Chronique de la quinzaine - 14 octobre 1847

Chronique n° 372
14 octobre 1847


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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14 octobre 1847.


L’événement du jour est naturellement le changement de ministère en Espagne. Nous pouvons le résumer en quelques mots, en disant que le parti modéré est revenu au pouvoir, que la reine Christine est partie pour Madrid, où elle est probablement à cette heure, et que le général Serrano, nommé capitaine-général de Grenade, a quitté Madrid, la cour et la reine, pour aller à son poste.

La victoire du parti modéré et du général Narvaez était inattendue pour tout le monde, pour l’Espagne, pour la France, surtout pour l’Angleterre. Si nous ne nous trompons, l’ambassadeur de France à Londres a dû recevoir la nouvelle de la nomination du nouveau ministère espagnol au moment où il se trouvait à Broadlands, chez lord Palmerston. M. le duc de Broglie est un homme de trop bonnes mœurs pour avoir voulu troubler par ce malencontreux incident les loisirs champêtres de son hôte. Nous présumons que le ministre des affaires étrangères de la Grande-Bretagne aura eu connaissance par une voie plus indirecte d’un événement qui devait singulièrement déranger les calculs de sa politique.

Le fait est que la nomination du général Narvaez aux fonctions de premier ministre en Espagne a dû faire en Angleterre l’effet d’une surprise assez désagréable. Le ministère dont M. Salamanca était l’ame était un véritable ministère anglais. Quand le général Narvaez, en arrivant de Paris à Madrid, avait été si cavalièrement accueilli, c’est à Londres surtout qu’on en avait triomphé. M. Bulwer et M. Salamanca avaient fait place nette ; il n’y avait plus qu’à s’y bien établir. Les journaux anglais n’avaient pas assez d’éloges pour la jeune reine d’Espagne ; ils célébraient à l’envi sa décision, et ce qu’ils appelaient sa maturité. Les moderados et les afrancesados avaient une leçon pour long-temps. La jeune reine commençait enfin à régner. Les belles choses que M. Salamanca allait faire ! Il allait restaurer les finances, rétablir l’âge d’or, arrêter la contrebande française et ouvrir tous les ports de l’Espagne aux cotons anglais ! Les dépêches de M. Bulwer devaient être fort curieuses à lire.

On paraissait, à Londres, si sûr du succès, qu’on affectait une certaine modestie dans le triomphe. Ainsi, nous avons vu le principal organe du gouvernement anglais déclarer dernièrement que personne ne songeait à contester les droits de Mme la duchesse de Montpensier, que c’était une idée qui n’était jamais venue à aucun esprit sérieux. Tout ce qu’on voulait, c’était d’assurer la descendance directe de la reine ; en d’autres termes, on se bornait au divorce. Mais, même pour ce simple objet, M. Salamanca ne suffisait pas ; il n’était pas de force. Aussi pressait-on le général Espartero de profiter de l’amnistie, qui n’avait été faite que pour lui, et d’aller reprendre le pouvoir qui lui était offert à Madrid par le parti progressiste. Si nous sommes bien informés, le général Espartero aurait fait demander, il y a quelque temps, au gouvernement français, si, dans le cas où il voudrait retourner à Madrid, le libre passage par la France lui serait accordé. Le gouvernement français n’avait aucune objection à faire à une pareille demande ; mais il paraîtrait que lord Palmerston aurait préféré que l’ancien régent s’en allât directement d’Angleterre en Espagne, craignant sans doute qu’il ne prît en passant par Paris la peste du modérantisme.

Du reste, le général Espartero n’avait lui-même, à ce qu’on assure, aucune envie de se risquer si tôt dans sa patrie. C’est une justice à lui rendre, lui seul paraît avoir jugé sainement la situation. Il connaissait l’Espagne mieux que ses patrons de Londres ; il savait qu’il ne trouverait aucun appui dans l’armée actuelle, qu’en arrivant en Espagne il se verrait complètement isolé, et que pour lui c’était, selon le proverbe, aller se jeter dans la gueule du loup. Aussi a-t-il répondu aux reproches mal déguisés de pusillanimité qui lui étaient adressés en allant tout simplement se promener à Birmingham, comme autrefois il faisait ses campagnes en se mettant bien tranquillement au lit.

Nous le répétons, c’est lui qui a le mieux jugé la situation. Il a compris que ses amis se faisaient des illusions, qu’ils se perdraient par l’abus même qu’ils faisaient de leur triomphe momentané, et c’est en effet ce qui est arrivé. Il n’est pas besoin d’aller bien loin pour chercher la véritable cause de la révolution ministérielle qui a eu lieu à Madrid. La jeune reine a eu peur des progressistes ; elle a eu peur de ces figures sinistres associées aux plus tristes souvenirs de son enfance. Comme ces élémens impurs qui, dans les jours d’orage, remontent des bas fonds à la surface, elle a vu reparaître ces hommes de désordre et de révolution qui avaient naguère battu son trône naissant avec les flots de la guerre civile et des discordes sanglantes, et, arrivée presque au bord de l’abîme, elle a ouvert les yeux.

Le plan des progressistes et du ministère de MM. Bulwer et Salamanca n’était plus un secret. Il était tout simplement de dissoudre les cortès actuelles, de faire voter par de nouvelles cortès le divorce de la reine, de faire déclarer la déchéance éventuelle de Mme la duchesse de Montpensier, et de remarier la reine avec le fils de don Carlos. Nous ne savons pas si M. Bulwer allait plus loin que ne le voulait son gouvernement, mais il était sur les lieux, et il croyait sans doute pouvoir jouer toute la partie.

Nous avons dit le but, nous avons une certaine répugnance à dire les moyens ; mais enfin les manœuvres du parti progressiste et anglais à Madrid ont reçu une publicité que nous ne pouvons pas leur retirer. Il paraîtrait donc que MM. Salamanca et Bulwer n’auraient pas trouvé dans les entourages de la reine toute la docilité de caractère qu’ils y auraient désirée, et qu’ils auraient cherché à substituer aux influences existantes d’autres influences plus obéissantes et plus dévouées à leurs vues. On a prononcé des noms propres, plus ou moins propres. On a parlé d’un certain colonel, ancien officier de l’état-major d’Espartero, et qui, sans doute pour mieux garder l’incognito, était allé faire du tapage dans les bureaux d’un journal.

Toujours est-il que la manœuvre avait été assez bien menée pour avoir été sur le point de réussir. Le terrain avait été très adroitement miné, et le général Serrano lui-même ne savait pas jusqu’à quel point son influence était compromise. Il ne le sut que lorsqu’il lui fut dit directement qu’une séparation était devenue nécessaire. L’hostilité déclarée du parti progressiste le rejetait naturellement du côté du parti modéré ; il avait des amis et des frères d’armes dans le ministère même de M. Salamanca ; les relations ne furent pas difficiles à établir, et dans la soirée du 3 octobre, le général Narvaez, duc de Valence, était nommé président du conseil. On assure que, pendant la conférence dans laquelle furent signées les ordonnances, M. Bulwer et M. Escosura, ministre de l’intérieur, tentèrent vainement d’être reçus au palais. On ajoute que le colonel Gandara, après une entrevue avec M. Bulwer, chercha aussi à se faire admettre, et n’eut pas plus de succès. Quant à M. Salamanca, il avait une telle sécurité, qu’il était allé se promener à Aranjuez. Il ne revint que le soir pour aller au spectacle. Ce fut M. Ros de Olano, un des ministres, qui contresigna l’ordonnance royale appelant le duc de Valence à la présidence du conseil. M. Escosura se trouvait chez M. Ros, quand le général Narvaez s’y présenta ; il prit l’éveil et alla prévenir MM. Salamanca, Goyena, Cortazar et Sotelo, puis tous quatre s’assemblèrent au ministère des affaires étrangères pour délibérer. Le général Narvaez, en grand uniforme, tomba au milieu de ce conseil, et y entra un peu comme Louis XIV dans le parlement. Il était trois heures du matin. Le général, avec beaucoup de sang-froid, annonça à M. Salamanca et à ses collègues que la reine l’avait chargé de composer un nouveau cabinet, et de leur demander leur démission. On dit que M. Salamanca et M. Escosura firent une certaine apparence de résistance, et que le dernier demanda qui avait contresigné les ordonnances, sur quoi M. Ros de Olano, qui accompagnait le duc de Valence, se montra et répondit : « C’est moi ; » ce qui mit fin à toute nouvelle interrogation.

Ainsi s’est terminée cette crise bizarre, et assurément c’était la meilleure solution qu’elle pût recevoir. Depuis ce moment, la reine est, dit-on, très gaie ; elle raille assez spirituellement ses anciens ministres. M. Salamanca, dans l’audience habituelle de congé qu’il a reçue, a été très froidement accueilli. Il reste maintenant à désirer ce que des intrigues fort peu honorables ont jusqu’à présent empêché, la réconciliation de la reine avec son mari. Il y a lieu d’espérer que ce rapprochement si désirable ne tardera pas à se faire. Au milieu des embûches et des obsessions dont elle était entourée, la jeune reine prononçait avec larmes le nom de sa mère. La reine Christine est partie pour aller rejoindre sa fille ; elle retourne à Madrid, rappelée par la reine et par le vœu unanime du conseil des ministres. Elle peut y rentrer sans craindre d’y rencontrer, entre elle et sa fille, un obstacle qui blesse sa dignité maternelle. Même après l’éloignement du ministère Salamanca, il restait encore une grande difficulté à vaincre pour amener la réunion de la reine et du roi. On la comprend sans que nous ayons besoin de la désigner plus clairement. Cette difficulté n’existe plus, et rien ne s’oppose désormais à ce que le roi rentre dans le palais devenu libre.

Le premier acte du nouveau président du conseil a été de convoquer les cortès pour le 19 novembre. C’est la meilleure réponse que pût faire le général Narvaez aux doutes conçus sur la sincérité de ses sympathies constitutionnelles et libérales. Il faut espérer qu’il persévérera dans cette voie. L’attitude calme, patiente et courageuse qu’il a eue pendant toute la durée de cette crise lui fait le plus grand honneur, La place n’était pas toujours sûre, et dans un pays comme l’Espagne, c’était jouer gros jeu que de rester.

Le parti modéré est revenu au pouvoir ; sera-ce pour long temps ? C’est ce que personne ne peut dire. Dans tous les cas, ce qui vient de se passer en Espagne sera pour le jugement de l’Europe un spectacle instructif. Avec le retour du parti modéré, c’est-à-dire du parti auquel on donne le nom de français, l’harmonie est rétablie entre les pouvoirs publics, le scandale qui environnait la royauté disparaît, la cause même en est écartée, et de tristes différends domestiques sont près de s’apaiser, tandis que de l’autre côté tous les efforts, toutes les intrigues, toutes les manœuvres, tendaient à remplacer et à perpétuer le scandale, à envenimer les discordes et à bouleverser l’ordre établi par la constitution. Ce que nous voudrions bien savoir, c’est si l’Angleterre, la protestante et religieuse Angleterre, qui professe un si grand respect des vertus de famille, approuve la conduite de son représentant, et lui pardonne en faveur du but les moyens si éminemment moraux dont il s’est servi et auxquels il s’est associé.

En Italie, l’aspect des affaires tend à devenir plus calme. Le mouvement libéral se régularise insensiblement ; les gouvernemens semblent avoir compris qu’il valait mieux le diriger en s’y associant que de l’exaspérer en y résistant. La nouvelle de l’évacuation de Ferrare, qui avait été donnée comme positive et avait été l’objet de commentaires précipités, n’était pas exacte. Nous espérons cependant qu’elle n’était que prématurée. L’attitude de résistance passive, de protestation vivante, qu’a prise le pape Pie IX, portera nécessairement ses fruits. En attendant, le pontife libéral poursuit avec calme et avec persévérance le cours de ses réformes. Celle qu’il vient d’entreprendre en dernier lieu est une des plus importantes et sera une des plus fécondes. C’est une sorte d’introduction de la société civile au cœur même de la société ecclésiastique. L’Italie, comme tous les pays très désorganisés, a plus besoin de réformes administratives que de réformes politiques. Désormais Rome et la campagne romaine seront, comme les autres départemens de l’état, représentées et administrées par un conseil délibérant et une magistrature administrative. Le conseil municipal, composé de cent membres, sera nommé la première fois par le souverain, et se renouvellera ensuite par tiers, tous les deux ans, par le vote de ses membres. La magistrature municipale, qui s’appellera le sénat de Rome, se composera d’un sénateur et de huit adjoints. Peut-être cette nouvelle organisation éprouvera-t-elle quelques difficultés à s’établir, la création des institutions devance peut-être un peu celle des hommes ; mais enfin la base d’une administration laïque est jetée à Rome même, et c’est un grand pas. Le peuple de Rome a fait le 3 octobre une grande procession aux flambeaux à l’occasion du dernier motu proprio. Quatre à cinq mille hommes, dans l’ordre le plus parfait, sont allés recevoir la bénédiction du saint-père avec leurs drapeaux. Le gouvernement s’était chargé d’armer à ses frais la garde civique ; mais les populations préfèrent s’imposer à elles-mêmes cette charge, qui écraserait le trésor. De tous côtés, des souscriptions ont été ouvertes pour cet objet ; ce sera pour le pays une taxe spontanée et volontaire de 15 à 16 millions, le quart du budget. On ne saurait assez rendre hommage au zèle déployé par la population romaine, mais surtout à la conduite pacifique, régulière et digne qu’elle garde au milieu même de son empressement.

En Toscane, le parti du progrès modéré a aussi le dessus. Le grand-duc a changé son ministère, et le choix de ses nouveaux conseillers prouve qu’il est disposé à accepter les conséquences des concessions qu’il a déjà faites à son peuple. Tant qu’il restait sous l’influence de conseillers comme M. Pauer et le président Bologna, on pouvait douter de la sincérité ou de la persévérance de ses bonnes intentions. Les noms du marquis Ridolfi et du comte Serristori répondent heureusement à ces inquiétudes. Ce que le parti libéral, en Toscane, doit d’abord s’attacher à obtenir, c’est un nouveau système municipal ; ce sera tôt ou tard la base d’un système constitutionnel.

Les nouvelles du royaume des Deux-Siciles sont un tissu de contradictions. De ce côté, du reste, si nous avions les desseins plus que profonds qu’on nous prête, nous ne pourrions que désirer des bouleversemens. Un journal anglais fort sérieux n’a-t-il pas découvert dernièrement que si M. le duc d’Aumale s’en allait en Afrique, c’était pour se trouver avec cent mille hommes à portée de l’Italie méridionale et se tailler un royaume dans les domaines du roi de Naples ! M. le duc de Montpensier roi d’Espagne, M. le prince de Joinville empereur du Brésil, M. le duc d’Aumale roi de Sicile ! Après avoir si bien établi ses fils, le roi Louis-Philippe pouvait se reposer en paix. Nous ne voulons pas être aussi ridicules, nous ne voulons pas même dire que l’Angleterre jette des regards de convoitise sur la Sicile, quoiqu’on l’ait dit souvent ; mais enfin l’Italie est-elle bien sûre du parfait désintéressement du gouvernement anglais ? Le pape est-il persuadé, par exemple, que les affaires d’Espagne soient complètement étrangères à la résolution qu’a prise la cour de Londres d’envoyer un ambassadeur à la cour de Rome ?

En Piémont, le revirement que nous appréhendions s’est produit. Le comte de Villamarina s’est démis de tous ses emplois ; M. de la Marguerite reste au ministère. Ce fait n’a besoin d’aucun commentaire. Le roi Charles-Albert s’est bien pressé de détruire les espérances qu’on avait fondées sur lui.

En Grèce, les conséquences de la mort de M. Coletti ne se sont pas encore manifestées, mais elles ne peuvent tarder à se faire sentir. Cette mort est pour la Grèce elle-même une perte irréparable, pour la France un événement très regrettable, mais il faut savoir tirer même d’un malheur le meilleur parti possible. Or, le changement survenu dans le personnel du gouvernement hellénique aura peut-être pour effet de rendre plus facile la solution de plusieurs difficultés intérieures et extérieures. M. Coletti, on peut le dire, avait fini par être trop fort ; la prépondérance qu’il avait acquise était peut-être trop exclusive pour n’être pas un peu anormale. Ainsi les dernières élections lui avaient donné une législature dans laquelle il avait non pas seulement la majorité, mais l’unanimité. Il n’y avait pas d’opposition. En apparence, cela peut rendre le gouvernement plus facile ; en réalité, cela le rend moins sûr. Un gouvernement constitutionnel implique nécessairement l’existence d’une minorité, d’une opposition. Quand la minorité n’est pas représentée dans les pouvoirs légaux et réguliers, elle cherche sa satisfaction dans une opposition extra-légale et extra-parlementaire. Les amis véritables de M. Coletti en étaient réduits à désirer pour lui moins de succès et moins de pouvoir. Le résultat des élections avait dépassé leurs désirs et leurs espérances, et peut-être serait-il devenu nécessaire d’avoir recours à un nouvel appel au pays uniquement pour trouver une opposition. La grande et légitime influence personnelle qui avait rallié autour d’elle toute la législature grecque a maintenant disparu, et il n’est pas probable qu’il s’en trouve une autre capable de lui succéder et de la remplacer. On peut donc s’attendre à voir s’opérer en Grèce une dislocation et par suite une classification nouvelle des partis. En même temps, la lutte qui y était directement établie entre les influences étrangères perdra de son activité et de son acrimonie, et nous devons dire qu’à notre avis ce ne sera pas un grand mal. Il y avait à Athènes des partis trop exclusivement français et trop exclusivement anglais, et l’antagonisme des deux influences y avait pris un caractère d’hostilité dont la Grèce elle-même aurait fini par souffrir. Du reste, dans cette lutte, le beau rôle était pour la France ; la libéralité et le désintéressement étaient de son côté, et l’attitude de créancier et d’huissier qu’avait prise le gouvernement anglais était fort peu à son honneur. La nation grecque saura tôt ou tard faire la part des deux conduites ; mais en ce moment il est peut-être à désirer que les deux gouvernemens profitent de l’occasion qui leur est offerte de se relâcher de leur mutuelle animosité. Tout le monde, à commencer par la Grèce, ne peut qu’y gagner.

La diète suisse s’était, on s’en souvient, ajournée au 18 octobre. Cette réunion nouvelle sera-t-elle le signal d’une guerre civile ? On le dit beaucoup. Nous avouons cependant que nous en doutons encore. Nous avons entendu tant et tant de fois répéter qu’une explosion en Suisse était inévitable, infaillible, immédiate, et que le feu allait être mis le lendemain matin aux vingt-deux cantons, qu’à la fin nous nous sommes un peu blasés sur l’imminence de ce danger. En France, où l’on a l’habitude de passer assez vite de la parole à l’action, on a une certaine peine à comprendre que la diète suisse prenne régulièrement tous les ans plusieurs résolutions, et se dispense presque aussi régulièrement d’en exécuter aucune ; mais il faut prendre les peuples comme ils sont. Combien de fois, par exemple, la diète n’a-t-elle pas voté la révision du pacte fédéral ! Combien de fois n’a-t-elle pas nommé des commissions pour en préparer un nouveau ! Chaque fois cependant il a été impossible de l’entendre, et, au milieu de ces controverses interminables, ce pauvre pacte, déchiré et lacéré tour à tour de tous côtés, a néanmoins continué sa marche, et il se soutient encore tant bien que mal.

De ce que la diète a voté cette année, avant de se séparer, la dissolution du Sonderbund ou de la ligue des sept cantons, on en conclut qu’elle est forcément engagée à la mettre à exécution. C’est une erreur ; elle en a la faculté, mais il reste encore à savoir si elle en usera. Les termes même de l’arrêté fédéral n’engagent point la majorité d’une manière irrévocable. Que dit cet arrêté ? Que l’alliance séparée des sept cantons étant incompatible avec les dispositions du pacte fédéral, cette alliance est déclarée dissoute, et que la diète se réserve, si les circonstances l’exigent, de prendre les mesures nécessaires pour faire respecter son arrêté.

La question actuelle de paix et de guerre sera donc résolue par les circonstances. Or, nous croyons que les circonstances sont encore de nature à faire réfléchir les cantons radicaux, qui sont impatiens de renouveler sur les cantons catholiques l’invasion des corps francs. Les souvenirs de cette malencontreuse expédition sont restés, après tout, fort peu populaires en Suisse. Il est vrai que, dans le cas présent, l’invasion des cantons de la ligue aurait un autre caractère, et serait, au moins en apparence, revêtue d’une sanction légale ; mais quand il s’agira de marcher sur des concitoyens, sur des confédérés qui ne sont que sur la défensive, les contingens fédéraux y regarderont à deux fois. Ce qui prouverait au besoin que la guerre n’est pas en Suisse aussi populaire qu’on veut bien le dire, c’est que, dans les cantons radicaux, les gouvernemens n’ont pas osé faire appel au peuple. Ainsi, dans les cantons catholiques menacés par l’arrêté de la diète, dans Uri, Schwytz, Unterwald, Lucerne, Fribourg, Zug, le Valais, la Landsgemeinde a tenu ses assises, le peuple a été consulté, et il a répondu à la demande de ses gouvernans par une approbation complète et unanime. À Zurich, à Berne, à Schaffouse et dans le canton de Vaud, c’est en vain que les partisans de la paix ont aussi réclamé un appel au peuple ; les gouvernemens ont reculé devant cette épreuve.

Que la supériorité apparente des forces soit du côté des radicaux et du parti de la guerre, c’est ce qu’il serait difficile de nier. Ainsi le contingent fédéral des douze et deux demi-cantons qui ont voté la dissolution de la ligue est de cinquante mille hommes, tandis que celui des sept cantons du Sonderbund n’est que de onze mille. Néanmoins il y a quelque chose qui compenserait jusqu’à un certain point cette inégalité de forces : c’est que d’un côté on n’est pas unanime pour attaquer, et que de l’autre on est unanime pour se défendre. Ainsi, dans les états catholiques et les états mixtes, il sera difficile d’armer les catholiques contre leurs coreligionnaires, et, si on n’envoie en expédition que les protestans, alors les catholiques, restés seuls gardiens du foyer et maîtres de la place, pourraient profiter du moment pour changer le gouvernement à l’intérieur. Genève même, malgré sa dernière révolution, et bien que dominée par le radicalisme, a aussi les mains liées, car les radicaux y ont besoin de la démocratie catholique pour faire contrepoids à l’aristocratie protestante.

C’est donc sur trois cantons, c’est-à-dire sur Berne, Zurich et Vaud, que retomberaient principalement les charges de la guerre ; ce seraient eux qui auraient à faire exécuter l’arrêté de la diète. L’oseront-ils et le pourront-ils ? Ils auraient affaire à des populations combattant pro avis et focis, ils s’engageraient dans une lutte où les femmes et les enfans prendraient les armes. Et la guerre elle-même serait-elle une solution ? Non. Ce n’est pas le Sonderbund que la victoire des radicaux détruirait, c’est la confédération elle-même ; car, en admettant pour un moment que le Valais, que Fribourg, que Lucerne, fussent écrasés par des forces supérieures, l’invasion s’arrêterait toujours à l’entrée des montagnes des petits cantons primitifs. On se rappelle ce qu’il en a coûté en 1798 aux armées françaises pour réduire ces populations inexpugnables. Ce sont toujours les mêmes cœurs libres, les mêmes bras forts, animés encore du même amour de la patrie et de la religion. La guerre ne laisserait à ces cantons, les fondateurs de la Suisse, d’autre ressource que de se retirer de la confédération.

Toutes ces considérations pèseront d’un certain poids sur les résolutions de la diète, qui va se réunir dans trois jours à Berne. Le parti radical sait, d’ailleurs, qu’il ne peut compter, dans ses tentatives pour troubler la paix, sur aucune sympathie extérieure. Nous ne croyons pas que lord Minto, en passant par la Suisse pour aller à Rome, ait donné au parti de la guerre aucune espèce d’encouragement ; nous sommes plutôt portés à penser le contraire. D’un autre côté, les gouvernemens de l’Europe se préoccuperaient nécessairement d’un état de choses qui serait de nature à altérer les relations créées par les traités, et les gouvernemens limitrophes de la Suisse auraient quelque raison de s’inquiéter plus que les autres et de manifester leurs inquiétudes par quelques mesures de précaution. Toutes ces causes réunies nous font encore douter, malgré toutes les apparences, qu’une guerre immédiate soit inévitable en Suisse.

En Angleterre, la crise financière, loin de diminuer, s’aggrave encore. De nouvelles faillites sont venues s’ajouter aux désastres déjà connus, et la banque resserre de plus en plus ses escomptes. Une des principales causes de ce malaise est dans l’excessive sévérité du bill de 1844, qui renferme l’action de la banque d’Angleterre dans des limites trop étroites, et il est probable que, dans la prochaine session du parlement, toutes les questions qui se rattachent au crédit seront reprises en sous-œuvre. Le bill de sir Robert Peel sera l’objet de vives attaques, et sera sans doute amendé sur quelques points. En attendant, les embarras de nos voisins augmentent : c’est une véritable panique. L’annonce de l’emprunt que vient d’ouvrir le gouvernement français a imprimé un nouveau mouvement de baisse à la bourse de Londres. Le Morning Chronicle ne va-t-il pas jusqu’à engager la banque d’Angleterre à refuser plus que jamais de faire des avances sur dépôt de fonds publics, dans la crainte que ces avances ne servent à prendre un intérêt dans l’emprunt français ? C’est pousser loin, on en conviendra, l’isolement financier. On dirait que quelques organes de la presse anglaise éprouvent une sourde irritation, parce que notre situation économique, tout en ayant ses complications et ses difficultés, est en ce moment meilleure que celle de la Grande-Bretagne. Si nous indiquons en passant cette supériorité relative, nous ne nous faisons pas illusion sur ce que l’état de nos propres finances a de grave et de tendu. Le gouvernement a reconnu qu’il lui était impossible de se passer de l’emprunt ; seulement il n’a émis que pour 250 millions de rentes, et il en a échelonné le versement sur vingt-cinq mois. 100 millions restent en réserve, tant pour les éventualités futures que pour l’amortissement. Certes on pourrait désirer pour l’ouverture et pour l’adjudication de l’emprunt un meilleur état de la place ; cependant il ne faut pas non plus fermer les yeux sur tout ce qui peut contribuer à relever les affaires. Nous n’avons pas à craindre pour l’hiver prochain le malaise dont les classes laborieuses souffraient si vivement encore il y a quelques mois. L’industrie doit recevoir un heureux contrecoup des prospérités de l’agriculture.

Deux traités de commerce, qui ne sont pas sans importance, viennent d’être conclus, l’un avec la Perse, l’autre avec Naples. Jusque dans ces derniers temps, la France n’était pas en relations commerciales directes avec la Perse. Désormais, par la convention qu’a signée, le 24 juillet dernier, M. de Sartiges, notre envoyé à Téhéran, la France se trouvera, envers la Perse, dans les mêmes conditions que la Russie et la Grande-Bretagne, et elle profitera de tous les abaissemens de tarif qui pourront être dans l’avenir accordés à ces deux puissances. Il ne faut pas perdre de vue que les relations avec la Perse prendront un nouvel accroissement par suite de l’établissement des lignes de bateaux à vapeur qui sillonnent la Méditerranée, et qui se prolongent aujourd’hui jusqu’au port de Trébizonde. La nouvelle convention avec la cour de Naples est destinée à compléter les clauses du traité de commerce qui avait été conclu, il y a deux ans, le 14 juin 1845 ; elle statue que toutes les productions du sol et de l’industrie des deux pays seront soumises aux mêmes droits, jouiront des mêmes faveurs, et elle accorde les mêmes immunités aux navires des deux nations. Ces transactions, et d’autres encore qui se préparent, dénotent, dans le département des affaires étrangères, une intelligente activité. D’un autre côté, de nouveaux agens sont envoyés dans des postes importans. M. de Bacourt est nommé ambassadeur à la cour de Madrid, et M. de Billing remplace à Francfort M. de Chasseloup-Laubat. Le ministère a pensé que le moment où les affaires en Espagne revenaient aux mains du parti modéré était bien choisi pour donner un successeur à M. Bresson. Si Francfort n’est pas, à proprement parler, un terrain politique, c’est un poste auquel le séjour de la diète donne une signification particulière, et qui demande dans celui qui l’occupe une connaissance approfondie du droit public de l’Europe. Aussi, M. le baron de Billing, esprit appliqué et studieux qui compte plus de vingt ans de services dans la diplomatie, y sera bien placé. Si la santé de M. de Varennes ne lui permettait pas de prolonger plus long-temps son séjour à Lisbonne, c’est M. le duc de Glucksberg qui serait nommé ministre plénipotentiaire auprès de la reine dopa Maria.

Les événemens de l’Italie préoccupent l’opinion publique en Angleterre et en Allemagne par certains côtés assez caractérisés et assez spéciaux pour qu’il ne soit pas inutile d’examiner l’attitude qu’on a prise dans ces deux pays au sujet d’une si grave question. C’est encore une manière d’apprécier l’esprit d’un peuple que de voir le contre-coup qu’il reçoit des affaires mêmes dans lesquelles il n’est pas mêlé.

En Allemagne, il y a pour l’instant, à propos de l’Italie, deux sentimens qui se heurtent et se combattent de la façon la plus curieuse du monde : le sentiment libéral, qui cherche noise au régime absolu de l’Autriche et se réjouit ostensiblement des embarras qu’il rencontre de l’autre côté des Alpes ; le sentiment allemand, qui ne peut pas admettre que ce ne soit toujours un grand service rendu à l’humanité de porter quelque part l’influence germanique, et qui regimbe à la seule pensée de voir reculer son drapeau.

Les libéraux accusent tout haut le cabinet de Vienne, ils lui montrent comme un modèle l’exemple de la Prusse, ils lui annoncent qu’il perdra la suprématie de l’Italie, comme il a perdu celle de l’Allemagne. Couverts contre la censure par l’éloge qu’ils font du cabinet de Berlin, ils rappellent à l’Autriche les contradictions de sa politique, qui sont pourtant, il faut le dire, les contradictions de tous les princes allemands. Ils saisissent avec empressement cette occasion nouvelle de rappeler les promesses de 1813, si vite et si rudement démenties. — Le même Observateur autrichien, qui incriminait hier tous les mouvemens spontanés des peuples, qui parlait hier si dédaigneusement de l’opinion publique, en appelait aux peuples dans son numéro 23, de l’année 1813, comme aux alliés naturels des puissances armées, et ces puissances proclamaient à Kalisch que quiconque ne s’unirait point à elles « serait anéanti par la force de l’opinion. » Le même empereur François, qui disait en 1821 que le monde déraisonnait lorsqu’il demandait des constitutions, avait dit en 1815 : « La ferme volonté du monarque, c’est de voir l’esprit propre à chacune des différentes nations de l’empire s’enrichir et se développer librement par une éducation meilleure, par une plus grande franchise de la presse, par un plus haut enseignement, par un emploi plus large des trésors de la culture étrangère. » — On somme aujourd’hui l’Autriche de prouver l’usage qu’elle a fait de ces belles maximes dans ses rapports avec l’Italie. On reconnaît qu’elle a protégé les intérêts matériels, construit des chemins de fer, ouvert un port franc à Venise, utilement surveillé la grande industrie lombarde, plus utilement encore modéré l’ascendant du clergé ; mais de ces aveux mêmes on tire parti pour montrer combien il sert peu de vouloir étouffer avec de pareilles satisfactions les besoins bien autrement vifs d’indépendance intellectuelle et morale. Qu’arrive-t-il en effet ? Ce gouvernement protecteur est, au dire même des Allemands et d’après les statistiques allemandes, poursuivi par une aversion toujours croissante. D’où vient ce progrès trop cruellement significatif, sinon de ce que le ressentiment d’une injuste nullité politique a gagné d’en haut jusqu’aux rangs inférieurs, et produit partout la désaffection ?

Il en est cependant, et ce ne sont pas les organes les moins fidèles de la vraie pensée allemande, il en est qui s’étonnent de cette désaffection et crient à l’ingratitude. L’Italie, disent-ils, a toujours été comme un champ clos où les gens du nord et du midi sont venus se battre ; le duché de Milan est depuis trois cents ans dans la maison d’Autriche, et l’Autriche est une puissance allemande. Il ne faut pas la laisser dépouiller ; il ne faut pas que les gibelins cèdent maintenant la place aux guelfes. Sans doute on ne peut refuser toute sympathie aux efforts du patriotisme italien ; mais l’intérêt de l’Autriche, c’est un intérêt germanique : on doit prendre garde de l’affaiblir en défendant trop chaudement la cause des nationalités. La politique pratique doit réfréner les emportemens trop généreux de la politique historique. On aime l’Italie comme on aime la Pologne ; il y a pourtant des fatalités supérieures à toutes les sympathies, et l’on sacrifierait son dernier homme et son dernier écu plutôt que de rendre jamais Posen à la nationalité polonaise, parce que Posen est indispensable pour couvrir la frontière prussienne. La puissance de l’Autriche en Italie n’est pas moins rigoureusement nécessaire pour protéger la frontière méridionale de l’Allemagne. Il y a plus entre l’Allemagne entière et l’Autriche, la solidarité est indissoluble, et vouloir diminuer l’Autriche dans la région du Pô, c’est menacer l’Allemagne sur le Rhin. La France, qui a jadis elle-même si fort maltraité l’Italie, serait aujourd’hui toute prête à y rentrer pour venir ensuite peser sur les peuples germaniques de tout le poids que lui donnerait encore une fois l’hégémonie des peuples latins.

Nous relevons avec quelque intention dans la Gazette de Brême cette singulière dialectique, à peu près reproduite par le Correspondant de Nuremberg. Nous nous en souviendrons à l’occasion, lorsque l’Allemagne recommencera d’une manière ou de l’autre ce grand bruit avec lequel elle aime à témoigner du sentiment de son unité nationale. Elle est encore fort occupée de réclamer au Danemark ses frères du Holstein et du Schleswig. Le Danemark n’a-t-il pas besoin de cette annexe pour se couvrir, tout comme la Prusse a besoin de Posen, et l’Autriche de Milan ? L’argument vaut-il moins d’un côté que de l’autre ? Hambourg vient de refuser très énergiquement d’accéder au système de droits différentiels proposé par la Prusse, pour fonder au profit du Zollverein un empire maritime semblable à celui que l’acte de navigation assura jadis à l’Angleterre. Hambourg, dont le port souffrirait naturellement de l’introduction d’un régime protecteur, ne s’est pas laissé prendre à ces ambitieuses visées, et de plus belle on lui jette la pierre ; on l’accuse, dans toute la presse d’outre-Rhin, de trahir la patrie commune ; on lui fait honte de n’avoir pas le cœur allemand ; on élève aussi haut que possible le respect et l’empire de ce grand mot de nationalité. Hambourg, à moitié anglais, ne se croit pas plus obligé vis-à-vis du dogme de la nationalité allemande que les défenseurs de l’ascendant autrichien en Italie ne croient l’Autriche obligée vis-à-vis de la nationalité italienne. C’est là tout son crime. Il n’est pas de peuple qui, plus que le peuple allemand, ait prêché souvent et porté haut le droit des nations à garder toujours une existence distincte en vertu de la distinction des races et des langues ; il n’en est pas qui ait violé davantage ce droit imprescriptible.

L’Angleterre juge les événemens d’Italie d’un point de vue moins étroit, et la manière dont la question y est posée fait plus d’honneur au progrès de l’esprit public. Le sentimentalisme germanique trouve de bonnes raisons pour ne pas être trop exigeant quand il s’agit de retenir les conquêtes de la force et de la diplomatie. Les préjugés religieux de l’Angleterre, les aveugles rancunes du protestantisme, s’effacent aussitôt que le commandent les grands intérêts de la politique européenne. Il semble que ceux qui gardent encore aujourd’hui d’une façon plus spéciale le beau nom de whigs doivent être récompensés par les événemens de l’inaltérable fidélité qu’ils ont toujours vouée aux doctrines libérales. Ce sont eux qui achèvent de rompre toutes les barrières que l’esprit de secte avait élevées autour de la constitution anglaise ; ils vont introduire les Juifs dans le parlement, ils entrent en négociation directe avec le pape. Il ne faut pas s’y tromper, c’est encore un signe du temps, et nulle part ces signes ne sont aussi, clairs que dans les modifications intérieures du régime de la Grande-Bretagne. La brèche faite à la constitution en 1829 et en 1831 s’élargit tous les jours. L’église établie, le plus solide pilier du vieil édifice aristocratique, perd de plus en plus sa raison d’être à mesure qu’elle se lie moins logiquement à tout l’ensemble des institutions. Qu’est-ce que sera dans l’état la papauté de la reine, quand, à côté de celle-là, l’état admettra lui-même qu’il puisse y avoir pour une autre église une autre papauté ? Ce qui perpétue les régimes caducs, c’est l’opiniâtreté avec laquelle ils s’obstinent à ne pas reconnaître tout ce qui se fait dans le présent en dehors d’eux et contre eux. Une fois qu’ils pactisent avec les nouveaux principes, leur fin approche. Dans la stricte rigueur des lois anglaises, dans l’esprit de 1688, le pape n’existe pas pour le gouvernement britannique ; il n’y a qu’un évêque de Rome, qui n’a pas encore reconnu la légitimité de la couronne d’Angleterre, qui a jeté l’interdit et l’anathème sur les princes, sur le peuple et sur le clergé de la Grande-Bretagne. On peut rester en trêve avec lui, on peut même l’aider par quelque intervention indirecte, comme on le secourut en 1797, mais on ne peut conclure d’alliance et de paix avec lui sans transgresser ouvertement les lois du royaume. Nolumus leges Angliæ mutari. C’est l’avis du Standard. Il est vrai que le journal tory trouve encore moyen d’arranger les choses pour rompre « cet exécrable projet de reconnaître l’autorité papale dans l’empire britannique ; » le pape n’a qu’à « renoncer d’abord à cette autorité usurpée ; » on verra ensuite à traiter avec lui !

Ce n’est là que l’impuissante rébellion de ce torysme inintelligent qui soulevait autrefois les masses au cri de No popery ! Mais les masses aujourd’hui ne s’effraient plus si facilement ; elles s’inquiètent assez peu de savoir si la bulle In cœnâ Domini est ou n’est pas retirée. Le simple bon sens leur montre que, l’état subsistant par lui-même en dehors de l’église, il importe peu qu’il y ait deux papes au lieu d’un, puisque l’un pas plus que l’autre n’aura maintenant d’autorité sur l’état. Ce fut une grande affaire quand, il y a quelques années, un prélat irlandais osa prendre le titre de son diocèse et ajouter à son nom celui d’une ville déjà occupée par un siége anglican. La hiérarchie catholique s’asseoit aujourd’hui en Angleterre même à côté de la hiérarchie anglicane, sous la direction suprême du docteur Wiseman. La plus belle grace que l’on fera peut-être à l’église officielle, ce sera d’appeler M. Wiseman évêque de Westminster et non pas évêque de Londres, comme son collègue protestant ; mais il n’en sera pas moins un évêque anglais qui ne relèvera ni du parlement, ni de la reine. « Le pape, disait lord Clarendon, peut créer des évêques : mais il est coupable d’une impudente usurpation quand il donne des évêchés sur les domaines de sa majesté britannique. » Le temps est passé de ces pures maximes anglaises. Le Times, le journal anglais par excellence, parle sans trop de gêne « du pouvoir de contrôle » que le saint-siège exerce dans le royaume (a certain controlling power). C’est admettre, en langage d’à présent, que l’Angleterre doit, encore à la façon d’à présent, payer le denier de saint Pierre. Le catholicisme gagne probablement à des concessions si publiques ; mais il est un autre principe qui n’est ni catholique ni protestant, et qui gagne bien davantage encore à cette révolution : c’est le principe politique de la complète indépendance de l’état en présence des cultes qui peuvent se partager les individus.

La dernière victoire remportée par les troupes américaines dans le voisinage de Mexico sera-t-elle assez décisive pour amener la paix ? La paix, également désirée des deux côtés, est par malheur aussi difficile à signer d’un côté que de l’autre. Le Mexique n’a point de soldats pour faire la guerre sur les champs de bataille, et il a une populace indisciplinée pour la demander dans les rues. Un ancien ministre américain à Mexico faisait dernièrement un pitoyable portrait de cette armée qui vient d’être si souvent battue. Des recruteurs vont à la chasse des Indiens dans les montagnes, et les amènent enchaînés dans la capitale ; arrivés à la caserne, on les habille de toile ou de serge, puis on les exerce à marcher en colonnes dans les rues. Il n’y en a pas un sur dix qui, avant d’être enrégimenté, ait jamais vu un fusil ; pas un sur cent qui l’ait manié : dans une bataille entre Santa-Anna et Bustamente, les coups de canon ne portaient pas, et les boulets tombaient au beau milieu des deux armées. Nous faisons la part de l’exagération du patriotisme américain ; mais, cette part faite, on comprend encore que de pareils soldats se défendent mal devant les tireurs du Tenessee, et cependant l’orgueil du sang espagnol se refuse à plier sous le joug des Yankees. Comme il n’y a rien au Mexique qui soit organisé, rien de constitué, le pays en masse ne saurait présenter de résistance ; par la même raison, il ne saurait non plus accepter d’arrangement solide, et là où les individus échappent à toute contrainte, il n’y a point de fonds à faire sur une soumission générale ; le gouvernement mexicain fuit, pour ainsi dire, sous la main de ses vainqueurs, parce qu’il est tout entier dans l’autorité personnelle de tel ou tel chef, qui peut l’emporter avec lui partout où il ira.

Les Américains, de leur côté, paient la guerre à très haut prix : ils veulent apparaître sur le territoire mexicain en ennemis civilisés. Vivres, logemens, transports, ils ne prennent rien sans indemniser régulièrement les populations vaincues : celles-ci se trouvent fort bien d’être défrayées par les envahisseurs eux-mêmes, au lieu d’être pillées, comme d’habitude, par la soldatesque nationale ; mais les troupes américaines n’en sont pas moins obligées d’occuper militairement le pays, et, sans parler de la dépense, il y a dans la prolongation de ce système guerrier un danger sérieux pour la constitution républicaine des États-Unis. Les généraux prennent trop d’importance, et de bons esprits appréhendent que l’habitude de gouverner en pays conquis n’influe malheureusement sur ceux qui seront ensuite appelés, par leurs fonctions politiques, à gouverner leurs libres concitoyens. Les généraux en viennent maintenant à compter des partisans ; on se demande, par exemple, avec une certaine anxiété, si le brave Taylor est pour les whigs, et comme le vieux rough and ready observe jusqu’ici un silence très avisé, les démocrates veulent à toute force qu’il leur appartienne. Ce serait un cruel retour si l’extension du régime militaire allait compromettre la pureté des institutions civiles, et les Mexicains seraient bien vengés du gouvernement de Washington s’ils lui léguaient dans leur défaite les inconvéniens du leur.

Il y a là très certainement plus d’une raison de vouloir la paix. Aussi paraît-il que les frais de la guerre seront l’objet du débat capital dans le prochain congrès, et il est sûr aujourd’hui que l’opposition whig, c’est-à-dire le parti pacifique, sera en majorité dans la chambre des représentans. Les élections de l’Alabama, de l’Indiana, du Kentucky et du Tenessee ont procuré aux whigs une majorité qui ne peut pas être moindre maintenant de six voix, et dans le sénat, le tiers-parti de M. Calhoun (balance-party) est tout-à-fait animé contre les emportemens belliqueux de M. Polk. Quoi qu’il en soit néanmoins, il n’est pas plus aisé de décider la paix à Washington qu’à Mexico, et l’obstination plus ou moins volontaire avec laquelle Santa-Anna la repousse correspond assez bien à l’empressement plus ou moins sincère avec lequel le cabinet américain la propose. Whigs et démocrates, dans toute l’étendue de l’Union, sont naturellement préoccupés des approches d’une nouvelle présidence. La future session sera probablement remplie par les efforts que tenteront mutuellement les deux partis pour s’arracher la popularité. La question de la paix avec Mexico sera d’un grand poids dans la balance. Si le gouvernement traite en l’absence du congrès, la majorité whig, aussitôt réunie, incriminera son traité. Si la majorité whig, devenue maîtresse des affaires, conclut elle-même la paix, les démocrates, tombés en minorité dans les chambres, s’agiteront davantage encore pour prendre leur revanche dans le pays, et le pays, à vrai dire, semble tout disposé à la leur donner.

Il y a maintenant aux États-Unis une passion de conquête qui change toutes les habitudes politiques et morales de la jeune société américaine. Rien n’est piquant comme l’effort d’esprit de frère Jonathan pour accommoder ces avides ambitions du génie militaire avec les règles fondamentales de sa constitution républicaine et les préceptes bourgeois de son existence civile. Il ne s’agit plus seulement de garder le Nouveau-Mexique et les Californies ; on veut acheter Cuba au gouvernement espagnol et enlever les îles Sandwich au protectorat anglais ; on s’appuiera solidement ainsi sur le Pacifique en même temps que sur l’Atlantique. Voilà de grands projets, mais, à lire les journaux américains, on n’entend point cependant guerroyer pour l’amour de la gloire et des conquêtes ; on ne penserait point à s’étendre, si l’on n’avait une mission à remplir, une mission providentielle à laquelle on doit toute fidélité. Il faut empêcher les états européens de prendre pied dans le Nouveau-Monde au préjudice des institutions républicaines ; il faut porter partout ces institutions qui doivent réunir toutes les Amériques dans une communion fraternelle. Le général Kearney appelle déjà les habitans de la Californie du nom de concitoyens ; les soldats américains ne sont que des propagandistes, des missionnaires armés. On va loin avec cette pointe d’hypocrisie puritaine.

Il est curieux de voir comment cet esprit conquérant sait faire son chemin sans jamais oublier les précautions et la prudence. Les îles Sandwich sont l’objet de bien des convoitises ; mais nulle convoitise ne s’explique mieux que celle des Américains, qui trouveraient ainsi une admirable station à moitié chemin de la Chine. La concurrence jalouse de l’Angleterre et de la Russie a garanti l’indépendance provisoire de ces îles, si bien situées sur la grande route de l’Océan Pacifique. Cette indépendance a bientôt profité aux États-Unis. Les missionnaires méthodistes se sont installés à la cour du petit souverain des Sandwich ; des milliers d’Américains sont déjà venus se mêler à la population indigène : ils ont planté du sucre, du café, du cacao, du tabac, cultivé le coton et la soie, et fait leur fortune en convertissant les idolâtres. De 1836 à 1841, trois cent cinquante-huit baleiniers des États-Unis ont abordé à Honolulu. La bonne moitié de toutes les importations provient de la grande république américaine, et la valeur de ses intérêts commerciaux dépasse là d’un cinquième celle des intérêts anglais. Comment chasser les Yankees d’une terre qu’ils ont déjà dans les mains, le jour où il leur plaira de proclamer toute la place qu’ils y tiennent ? Mêmes procédés au sujet de Cuba. On parle aujourd’hui tout haut à Washington de l’annexion de Cuba comme on parlait de celle du Texas et de l’Orégon. Or, en 1825, les États-Unis avaient déjà saisi l’occasion d’une croisière française établie dans les environs de Cuba et de Porto-Rico, pour déclarer au gouvernement français qu’ils ne souffriraient point que Cuba dépendit d’une autre puissance européenne que l’Espagne. La question a bien marché depuis, et, l’hiver dernier, des créoles de la Havane et des citoyens américains ont à peu près publiquement disputé des moyens de joindre aux États-Unis la belle colonie espagnole. C’est un thème qui reste à l’ordre du jour, malgré la part que la guerre du Mexique prélève sur l’attention générale. Il n’est pas de gazette qui ne déclare que Cuba relève des États-Unis par sa position géographique, par la nécessité, par le droit même. Il est vrai qu’on ne dit pas par quel droit. Sans doute ce serait une merveilleuse acquisition que cette île féconde qui touche à la pointe des. Florides et ferme le golfe du Mexique, qui donne à l’Espagne dix millions de piastres par an, qui compte un million d’habitans, qui est égale à l’Angleterre en superficie et renferme tous les trésors de la nature minérale ou végétale ! Les politiques de l’Union doivent cependant y songer beaucoup avant de se laisser entraîner à couvrir ainsi les anciens territoires espagnols du pavillon américain. Les Saxons des états du nord ont déjà quelque peine à s’entendre avec l’émigration irlandaise et allemande ; peut-on prévoir quel nouveau ferment de discorde s’introduirait dans la république par l’accession toujours croissante des races indisciplinables du midi ?


De l’italie dans ses rapports avec la liberté et la civilisation moderne, par M. André-Louis Mazzini[1]. — Ce livre est un véritable anachronisme et semble avoir été écrit pour prouver une fois encore que toutes les émigrations se ressemblent, et que les exilés de Coblentz ne sont pas les seuls qui n’aient jamais rien appris, rien oublié. Il y a dix ans, il aurait eu un sens ; aujourd’hui ce n’est plus qu’un plaidoyer portant à faux et dénué de toute signification. Pour qui l’auteur a-t-il voulu écrire ? Est-ce pour l’étranger ? A-t-il eu la prétention d’initier l’Europe au secret des destinées de sa patrie ? Mais il n’est à présent plus permis à personne d’assimiler la révolution qui s’opère en Italie à celles qui l’ont précédée. On sait qu’il n’y a plus de carbonari au-delà des Alpes, que les sociétés secrètes ont cessé d’exister du jour où quelques hommes courageux eurent le bon sens de transporter sur la place publique et en plein soleil les conjurations qui se tramaient autrefois dans le mystère des comités. Enfin on n’ignore pas que la jeune Italie s’est fondue dans cette grande opinion nationale qui en deux ans a rallié toutes les classes de la population, a intéressé le peuple, jusqu’à présent inerte et indifférent, et est enfin arrivée au pouvoir à Rome et en Toscane. A qui donc M. Mazzini persuadera-t-il que « la jeune Italie est le seul parti qui puisse avoir un jour une grande influence sur les destinées futures du peuple italien ? » S’il lui plaît de s’environner d’abstractions et de ne tenir aucun compte des faits qui se produisent à la face du monde, nous empêchera-t-il de constater que les principes et l’école qu’il combat ont plus fait pour l’Italie en quinze mois que le carbonarisme et les sociétés secrètes en trente années de luttes stériles et de dévouemens infructueux ? Libre à lui de traiter avec dédain les rêves et les espérances de ce qu’il appelle le parti réformiste, et qui est maintenant la nation tout entière ; pour nous, qui ne pouvons guère juger que des résultats, il nous semble que ces espérances et ces rêves n’ont pas laissé que de prendre une certaine apparence de réalité, et certes, pour que l’Europe finît par croire cette fois à un mouvement sérieux, il lui en a fallu fournir plus d’une preuve, car voilà long-temps qu’elle était habituée à ne donner plus qu’une attention dédaigneuse et une pitié distraite à ces tentatives désespérées, à ces convulsions impuissantes dont les révolutionnaires italiens lui offraient périodiquement le spectacle.

Que si M. Mazzini a eu la pensée d’écrire pour ses concitoyens, il eût été prudent à lui d’aller auparavant rafraîchir ses souvenirs, interroger les hommes d’aujourd’hui et voir de près les choses avant de porter sur les hommes et sur les choses des jugemens aussi absolus ; mais il semble avoir laissé son pays aux insurrections de 1820 et de 1831, et être aussi étranger à ce qui s’y passe à cette heure que s’il sortait de la caverne d’Épiménide. Les faits ont beau se presser sous ses yeux, que lui importent les faits ? Il les considère comme non avenus. Des réformes s’accomplissent, l’idée de nationalité s’éveille pour la première fois, un pape donne à son peuple des institutions libérales, illusions pures ! Où est le principe de la généralité, le principe de l’unité et du progrès absolu ? demande M. Mazzini. En vain vous vous agitez, en vain vous travaillez à dénouer peu à peu les liens qui vous enchaînaient au passé ; vos soins sont superflus, votre labeur est inutile, puisque vous ne possédez pas la formule idéale. L’Italie ne sera jamais libre, ou elle le sera d’une manière complète, absolue, sans restrictions, sans limites. Ainsi le veut la logique. Oh ! l’admirable chose que la logique, et voyez comme elle vient ici bien à point ! « Il est, dit M. Mazzini, de toute impossibilité que le pape veuille faire un seul pas pour combattre la domination étrangère et rompre le pacte qui le soumet politiquement au cabinet de Vienne. » E pure si muove. Tandis que nous philosophons tout à notre aise et argumentons par A plus B, voici que la réalité et le fait brutal viennent mettre notre logique en déroute et nous jeter les plus ironiques démentis.

Est-ce à dire que le livre de M. Mazzini n’ait aucune valeur ? Telle n’est point notre pensée. Nous trouvons dans la première partie, exposées avec une sagacité remarquable, les causes qui ont amené la situation actuelle de l’Italie. L’auteur en indique la filiation, il les examine et les apprécie successivement : après les prétentions impériales, les luttes intestines des républiques au moyen-âge ; l’influence de la papauté et le contre-coup de la réforme. Tant que M. Mazzini se renferme dans l’étude du passé, nous n’avons pas d’objections à lui faire ; mais, dès qu’il entre dans le domaine des événemens contemporains, le procédé d’argumentation qu’il s’obstine à appliquer à toutes les situations et à toutes les circonstances ne nous semble pas la marque d’un esprit politique. Le travail solitaire de la pensée agissant sur elle-même, en dehors des conditions du monde réel, conduit souvent et logiquement à l’absurde. On arrive, comme le dit M. Mazzini lui-même, à des « croyances roides et indomptables, » et la patrie, qui dans ces jours de crise n’a pas trop du concours de tous ses enfans, n’est-elle pas en droit de demander compte de leur inaction à ceux qui se croisent les bras sous prétexte que les réformes actuelles ne sont que des expédiens transitoires, tout en reconnaissant néanmoins que le développement logique de leurs principes ne peut être atteint avant plusieurs siècles ?

Au reste, il ne serait pas difficile de mettre en maint passage M. Mazzini en contradiction avec lui-même, de le montrer, lui qui se pique de logique, tantôt admirateur excessif, tantôt détracteur de Pie IX, qu’il affirme quelque part n’être qu’un sanfédiste déguisé. M. Mazzini sait-il bien l’immense risée qu’a soulevée en Italie cette assertion ? Ailleurs il avoue que les idées démocratiques n’ont pu, en dépit des efforts du carbonarisme et de la jeune Italie, avoir la moindre influence sur l’esprit italien, essentiellement catholique et conservateur par excellence. En ce cas, pourquoi traiter de rêveurs et d’utopistes ceux qui s’efforcent de régénérer l’Italie en travaillant sur les élémens que la nature, le temps, les traditions, leur fournissent ? Le rêve, l’utopie, c’est d’ajourner la solution du problème au temps où l’Italie ne sera plus catholique, et, tandis qu’elle lutte et se débat, de ne lui offrir d’autre perspective que le remède d’Éson.

En résumé, M. Mazzini ne nous semble pas savoir au juste ce qu’il veut. Sa pensée, que nous cherchons vainement à saisir au milieu des raisonnemens le plus souvent contradictoires dont il a rempli deux volumes, eût gagné à être présentée sous une forme plus concentrée ; mais l’auteur déploie cette prolixité, véritablement fatigante, qui est, au reste, un défaut commun aux œuvres littéraires de ses compatriotes, et dont ils ne pourront manquer de se corriger lorsque la pratique et la discussion des affaires publiques les auront formés au langage de la politique.


— Nous avons rarement occasion de rendre justice aux travaux littéraires de la province. Parmi ces travaux, pour la plupart trop peu connus, il est un ordre d’études et de recherches qui méritent d’être particulièrement encouragées : nous voulons parler de ces essais d’histoire locale qui formeront quelque jour un ensemble de documens précieux et comme le complément indispensable des monumens plus vastes élevés à l’histoire générale du pays. Nous avons sous les yeux deux ouvrages qui méritent à plus d’un titre d’occuper un rang honorable parmi les publications historiques de nos départemens. Le premier est une étude sur Rodolphe de Habsbourg[2], dont la vie glorieuse est liée étroitement à l’histoire d’une partie de l’Alsace. L’auteur, M. Boyer, a voulu faire plus qu’une biographie, plus qu’un portrait, et son livre, textes et notes, témoigne de recherches patientes non-seulement sur Rodolphe de Habsbourg, mais sur toute une phase très intéressante de la vie féodale en Alsace. Ce n’est pas la vie féodale, c’est plus particulièrement la vie d’artiste qui est l’objet d’une autre étude intitulée Gauthier le statuaire[3], par M. A. Biechy. Ici l’érudition se produit sous la forme d’un roman plein de renseignemens curieux sur les associations de sculpteurs et d’architectes auxquelles on doit les grandes cathédrales des bords du Rhin. Il faut louer, dans l’un et l’autre de ces récits historiques, une connaissance intime et une habile interprétation des sources locales.




  1. Deux volumes in-8e, à Paris, chez Amyot, 1847.
  2. Un vol. in-8e, publié à Colmar, chez Hoffmann.
  3. Un vol. in-12, Strasbourg, 1847.