il lui paraît tout naturel d’en faire si bon marché? Pourquoi dire à un homme qu’on croit à sa sincérité tout en insinuant qu’on la nie, qu’on le suppose sous le joug de regrets, de rancunes, de mécontentemens, et que ces tableaux qui lui semblent médiocres, s’ils eussent été acquis quinze ans plus tôt, il les trouverait bons? — Que dites-vous, monsieur, de ce genre de logique, de cette urbanité et de ce savoir-vivre? Voilà pourtant comme raisonne M. Ernest Desjardins; c’est le fond de son œuvre, son argumentation principale. Le titre seul qu’il a choisi ne vous le dit-il pas? Du patriotisme dans les arts! Vous comprenez ce que cela signifie. Admirer le musée Campana, en exalter les trésors, mais avec des réserves, à bon escient, n’en pas tout admirer et surtout ne pas le proclamer un et indivisible, c’est ne pas aimer son pays, c’est être Russe, Anglais, que sais-je? C’est être des vieux partis. Les vieux partis voilà le mot. Cet argument de bas étage, dont la presse la plus zélée, la plus officieuse, sent aujourd’hui le ridicule et l’odieux, et que, même par ordre, elle n’emploierait plus qu’à son corps défendant, M. Desjardins ne craint pas d’en faire son arme favorite. Que dis-je? il enchérit sur ce que l’ardeur des premiers jours avait inventé de plus beau, de plus raffiné en ce genre. Pour lui, tout homme qui sous un précédent régime a joué un rôle politique, si modeste qu’il fût, et qui reste fidèle à ses sermens, à ses croyances, est non-seulement un mauvais citoyen, un ennemi de sa patrie; il est encore quelque chose de plus. M. Desjardins le proclame impropre à faire de la critique, inhabile à écrire sur les arts! On croit peut-être que je plaisante. Je n’ajoute pas un mot, c’est imprimé, on peut le lire, p. 53.

Vous comprenez, monsieur, qu’il faut quelque courage pour aller plus avant. Voyons pourtant si dans le flot de ces aigres paroles qui voudraient bien être malicieuses, mais qui passent trop loin de moi pour me donner la moindre envie d’en fatiguer vos lecteurs, voyons s’il n’y a pas quelque fait qu’il importe de relever.

Quelles sont les prétendues erreurs qu’on m’accuse d’avoir commises et qu’on me somme de reconnaître?

Mon premier crime est d’avoir dit que le Palais de l’Industrie s’était vu peu à peu abandonné par la foule, et que, malgré le concours d’une presse unanime et l’ardeur des réclames, l’indifférence du public était allée en croissant. Le fait est si notoire que je ne pensais pas qu’on pût le contester. C’est pourtant là ce que l’on tente, et le moyen qu’on imagine est d’établir, par les carnets des commissaires de police, que du 6 juin au 5 juillet, pendant vingt jours que l’on choisit, il est entré dans le musée 36,261 visiteurs. Je ne demande pas si les dix jours qu’on élimine, sans en dire la raison, auraient fait baisser la moyenne, je demande encore moins pourquoi ce tableau de chiffres s’arrête au 6 juin sans remonter plus haut. Il me suffit de dire ce que j’ai vu, ce que j’ai constaté de mes yeux sans le secours des officiers de paix. J’ai pour le moins fait dix séances au musée Napoléon III depuis le jour d’ouverture jusqu’au 5 juillet. Dans les premières, je circulais à peine, un mois après j’étais à l’aise; puis, dans les derniers temps, j’étais en solitude. Le 3 et le 4 juillet, notamment, j’y suis resté deux ou trois heures de suite, et j’ai parfaitement constaté que, dans les salles où j’étais, le nombre des visiteurs n’égalait pas celui des gardiens. Et en effet M. Desjardins oublie que les visiteurs se succèdent, qu’à l’exception de quelques travailleurs, le plus grand nombre, les étrangers surtout, passent d’un pas rapide, et qu’en moyenne chaque visite n’est guère que d’une heure tout au plus. Il faut donc diviser le chiffre des visiteurs par le nombre des heures où le musée reste ouvert, ce qui, à l’exception des dimanches, ne donne guère pour chacune de ces vingt journées qu’une centaine de spectateurs à la fois. Or qu’est-ce que cent personnes dans cette immensité? Encore un coup, c’est le désert.

Je tenais à justifier mon dire, d’autant plus que M. Desjardins ne peut pas croire qu’à moi tout seul j’ai découvert ce fait, que je déplore bien loin d’en triompher, cette croissante indifférence du public. C’est là, me dit-il, le captieux argument dont le musée du Louvre s’est servi pour « tromper l’empereur, » c’est du Louvre qu’il vous est venu. — Vous comprenez quelle fortune, si l’on pouvait établir que le Louvre est en intelligence avec les vieux partis! Or le hasard aurait pu faire qu’avant de quitter Paris, il y a bientôt trois mois, j’eusse rencontré un des conservateurs du Louvre, mon confrère par exemple, M. de Longperrier, et que la conversation fût tombée sur la collection Campana; mais ce même hasard a voulu que je n’aie pas échangé une seule parole, que je n’aie pas demandé un seul renseignement à qui que ce soit touchant ou de loin ou de près à la direction des musées, et que mon travail solitaire ait été aussi étranger, aussi imprévu à MM. les conservateurs du Louvre qu’à M. Desjardins lui-même. N’insistons pas sur ce détail, qui après tout n’a pas grand intérêt.

Reste le fond de la question, l’unité, c’est-à-dire l’isolement, l’indépendance, le gouvernement séparé du musée Napoléon III. M. Desjardins me concède que tout n’est pas parfait, que tout n’est pas à conserver dans la collection. Que n’avait-il cette franchise ou cette clairvoyance en rédigeant sa notice! «Il faut reconnaître, dit-il, qu’il y a grand nombre d’œuvres médiocres, et nous ne songeons ni à tout admirer ni à vouloir que, dans la série des sculptures par exemple, on conserve tout. » L’épuration est donc admise; je ne suis donc pas si coupable de l’avoir demandée! Reste à savoir comment elle sera faite. Si c’est avec le dessein de maintenir un musée séparé, on ne supprimera que le mauvais, on gardera le médiocre. Voilà pourquoi, dans l’intérêt de l’art, de la science, de notre gloire nationale, je me permets d’avoir à cœur qu’au lieu de doter Paris de deux musées incomplets qui se jalouseront sans se porter secours, on en fasse un de premier ordre; qu’on transporte franchement au Louvre, où l’espace ne doit pas manquer, quoi qu’on dise, après tant de constructions nouvelles, tout ce que la collection Campana renferme de précieux et d’exquis, surtout dans ses séries antiques, afin de porter d’un seul coup notre musée français au plus haut degré de splendeur.

Et maintenant que signifient tous ces grands noms, tous ces illustres témoignages dont on prétend m’accabler ? Ces hommes, la gloire de l’art et de l’archéologie en France et à l’étranger, je m’incline devant eux, et les prends volontiers pour juges ; mais qu’ont-ils dit qui tranche la question, la question comme il faut la poser, dans ses véritables termes ? Ces lettres, ces paroles, ces adhésions, qu’on cite avec tant de fracas, expriment-elles autre chose qu’une sympathique admiration pour les trésors de la galerie Campana, une ferme assurance que ces modèles seront d’un puissant secours pour nos arts et pour notre industrie ? Or ce sont là des vérités sur lesquelles tout le monde est d’accord. Qu’y a-t-il donc à conclure de ce pompeux étalage ? Les trésors de cette collection seront-ils perdus pour la France parce qu’ils auront changé de mains ?

J’ai hâte de finir, et pourtant il faut vous dire un mot de la péroraison de M. Desjardins. C’est quelque chose de touchant ! Il veut bien me donner des conseils, s’occuper de mon éducation, me dire par quels moyens j’aurais pu faire de la critique en matière d’art, sans cette malheureuse politique qui m’a frappé, comme on l’a vu, d’une incapacité radicale. A supposer que je m’obstine, il a la bonté de s’offrir pour guider mon inexpérience. Il m’engage surtout à triompher de mes dédains, de mes mépris pour l’archaïsme en général et en particulier pour l’art du moyen âge. Pourquoi tenir rigueur à ces bons maîtres primitifs ? Il m’apprend à les mieux comprendre, à en sentir les naïves beautés. Et ce n’est pas assez de m’honorer de ses conseils, M. Desjardins me révèle une circonstance de ma vie que j’ignorais absolument. Il m’apprend que j’ai fait partie de l’École normale, et il en tire des conséquences tout à fait éloquentes. L’erreur n’est pas grave, à coup sûr ; mais chez un professeur d’histoire on pourrait désirer, ce me semble, un peu moins d’imagination. Enfin, sur quelques bancs que je me sois assis, je suis un écolier dont franchement il désespère. « Il est bien tard,» dit-il ; aussi me souhaite-t-il, pour conclusion dernière, « avec plus de raison que l’archevêque de Grenade à Gil Blas, une meilleure fortune avec un peu plus de goût. »

Je vous laisse, monsieur, sur ce trait, sur cet échantillon du goût et de l’esprit de M. Desjardins, non sans demander pardon à vos lecteurs de les avoir si longtemps entretenus de moi et pour si peu de chose !

Agréez, etc.


L. VITET.


V. DE MARS.

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  1. Les monastères dédiés sont ceux qui, fondés en Valachie ou en Moldavie, ont été placés sous la direction d’établissemens religieux qui se trouvent hors du territoire roumain, tels que les saints lieux de la Palestine, les couvens du mont Athos, de la Roumélie, etc.
  2. Comme documens sur cette question importante, nous citerons entre autres les Éclaircissemens sur la Question des Monastères grecs situés dans les principautés danubiennes, — Mémorandum sur les Églises, les Monastères, etc., par Bengesco, etc., la Question des monastères de Moldavie voués aux lieux saints, par M. Istratti, traduit du roumain, Jassy 1860; — Monastirile zise Inkinate, si Kaloudgieri straini, de Joan Brezoiano, Bucharest 1861; — Monastirile din Romania, de César Bolliac, Bucharest 1862, etc.
  3. En grec, ἀφιερόμενα (aphieromena), c’est-à-dire consacrés ; en valaque, inkinate, c’est-à-dire inclinés, soumis.
  4. Nous citons la traduction faite par les moines grecs, et c’est assez dire que nous faisons toute réserve sur la portée du mot donation qu’on y rencontre quelquefois, et en général sur le style un peu bizarre de ces textes, d’ailleurs parfaitement intelligibles.
  5. La Russie et la Turquie ne se sont pas associées à cette déclaration, ni à celles que nous aurons encore à citer. Le rapport de la commission a été lu à la tribune de Bucharest.
  6. Nous parlons plus bas du protocole XIII de 1858.
  7. En effet, presque tous les documens cités sont postérieurs à la fondation et à la première dédicace.
  8. Voyage à Madagascar, par Mme Ida Pfeiffer, traduit de l’allemand par M. de Suckau et précédé d’une notice historique par M. F. Riaux; 1 vol. in-12, chez Hachette. — Voyez aussi un Voyage à Madagascar, par M. le baron Brossard de Corbigny, capitaine de frégate, dans la Revue maritime et coloniale de juillet et août 1862.
  9. Voyez la Revue du 15 février 1859.
  10. Voyez la Revue du 1er octobre 1861, du 15 avril et du 15 juillet 1862.
  11. Mattei écrivait ces paroles en 1784, année où parut son ouvrage.
  12. Discorso sulla origine, progressi e stato attuale della musica italiana. Padoue 1821, in-8o. C’est l’année où est mort Pacchiarotti.