Chronique de la quinzaine - 30 juin 1836
30 juin 1836
Les événemens politiques de la quinzaine ont tous disparu devant l’acte d’horrible démence qui, dans la soirée du 25 juin, est venu surprendre et consterner Paris et la France. L’assassin est un nommé Louis Alibeau de Nîmes, âgé de vingt-six ans et se disant commis négociant. Nous ne reproduirons pas ici les détails donnés par les feuilles quotidiennes sur l’arrestation de ce malheureux, sur ses habitudes dépravées et son langage depuis qu’il occupe, à la Conciergerie, la chambre de Fieschi.
Le fanatisme d’Alibeau est froid et taciturne ; avec plus d’instruction que Louvel, il lui ressemble en plusieurs points. Comme lui, il a long-temps nourri son sinistre projet ; depuis trois ans, il a conçu et entretenu l’idée d’assassiner le roi, et si, jusqu’ici, il avait consenti à en ajourner l’exécution, c’est qu’il attendait qu’une révolution vînt renverser le gouvernement de juillet, et lui épargner ainsi la peine, les dangers et l’immortalité de l’assassinat. On trouve ainsi, dans cet homme, ces espérances vagues d’un nouvel état social brusquement improvisé, cette attente de l’imprévu, cette invocation paresseuse de l’impossible, cette oisiveté mécontente, qui, tout en cherchant des distractions dans la débauche, se tient, l’arme au bras, à la disposition de l’émeute. Il est remarquable qu’Alibeau a été déterminé à hâter l’exécution de son crime par la tranquillité même dont jouit la société ; il appelait les convulsions de la guerre civile, et, désespéré par le calme qui régnait autour de lui, il s’est adressé à l’assassinat pour contraindre le pays à une révolution.
On ne saurait trop déplorer la confusion des idées qui précipite dans le crime ces imaginations dépravées. Il y a vraiment dans notre société quelques hommes qui sont encore plus malades que coupables. Alibeau a fait quelques lectures ; on a trouvé chez lui un volume des Martyrs de M. de Châteaubriand, et un volume de Saint-Just. Quelques lectures de plus et quelques vices de moins, il eût compris que les premiers chrétiens propageaient leur croyance et leur foi par le martyre et non par l’assassinat, et il n’eût pas cru se mettre à côté des hauts révolutionnaires de l’époque exceptionnelle de 93, en dressant un guet-apens contre le roi, le malheureux eût encore compris combien la société, dont il voulait se porter l’interprète et le vengeur, était loin d’accorder la moindre sympathie à ses sauvages opinions. Étrange délire que de vouloir entraîner à sa suite une société dans laquelle on n’a pas même su prendre la moindre place par le travail, la vertu ou le talent. On ne saurait trop s’élever contre ce pernicieux mélange de vanité et de paresse qui porte certains esprits à délaisser les nobles labeurs, la persévérance de tous les jours dans un art, dans une profession, dans la science, pour demander à de brutales violences un rôle éclatant, qui les gorge de jouissances et de bruit ; ils ont oublié que, dans tous les temps, la réputation et le bien-être n’ont été la conquête que de la constance. Pour tous les hommes vraiment illustres, la gloire et la fortune ont toujours été lentes à venir. Michel-Ange travaillait aussi rudement qu’un maçon.
La société devrait pourtant être comprise dans ses sentimens et ses volontés, car son attitude est un grave enseignement pour qui veut l’interroger et la servir ; elle est calme, elle se sent forte, elle ne se prend ni à la colère ni au désespoir, elle est sûre d’elle-même et de ses destinées. On dirait que dans son apathie plus apparente que réelle, elle sourit ironiquement des tentatives de ceux qui veulent l’emporter là où elle ne veut pas aller, à savoir en arrière ou au-delà des bornes nécessaires du présent et du siècle.
Il serait à désirer que les hauts fonctionnaires, qui représentent le double intérêt du gouvernement et de la société, montrassent, dans leurs actes et dans leurs proclamations, un sentiment vrai de l’état social. Les préfets, à l’occasion de l’attentat du 25 juin, ont adressé à leurs administrés une proclamation pour exprimer et appeler l’indignation générale de la France sur cet acte odieux. Plusieurs d’entre eux ont représenté l’état et la société même à deux doigts de leur ruine, si l’assassin eût réussi dans son exécrable dessein. Ils oublient donc que la mort tragique du roi, si affreuse et si déplorable qu’elle fût, ne saurait ébranler dans ses fondemens la constitution de la société. N’y aurait-il donc plus de lois, de Charte, de dynastie, de chambres, de magistrature, d’armée, de garde nationale ? N’y aurait-il donc plus de société, avec ses traditions, sa volonté, et la puissance de les faire triompher. Il est fâcheux que dans la haute administration on puisse noter une telle absence de tact. Ayez du zèle, messieurs, mais plus d’habileté. On ne vous demande pas des phrases d’adulation, mais de la bonne et ferme administration.
Avant le 25 juin, avant d’être exclusivement absorbée par l’attentat d’Alibeau, la presse quotidienne avait passé une longue revue de la session qui vient de finir. Les avis sévères n’avaient pas été épargnés à nos législateurs. À vrai dire, quelques-unes des censures n’étaient pas sans fondement. Il s’est perdu bien du temps que réclamaient d’utiles travaux interrompus ou à commencer. Toutefois, de l’aveu même des censeurs les plus austères, la chambre se recommande cette année par l’adoption de deux importantes mesures, empreintes l’une et l’autre d’un esprit de progrès et de perfectionnement notables. Nous voulons parler de la loi des douanes et de celle des chemins vicinaux. Deux lois libérales et populaires, est-ce donc si peu ? Une session est-elle absolument stérile quand elle les a produites ? Plusieurs des dernières sessions du parlement anglais ont été moins fécondes encore.
Au dehors, beaucoup de petites nouvelles, mais peu d’importantes. En Espagne, toujours le même sommeil général. L’esprit public et la guerre civile semblent dormir pareillement. Mais la prochaine session des chambres ne tardera pas à réveiller en sursaut tout le pays. Pour l’instant, les officiers de l’armée du général Évans sont les seuls qui donnent quelque signe de vie. Au défaut des opérations militaires, ils ont organisé des courses au clocher. Des courses au clocher en Biscaye où ce n’est que montagnes et ravins ! Ces Anglais doivent être contens. Nulle part ils n’auraient trouvé d’aussi belles occasions de se rompre le cou.
En Portugal, dona Maria a dissout sans cérémonie la chambre de ses députés, parce qu’ils avaient prétendu discuter sérieusement les lois financières qui leur étaient soumises, et pour lui avoir contesté le droit d’investir du commandement de l’armée son nouvel époux. Quand nous regardions cette jeune princesse danser follement à Paris, il y a quatre ans, qui nous eût dit qu’elle serait bientôt une reine si mauvaise tête, et si peu regardante aux coups d’état ?
En Angleterre, la grande querelle entre les deux chambres n’a pas fait beaucoup de pas vers l’accommodement. Les lords sont saisis du bill des corporations irlandaises réamendé par les communes, et leurs seigneuries ne paraissent pas fort empressées de choisir entre la paix et la guerre. D’ailleurs, bien qu’il attende avec une impatience fiévreuse le dénouement de la collision, le parlement ne demeure pas pour cela inactif Diverses scènes comiques ont beaucoup égayé le débat sur la réduction des droits de timbre qu’on a votée conformément aux résolutions du chancelier de l’échiquier. L’amendement développé par M. Kearsly a surtout diverti l’assemblée. L’honorable membre avait proposé, avec une imperturbable gravité, de dégrever le savon, au lieu de dégrever les journaux Puis, durant la même discussion, est survenue l’aimable dispute entre M. Roebuck et le même M. Kearsly : M. Kearsly avait déclaré le discours de M. Roebuck dégoûtant ; M. Roebuck a déclaré que M. Kearsly ne s’était pas assez abstenu de trop boire à son dîner.
Ces gentillesses parlementaires n’ont jamais, du reste, des suites bien sanglantes, grâce à l’intervention omnipotente du speaker, qui calme les antagonistes les plus fougueux, en les faisant enfermer dans les prisons de la chambre jusqu’à complète pacification. Ainsi, et en vertu des salutaires réflexions qu’inspire la prison, s’est terminée la terrible affaire entre M. Trench et M. Wason, qui ne voulaient rien moins que s’aller entretuer à Calais. Celle de sir John Hobhouse et du colonel Sibthorp ne semblait pas devoir se conclure si aisément. Sir John, interrompu, pendant qu’il parlait, par un ricanement du colonel, avait riposté poliment : « Il n’y a rien de si sot qu’un sot rire. » Là dessus le colonel de jeter feu et flamme. Rien ne le pouvait satisfaire que le sang répandu, et voilà que soudain cette colère s’apaise et tombe devant une rétractation indirecte de sir John, et quelques avis paternels du speaker. M. O’Connel a bien eu également sa petite altercation avec M. Richards ; mais comme le grand agitateur est rigoureusement fidèle à son vœu de ne plus se battre, ses affaires d’honneur sont les plus faciles de toutes à arranger. Ces combats singuliers de paroles seraient bien ridicules et bien intolérables, s’ils se répétaient souvent. Ils ont été beaucoup plus fréquens cette quinzaine qu’ils ne le sont d’ordinaire. Il faut les attribuer à l’excitation que cause dans la chambre le conflit avec la pairie. C’est de la colère surabondante ; on se bat avec qui l’on peut, en attendant la grande mêlée.
La chambre des lords a repoussé, à une immense majorité, le bill qui tendait à introduire quelques indispensables réformes dans la cour de chancellerie. C’est que ce bill était un acheminement à des réformes bien plus graves. Il conduisait à remanier la juridiction monstrueuse des lords jugeant comme cour d’appel. Il menait à séparer les fonctions politiques et judiciaires du chancelier. Or, ces questions touchent essentiellement à la constitution même de la pairie. On conçoit qu’à l’heure qu’il est les pairs ne soient guère empressés d’ouvrir une voie aux assaillans qui les battent en brèche.
Mais c’est hors du parlement que s’est jouée la principale scène. Le procès intenté à lord Melbourne n’était au fond qu’un procès politique sur lequel les tories fondaient de grandes espérances. Les tories ont fait cette année une campagne peu honorable et peu dans les habitudes parlementaires du pays. Désespérant de détruire le caractère public de leurs ennemis, ils ont essayé de détruire leur caractère privé ; ainsi ont-ils attaqué la moralité de lord Melbourne, de même qu’ils s’en étaient pris à la probité d’O’Connel, au sujet de l’élection de Carlow. Cette seconde tentative sans générosité ne leur a pas mieux réussi que la première. Un jury anglais n’admet pas légèrement la culpabilité en fait d’adultère ; il ne se décide point d’après de simples présomptions, sur la foi de témoins douteux. Bien plus, la loi impose une condition essentielle au mari qui demande des dommages-intérêts. La loi veut qu’il ait été vigilant ; qu’il se soit montré le constant et jaloux observateur de sa femme ; qu’il n’ait jamais paru insoucieux de cet honneur dont il vient réclamer le paiement. Or, tel n’était point le cas de M. Norton. M. Norton n’avait été ni vigilant, ni jaloux ; il n’avait nullement été un sévère gardien de son honneur. Au contraire, il avait fermé les yeux ; il avait été volontairement aveugle. Ces considérations dictaient d’avance le verdict qui a proclamé la double confusion des tories et de leur déplorable instrument. Rien n’a manqué à celle de M. Norton. Il n’a pas même obtenu cette précieuse fiche de consolation du farthing qui eût rejeté les frais à la charge du défendeur ; et l’on sait qu’ils sont considérables en Angleterre lorsqu’il s’agit d’une audition de témoins.
— C’est un véritable événement littéraire que la double publication de l’Essai sur la littérature anglaise et de la traduction du Paradis perdu de Milton, par M. de Chateaubriand. Nous ne pouvons que signaler aujourd’hui à l’attention publique ces deux ouvrages, que recommande assez le nom de l’illustre écrivain. Nous les examinerons une autre fois avec l’étendue et le soin qu’exige une œuvre de cette importance.